Comme
chaque année, difficile exercice PERSONNEL et SUBJECTIF
d'auto-évaluation de la journée taurine, ainsi que quelques
explications qui ne seront sans doute pas inutiles.
Même
remarque préalable que l'an dernier, reprise telle quelle: je
passerai rapidement sur la prestation des hommes du jour. D'abord
parce que souvent mobilisé par ailleurs, je n'ai pu consacrer une
attention régulière et soutenue aux lidias. Ensuite parce
que, comme je l'ai souvent exprimé, le callejon n'est pas le
meilleur lieu pour apprécier un festejo (déficit de vision
globale en 3 dimensions), surtout lorsque votre «référentiel»
n'est pas habitué à cet angle. Enfin parce qu'il serait de ma part
inélégant de porter jugement sur des hommes que j'ai engagé et
avec qui je ne peux m'empêcher d'entretenir des affects. On voudra
bien le comprendre.
Satisfaction
de voir la plaza tellement remplie en dépit de la concurrence.
Satisfaction du soutien par leur présence de tant d'amis et
d'aficionados.
Satisfaction de la disponibilité, de l'intelligence
et de l'attention du public, surtout à la corrida qui n'a pas été
un spectacle des plus faciles à apprécier et à comprendre pour des néophytes.
Dans
les corrales au débarquement, nous avons été fort dépités
de constater que les novillos notamment, avaient perdu une
masse considérable (30 à 40 kgs selon le mayoral). Je dois avouer
que j'appréhendais de les voir sortir dans le ruedo.
Toutefois,
il faut savoir que Dom Fernando PALHA n'a jamais cherché à
produire des compétiteurs de comice agricole. Il cherche avant tout
des athlètes, et en jetant un oeil narquois sur ma bedaine, il
n'avait pas manqué de me faire remarquer à plusieurs reprises qu'un
athlète, c'est avant tout … du muscle. Et du muscle, les novillos
n'en ont nullement manqué si l'on se réfère aux 14 piques
encaissées par les 5 novillos, sans que le troisième tercio en
fût affecté pour la plupart.
Ces
novillos, desiguales, étaient toutefois
harmonieusement et joliment présentés.
La
grande surprise est venue de leur comportement infiniment plus
civilisé et suave que ce que l'on pouvait en attendre. Un lot de
novillos de buena casta, mobiles, solides et intéressants.
Pour mettre en valeur leurs qualités, et particulièrement leur
noblesse, il eût fallu des novilleros expérimentés, de
style plus artiste.
Malheureusement,
ceux qui prétendent à cette catégorie se refusent à affronter cet
élevage. A défaut, nous avons retenu des belluaires qui ont
manifesté beaucoup d'envie et de motivation et se sont vraiment
engagés -les cogidas d'Ivan ABASOLO en témoignent- ce dont il faut
leur savoir gré. Quand je lis ça et là, les commentaires sur les
novilleros de la tierra, et la complaisance coupable qui a pu
accompagner la carrière de certains, récemment doctorisés,
je constate qu'en la matière, il y a plusieurs poids et plusieurs
mesures et beaucoup de mauvaise foi.
De
même, il faut être reconnaissants à ces jeunes toreros d'avoir eu
à coeur de bien faire les choses, notamment lors du premier tercio.
Personnellement, je ne regrette nullement ces choix qui introduisent
de la nouveauté dans une «novilleria» où l'on s'emmerde
souvent ferme, avec des gamins bien propres sur eux qui récitent
leur pensum.
De
mon point de vue, la novillada fut vraiment une réussite, et
la plupart des aficionados rencontrés semblaient partager ce
sentiment.
***
Même
surprise pour les toros de Dom Antonio VEIGA TEIXEIRA
que j'attendais plus âpres. Passons sur une présentation que
personne ne conteste, mais qui, disons le tout de même puisque peu
l'évoquent, devient tout de même assez peu répandue, surtout
lorsque ces beaux messieurs du G10 officient...
Ces
toros n'ont pas complètement répondu à mon attente dans la
mesure où nous recherchons un toro complet de trois tercios.
Or, la moitié de nos cornus se virent passablement «calmés»
quand il s'agit d'œuvrer à la flanelle. Ceux qui s'employèrent,
hormis le compliqué premier, le firent avec ardeur et loyauté.
Peut-être également faut-il également considérer que d'une part certains toreros ne comprirent pas que ce type de toros, dans ces circonstances requièrent une lidia appropriée, avec son sitio, ses distances, son rythme. Peut-être faut-il expliquer qu'on ne saurait y voir les faenas contemporaines de 50 passes, mais qu'il convient d'exploiter intensément les 3 ou 4 séries que ces toros conservent: toute une philosophie à l'encontre des temps et des modes...
Il
faut dire que l'épreuve du fer fut particulièrement éprouvante,
avec des toros qui se sont livrés, avec bravoure et
générosité et ont été très sévèrement châtiés, perdant
beaucoup d'hémoglobine dont chacun sait que son rôle primordial est
de nourrir muscles et organes et surtout de transporter bel et bon
oxygène.
