Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 27 novembre 2008

HISTOIRES DE PALCOS 2

«Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre»
Cardinal de Retz
La plupart des quiproquos, des incompréhensions, et surtout des débats qui agitent le monde taurin trouvent leurs origines dans l’ambiguïté inhérente à l’acte taurin, mais aussi dans le déni et dans l’absence, voire le refus d’en pénétrer la réalité et de se livrer à des analyses un tant soit peu approfondies.
Cette posture témoigne, d’une part d’une tendance générale de toute société à une consommation passive, qui refuse de s’embarrasser de tout élément venant perturber la béate satisfaction de son plaisir. Tendance particulièrement développée dans notre époque «post-moderne» friande d’éphémère, de superficiel et de «fun» sans entraves.
D’autre part, elle correspond nettement à l'instrumentalisation délibérée d’une grande majorité du mundillo qui fait le pari d’une tauromachie de masse, peu informée et peu cultivée tauromachiquement parlant, à qui elle vend du rêve et du plaisir facilement consommables par le plus grand nombre.
Lors de la soirée de Meillon, plusieurs questions, remarques et interventions sont venues à point nommé inciter à la réflexion. Il était difficile compte tenu de la composition du public de répondre à cette exigence.
Plusieurs paroles prononcées posent les bases du problème: «On est là avant tout pour prendre du plaisir, pas pour se prendre la tête», «La corrida est avant tout affaire de passion, pas de raison», «Les trois membres de la présidence ne peuvent avoir raison tout seuls contre une arène», «La présidence a une responsabilité quant au succès d’une corrida (par exemple: en la lançant par l’octroi d’une oreille)». Et cette réflexion tout à fait extraordinaire dans la bouche de Marc Amestoy: «Je ne comprend pas (et c’était sincère!) de tels déchaînements de passion, chez des gens que l’on voit parfaitement urbains par ailleurs en d’autres circonstances. Dans les arènes, ils se défoulent.». Qu'un garçon aussi avisé que Marc se trouve dans l'incapacité de prendre acte d'un phénomène aussi évident laisse rêveur: comme le sport, la corrida est la mise en scène, la ritualisation et l'exutoire de la violence sociale. Comment peut-il s'en étonner, à moins de se dûper lui même sur la signification profonde des choses?
On voit bien que par delà le rôle de la présidence, c’est la fonction de la corrida qui est clairement posée. Et sur ce thème, bien peu de discours acceptent de considérer sincèrement et lucidement les choses.
Pourquoi? Parce que les argumentations proposées relèvent de ce qu’on nomme en psychanalyse des rationalisations, c’est à dire des justifications soit disant raisonnables de ce qui procède avant tout de quelque chose qui ne l’est nullement et participe tout au contraire du domaine de la pulsion.
A mon sens, c’est le refus d’assumer cette expérience pulsionnelle, profondément respectable, mais vécue honteusement, qui donne du crédit aux anti-taurins, qui eux, n’hésitent pas à désigner clairement les choses. C’est le camouflage argumentatif constitué de lieux communs irrecevables qui décrédibilise le discours taurin: le déni de la souffrance du toro ou la justification par l’esthétique, par exemple.
Tout au contraire, si l’on envisage la corrida comme la confrontation métaphorique de la nature et de la culture; ou autrement dit de la pulsion et de la raison, la raison venant civiliser, organiser, tempérer, cadencer, limiter le chaos de la sauvagerie; alors tout prend sens.
Non, la corrida n’est pas affaire de passion dans son objet: le combat et la mise à mort d’un toro. C’est grâce à la mobilisation de la pensée, de l’intelligence et de la détermination que le torero parvient à triompher de la puissance anarchique du toro. Quand renonçant à l’instinct primal de la fuite, le torero empiète sur le terrain du toro pour le «burlar» (tromper) en allant chercher l’œil et la corne contraire, il met en œuvre les ressources de l’observation, de l’analyse et de la volonté, toutes prérogatives dont le toro est dépourvu.
Il en va de même pour le spectacle en lui-même. L'immense majorité du public vient, il est vrai, pour éprouver du plaisir, ce plaisir si particulier de l'arène que Cicéron et les anciens romains nommaient «voluptas», il y a déjà 2000 ans. Le problème, c'est que l'assouvissement sans limite de ce plaisir ne saurait être envisageable, au risque de la barbarie et du chaos. Tout acte civilisateur trouve sa source dans la limitation du principe de plaisir par la loi.
L'expression de la loi dans une plaza de toros, c'est le règlement dont la présidence est dépositaire.
Ce qui m'a surtout indigné le jour de l'indulto de Desgarbado à Dax, c'est qu'on n’était plus dans la loi, mais dans un mécanisme de transe collective transgressive et incontrôlée qui venait submerger toute raison, au mépris des règles les plus élémentaires. Il faut comprendre un tel dérapage comme une étape supplémentaire dans la manifestation du pouvoir de la masse et dans l’expression du signe de son triomphe et de sa félicité. Après une, deux oreilles, la queue, le zénith de l’extase sera désormais l’indulto et l’opportunité de dire: «J’y étais» (comme à Austerlitz...).
http://camposyruedos2.blogspot.com/2008/09/de-la-pitre-trivialit-dune-journe.html
Ces dérives ne constituent pas une nouveauté. Dans les années 50, dans le grand mouvement de starisation entamé par Manolete et assumé par Dominguin, on a vu fleurir les sabots, les cornes ou même le toro entier, offerts en pâture au désir effréné de triomphe qui venait justifier et légitimer le plaisir ressenti et le prix consenti. On en avait pour son argent et l'évènement avait été extraordinaire puisque de tels trophées avaient été décernés. Et puis, plus on minimise l’exigence, plus on augmente la réussite. Il en va des corridas comme des examens et concours: quand on baisse les seuils, on augmente le pourcentage des lauréats, quitte à dévaloriser l’ensemble. Démagogie quand tu nous tiens!
La justification de la Présidence doit donc s'inscrire dans l'action de la raison, de la connaissance, de l'analyse et de la pensée qui viennent faire limite et garde-fou à l'excès de la passion et du désir de jouissance (du torero et/ou du public).
L’exercice de la présidence se rapprocherait dans ce sens, de celui d’un juge, qui, de la même manière, représente la loi qui vient s’opposer et sanctionner les transgressions. Le juge n’est pas là pour empêcher de vivre, mais tout au contraire pour permettre le «vivre ensemble» qui suppose la limitation des désirs individuels. Pour autant il doit accepter pleinement d’insatisfaire et de déplaire, car c’est la conséquence de la «castration du désir»: on ne fait pas plaisir mais on fait du bien. Tous les adultes en situation d’éducation devraient le savoir. Est-ce vraiment le cas dans une société de la permissivité à tous crins et du «jouir sans entraves»?
Quand on gracie Desgarbado au mépris de toute règle, aux seuls motifs de la jouissance du public, on bafoue la loi et on bafoue la présidence. Cela ne peut se poser sans conséquences.
Le juge n’est pas là non plus pour se prononcer sur la légitimité de la loi, encore moins pour l’ignorer ou l’invalider, mais pour l’appliquer en l’adaptant, si besoin, avec pondération, pertinence et équité, au cas particulier de chaque action ou infraction. D’autant plus que le règlement taurin est infiniment plus précis et clair que ce qui se prétend avec beaucoup de légèreté. Voilà l’argument de ceux qui se défaussent en refusant d’assumer des responsabilités clairement définies.
Que l’application pratique en soit complexe ou difficile est un autre problème, dans la mesure où les présidences ne jouissent aucunement de pouvoirs de coercition de nature à crédibiliser leur légitimité, ce qui les pousse à la transaction permanente entre le souhaitable et le réalisable. Quand bien même en bénéficieraient-elles, qu’on peut douter qu’elles en usent! L'exemple espagnol vient régulièrement le confirmer.
Il y a donc lieu d’afficher la plus grande méfiance et la plus grande fermeté à l’endroit du discours qui tend à faire des présidences une partie agissante de la fiesta brava, responsable de l’animation. Quand un président prétend «lancer la corrida» en accordant une oreille ou en envoyant la musique, il sort de son rôle et de sa neutralité pour devenir partie prenante. L’octroi d’une récompense, trophée ou musique, doit correspondre à la sanction objective d’une action, et non à la promotion du spectacle. On ne saurait être juge et partie.
Une présidence n’a aucunement à s’impliquer affectivement dans le déroulement d’une corrida, elle est même là pour le contraire, c’est à dire contrevenir à l’excès d’émotion. Il ne lui incombe pas plus de faire émerger un consensus. Un consensus est un acte qui relève, entre autres, du champ du politique, nullement du champ du jugement objectif et éclairé que doit acter une présidence.
C’est pourquoi, par honnêteté intellectuelle, les candidats à la présidence devraient renoncer à entretenir des amitiés ou des complicités affectives avec le mundillo et particulièrement les toreros. Ou bien s'ils en sont incapables, renoncer à assurer une charge, qu'ils ne pourraient sereinement exercer, en toute indépendance d'esprit et sans conflits d'intérêt. Confierait-on le soin de juger un cambrioleur ou un agresseur à un ami de la victime?
En revanche, la présidence se doit d’être pédagogue. C’est à dire de donner du sens.
On connaît ce sentiment de malaise éprouvé quand un torero qui «porte sur le public» obtient des récompenses exagérées et souvent même totalement injustifiées alors que le travail sérieux, méritoire et valeureux d’un autre, passe inaperçu d’un public peu informé. L’équité, la justice et le jugement éclairé de la présidence imposent alors la reconnaissance de «ce qui vaut».
Car la présidence joue un rôle éminemment normatif puisqu’il lui incombe de fixer la mesure de toute chose et d’introduire un jugement.
«La loi doit avoir autorité sur les hommes et non les hommes sur la loi»
Pausanias

A SUIVRE DANS HISTOIRES DE PALCOS 3
Xavier KLEIN

dimanche 23 novembre 2008

HISTOIRES DE PALCOS 1

«Une habitude bien française consiste à confier un mandat aux gens et de leur contester le droit d'en user»

dialogue de Michel Audiard in «Le Président»

