Humeurs taurines et éclectiques

vendredi 27 janvier 2012

Mickey est un con


Il faut vraiment travailler avec les enfants pour se rendre compte de l’appauvrissement général de l’imaginaire de nos chères têtes blondes. On navigue dans une conventionnalité des plus navrantes et une impossibilité de sortir des modèles imposés ou proposés par notre environnement.
Sans parler évidemment des instruments par lesquels cet imaginaire peut se concrétiser. Sur ce dernier point qu’il suffise d’évoquer l’impossibilité pour une majorité d’élèves de 3ème (14 ans) de REDIGER plus qu’une ½ page. Et dans le même temps, on ambitionne de les faire AR-GU-MEN-TER alors même qu’ils ne disposent pas du vocabulaire et des bases essentielle de la langue française. Créer, imaginer, conceptualiser, sans disposer des bases techniques et des éléments de base du langage est tout simplement utopique.
Quant à l’univers onirique des bambins, il se limite aux frontières de leur lucarne magique et de la bouillie qu’on leur fait ingurgiter depuis les feuilletons ou la télépoubelle aux mangas, à SuperMario, au gore, au slam à 2 centimes (art majeur) ou aux films de vampires.
Demandez de citer un grand poète et on vous répondra Jean-Jacques Goldman.

Cette situation trouve son origine dans l’évolution sociétale en cours depuis une trentaine d’année qui résulte de l’interaction de multiples facteurs.
Je ne suis nullement de ceux qui évoquent la larme à l’œil le «bon vieux temps», ni qui prennent leur pied à ronchonner contre les petits cons actuels.
Je constate seulement.
Un constat qui me porte à penser que par démagogie, par évolution de la société, par délitement démocratique comme l’évoque Raffaele Simone qui cite Tocqueville notre époque voit l’émergence d’«un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d’assurer leur jouissance (…) et ne cherche qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. Ce pouvoir aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il pourvoit à leur sécurité (…) facilite leurs plaisirs (…) Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète.»
On en constate les effets partout, y compris et surtout sur «l’Ecole» à qui la société délègue la responsabilité de former (ou déformer…) les futurs citoyens.

De facto, le «fun» et la consommation devenant les références et les impératifs de base, on voit mal comment «l’Ecole» pourrait se soustraire à cette nouvelle dictature et éternellement nager à contre courant des injonctions et évolutions sociétales.
Quand le martelage télévisuel valorise les sitcoms ou les téléréalités débilitants où l’on valorise l’opposé même de ce que «l’Ecole» est censée inculquer, on comprend que nos mômes, gavés à l’envie de ce gruau vénéneux, non seulement se voient désorientés par des discours antagonistes, mais rechignent à considérer des valeurs infiniment moins affriolantes telles que l’effort, la tenue, la culture, le cran, la pudeur, la loyauté, l’amour-propre, le respect, etc, etc. (la liste pourrait durer des pages).
Cela, ce n’est nullement la responsabilité de «l’Ecole», ni même celle des politiques, c’est une évolution insidieuse, globale, mondialisée, pour tout dire civilisationnelle de l’ensemble du corps social.

Quand désormais 60% de gamins ont une télévision dans leur chambre, quand les refus pur et simple de travail se multiplient, aux motifs parfaitement assumés et cautionnés par les parents que «cela prend la tête», voire comme me l’a rétorqué benoîtement un père parce qu'«il s’en bat les couilles», on ne doit plus s’étonner de rien.
Comment combattre l’exhibitionnisme quand les reality shows montrent des Stars académiciens ou des «lofteurs» dans leur intimité quotidienne, baiser dans une piscine, étaler leurs fantasmes, leurs avanies?
Comment combattre le voyeurisme quand c’est la raison d'être et le moteur de ces émissions?
Comment leur expliquer des mots comme «pudeur»,  «retenue», «intimité», «intrusion»?
Comment pousser au travail, à l’effort, quand ces mêmes «héros», ces modèles valorisés se prélassent dans l’oisiveté et qu’au bout du compte, il en tirent bénéfice sans bourse délier?
Comment leur demander d’appliquer des règles élémentaires de savoir-vivre, de civilité, de respect quand les modèles se vautrent dans le laisser-aller le plus complet?
Suis-je vieux jeu, fossilisé, alzheimérisé de m’en offusquer et surtout de m’en inquiéter?
En tous cas, nous ne sommes plus crédibles, ou pour le moins plus audibles…