Après
intenses échanges avec Dom Antonio, je formule néanmoins
l'hypothèse que l'affadissement de leur ardeur n'avait pas tant pour
origine l'affaiblissement qu'un petit DEFICIT de FOND. Le fer a
affecté le mental de ces toros qui se sont vu, selon le mot d'Antonio déprimés, et ce ne sont pas des
piques de moins (ou des piques mieux dosées), qui, à mon sens,
auraient changé grand chose. Pour preuve un 5ème toro beaucoup
moins piqué et tout aussi éteint. Je vais jusqu'à me demander si
avec une seule pique, le résultat n'eût pas été le même.
Evidemment,
l'éthique, l'exigence, le sérieux, le travail du ganadero ne
sont nullement en cause. Peut-être cette conséquence provient-elle
tout simplement du fait que ces toros sont très généralement
lidiés à la portugaise, sans piques et sans faenas,
avec donc des contraintes différentes.
Pour
le moins pûmes-nous admirer des tercios de pique d'émotion
et de grande qualité, dont 3 particulièrement relevés.
***
Corrigeons
maintenant quelques malentendus.
Si
nous nous employons activement à revaloriser le premier tercio,
c'est tout simplement parce qu'il est en danger et devient purement
et simplement évacué de nos ruedos. Amuse toi lecteur à
lire ou relire la plupart des reseñas où la chose n'est
souvent plus du tout évoquée, et dans le meilleur des cas
quantitativement.
Apparemment,
lorsque dans une immense majorité de festejos, le premier et
le deuxième tercios passent à la trappe, cela n'émeut plus
grand monde. On desgarbade même des toros chichement
picotés. Par contre, lorsqu'il s'agit du troisième tercio,
gare à la rafale! L'esthète se rebiffe!
Encore
une fois, il y a là, au mieux un aveuglement, au pis un parti pris
parfaitement subjectif. On ne se formalisera pas plus que ça de la
lidia d'un toro tardo
à la muleta, alors qu'on se scandalisera du travail de lidia
équestre sur une troisième pique à distance: foutaises!
En
matière de piques, pour contenter son monde, il faut dans la corrida
«moderne» des toros «modernes», expédier la
formalité, aller vite et efficace.
Peut-on
s'ouvrir l'esprit, sortir de ses enfermements mentaux et jouir de
l'émotion du travail d'un picador, tout aussi technique,
valeureux et méritoire que le reste?
Peut-on
admettre qu'en certains lieux, on s'intéresse aussi à cela,
sans que l'inculture taurine, le ricanement ou la critique sommaire
ne se substituent à une évaluation éclairée des faits?
Peut-on
se départir d'un fanatisme torerista et esthétique pour
considérer sous un autre angle, avec un autre regard?
Comme
l'a très justement formulé Miguel DARRIEUMERLOU lors de la
tertulia: dans une immense majorité de plazas on ne
voit plus qu'un troisième tercio, il est indispensable qu'il
y en demeure quelques rares qui s'attachent encore ardemment au
premier et en soulignent la beauté et l'émotion. Une beauté et une
émotion qui n'ont pas échappé à une grande partie du public! A
Orthez, il me paraît bon que l'on vienne pour cela, ce qui
n'implique pas que l'on y voie que cela. Il y a donc un difficile
équilibre à trouver, d'autant plus complexe qu'il relève des
toros.
***
L'objectif
d'Orthez n'est aucunement de multiplier les piques, ni de dériver
vers un concours, ce qui est un risque. La consigne dite et répétée
aux piqueros comme aux maestros, c'est «des piques
légères et bien faites, autant que de besoin».
Pour
rassurer les maestros qui pourraient appréhender que l'on
abrégeât prématurément l'exercice, leur laissant un toro
insuffisamment piqué, les présidents les assurent qu'ils seront
piqués à la convenance du torero, dont l'intérêt bien
compris serait de ménager des forces pour la faena.
Nous
devrons donc poursuivre les rencontres et le travail de concertation
engagé avec les piqueros et plus généralement les cuadrillas
pendant l'hiver (les membres de la Commission ont rencontré et
discuté à plusieurs reprises à Salamanque avec des «subalternes»
-je hais ce mot!!!-).
De
même, nous poursuivrons notre politique d'imposer, quand nous le
pouvons, des picadors et des banderilleros. Ce fut le cas pour un
torero et les deux novilleros. La brega s'en est fort heureusement
ressentie.
***
Le
problème des dates demeure préoccupant. Nous oeuvrerons pour en
changer et reculer sur le week-end suivant.
Pour
conclure, deux constatations:
3
journées intéressantes de toros en 3 ans représentent un résultat
prometteur et encourageant pour Orthez.
Il
y a eu cette année deux «semanas de oro» en France, avec le
triomphe cérétan, le succès tyrossais, le bonheur orthézien, et
2 excellentes corridas de vrais toros dans la feria d'une bourgade
plus au nord. Tout cela confirme bien que tout commence et finit par
le toro, pas par la figura.
Gageons
que la fête brave se poursuivra dans un autre week-end de félicité
avec Parentis ainsi que les Moreno de Silva d'Hagetmau.
Xavier
KLEIN