Cette semaine, la Peña Joseph Peyré organisait une causerie sur le thème des présidences. Trois «présidents de corrida les plus en vues dans le sud-ouest» étaient invités: Eric Darrière, Marc Amestoy et Christian Hayet.
L'ambiance est cordiale, on se voit accueilli avec hospitalité, le cadre est de bonne caste taurine, sans parler de la daube tout à fait réussie.
Mais l'on ne resterait que dans la surface des choses, si l'on ne louait aussi une association dynamique de plus de 60 socios de tous âges et de toutes conditions qui ne se limite pas à jouer les agences de voyage et de macérer en vase clôt, mais se préoccupe d'entretenir une aficion sincère, de l'enrichir, de la partager et d'apprendre.
Pour résumer, des aficionados simples et chaleureux qui ne se «prennent pas la tête» et n'ont pas les chevilles qui enflent comme tant de leurs congénères des peñas «académiques» des villes de traditions taurines, où l'on porte son appartenance à la confrérie, comme l'ordre du Mérite et où l'on semble toujours vous faire la grâce de vous recevoir, et l'honneur de vous adresser la parole.
Le cartel était de luxe: deux jeunes, jolis, talentueux produits des ganaderias de castes, acceptables toutefois par toutes figuras. Fins de type, l'un negro mulato, le second cardeño. Le sobrero de la tierra un peu plus fuera de typo.
Race, caste étaient au menu, mais n'étant ni à Vic, ni à Céret, la sauvagerie n'était pas de mise, et comme attendu dans un spectacle grand public, le premier tercio fut de pure forme, les piques symboliques, au profit de ces faenas où la forme prime sur le fond, et où la multiplicité des passes joliment exécutées avec grâce et élégance se substitue à la profondeur d'une lidia de vérité qui va au fond des choses.
L'exercice était difficile est l'on pouvait craindre que la daube ne fût précédée d'une généreuse ration de langue de bois grand veneur. La qualité des intervenants, aficionados indiscutables, habiles bretteurs, fins politiques, para en grande partie à cette dérive. On préféra néanmoins trop souvent se réfugier dans l'anecdote, qui convient mieux à l'attente d'un public mélangé où chacun doit trouver son compte. Le coup de pied en touche semble un art où peuvent aussi exceller les arbitres...
Marc Amestoy et Eric Darrière sont des garçons honorables qui en général s'acquittent au mieux, avec compétence, intégrité et finesse, de ce qu'on attend d'eux, dans les spectacles qu'ils président.
Ils représentent certes ce qui se fait de plus intelligent, de plus pertinent et de plus honnête dans le genre, mais le problème c'est justement le genre, les attentes du public et des organisateurs et ce pourquoi on les recrute.
Président-animateur, président-régulateur, président-consensus, président-normateur, président-intercesseur, c'est l'ensemble de ces problématiques qu'il convient de traiter. Ce que nous entreprendrons sur plusieurs articles et dans le fond. Car là comme ailleurs, on peut considérer que la corrida n'est qu'un divertissement périphérique, mais aussi l'appréhender comme un symptôme éclairant quant à notre société, générateur d'enseignements précieux sur ce que nous sommes individuellement et collectivement. Ne tenant rien pour anodin, surtout pas un phénomène qui alimente tant de passions, nous ne saurions rien passer sous silence.
Peut-être s'agit-il tout d'abord, à partir du Règlement de l'U.V.T.F., de rappeler les missions d'une Présidence.
Titre IV Chapitre III Article 38: Le déroulement de la course est placé sous la direction d'un Président, chargé de veiller au strict respect des dispositions du règlement taurin (de l'U.V.T.F.) et des usages en vigueur.
Le Président est désigné par le Maire ou son délégué.
Il est assisté de deux assesseurs techniques dont il doit prendre les avis, désignés par le Maire ou son délégué.
Titre III Article 17: Sous l'autorité du Maire ou de son délégué, vérification de la conformité des installations de l'infirmerie, des moyens d'évacuation, de la présence du personnel médical adéquat.
Titre V Article 64: Avant la corrida, accompagnés du Président de la C.T.E.M., de l'organisateur, des matadors ou de leurs représentants, inspection de l'état de la piste, des talenquères, des burladeros, des portes (et réparation des imperfections), vérifications des medios.
Titre IV Chapitre III Article 39: Le matin, présence et supervision des opérations d'apartado, de sorteo et d'enchiqueramiento (également Titre V article 56 et chapitre V article 59).
La Présidence, les délégués aux piques, le représentant de l'U.V.T.F. statuent sur les problèmes survenus aux bêtes avec le président et le vétérinaire de la C.T.E.M. (Commission Taurine Extra Municipale), et vérifient qu'ils disposent de toutes leurs aptitudes au combat (également Titre V article 55).
Au moyen des mouchoirs fournis par l'organisateur, le Président: donne le signal du commencement du spectacle à l'heure exacte donnée par l'horloge de l'arène prévue par l'affiche, ordonne le déroulement des différentes phases du spectacle, fait intervenir la musique selon les coutumes de la plaza, la musique après l'arrastre, donnera les avis aux matadors, ordonnera le retour au corrals d'un animal, octroiera les récompenses aux toreros ou aux toros.
Titre VI Chapitre V Article 85: Le président pourra ordonner le renvoi des animaux sortis en piste si ceux-ci s’avèrent manifestement impropres au combat en raison de défauts ostensibles ou de comportement empêchant son déroulement normal.
Lorsqu’un animal deviendra inutilisable au cours du combat, de telle sorte qu’il sera nécessaire de le mettre à mort en piste au moyen de la puntilla, il ne sera pas remplacé par un autre.
Si le matador indique que l’animal qu’il est en train de combattre a déjà été toréé, le président pourra ordonner son renvoi et son remplacement par un autre.
Lorsque après un temps raisonnable il n’aura pas été possible de faire rentrer l’animal aux corrals, le président ordonnera qu’il soit mis à mort en piste par le puntillero ou, si ceci n’est pas possible, par le matador de tour, éventuellement aidé par sa cuadrilla de picadors et banderilleros.
Titre VI Chapitre V Article 86: En cas de mauvais temps, ou de menace de mauvais temps, susceptible d’empêcher le déroulement normal de la course, le président avant que ne commence le « paseillo » demandera aux matadors leur opinion quant à la possibilité de voir le spectacle se dérouler dans des conditions normales. Il leur précisera qu’une fois commencé, celui-ci ne pourra être suspendu qu’en cas de détérioration importante et prolongée des conditions météorologiques. Il sera procédé de la même façon lorsque le vent constituera par sa violence un risque grave pour les toreros. Tenant compte de l’opinion majoritaire exprimée par les matadors, le président décidera de la célébration de la course ou de son renvoi.
Si une fois commencé le spectacle voyait son déroulement gravement perturbé par les conditions météorologiques ou autres, le président pourra ordonner sa suspension temporaire jusqu’à l’amélioration de la situation, ou en cas de persistance du mauvais temps, sa suspension définitive.
Titre IV Chapitre III Article 40: Le Président fait exécuter ses ordres dans la piste et le callejon par l'interméddiaire des alguazils qui doivent s'abstenir de toute initiative personnelle, surveillent l'ablation des trophées, et les remettent aux toreros. L'un des alguazils se tient en permanence, dans le callejon, à la disposition de la présidence pour recevoir ses ordres, pendant la course
Titre VI Chapitre I Article 69: Le Président peut autoriser, à sa demande pour motif justifié, un matador et sa cuadrilla à quitter l'arène, sa prestation terminée.
Titre VI Chapitre I Article 70: Le Président s'assure, avant d'ordonner le commencement du spectacle que toutes les dispositions réglementaires ont été prises, que le personnel auxiliaire est à son poste, et que le callejon est occupé par les personnes dûment autorisées.
Titre VI Chapitre II Article 72: Le Président ordonnera l'entrée des picadors une fois que l'animal aura été travaillé avec la cape par le matador.
3- Il est interdit de «recortar» (tordre) l'animal, de l'aveugler dans le capote pour provoquer un choc contre la barrière ou de lui faire donner des coups de cornes contre les burladeros. Toutes infractions qui donneront lieu à un avertissement du Président, en particulier si elles entraînent une diminution sensible des facultés de l'animal.
Titre VI Chapitre II Article 73: 6- Les animaux recevront un châtiment approprié, pas inférieur à deux piques. A la demande de changement de tercio d'un torero, le président décidera, lorsqu'il jugera l'animal suffisamment châtié. 7- Les piquadors doivent cesser immédiatement le châtiment mais pourront se défendre, ainsi que leur monture. 8/9- Toute infraction aux normes recevront avertissement (sanction au 3ème). 11- Aucun toro ne pourra obtenir de vuelta ou d'indulto s'il n'a pas fait preuve d'une bravoure suffisante à la pique.
Titre VI Chapitre II Article 76: Avec un toro manso, le président peut, à la demande du matador, changer de tercio et décider de la pose de banderilles noires ou de châtiment.
Titre VI Chapitre III Article 77: 1- On banderillera l'animal en posant 3 paires, 2 minimum sur décision du Président.
Titre VI Chapitre IV Article 82: Si 10 mn après la première passe de muleta, l'animal n'est pas mort le Président ordonne le premier avis, 3 mn après le second, puis 2 mn après le 3ème. Si le toro ne peut rentrer dans les corrals ou être puntillé en piste, le Président ordonnera au matador suivant de le mettre à mort.
Titre VI Chapitre II Article 83: La concession d'une oreille sera octroyée par le Président sur pétition majoritaire du public. L'octroi de la seconde oreille sera de la seule compétence du Président qui prendra en compte la demande du public, le comportement de l'animal pendant le combat, sa bonne conduite dans tous les tercios, le travail réalisé tant à la cape qu'à la muleta et, principalement, la façon dont l'estocade a été portée.
S'il y a pétition majoritaire du public, le Président pourra ordonner la vuelta du toro, qui l'aurait mérité par sa bravoure exceptionnelle.
Titre VI Chapitre II Article 84: Lorsqu’un animal aura mérité d’être gracié en raison de son excellente présentation et son excellent comportement dans toutes les phases du combat sans exception, notamment en prenant les piques avec style et bravoure, le Président pourra dans les circonstances qui suivent, accorder cette grâce afin que l’animal puisse être utilisé comme « semental », après les soins nécessités par son état physique et ses blessures, et participer ainsi à la préservation et l’amélioration de la race et de la caste de l’espèce.
La grâce devra être demandée majoritairement par le public ainsi que par le matador concerné qui en manifestera expressément le désir. Il sera de plus indispensable que le ganadero ou le mayoral de l’élevage concerné fasse connaître son accord pour l’intermédiaire d’un alguazil.
Titre IV Chapitre III Article 41: Le spectacle se termine lorsque le Président aura abandonné le palco.
On constate que les diverses prérogatives et responsabilités du Président n'ont rien de négligeables, notamment dans la dimension de la sécurité. Se pose toutefois le problème de leur applicabilité. Si dans le système espagnol la présidence est assurée par un représentant de l'autorité publique, qui peut prononcer des sanctions réelles, il n'en va pas de même en France.
La crédibilité du règlement et de ceux chargés de le faire appliquer repose donc sur une dissuasion légitimée par le soutien de l'aficion en particulier et du public en général.
Toute remise en cause du Palco, toute contestation de la règle, ne peuvent que concourir à la désagrégation d'un système fragile et ouvrir la porte à tous les abus.
On confie à des hommes, nécessairement faillibles et imparfait, le soin d'assurer une loi minimale fruit d'une volonté commune. On ne peut sans dommages les contester quand ils jouent leur rôle, au risque dans l'avenir de cautionner toutes les dérives par les précédents ainsi créés.
A SUIVRE
Xavier KLEIN

samedi 22 novembre 2008

HISTOIRES DE PIQUES 2

«La balle est folle. La baïonnette sait ce qu'elle fait.»


