Humeurs taurines et éclectiques

lundi 21 juillet 2014

Reprenons !!! Avec la «Condesa»

2 juin 2014. Intronisation de Philippe V. Puerta del Sol (enfin, je crois... à moins que ce ne fût Plaza Mayor)

Ecrire, quoi de moins naturel ? Quoi de plus difficile à part le bilboquet et les puces picardes ?
C’est devenu pour moi une tache herculéenne qui requiert dix fois plus de temps et surtout d’efforts qu’à l’antan. J’en souffre et ne puis me résoudre à ne pouvoir y remédier. Pardon mille fois, amis lecteurs et surtout amis tout court qui me sollicitez et m’encouragez à reprendre la plume.
Pourtant, que de sentiments à exprimer, que d’idées à débattre, que d’événements à rapporter, que d’analyses à entreprendre !
Evoquer mes très chers amis lillois, les dernières visites en tierra campera, les conversations avec les acteurs de la planète des toros ou les constats tirés: que de sujets qu’il m’aurait importé d’aborder mais qu’il me fut impossible de poser par écrit.

A l’issue d’un séjour à Madrid, il y a un mois, j’ai promis à Carmen, la «Condesa» du cher Chulo, de «me secouer grave» et d’entamer ma convalescence littéraire. Cédons à cette injonction thérapeutique.

Calle de Alcala, 17h30, terrasse d’un bar face à Las Ventas.
Dans le beau visage de Carmen, les yeux sont rougis par la poussière et le vent de la Sierra de Guadarrama où nous rendions visite le matin même au plus aimable et au plus sincère des ganaderos que je connaisse: Aurelio HERNADO. Avec patience, pédagogie et gentillesse, il nous présenta ses «crus» dont je suis si friand, ses splendides veraguas aux robes variées où dominent les jaboneros. Il faut admirer ces toros au crépuscule, lorsque le soleil s’échappe derrière les montagnes et que les cercados s’inondent de lueurs florentines. Les toros se mordorent me rappelant à chaque fois les vers du roi des poètes:
«A la mitad del camino
cortó limones redondos
y los fue tirando al agua
hasta que la puso de oro»
(Lorca, «Romancero gitano» «A mi-chemin, il cueillit des citrons rebondis et les jeta dans l'eau jusqu'à la rendre d'or»)
Ce matin là, Carmen s’est enivrée de toros, palabrant avec Aurelio des potins du mundillo, se découvrant des relations communes, se situant par leurs goûts respectifs bien souvent identiques. Tous deux défendent la même éthique que je partage complètement, celle d’un toro intègre qui combat.

Comme les dames de fort caractère, Carmen a ses coquetteries. En l’espèce, elle aime boire la bière dans des verres tubes, ce qui nécessite quelques explications aux serveurs intrigués. J'aime ces petites manies qui crée la différence dans une époque qui pousse à l'homogénéité.
On me l’avait décrite comme une personne extravagante.
Peut-être, sans nul doute !
Moi, je pressens une femme qui a vécu une existence riche et passionnée, emplie de voluptés, de douleurs et surtout d’intensité. Quelqu’un qui s'embarrasse peu d’emprunter les sentiers balisés du commun et se fiche comme d’une guigne des jugements hâtifs et superficiels.
Ses traits allient énergie et douceur, ses propos, convictions et empathie. Fière, libre, passionnée, elle va sa vie avec cette philosophie de la «gitanitude» dont elle revendique la filiation culturelle et familiale.
Cette liberté et cette impétuosité me plaisent, qui bousculent la morne platitude de notre société du consensus mou.

Carmen connait son monde. A notre table s’assoient des taurinos, comme le père de Sergio AGUILAR, ex-torero avec qui nous conversons une demie-heure. J’apprends beaucoup !

Las Ventas, 18h51
Nous grimpons dans les tendidos où Carmen a ses habitudes. Au programme novillos de María Cascón  (branche Atanasio-Lisardo de la maison J. L. Fraile) pour Raúl Cámara, Jorge Escudero et Juan Miguel Benito.
Le public est réduit à 1353 chinois, 17 coréens, 32 japonais, 8 scandinaves, 28 amerloques, 4 français, etc. et … une poignée d’aficionados blanchis sous le harnais qui ne se résolvent pas à déserter l’antique ruedo. Las Ventas est désespérément désertée et le spectacle d’une assistance aussi parcimonieusement disséminée dans les gradins porte un goût d’absurde. En dessus et au dessous de nous, dix rangées de tendidos vides; idem sur notre droite.
Pourquoi ne pas inciter les spectateurs à se regrouper autour du ruedo ce qui serait plus convivial, propre à motiver les toreros et plus économique pour l’organisation qui doit financer les placiers et la logistique de toute une arène lorsque qu’un dixième seulement est occupé? On sent les tauliers plus contraints de se débarrasser d’une contrainte financière contractuelle que d’assurer la pérennité d’une fiesta brava vivante et authentique. Ici comme ailleurs Mammon préside.
A notre gauche, cela foisonne un peu plus : des madrilènes ou des voisins venus au rendez-vous dominical des novilladas estivales. Là, s’est regroupé un quarteron de connaisseurs qui donnent de la voix et conspuent régulièrement présidence et surtout organisation.
Il y a de quoi, les critiques acerbes et «colorées» sont pertinentes. Devant des bestiaux ternes et affaiblis, sans race et sans jus, trois novilleros standardisés «remuent» et débagoulent leur morne leçon d’élèves consciencieux. Toreos sans caractère, décroisé, au pico, séries et faenas interminables qui se généralisent et assassinent peu à peu la fiesta bien plus efficacement que les zantis. On s’emmerde ferme !!!
Le spectacle est tellement passionnant qu’avant la sortie du cinquième les touristes quittent massivement l’amphithéâtre. Quelle image ces gens là garderont-ils de l’unique festejo de leur vie? Des novillos qui se cassent la gueule? Une chorégraphie bien réglée et sans risque? Où est l’émotion?
Une oreille tombe à l’ultime, non pour le meilleur mais pour le moins pire, histoire que les visiteurs d’un jour puisse l’annoter dans les photos de voyage: seront content les cantonnais…
Carmen demeure philosophe, s’enflammant parfois: les trois tours de ruedo que les cuadrillas encouragent à l’entrée de chaque animal, les embestidas délibérément provoquées sur les burladeros, la brega lamentable, les piques sabotées, les génuflexions multiples, les boiteux qu’on ne change pas.
Pourtant, taurinement parlant, Carmen n’a rien d’une ultra. Par le passé, elle eût maille à partir avec les affreux du tendido 7, qui l’ont fort malmené avec des imprécations dont les vrais gentlemen s’abstiennent à l'égard d'une dame. Carmen a la rancune tenace, elle ne fraie pas avec ces gens là.
Pour résumer, un magnifique  spectacle anti-taurin!
J’ai mal à Las Ventas, la supposée Mecque taurine.

A l’issue, tristement, nous nous quittons à la bouche du métro. Il y a quelque chose de dérisoire et d’inquiétant à nous voir s’engloutir ainsi dans les entrailles du ver urbain, sans l’ambiance festive de nos agapes taurines françaises, comme si cette corrida urbanisée, industrialisée, détachée de la culture sacrée et sacrificielle qui devrait la porter crevait de cette fade banalité.
Hasta luego Carmen. Nous nous reverrons en octobre.
Xavier KLEIN