Bon an mal an, pour ouvrir nos élèves sur le monde, nous organisons un voyage scolaire d’une semaine. C’est l’aboutissement d’un travail de préparation, de recherche, et c’est le préalable à une exploitation pédagogique et à des productions (exposés, diaporamas, expositions, etc.).
Les destinations lointaines sont exclues pour cause de coût excessif (tous les élèves doivent pouvoir participer). Nous avons donc eu droit ces dernières années à «la Provence, des Césars à Picasso», à la Barcelone architecturale, à Madrid et ses musées, etc.
Une année, on envisagea diverses possibilités éminemment intéressantes dont Paris, lorsque une délégation de mamans pédagogiquement très motivées, sont venues me trouver.
Les musées, l’Assemblée Nationale, Notre Dame, le Panthéon, les Invalides, un parcours Victor Hugo ou le café de Flore sur les pas des existentialistes, c’est très bien mais tout de même poussiéreux, suranné, pour tout dire «ça prenait la tête» (sic).
Aussi, fortes du pouvoir que confère le fait de payer la moitié du voyage, les bergères s’étaient-elles mises en tête d’en commanditer certains objectifs.
Mi-taquin, mi-intrigué, j’attendis avec délectation la panacée qui allait révolutionner l’univers compassé des voyages pédagogiques. La réponse fut d’une platitude qui rompit net au gaudriolage envisagé.
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Muni de tout le calme mobilisable, à l’article de l’apoplexie, je tentais d’expliquer aux matrones que Rodisney, n’était pas précisément un modèle pédagogique, qu’un collège de l’Education Nationale n’était ni une agence de voyage, ni une succursale du Club Med et que Mickey était certes très «fun», mais Totor Hugo et Quasimodo ou Jean Valtruc, hein, c’était quand même aut’ chose!
La plus accorte des rombières papillonnant des faucilles, munie d’un sourire des plus enjôleurs tenta de convaincre le gentil organisateur que sans doute étais-je un tantinet dépassé et que nonobstant mon arriération mentale, elle maintenait que Rodisney, permettait d’apprendre dans la joie, et que Mickey était un grand pédagogue.
Le dialogue de sourds s’éternisait sans que puisse s’entrevoir la moindre issue.
Devant tant de désarmante et charmante assurance, le monstre mysogine que je suis tenta d’épousseter la tonne de poussière antique dont on me revêtait et ne put que lui jeter de son air le plus sombre: «C’est parce que vous ne le connaissez pas bien: Mickey est un con!».
Parfois, il faut savoir conclure…
Xavier KLEIN
Peut-être une suite...
***

5 commentaires:

Marc Delon a dit…

Excellent ! Sinon comment remédier à tout ça ben c'est fastoch : en virant tous les enseignants de gauche et en les remplaçant par des putains de réacs de droite !
(j'ai pas pu résister... ;-)
Une bise...

el Chulo a dit…

mais quelle idée aussi de vouloir priver ces chères têtes blondes du show disney en essayant de leur imposer des machins pseudo culturels.
je trouve compréhensible qu'à LEUR initiative, les parents veuillent montrer mickey, mais dans le cadre d'un voyage pédagogique, ça "m'espante", un copain mien disait joliment "ça me troue le cul".
pauvres de nous!

Ludovic Pautier a dit…

excellent.

Ludo.

pedrito a dit…

Tant pis !
Tant pis si certains me jugent fossilisé, moi qui ne joue pas dans votre cour.

Mais que nos valeurs peuvent être si proches, si communes: j'adore ton texte!

Et je salue ton courage, Xavier, avec respect, admiration, y cariño.

Parce que si certains parents lisent ton blog.....

Anonyme a dit…

Bon sang, il manque un" s" à essentielles!
Beaucoup de plaisir à lire cet article.