«Proclamation de 1797 à l'armée russe» Maréchal Aleksandr Vassilievitch SOUVOROV


Dans la première partie, nous avons reconnu dans le bâton et dans la pique, l’un de ses prolongements actuels, l’outil et l’arme les plus anciens qui soient.
Il convient maintenant d’examiner le rapport effectif de l’humain à l’arme pour mieux prendre conscience de la réalité actuelle de la pique.
Ce rapport n’est ni universel, ni éternel, il varie selon l’époque et le lieu.
Les civilisations «traditionnelles» confèrent à l’arme un statut magique, héritier des premiers âges. L’arme est le prolongement du corps de l’homme, sa prothèse indissociable, et en tant que telle «s’imprègne» voire concentre ses vertus et sa puissance, symbolise le trait d’union entre lui et l’univers. Les techniques d’aïkido, par exemple, sont le plus souvent la traduction à mains nues, de techniques d’escrimes, et les maîtres utilisent l’arme pour illustrer le sens, les modalités et les conséquences d’une technique «désarmée». L’arme constitue dans cet esprit une accentuation du rayon d’action et de l’amplitude du mouvement et non l'expression d'une technique différente.
Cette conception portée à son paroxysme en extrême-orient aboutit à une sacralisation. Au Japon le katana, «l’âme du samouraï», est objet de vénération: on le salue respectueusement dans le cadre d’un rituel et d’une étiquette très élaborée (ïado, battodo). Il en va de même pour le tir à l’arc (kyudo) où l’exigence est poussée dans certains ryus (écoles) jusqu’à ne pas tirer une flèche durant plus d’un an, tant que le reïki (étiquette) n’a pas été parfaitement assimilé et compris. Dans tous les cas, la valeur d’une arme et l’efficacité de son utilisation sont dans ce contexte indissociablement liés et dépendent complètement du bagage technique, moral et spirituel de celui qui en use. Il n’est nullement anodin qu’on recouvre les héritières de ces traditions du vocable d’arts martiaux.
Dans les traditions orientales, comme occidentales, l’arme se charge d’une puissance propre qui révèle l’homme a lui même et lui confère la légitimité ou le pouvoir. Ce processus inclut fondamentalement celui qui l’a fabriquée ou forgée. L’arme acquiert alors une identité et une personnalité propre. Elle devient agissante en soi.
C’est Excalibur qui légitime la royauté d’Arthur, Joyeuse (qui servit aussi lors du sacre de Napoléon) celle de Charlemagne,. C’est aussi celle qui définit les héros: Durandal et Roland, Haute-claire ou Glorieuse et Olivier, Balmung et Siegfried, Colada ou Tizona, les épées du Cid Campeador. C’est enfin celle qui consacre les prophètes ou les saints: Al-Battar (la Batailleuse) l’une des 9 épées de Mahomet. La liste est interminable.
Il en va de même des lances: Rongomiant nom de la lance d'Arthur, la Sainte Lance ou lance de Longinus, Gai Bolga (Gae-Bolg) la lance de Cûchulainn (héros celtique), Gungnir (la Frémissante) la lance magique d'Odin, dont la hampe est gravée des runes magiques qui maintiennent la loi.
On relèvera que la lance est l’arme de la chasse ou du combat. Elle n’est pas comme l’épée, également l’instrument du châtiment des nobles ou des guerriers.
L’arme détermine également l’appartenance et l’identité du porteur. Le port de l’épée est dans beaucoup de civilisations le privilège de la noblesse, notamment en Europe, du Moyen-Age à la Révolution. Cette dernière par opposition armera les sans-culottes de piques.
A ce propos, la dénomination exacte en français de l’arme du picador ne devrait pas être la pique mais la lance. Les picadors sont en réalité des lanciers. Les deux sont des armes d’hast, mais si la pique est l’apanage exclusif des fantassins, la lance est celui des cavaliers (ou des chevaliers médiévaux).
Le statut du picador et l’évolution de son rôle illustre et résume à lui seul non seulement l’évolution taurine, mais par delà, l’évolution historique et sociale qui l’a sous-tendue. Le chevalier noble, porteur de lance, qui avait prééminence au début du XVIIIème siècle, a été progressivement éclipsé, et même humilié, par l’ascension de la bourgeoisie, qui s’est arrogée l’usage de l’épée.
A notre époque, où la société, comme le monde taurin qui la reflète, a complètement exclu la caste nobiliaire de toute emprise, le picador voit son existence même remise en cause. Le noble guerrier dont la fonction est le combat n’a plus sa place dans une enceinte d’où le combat disparaît, comme les ganaderos aristocratiques ne l’ont plus dans le monde de l’élevage.
Au contraire de l’arme-prolongement de l’homme ou de l’arme investie d’une puissance propres, l’arme dans les sociétés contemporaines, parce qu’elle est désormais produite industriellement, est désinvestie de toute charge affective ou magique inhérente. L’arme est devenue presque uniquement fonctionnelle. Ceci dit, l’arme conserve une valeur symbolique forte. Aux USA, le lobby pro-armes, animé par la redoutable N.R.A. (National Rifle Association) exerce une action politique majeure. Portée par des intérêts économiques puissants, le discours de la N.R.A. sollicite l’imaginaire et les mythes fondateurs des américains. L’arme est vécue comme l’instrument de l’égalité et l'attribut de la liberté. Le «6 coups» de la conquête de l’ouest symbolise l’opportunité pour tous, jeunes, vieux, femmes, faibles, costauds, riches, pauvres, puissants ou défavorisés d’accéder à l’égalité de traitement et de pouvoir défendre son droit et sa liberté. Nul besoin de longue formation technique, une once de plomb met tout le monde sur un plan d’égalité.
Cette vision de l’arme est elle aussi mondialisée, depuis l’émergence de la conscription, il y a deux siècles, et la disparition de la caste guerrière. Il fallait à un hussard de la Grande Armée des années d’entraînement et des milliers d'heures de travail et d’effort pour apprendre, auprès d’un maître d’armes, l’art de supplanter un adversaire. Il faut, au mieux, un jour de formation à n’importe quel couillon néophyte, pour apprendre le maniement d’un missile anti-char et parvenir, sans efforts et sans compétences, à dézinguer un mastodonte de 50 tonnes (je l’ai appris, c’est tout dire!). Ah les bienfaits de la modernité!
Ces différents rapports à l’arme, que nous venons d’évoquer, se retrouvent dans la problématique de la pique telle qu’elle a évolué et telle qu’elle se présente actuellement.
Si à la fin du XVIIIème siècle, la maîtrise de la pique relevait de la compétence technique, notamment équestre de l’acteur, et de sa valeur morale (sa détermination, sa créativité et son courage), ces savoirs-faire et ces savoirs-être ont progressivement cédé le pas à la poussée des fantassins, et ont fini par quasiment disparaître.

La pique est surtout devenue fonctionnelle, et non plus objet artistique, au point qu’on peut légitimement se demander si n’importe quel pékin, disposant de rudiments élémentaires d’équitation et point trop maladroit ne saurait faire l’affaire dans 90% des cas.
On comprend dés lors que toute réhabilitation ne peut que s’opposer à la réticence de la corporation «piquesque» qui ne doit pas se réjouir d’étaler au grand jour une incompétence prévisible.
La compétence technique disparaissant, l’importance de la performance de l’objet croît en proportion inverse, puisqu’il recèle en lui les conditions de l’efficacité que l’homme ne peut plus satisfaire. La valeur de l'homme est minimisée et largement compensée par la sophistication du matériel. Il n'est plus besoin d'être artilleur ou pilote de génie, les radars, l'informatique y remédient.
A aucun moment on n’envisage que la pique en soi, sans son rapport à l'homme, sans que ce dernier ne l'anime (ne lui confère une âme), et sans qu’elle même n'anime l'homme en lui transférant sa puissance végétale, n'est qu'un «bout de bois», stupide, inerte et inutile. Si le piquero existe (et a existé) grâce à la pique, la pique n'existe pas sans l'homme, comme le bâton originel.
Les discours actuels sur l’adaptation de la pique qui, de facto, sanctionneraient et officialiseraient une étape supplémentaire de la perte de sens et de savoirs, se situent pleinement dans la logique fonctionnelle contemporaine.
Il est ahurissant qu’on puisse se duper, nous duper, au point de ne plus distinguer l’effet de la cause, et de mettre en jugement le couteau et non l’assassin qui l’a utilisé.
C’est aussi faire peu de cas des leçons de l’histoire, qu’on ferait mieux de laisser aux historiens. Jusqu’à la fin des années 70, en dépit du format réduit des toros, un animal moyen encaissait banalement un minimum de 3 piques. En outre, le tercio donnait lieu à la mise en valeur d’un toreo de cape varié et fleuri ainsi qu’à des joutes lors des quites. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait, vérifiable dans les compte-rendus et les reseñas de l’époque.
On peut tout invoquer et notamment l’évolution de la bravoure qui désormais se «consume sur la durée de la faena», il n’en demeure pas moins, qu’à l’époque, des savoirs-faire subsistaient, particulièrement chez des piqueros issus de la ruralité, avec un outil rigoureusement identique, appliqué sur des bestiaux de moindre trapio. Il n’y avait pas de chutes des toros et la question ne se posait pas.
Le débat actuel confirme bien l’adage chinois: «Quand le sage désigne la lune, le fou regarde le doigt». Le toro étant la lune, la pique le doigt, le lecteur devinera qui sont les sages et qui sont les fous…


Xavier KLEIN

jeudi 20 novembre 2008

TOROS, MON AMOUR...

«La variété, c'est de l'organisation; l'uniformité c'est du mécanisme.
La variété, c'est la vie; l'uniformité, c'est la mort»

Benjamin Constant «De l'esprit de la conquête et de l'usurpation»

«Les élevages de taureaux de combat, origine et évolution» de Bernard Carrère, cet opus majeur, fait partie de ces livres indispensables que l’on garde en permanence à portée de main pour régulièrement y revenir. Son attrait principal à mes yeux, ce sont ses nombreux tableaux qui permettent de suivre l’évolution des fers, aussi clairement qu’il soit possible dans un tel embrouillamini.
Ce qui manque, mais ce n’est pas l’objet de l’ouvrage, c’est le même type de classification concernant réellement les sangs et les encastes. Voilà une grande œuvre, à laquelle pourrait se dédier un passionné, comme l’ami Thomas THURIES (Terres de Toros), il en a non seulement le goût mais aussi la compétence et la pédagogie. Il a déjà dû y penser.
Pour en revenir à l’œuvre de Bernard Carrère, car il faut la qualifier ainsi, elle pourrait ne se résumer qu’à un ouvrage doctement technique, si l’auteur ne l’avait humanisée par la relation de nombreuses anecdotes savoureuses, d’une grande pincée d’humour et d’une large part laissée au rêve.
Enfant, je n’ai jamais su assimiler les méandres de la généalogie, notamment familiale. En dépit d’explications laborieuses et répétées, du genre «-Mais si, tu va comprendre: ton arrière grand-père Onésime était cousin au second degré avec la tante du beau-frère de Gertrude» s’opérait en moi un certain blocage qui m’empêchait, non seulement de jouir d’une vision globale, mais encore de mémoriser les filiations et cousinages. Voilà vraiment un lourd handicap dans une société méridionale où les liens familiaux constituent un élément fondamental de socialisation et de reconnaissance, dans un système de «gent» qui prédétermine l’identité individuelle. J’ai essayé avec application, mais ce n’est pas mon truc.
En revanche, le destin et l’histoire des familles m’ont toujours passionnés.
J’évoquais la dimension de rêve présente dans le livre de Maître Carrère. Sans doute le terme est-il mal choisi, et eût-il été préférable d’employer celui de nostalgie. Car c’est ainsi qu’il convient de qualifier le sentiment qui peut nous étreindre au constat de la disparition de tant d'héroïques et fameuses lignées.
Carriquiri, par exemple, où la gloire fanée des petits toros piquants de Navarre a laissé place à la commune banalité du sang Nuñez. Il y a là comme une imposture. Comme si l’on produisait sous l’appellation Château Margaux, un vague ersatz de picrate internationalisé. En est-on si loin d’ailleurs avec la mode de «parkérisation» de nos productions nationales, et le sacrifice de la typicité sur l’autel de l’efficacité commerciale et d’un goût mondial standardisé?
Au fil des pages, la nostalgie pèse de plus en plus lourd pour prendre l’allure du marasme. Quel gâchis! Combien de lignées ou d’encastes a jamais disparus! Combien de noms mythiques ne recouvrent plus qu’un triste succédané! Et tout ça pour quoi? Sinon pour un profit immédiat et fugace, dans une perspective à courte vue?
La corrida n'aurait jamais pu naître en France: pas assez excessive, pas assez mortifère, pas assez catholique, pas assez absolue. Mais elle pourra sans doute y survivre, tant reste compulsif le désir français effréné de conservation et de perpétuation des choses.
Don Quijote, le questeur de rêves impossibles, et Sancho, le paysan bonasse et avisé qui accepte toutefois de l'accompagner dans sa folie, n'auraient pu être français. Jacquou le Croquant aurait dépêché depuis lurette le hobereau délirant...
Nonobstant le regard forcément idéalisé que ses citoyens ont d’eux-mêmes, la France s’inscrit avec ferveur comme le pays le plus farouchement conservateur qu’il se puisse être.
Les révoltes ou les révolution n’y sont que des parenthèses cycliques, l’exutoire ou l’antidote de ce trait culturel, et les conséquences d’un esprit rebelle et frondeur. C’est la nation du paysan madré et prévoyant, du bas de laine, des notaires, celle qui a inventé le musée moderne, les archives publiques (pendant la Révolution), la journée du patrimoine ou des appellations d’origine contrôlée qui figent un produit traditionnel dans des normes sévères et perpétuelles.
La commémoration reste chez nous une obsession absolue, à l'exacte et proportionnelle mesure du déni qu'on fait de notre histoire. De fait, il n’est pas un français, même des plus modernistes qui ne souhaite secrètement que rien ne change, à l’image du village de l’affiche de la Force Tranquille qui avait tant servi Mitterrand. Le dernier avatar de ce penchant se concrétise dans la floraison et le succès des écomusées, où l’on peut douillettement se replonger dans un âge d’or bien souvent fantasmé.
Nos amis ibériques sont infiniment plus pragmatiques et moins romantiques: ce qui ne sert pas disparaît! Ainsi, tout au long du XIXème et du XXème siècles (avec une accélération dans les années 70), plusieurs lignées historiques et de grande notoriété ont progressivement disparues, sans que cela n’émeuve particulièrement personne. Ainsi, un banquier, un torero ou un maquignon enrichis peuvent se payer le luxe de racheter des grands fers et d’en liquider impitoyablement la lignée pour lui substituer le dernier produit à la mode, généralement de sang Domecq. Comme si vous achetiez un Goya pour le donner à colorier à vos enfants!
Ce génocide bovin s’est réalisé dans une indifférence quasi générale. Là où, au nord des Pyrénées, on se serait vraisemblablement ingénié à monter un conservatoire ou un label pour défendre les derniers glorieux vestiges; les nouveaux vandales ibères, avec l’insouciance, la spontanéité et l’inconséquence des nouveaux riches (ou des anciens pauvres) ont joyeusement enterré les témoignages d’une ère qu’ils veulent désormais ignorer. Celle d’un siècle d’anarchie politique et de décadence territoriale, d’une ruralité honteuse, du retard économique et des souvenirs douloureux du franquisme.
Il est à craindre que poussés par la même aspiration à la modernité et à la conformité d’une normalité européenne trompeuse, ils n’en viennent également à liquider la corrida tout court. Cela commence en Catalogne.
Si en France on conserve et l’on regarde en arrière, en Espagne on solde brutalement les comptes et l’on va de l’avant: une résurgence du vieil esprit conquistador qui a conduit des va-nu-pieds d’Extramadure aux confins de la planète, des eldorados amazoniens aux canyons de l’Arizona. L’Espagne c’est l’esprit pionnier des Amériques qui subsiste dans la vieille Europe, avec ses vertus et ses vices…
Peut-on pour autant se résoudre au désastre et ne point espérer sauver ce qui peut l'être encore?
Prenons nous à rêver. Laissons le pas alerte des songes passer les Pyrénées, enrichissons l'hispanité d'un zeste d'esprit gaulois.
C'est d'ailleurs une vieille habitude. La corrida actuelle ne serait pas si les gavachos ne s'en était mêlés. Depuis Philippe V, qui détourne les nobles des arènes et permet à la piétaille roturière de les occuper, jusqu'au caparaçon, invention de Jacques Heyral, en passant par le traje de luces, costume à la mode française, la France, comme Napoléon, n'a jamais cessé de céder à la tentation espagnole.
Pourquoi ne pas imaginer la création d'un conservatoire de la race brave, ou plutôt des races braves pour rechercher et préserver les derniers exemplaires existants? Pourquoi ne pas constituer un banque ovulaire et spermatique, qui avec des moyens réduits stockerait et protégerait à long terme le patrimoine subsistant? Pourquoi, ne pas penser un fond d'aide aux ganaderias des 5% de bétail brave qui ne soient pas «contaminés» par l'engeance domecq?
Allons plus loin. Les nouvelles techniques évoluant à grand pas, comment ne pas envisager la collecte des vestiges génétiques d'ADN encore exploitables pour faire revivre des lignées disparues?
J'y pensais en considérant chez Fernando Palha, la collection de gloires empaillées qui accueillent le visiteur dans la salle d'honneur. Et si ces toros mythiques pouvaient revivre? Si leurs clones -le mot est affreux! on préfèrerait leurs réincarnations- pouvaient de nouveau galoper fièrement dans le cercle magique, ou surgir dans la brume d'une chêneraie salmantine.
Quid d'un Jurassic park peuplé de Diaz-Castro, de Jijon, d'Espinoza Zapata et de bien d'autres ombres héroïques du passé? D'un espace de diversité venant rompre l'effrayante uniformité physique et morale du «toro moderne»?
Théoriquement la chose n'est plus impossible: la réutilisation de l'ADN (à condition que le matériau génétique ne soit pas détérioré) et sa combinaison avec des cellules vivantes est tout à fait envisageable.
Il suffirait d'une infime taxation des profits générés par la tauromachie pour financer un tel travail de collecte, d'étude et de sauvegarde, pour que la sauvage altérité demeure toujours pensable.
Qui plus est, au regard de la course effrénée des chercheurs qui, de par le monde, collectent les derniers représentantes des souches indigènes, avant qu'elles ne disparaissent définitivement dans tous les domaines du vivant, on peut s'interroger. Si Sanders ou Monsanto y voient quelque utilité, il doit bien y avoir quelque avantage!
Devant l'appauvrissement dû à l'uniformisation, qui sait de quel gène, de quel caractère génétique aura t-on le besoin demain, quand l'on se trouvera confronté à l'impasse irréversible?
Les derniers développements de la paléoanthropologie remettent actuellement en cause la disparition de l'homme de Néanderthal. Ils postulent même que du métissage entre ces derniers et l'homo sapiens est jailli une extraordinaire explosion de diversité, qui pourrait expliquer les différenciations ethniques. La différenciation constitue donc une richesse et une vertu, à condition d'accueillir l'altérité avec ouverture et gratitude. Plus qu'un constat, c'est un manifeste humaniste!
Stupide? Utopique? Inutile? Passéiste? Si l'on veut!
Ou peut-être excessivement novateur. Tout est question de point de vue ou plutôt de valeurs. Certains se complaisent dans une logique réductrice de marché, de «toro moderne» (pas de toroS moderneS pourra t-on remarquer), d'utilitarisme et de réalisme économique.
A ce propos, peut-être faudra t-il «copyrighter» l'idée avant que les grands esprits qui nous observent ne se l'approprient.
Dire tout et son contraire, ce n'est pas cette diversité que l'on souhaite...

Xavier KLEIN
NOTA: Terminé à 3h du mat STOP un peu fatigué STOP pardonnez les fautes d'aurteaugraf DERNIER STOP direction plumard: l'insomnie c'est bien mais il ne faut pas en abuser FIN DE L'EMISSION

lundi 17 novembre 2008

HISTOIRES DE PIQUES 1












Des choses cachées depuis la fondation du monde.

La pique et la massue constituent les deux armes les plus antiques de l'humanité. Elles témoignent des premières spécialisations de l'outil primal (l'arme est l'outil à tuer) qu'est le bâton, qui peut être manié de manière contondante ou perforante.
Nos cousins chimpanzés et gorilles utilisent régulièrement le bâton: pour déterrer des tubercules, pour éventrer des termitières, farfouiller dans les fourmilières ou broyer des lambeaux d'écorces. Ils ont même commencé à subodorer des débouchés plus intéressants en les utilisant pour effrayer les intrus en les brandissant ou en martelant le sol.
Mais qu'on se rassure, ils n'ont jamais encore envisagé des solutions nettement plus ludiques, comme de fracasser le crâne d'un congénère ou de lui percer la panse. Pour cela, il fallait accéder à un degré plus élevé d'évolution et devenir: Homo habilis.
Ce fût fait, au cours de la période de l'Oldowayen, il y a quelques 2,5 millions d'années en Afrique. On connaît globalement la suite.
L'accession à «l'humanité» fût donc avant tout le fruit de la nécessité, et notamment d'un changement de régime alimentaire. L'hominidé est devenu homme parce qu'il a su s'adapter en passant du végétarisme, agrémenté de quelques charognes rencontrées ça et là, à un statut de prédateur carnivore.
La condition sine qua non du devenir humain fût donc d'apprendre à tuer... La transition à la consommation croissante de protéines animales a non seulement favorisé le développement de l'activité cérébrale et du volume cranien, mais a conduit au développement de l'intelligence par l'élaboration de stratégies pour traquer et tuer le gibier.
Paranthropus boisei (qui est encore un australopithèque) ou son collègue, homo habilis, n'étaient pas des mieux outillés pour le safari aurochs ou la chasse à courre. On est loin de Tarzan, de Schwarzenegger ou de Chabal (on ne parle pas du faciès!): 1,50 m en moyenne pour 55 kg (1,40 m pour 40 kg pour les dames).
Les performances à la course ou au saut n'étant pas encore olympiques, l'équipement standard de Rahan ne comportant ni griffes acérées, ni crocs redoutables, il fallut donc faire fonctionner le ciboulot et user d'expédients. Le premier de ceux-ci mais non le seul, et pendant longtemps, fût donc le bâton (la pierre a également joué son rôle).
On peut utiliser un bâton de diverses manières, qui se sont perpétuées et sophistiquées jusqu'à nos jours.
Tout d'abord, on peut s'en servir comme d'un projectile et le lancer. Cela a donné dans un premier temps, la lance, la sagaie ou le javelot, par la suite, on a utilisé des amplificateurs: le propulseur, l'arc (puis bien plus tard, la baliste). Le problème de l'objet lancé c'est que pour parvenir à une certaine efficacité dans la contusion ou la pénétration, il doit disposer d'une considérable énergie cinétique et/ou de capacités de perforation optimales. Jusqu'à la domestication du feu, 2,4 million d'années plus tard (en -150000) qui permit de durcir les pointes, ou la découverte de l'industrie lithique qui permit de les renforcer, et à fortiori jusqu'à l'invention de l'arc encore plus récente, il fallut bien de se contenter de manier le modeste bâton, manu militari.
La deuxième manière, et la plus archaïque fût donc d'escrimer, d'user de l'estoc ou de la taille, d'assommer ou d'étriper.
Frapper ou piquer, ces deux techniques se différencient par des modalités, des contingences et des effets très caractéristiques.
L'escrime au bâton s'est développée pendant plus de 2 millions d'années, c'est indubitablement la plus ancienne technique créée et perfectionnée par l'homme. Elle fût également la première opportunité de civilisation et de contention de la violence. La technique permet en effet de privilégier l'efficacité de la science, et donc de l'intelligence, par rapport à l'emploi de la force brute. Un avorton qui sait manier un léger et robuste bâton de 1,30 m et de 3 cm de diamètre triomphera d'un géant qui use anarchiquement d'un énorme gourdin. David contre Goliath.
Les techniques de lutte au bâton ne subsistent plus résiduellement que dans quelques «niches» culturelles. En Europe, ne demeurent au Portugal que le «jogo do pau», aux Canaries le «juego de palo». En France, le «bâton de combat» s'est transformé en «bâton français», une école de savate avec la «canne d'arme». En orient, les traditions ont mieux perduré: silambam en Inde, arnis aux Philippines, banshay en Birmanie, wushu en Chine, bojutsu ou jodo au Japon.

La pratique de ces techniques permet d'appréhender très limpidement une différenciation majeure entre estoc et taille, entre frappe et piqué.
La frappe nécessite de la force physique et surtout de réduire la distance avec l'adversaire. Le piqué permet, avec une économie de moyens et d'efforts, de conserver beaucoup plus de distance avec des résultats moins hasardeux et plus dévastateurs. Il s'agit de concentrer l'énergie du coup porté sur un point névralgique avec l'extrémité du bâton, (c'est à dire 6 cm² pour un «tsuki» porté en jodo). Ce n'est pas la vigueur ou la force qui interviennent alors, mais le poids du corps (le sien est celui du déplacement de l'adversaire), l'impulsion et l'accélération qui se portent sur une surface infime. Un simple calcul de physique (dont je suis bien incapable) montrerait alors que la force exercée se compte en quintaux.
Pourquoi ce long développement?
Pour arriver à la conclusion que notre homo habilis, aussi sadique que nous, mais aussi peu masochiste, préférait d'évidence manier l'épieu (notre pique) que la massue, et qu'il est infiniment plus aisé de venir à bout d'un buffle qui vous charge en le piquant, qu'en essayant de l'assommer. La pique, en tant qu'arme d'estoc qui permet de tuer à distance avec un minimum de risques, est donc, selon toute logique, la plus ancienne arme du monde.
L'évolution n'a cessé d'améliorer sans cesse les techniques cynégétiques et guerrières: le bâton de bois s'est sophistiqué d'os ou de silex, avant de devenir le bâton de bronze, puis le bâton de fer: l'épée. Le principe de base reste toutefois le même, comme le manuel d'utilisation.
Si nos sociétés semblent avoir oublié le tribut qu'elles doivent au bâton qui a permis les prémices de l'humanité et de la civilisation, elles n'en conservent pas moins par delà les millénaires, et de manière éclatante, des vestiges symboliques évidents de son glorieux passé.
Le bâton conserve un signifiant immense dans notre temps. Au delà de l'évidence du symbole phallique, il incarne ce qui soutient et guide l'homme, le protège, mais aussi ce qui traduit sa puissance et sa domination, ce qui châtie, ce qui indique l'autorité.
Du «bâton de Jacob» qui guidait les navigateurs, au bâton de mesures (utilisé jusqu'après la Révolution), au bâton augural des aruspices, à la baguette magique des sorciers ou à celle des chefs d'orchestres, le bâton guide, norme, introduit la mesure, génère l'ordre dans le chaos du monde ou des chiffres.
Du bâton de maréchal ou de commandement des généraux au cep de vigne du centurion, en passant par les verges des licteurs ou le bâton du tambour-major, le bâton symbolise aussi le commandement, la domination ou le châtiment.
De feu le bâton blanc des gardiens de la paix à la férule des maîtres, à la crosse de l'évêque, à la houlette du berger, le bâton exprime la protection bienfaisante de l'autorité.
Dans la culture antique le bâton est l'emblème de la connaissance par excellence. Que l'on pense seulement à Esculape et à son caducée (ou à Moïse dont le bâton de commandement se transforme en serpent devant Pharaon ou libère la source dans le désert).
Les Romains ne s'y trompaient pas, qui remettaient aux généraux vainqueurs, durant le triomphe qui les assimilait aux dieux, lors des acclamations impériales, un bâton qu'ils nommaient imperium. C'était le symbole du pouvoir suprême, qui conférait l'auctoritas, l'autorité absolue, d'émanation divine.

Toutefois, c'est Héraklès/Hercule, héros civilisateur armé d'une massue, qui dompte et se rend maître des forces de la nature qui incarne le mieux le mythe.
Au Moyen-Âge, l'épée, bâton de fer, incarne certes le pouvoir de la classe dominante chevaleresque, mais pas autant que la longue lance, apanage exclusif de ceux qui pouvaient financer cheval, armure et serviteurs (on dirait maintenant la logistique). Pour compter l'effectif des armées on dénombrait les lances.
Le bâton n'est pas fruit de l'industrie humaine à l'égal du métal, qui est une production technologique. Il évoque et résulte du règne végétal et fait transition entre l'homme et la nature ou plus exactement entre l'animalité et la minéralité. Dans la chaîne écologique, le règne végétal existe par le règne minéral pour permettre le règne animal.
En France on nomme la plaza de toros arènes. Ce mot n'a rien d'innocent en ce qu'il décrit cet univers sableux, métaphore parfaite du monde minéral, délibérément dépourvu de plantes, d'arbres ou de fleurs. D'autres enceintes sont engazonnées, comme nos stades, ou nos hippodromes, pourquoi le choix d'un tel milieu stérile qui exclut a priori le règne végétal?
Peut-être l'homme dans le lieu de la célébration et de la confrontation originelles avec la nature se place t-il instinctivement dans un cadre qui lui permette de tout maîtriser, dont il détient toute les clefs, qui lui permette de contenir la sauvagerie de la rencontre entre l'homme et la bête?
Il n'est pas indifférent de relever que l'irruption du végétal dans le minéral ne s'opère durant une corrida qu'en deux circonstances: par l'emploi de la pique et des banderilles, seuls objets transitionnels qui permettent les uniques contacts entre homme et toro et pour célébrer le triomphe de l'homme fêté par un déluge de fleurs.
Ce dernier usage nous questionne fortement par son caractère singulier. Dans la civilisation occidentale, il n'est pas coutumier d'offrir des fleurs à un homme. L'offrande des fleurs s'adresse aux femmes, avec une très forte connotation sexuelle, par l'objet même du don (l'appareil reproductif de la plante), et par ce que nous savons du «langage des fleurs», élaboré dans l'optique de la séduction.
Les seules exceptions s'appliquent à des évènements dont la connotation sacrale ne saurait échapper à personne: les commémorations, les mariages, les enterrements et les victoires.
Les codificateurs de la corrida fin XVIIIème, début du XIXème siècle, aussi imprégnés de mysticisme que de l'esprit des lumières, mais également pénétrés de cette rythmique ternaire qui selon les anciens commande l'univers (3 toreros, 3 tercios, 2 fois 3 toros, 3 terrains, etc...), n'ont pu ignorer la trilogie cosmique du minéral, du végétal et de l'animal, dominée par l'homme qui s'extrait de la nature pour obéir à l'injonction de l'Ecriture: «Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur terre.» (Genèse I-26)
Normer, mesurer, châtier, dominer: on voit que la pique conserve intacte plusieurs des caractères éminemment archaïques et symboliques, qui restent attachés, dans nos mémoires profondes à cet attribut fondamental de l'activité et de l'histoire de l'humanité.
Dans la liturgie taurine, le tercio de piques occupe une place prépondérante aussi fondamentale que les deux autres, celui des banderilles et celui de la mort. Car le troisième tercio est bien, malgré sa dégénérescence actuelle, la suerte de la muerte, même si la fonction ludique du jeu de muleta s'est boursouflée au point d'occulter les autres.
L'amoindrir encore, comme le voudraient certains, au nom d'une prétendue modernité, serait aberrant non seulement du point de vue technique ou éthique mais surtout du point de vue symbolique en amputant la corrida d'un de ses signifiants les plus fondamentaux.
La modernité ne saurait être le paravent de l'ignorance.
Les Vandales étaient eux aussi modernes quand ils ont porté le coup de grâce à l'empire romain décadent.

«L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit» Aristote

Xavier KLEIN

samedi 15 novembre 2008

Los quites de El Juli

Pour faire plaisir à Pierre:
http://www.dailymotion.com/relevance/search/el%2Bjuli/video/x6batv_los-quites-de-el-juli_webcam

ARMISTICE BLUES

«On peut s'enivrer de son âme. Cette ivrognerie là s'appelle l'héroïsme»
Victor Hugo, «Les travailleurs de la mer»
Le 11 novembre à Saint-Sever fait partie de ces rendez-vous de charme que l'on se réjouit toujours d'honorer.
Saint-Sever est un poème et une délectation. L'agrément de ses vieilles pierres qui suintent sous le fin crachin automnal, vous laisse immanquablement un parfum d'éternité, de permanence des choses que vous retrouvez inchangées en dépit du passage du temps.
Dans un monde qui se gargarise de modernité, on y cultive invariablement le suprême raffinement de la conservation opiniâtre du suranné. Un tel havre de paisible immobilisme rassure et émeut dans la frénésie contemporaine.
La braise sommeille pourtant sous la cendre et la vibration indolente de la cité ne demande qu'à s'exacerber. Car pudiquement, derrière la pierre et le ceterach, Saint-Sever cache une âme de feu. Et cette âme ardente, rieuse et fière ne se dévoile nullement mieux qu'à travers la Peña Jeune Aficion.
Ses aficionados ont élevé la convivialité, la loyauté et la constance au rang d'art majeur.
Par amitié pour François (2 exemplaires du genre), Xavier, Vincent, Jeannot et tant d'autres qu'il serait trop long de citer, j'en fus membre fondateur, un privilège et une grâce.
J'aime leur simplicité, leur générosité, leur dynamisme, et cette manière inimitable de vous retrouver comme si l'on s'était quitté la veille, avec la même joie et le même sourire sincère.
J'aime aussi à ferrailler durant des heures dans des débats de comptoir forcenés, ponctués des indignations outragées de François ou des colères pagnolesques de Zaza: on se dispute pour mieux s'apprécier, on se collette pour mieux se rencontrer.
J'aime par dessus tout leur fidélité acharnée à un idéal et à une éthique tant morale que proprement taurine, qui se refuse obstinément à l'engourdissement et aux compromissions de la sénescence. La Peña Jeune Aficion a toujours su jalousement conserver le secret d'une éternelle jeunesse et trace imperturbablement sa route, sans prétentions et avec un inaltérable optimisme.
Les contraintes familiales et professionnelles m'avaient éloignées du pèlerinage obligé, de la cure de jouvence. Le dieu cornu m'y a de nouveau conduit.
Il est des lieux qui gardent la mémoire de ce qu'ils ont vécu, peut être en va t-il de même pour les dates.
Mon enfance fut imprégnée des récits terribles des anciens. De ceux qu'on écoutait d'abord avec effroi à 6 ans, puis poliment à 10, avant que d'envoyer paître les radoteurs à 18.
Il m'a fallu terminer mes études d'histoire, puis parcourir le site de l'ossuaire de Douaumont, pour comprendre que l'interminable plainte de mes aïeux poilus (sic), n'était que le faible et misérable écho des souffrances endurées.
Depuis, pour moi, il faut que sur chaque 11 novembre, se lève une aube blafarde et cafardeuse pour redire inlassablement à ceux qui sont et à ceux qui viennent, la mémoire de l'abominable tuerie et la perte irrémédiable d'un pan de notre ingénuité.
Avec la Grande Guerre, Marianne est devenue salope, comme depuis Auschwitz, on ne peut plus se duper, et à jamais, sur ce que l'Homme peut faire à l'Homme.
Les vieilles coquettes se font tirer la couenne pour tenter de cacher les outrages du temps, il nous faut absolument éviter que notre société ne camoufle tout aussi soigneusement ses cicatrices pour se persuader que le bonheur est possible. Depuis Verdun le bonheur n'existe plus vraiment. Auschwitz lui a donné le coup de grâce.
Pour les lucides, vivre, c'est aussi souffrir. Pour les masochistes c'est surtout souffrir. Pour les imbéciles, c'est ne jamais souffrir...
Faire la fête un 11 novembre revêtirait-il un arrière goût de sacrilège, un peu comme de banqueter le jour des Morts?
Maintenant je suis persuadé du contraire.
François m'avait collé un callejon dans la pochette. C'était tout lui! Il savait que je ne me serai jamais abaissé à lui demander ce genre de chose. Il savait aussi que cela me ferait plaisir. Comme il m'aurait régalé l'âme et le gosier d'un armagnac d'amitié.
Il y a quelques trente ans, la première fois que j'ai assisté à une corrida depuis le callejon, c'était parce qu'il me l'avait procuré, et c’était à Saint Sever.
Le callejon, c'est un plaisir futile que j'aime parfois à fréquenter, comme on s'encanaille dans les rues chaudes. Du callejon on comprend moins bien mais on ressent mieux, ou plutôt différemment.
Ce n'est vraiment pas le lieu d'où l'on dispose de la meilleure vision d'une course. On perd la perspective et la dimension tactique du combat, on ne distingue pas les distances, on ne réalise pas l'éloignement ou la proximité du toro et du torero.
Par contre, on vit en direct la fureur du toro, la sueur et la peur de l'homme. On découvre aussi tous les gestes des coulisses: les mozos qui lavent les épées avec la méticulosité de leur office, l'angoisse ou l'irritation de l'apoderado, l'attention paternelle du banderillero de confiance. On sort du rêve programmé pour entrer de plain-pied dans la contingence, dans un certain désenchantement nécessaire, qui naît des accrocs ou des couleurs fanées des trajes que l'on perçoit si magnifiques depuis les gradins.
L'optique du callejon explique notamment les dérives de beaucoup de nos chroniqueurs qui seraient mieux inspirés d'élever conjointement leurs constats, leurs pensées et leurs culs, pour suivre les opérations sous le même angle que leurs lecteurs, mais aussi que les présidences. L'éclairage étant différent, les points de vue évolueraient peut-être de même, encore que!
Mais c'est peine perdue, et si l'on n'y prend garde, au rythme où courent les choses, on déplacera bientôt les palcos dans la ruelle pour «mieux comprendre», «faciliter la communication», et éviter les regrettables bévues. On n'aura plus à les vilipender dans les reseñas puisqu'on aura eu tout le loisir de le faire in situ, pendant la corrida. Une évolution positive supplémentaire vers le toreo moderne!
Dans le callejon, ce qui est tout à fait répréhensible je le confesse, j'aime par dessus tout à poser le nez au ras des tablas, un peu comme on hume un civet en fin de cuisson, un vieux pauillac qu'on s'est longtemps retenu d'ouvrir, ou le vent du large à la proue d'un voilier (bien que je ne partage guère d'affinités avec Leonardo!).
Tout vous jaillit alors à la gueule, l'odeur sauvage du fauve, le déroulé et le ronflement sourd de ses muscles, le fracas métallique de son souffle sur le capote empesé, le chuintement de l'étoffe, le halètement de l'homme, le sable qui vole, l'éclat et la matière des regards, le sang qui gicle, la sueur qui perle, la puissance charnelle de l'animal, les déplacements choisis et félins du torero, le défi et la moue de ses lèvres. Tout prend corps avec une évidence et une inégalable acuité derrière la mince frontière de chêne.
Il faut oeuvrer pour que tout aficionado connaisse un jour ces sensations si complexes et si intenses. Las! La justification du callejon n'est nullement fonctionnelle, mais avant tout sociale: il importe de se distinguer, d'appartenir à la caste, à l'élite, de jouir d'un privilège dont les autres sont dépourvus.
Merci François pour ce sésame, car pour toi, comme pour moi, ces détails là ne constituent pas un brevet d'honorabilité, mais le passeport exceptionnel pour entrer dans la substance des choses.
Et j'y suis entré!
Les copains avaient bien préparé les opérations, comme il convient à des aristocrates de l'aficion de verdad. Un lot de quatre chipendales, signé La Constancia, bien sous tous rapports, et plus si affinités! Deux toreros andalous, fleuris des ultimes géraniums sévillans (Mario DIEGUEZ, A.Jesus ESPALIU), un jeune apache salmantin, avatar probable de Santiago Martin (Juan del ALAMO), et le régional obligé de l'étape (Matthieu GUILLON).
N'ayant ni la mémoire, ni le désir d'une reseña, mieux vaut traduire l'instant, tel que je l'ai ressenti.
Nimbé d'exhalaisons de brumes froides, dans la lumière crue des projecteurs qui corrompaient la nuit tombante, Juan DEL ALAMO affrontait le dernier novillo.
La gravité sempiternelle de son visage livide d'où toute joie semble proscrite, le calme imperturbable dont il ne paraît jamais se départir, l'étrange assurance qui l'habite, comme si rien ne pouvait contrarier son savoir et sa volonté, contrastent avec la juvénilité des traits.
La scène avait des relents de rêve ou de mémoires brusquement avivées. Il y avait là, la réminiscence de ces souvenirs qui ne nous appartiennent pas mais nous sont légués par l'anamnèse collective. J'ai revu la désolation lunaire des côtes de Marne éblouie des fusées éclairantes au moment de l'assaut nocturne: c'était Verdun, c'était le Chemin des Dames, c'était la Tranchée des baïonnettes. C'était la commémoration de la jeunesse qui lutte et se bat jusqu'au bout contre l'adversité. C'était l'hommage aux jeunes gars tombés dans la boue et le sang pour des chimères, pour conquérir dix toises de terrain, pour sauver le drapeau, pour rapporter le cadavre meurtri du camarade.
Le novillo coupait les terrains. Avisé? Malvoyant? Qu'importe! Parmi le quatuor, seul Juan pouvait par sa détermination, sa technique et son sens de la lidia, soumettre et dominer un tel adversaire. Le destin avait, à sa manière, bien disposé du sorteo. Aux autres étaient échus les brouettes, à lui étaient réservés l'outrage, le dépassement et le triomphe sur l'adversité.
Deux fois accroché, il se relevait avec l'esquisse d'une grimace, vite dissimulée sous le masque de l'impavidité, et mobilisant sa science, son jugement et sa résolution, se jouait de l'anicroche pour remonter au front et changer le destin.
Le garçon bousculé, humilié par la fureur du toro borgne ne cédait rien et surtout pas l'honneur. La temporada se terminait et il se battait avec la farouche obstination d'un commencement, comme il lutte avec chaque toro. Avec la même application et la même fougue contenue qu'un jour d'alternative.
La ténacité, l'intelligence du combat, l'efficacité pénétrante des passes, venaient graduellement à bout de la violence des assauts, de la sauvagerie des derrotes.
Enfin ce fut une estocade approximative mais engagée et contraire.
Son visage enfantin de voyou triste, qu'on aurait cru tiré d'un film de Pasolini, conservait la même austère impassibilité et s'étoilait des poussières du ruedo noyées de sueur.
Dans l'aura de buée, nul sourire, seulement un regard acéré...
Ainsi advient-il parfois dans les crépuscules automnaux de Gascogne des bribes de songes héroïques et vains.
Xavier KLEIN

mercredi 12 novembre 2008

CHRONIQUE D'UNE MOUCHE 3

Le jour de l'armistice, la mouche voletait, sinon gracieusement -surcharge pondérale oblige- du moins sereinement, dans les parages saint-séverins.
Outre l'avantage d'y passer un agréable moment, la mouche vaquait aussi à son ouvrage, puisque s'y tenaient les assises de l'association des «organisateurs de corridas et novilladas du Sud-ouest» où la mouche représentait, en bonne et digne compagnie, l'honorable plaza d'Orthez.
La mouche a beau se montrer souvent joueuse, elle sait quand même se poser pour longuement nettoyer ses petites papattes et fermer sa grande gueule, quand sa fonction lui impose un devoir de réserve. En conséquence, la mouche n'envisageait pas d'évoquer une réunion, dont le caractère, sinon confidentiel, imposait du moins une certaine retenue. Et pourtant, il y avait à dire!
Certains n'ont pas de ces pudeurs, ce qui relève la mouche du devoir de réserve et de discrétion auquel elle s'était (difficilement) contrainte.
L'inénarrable et omniprésent président de l'O.C.T., n'a en effet pas pu s'empêcher de s'y imposer et, non content d'intervenir en tant qu'invité au titre du machin, d'en relater les détails sur Terres Taurines, avec coup de griffe à l'appui («Orthez qui annonce une novillada piquée le matin de sa corrida des fêtes plus une portugaise en juin (bonjour les impôts l'an prochain!)». Article «La temporada 2009 en Aquitaine» du 12/11/2008
http://www.terrestaurines.com/forum/actus/actu.php.
A priori, la mouche n'assistait à cette réunion que pour traiter, avec d'autres organisateurs du sud-ouest, de diverses questions: remises des prix des novilladas piquées, problèmes posés par la présence des chirurgiens taurins (le vivier se restreint et les assurances spécifiques pèsent dans les budgets), calendrier prévisionnel de la temporada, etc.).
Ce dernier point permet une meilleure coordination et d'éviter des chevauchements fâcheux de dates. Fallait-il y donner écho, alors qu'il reste susceptible de transformations et que les commissions taurines en sont à une phase préparatoire? La mouche en fût fort marrie: elle eût préféré l'annoncer elle même à Orthez, quand le temps en serait venu. La mouche avait naïvement oublié que le président de l'Observatoire était également journaliste -ou prétendu tel- et qu'il ne savait pas cloisonner ses divers rôles.
A ce propos, on le savait juriste inachevé, boxeur demi-finaliste, artiste approximatif, torero raté, syndicaliste taurin au petit pied, organisateur funeste, cultivateur de feuilles de choux, photographe, entrepreneur en démolition de la pique, lobbyiste, avocat des intérêts financiers du mundillo, expert économiste es marché taurin, on a pu constater qu'il avait d'autres cordes à son arc.
Dans un de ces extraordinaires numéros d'auto-congratulation dont il conserve jalousement le secret, le cher André nous a confié ses autres talents: conseiller d'état, qui a l'oreille du Premier Ministre (qu'il peut contacter en 4h...), conseiller technique du ministère de l'Intérieur, avec qui il collabore étroitement au niveau des Renseignements Généraux, agent secret qui infiltre les mouvements anti-corridas et y place ses taupes, diplomate qui s'intronise grand mamamouchi de la tauromachie française en Espagne. Authentique! Cela ne s'invente pas!
Par delà la malodorance éthique d'un Président qui semble se complaire dans des activités douteuses de basse police, la mouche interpelle toutefois les éminences de l'O.C.T. sur la pertinence et le bien fondé de cautionner les dérives paranoïaques de Dédé, qui ne peuvent à terme, que desservir et discréditer les intérêts de la tauromachie, quand les interlocuteurs auront appréhendé toutes les facettes du personnage.
Quand ce dernier, incapable de distinguer ses affects de sa fonction, pour le plaisir de donner un coup de tapette (à tous les sens du terme) à la mouche et de régler bassement un compte personnel, se permet dans son article de souligner à propos d'Orthez: «bonjour les impôts l'an prochain!», alors qu'il devrait se réjouir des initiatives propres à promouvoir la tauromachie en Béarn, on n'a plus à se questionner, on "éparpille façon puzzle".
La mouche fait partie de la corporation des Bactrocera oleae, ou mouche de l'olive, commune dans les campos. A ne pas confondre avec la Phaenicia sericata (mouche verte) ou la Scatophaga furcata (trivialement nommée mouche à merde).
La mouche butine volontiers les bouses de bétail brave, encasté et limpio mais se désintéresserait complètement des étrons, fussent-ils soustonnais, si ceux-ci ne venaient encombrer le paysage taurin avec ostentation et insistance, et à polluer les débats dans une période difficile.
Un point positif toutefois, grâce aux accointances barbouzardes de A.V. la mouche est désormais certaine de figurer dans le fichier Edwige, sans doute comme dangereuse agitatrice taurine... La rançon de la célébrité!

lundi 10 novembre 2008

DE PROFUNDIS MORPIONIBUS

Il paraît que l'ANDA n'existe plus depuis dimanche 9 novembre.
Ce sera désormais une date à marquer d’une pierre noire pour l’aficion française .
On ne peut que déplorer la chute d'un des bastions avancés d'une certaine éthique taurine, tenu jusqu'au bout par les moines-guerriers de la tauritude.
Ce n'est pas certes pas encore la prise de Constantinople, mais ce pourrait bien être celle de Saint Jean d'Acre, et pourrait s’ensuivre la perte complète et définitive de la Terre Sainte.
L'intransigeance de ces sentinelles de la rectitude taurine pouvait faire sourire, agacer, mettre en colère voire même occasionner à certains, crises d'urticaire ou jaunisses débutantes. Elle fera désormais cruellement défaut , comme manquent durement tous les porteurs de paroles libres, toutes les consciences morales.
Il m'est souvent arrivé d'être en désaccord avec l'ANDA, de les trouver parfois excessifs, souvent trop attachés à la lettre au détriment de l'esprit, de préférer systématiquement la perfection à l'émotion, la castration du désir à la jubilation, de ne jamais prendre le risque d'ôter les graves lunettes des censeurs, ou bien de constituer un réduit de rigorisme philosophique teuton en terre latine. Tous griefs bien futiles au regard du rôle fondamental de gardiens des dogmes que l’ANDA a su assumer avec bonheur durant des années, en influant très positivement sur l’aficion en général et les empresas en particulier.
Je le dis et je le répète sans cesse: l’harmonie doit provenir de l’équilibre des contraires et du compromis qui s’établit difficilement entre des exigences parfois opposées. L’harmonie naît aussi d'une impérative diversité. Après l'ours des Pyrénées, après l'homo neanderthalis, disparaît maintenant l'homo andanis. Une perte irrémédiable pour le fragile microcosme taurin et pour les virtualités d'antidotes aux maladies taurines.
La disparition de l’ANDA canal historique, s’inscrit comme une affligeante déconvenue à l’heure où les nuages s’accumulent sur le paysage taurin, où les évolutions qui se font jour exigent une vision harmonieuse des choses et l’établissement d’un rapport de force équilibré entre les intérêts du système et l’essence même de la tauromachie.
A l’heure également où d’aucuns s’évertuent à poser la problématique taurine en termes d’adaptation inéluctable aux impératifs des toreros, ou pire, quasiment exclusivement en termes d’économie de marché, il est vital que demeure la voix des toros et d’une perspective radicale de la corrida.
Car l’ANDA, c’était cela avant tout: la voix et la voie des toros, comme il y existait ailleurs la voie des samouraïs.
Faudra t-il vivre désormais sans les tracts verts distribués avant les corridas de ferias, que tout aficionado de bonne race se prévalait d’avoir conquis confidentiellement de haute lutte, qu’il lisait avant le paseo, en en soulignant les saillies, aux compañeros de gradas? Ces tracts que même (et peut-être surtout!) les organisateurs se préoccupaient de se procurer subrepticement. Faudra t-il se passer de l’égoïne d’or ou de la lime de bronze, qu’appréhendaient secrètement ceux qui publiquement faisaient mine de les mépriser?
Consanguinité excessive? Camada insuffisante? Mévente des produits? Les motifs anecdotiques de la disparition de l’ANDA me sont inconnus et après tout importent peu. Le constat en lui-même est déjà suffisant. Il s’inscrivent, me semblent-il, dans la logique d'ensemble d'une société de plus en plus individualiste, qui perd progressivement le sens, le goût et l’espoir de l’action collective. Des syndicats aux associations, en passant par les partis politiques, la démarche de groupe ne fait malheureusement plus recette. On veut bien profiter des choses à condition de ne pas s'engager pour les obtenir ou de se battre pour les maintenir!
Il faut s’en inquiéter d’urgence. A tous les niveaux et dans tous les champs de la vie publique, nos concitoyens recherchent le plaisir et la consommation sans vouloir assumer les contraintes liées à son obtention.
De l’autre coté de la barrière, en dessous des barreras, on a ni ces pudeurs, ni ces états d’âme, et l’on s’accommode fort bien de la présence de similis toros dans l’arène et de vrais moutons sur les gradins. Les voix éparses s’entendent toujours moins bien que la masse d’un chœur.
Fassent les dieux tutélaires de l’arène que le phénix renaisse de ses cendres et que de nouvelles énergies se découvrent pour prendre le relais et continuer la brega. La conjoncture exige que des oppositions organisées se fassent jour!
Xavier KLEIN

AVIS

Comme suite à certains interrogations de lecteurs, il faut préciser que le présent site est largement ouvert à toutes interventions, dans le cadre de son objet: une vision diverse, critique et plutôt généraliste de la tauromachie. Toutes les propositions de contributions (articles, échos, analyses, photos) seront accueillies avec gratitude.
Xavier KLEIN

vendredi 7 novembre 2008

EN AVOIR OU PAS? EN ETRE OU PAS?


«Mon exigence pour la vérité m’a elle-même enseigné la beauté du compromis.»
«Tout compromis repose sur des concessions mutuelles, mais il ne saurait y avoir de concessions mutuelles lorsqu’il s’agit de principes fondamentaux.»

Gandhi, «Autobiographie»


Il est vraiment épuisant et difficile de défendre avec passion des opinions modérées.
On est sans cesse confronté à cette propension de l’esprit humain à tout simplifier et à tout réduire dans le cadre d’un système binaire qui, à défaut de prendre en compte la complexité et la subtilité des choses, les rend primairement compréhensibles en se dédouanant de la réflexion et de la profondeur de l’analyse.
En langage taurin, cela veut dire qu’il est bien commode à certains de caricaturer et de découper la planète toros à la hache entre toristas et toreristas, entre sectateurs du premier tercio et idolâtres du troisième, entre ceux qui veulent «unifier l’aficion» et ceux réputés la diviser.
Pour ma part, depuis des années, tant pour la vie courante que pour l’engagement social, citoyen, politique, culturel ou taurin, en fait dans toutes activités qui meublent l’existence, je ne cesse de me questionner sur l’équilibre qu’il y a lieu d’instaurer entre une dialectique indispensable et un consensus souhaitable.
Pour prendre l’exemple du champ politique, s’il me semble important que le débat et le questionnement soient entretenus avec vigueur entre deux pôles (en France la droite et la gauche ou aux USA, les républicains et les démocrates), il me paraît également fondamental que ce débat ne reste pas stérile quand il s’agit de mettre en place des politiques à long terme.
Dans notre pays latin et centralisé, nous ne savons pas élaborer ce qui est ordinaire aux nations du nord de l’Europe: des compromis!
Etant bien entendu que compromis ne signifie pas compromission, c’est à dire capitulation sur ses idées et ses convictions.
Au gré des élections, la gauche détricote ce qu’avait élaboré la droite et vice-versa. Aubry élabore une loi sur le temps de travail, que Villepin ou Sarkozy liquident par la suite. Cette alternance produit de l’inefficacité, des pertes considérables de temps, d’énergie et surtout d’argent et de crédibilité. En cela Aubry (ou d’autres) est responsable de ne pas avoir recherché une solution à long terme qui prenne en compte l’alternance démocratique, et la droite commet la même erreur en sacrifiant, au nom d’une vulgate libérale bien malmenée en ces temps de crise, les aspects positifs que pouvait receler cette entreprise. Nos amis allemands, danois ou suédois se seraient concertés et auraient conciliés leurs divergences pour établir un texte pérenne sous plusieurs gouvernements de tendances différentes.
En toroland, la question se pose en des termes identiques.
Etant donné les enjeux mineurs de la tauromachie au regard des répercutions sur notre quotidien que représentent le marché de l’emploi, la croissance ou le réchauffement climatique, on pourrait penser que pourraient s’instaurer sur ce terrain des pratiques plus sages, mesurées et diversifiées…
Que non pas! Il se trouve toujours quelque imbécile, quelque excité ou quelque arriviste pour entretenir des querelles, après tout secondaires, qui mobilisent inutilement l’énergie des aficionados, au détriment de l’efficacité et des intérêts intrinsèques de la res taurina.
Pendant des années, s’est maintenu un débat indispensable et productif entre un pôle plutôt torista et un pôle torerista., une confrontation et un dialogue entre l’Andalousie et la Navarre, entre Séville et Pampelune ou Bilbao, en France entre Dax et Vic.
On disposait du choix respectable de préférer l’un ou l’autre, et même d’apprécier les deux, sans que cela ne perturbe personne. Faut-il absolument détester Offenbach quand l’on aime Mahler? C’était plaisant et c’était enrichissant de confronter sa vision avec celle d’un autre qui pensait, ressentait, s’émouvait différemment.
Cet équilibre, cette harmonie sont actuellement remis en questions, au motif de l’irruption d’un courant anti-taurin (car c’est le catalyseur qui déstabilise l’ensemble) et l’on nous parle désormais de «marché», de «toreo moderne» unique et définitif, de pique, de lidia ou de toros qu’il convient de changer. Bref on remet en cause les thermomètres plutôt que de se préoccuper de la fièvre.
Certes, l’adaptation est une vertu et il ne faut rester ni sourd, ni aveugle à l’évolution des mœurs ou de l’environnement, mais que diable! de quoi parlons nous sinon d’une activité par essence traditionnelle et profondément ritualisée, quoique profondément subversive!
Les mutations qu’on nous enjoint d’avaliser ne s’avèrent en rien utiles et encore moins nécessaires. Car le choix ne se pose pas en termes de torisme ou de torerisme, mais en termes de décadence ou de vitalité de l’essence même de la corrida: le toro, ou bien en termes bassement économiques de «réorganisation du marché».
C’est le sens que porte l’actualité des modes de gestion des arènes, particulièrement à Bayonne et Mont de Marsan.
A mon sens, les aficionados de verdad n’accordent pas dans leurs débats l’importance que revêt cet aspect de l’activité taurine. Car il faut bien se rendre à l’évidence: si nous ne nous y intéressons pas, d’autres, en revanche, s’y intéressent, et pour cause, l’argent menant le monde!
Le mode de gestion d’une arène prédétermine ce qu’on y présente. Il n’est pas indifférent de la confier à un entrepreneur dont l’objectif, avant tout, et c’est légitime, sera d’y réaliser des profits, et de choisir une gestion directe ou associative dont l’organisation sera confiée à des aficionados du cru, qui vivent leur passion et qui restent attachés à une certaine éthique.
Le premier cas se traduira par une politique taurine du succès obligé, mais également par des tarifs élevés, une moindre prise de risque, et donc il conviendra d’aller dans le sens de ce qui plait au détriment de ce qui vaut. Le second, s’il doit prendre en compte les contingences économiques, au risque de l’irresponsabilité, pourra intégrer l’authenticité et la vérité de choix plus originaux et plus risqués.
Il y a vraiment des choses que je n’arrive pas à comprendre dans la problématique de Bayonne ou de Mont de Marsan. Voilà deux villes qui possèdent une longue tradition taurine, des savoirs et des savoirs-faire, un vivier diversifié d’aficionados compétents, un budget taurin important (qui se compte en million d’euros ce qui leur permettrait sans dommages de rémunérer du personnel ad hoc). Pourquoi envisagent-elles de confier ce qui pourrait être raisonnablement mis en œuvre par des compétences locales et de créer de l’emploi, à des entrepreneurs dont la principale utilité sera de prélever une dîme superfétatoire?
On me dira de ces derniers qu’ils sont compétents en tant que professionnels.
Foutaises! Dans une activité comme la tauromachie, il y a ce qui s’apprend (la gestion, la négociation, l’organisation) et ce qui ne s’apprend pas (le nez, la passion, l’intelligence de la corrida, la compréhension de la psychologie des acteurs et du sens du spectacle). Ce qui manque localement ce sont les savoirs-faire plus que les savoirs, et un savoir-faire cela s’apprend.
Il faut à ces questionnements en rajouter un autre, qui semble plus fondamental: et les aficionados dans tout cela?
Le règlement de l’U.V.T.F. crée obligation aux villes adhérentes de mettre en place une C.T.E.M. (Commission Taurine Extra-Municipale) qui comprend en son sein «des personnalités choisies pour leur compétence, appartenant ou non à des associations ou sociétés taurines». La C.T.E.M. a pour fonction d’apporter une «aide technique», de conseil, de surveillance, de contrôle et de vérification.
En ce qui concerne les villes taurines qui concèdent la gestion des arènes, sous une forme ou sous une autre, la C.T.E.M. n’intervient nullement dans l’organisation proprement dite. Cela permet théoriquement à ses membres (désignés par le Maire) de conserver une indépendance dans leurs avis, conseils ou appréciations. Les années 70 à 80 furent l’occasion de luttes acharnées pour la constitution des C.T.E.M. que nombre de bourgmestres se refusaient à instaurer, ainsi que pour une composition équitable et équilibrée de celles-ci. Les C.T.E.M. de ce type laissent théoriquement beaucoup d’indépendance aux participants, si le Maire joue le jeu et accepte par exemple, que les représentants des peñas soient proposés par ces dernières, et non par le fait du prince. Les associations ou les aficionados indépendants peuvent ainsi pleinement jouer un rôle de garde-fou et de contre pouvoir à d’éventuels excès et faire entendre la voix de l’aficion locale.
Il en va différemment des villes qui ont choisi le mode de gestion directe. On ne peut multiplier les structures et la C.T.E.M. se confond alors avec la commission taurine tout court, chargée d’organiser les spectacles. Les participants doivent alors concilier les impératifs de la C.T.E.M. tels que précédemment définis et une implication dans les choix, l’organisation et la mise en place. Peut-on être à la fois juge et partie, rester critique sur ce que l’on organise soi-même?
On connait beaucoup de ces commissions où le discours et le calibre des chevilles des membres varient dés l'accession aux affaires. Certes il y a naturellement un changement d'optique, mais malheureusement aussi un changement de statut: "Plus le singe grimpe à l'arbre, plus il montre son cul!" Il a surtout cette propension paranoïaque que l'on constate dans beaucoup de groupes, quels qu'ils soient, à ne plus se remettre en cause, à ne plus douter, à se grégariser, et à ne plus supporter la critique obligatoirement comprise comme hostile: on critique ce que je fais donc on critique ce que je suis!
A Orthez, je suis régulièrement confronté, en tant que Président de la Commission Taurine, à cette problématique: comment fédérer des points de vue, des approches, des personnalités diverses tout en respectant leur indépendance, et la liberté de leur parole. Impliquer, associer, sans corrompre ou sans dénaturer. Tout cela suppose de mobiliser la dynamique du consensus qui par nature, ne satisfait jamais personne et insatisfait plutôt tout le monde.
C’est une démarche ardue et rocailleuse qui inscrit les participants dans le réalisme (il faut rentrer dans un budget), dans les contraintes économiques (il faut faire des recettes), dans l’ouverture (il faut accepter l’altérité des copains), dans l’engagement (il faut savoir se déterminer et l’assumer), dans la négociation (il faut savoir lâcher certaines choses), dans l’acceptation des contingences (il faut se faire violence pour s’exposer, s’exprimer en public, distribuer des prospectus, «vendre la camelote»).
C’est aussi la réponse adulte, complexe et nécessairement imparfaite, aux problématiques exposées plus avant. Peut-on se contenter de rester dans la critique du haut de sa tour d’ivoire plutôt que de s’engager? Peut-on remettre en cause la commercialisation croissante et excessive de la fiesta brava, sa confiscation par le mundillo, ses dérives, sans, à un moment ou à un autre, se confronter à la réalité et «s’y mettre»?
Plus qu’une option purement taurine c’est une conception de la vie et de la citoyenneté. Etre acteur ou spectateur? Actif ou passif? Engagé ou dilettante? Adulte ou enfant? En avoir ou pas? En être ou pas?


Xavier KLEIN