Humeurs taurines et éclectiques

mercredi 31 décembre 2008

KATAS TAURINS

Depuis longtemps, je travaille à une série de textes sur le parallèle entre tauromachie et arts martiaux.
Pourquoi pourrait-on se demander?
Parce qu'une passion spécifique n'a de réel intérêt pour occuper la vie d'un homme que dans la mesure où elle recèle une part d'universel, ou bien elle ne demeurera qu'un hochet.
En outre, la mise en perspective de deux sciences, ou devrait-on dire de deux arts, permet une meilleure compréhension de chacune d'elles. On en arrive parfois à s'écrier intérieurement: «- Mais oui, mais c'est bien sûr!». Par la grâce de la transposition, la comparaison éclaire d'un jour nouveau certains aspects restés obscurs.
Le problème, dans ce genre d'entreprise, c'est que le sujet est tellement vaste, qu'on ne sait par quelle entrée l'appréhender pour obtenir quelque chose de construit.
Quelques évidences fortuites ont attiré mon attention.
Les discours évoluent insensiblement, des notions apparaissent et s'imposent comme des évidences. Ainsi, ai-je été frappé d'une expression qui revient sans cesse et s'est imposée sans qu'on y prenne garde: le rugby est maintenant défini comme un «sport de combat collectif». Il y a vingt ans, cette vision eût parue, sinon scandaleuse, du moins surprenante. Pourtant elle triomphe actuellement comme une vérité révélée.
Je me questionne depuis longtemps sur les raisons de la localisation extrêmement précise et limitée de la tauromachie «à l'espagnole» en France et notamment dans le sud-ouest. Je n'arrive pas à définir une, voire plusieurs explications concomitantes qui soient satisfaisantes. En revanche, ce qui est particulièrement frappant, c'est de constater qu'un ensemble culturel gascon a retenu un certain nombre de pratiques sociales et ritualisées comme moyen de gestion de la violence individuelle et collective. Dans le sud-ouest, la corrida va de pair avec le rugby. Ce sont deux truchements qu'on y a adopté pour contenir et disons le, transcender la violence. Comme par hasard, on y connaît moins qu'ailleurs les manifestations violentes, les bagarres de fin de bal, les émeutes urbaines, les incivilités. Certes la situation se dégrade ces dernières années, comme ailleurs. Cela me semble dû à la désaffection d'une partie croissante de la jeunesse pour ces activités. Les stades et les arènes ne drainent pas autant la jeunesse qu'il y a 20 ans. Le poids de l'argent paraît décisif dans ce changement. La professionnalisation du rugby et l'augmentation du tarif des billets d'entrée tant au stade qu'aux arènes, altèrent en profondeur l'attrait et la pratique populaires, auparavant accessibles à tous.
Il y a également une évolution des mentalités, comme un affadissement global de la société. Le maître mot des jeunes de nos jours, c'est «le fun». Une notion clairement contradictoire avec la masse de travail, d'efforts, de renoncement qu'exige la pratique d'un sport tel que le rugby.
Effort, travail, ascèse, discipline, tant de mots qui inspirent plutôt la répulsion de nos jours. Surtout le dernier! Et pourtant discipline signifie à son sens premier (du latin "disciplina"), l'action d'apprendre, mais aussi l'éducation, la formation, les principes, les règles de vie. La discipline, c'est ce à quoi se soumet le disciple, c'est à dire l'élève, l'apprenti.
Les arts martiaux sont fondés sur le principe de la transmission entre un maître et un ou plusieurs disciples. Le maître n'étant pas compris comme un simple dispensateur de techniques, mais comme celui qui apprend la vie. La notion de maître ne suppose, a priori, aucun rapport de supériorité dans les contextes traditionnels. Le mot «senseï» (traduit du japonais en «maître») signifie littéralement «celui qui est né avant». Le maître ne bénéficie donc que du privilège de l'antériorité et donc de l'expérience. Il n'est qu'un maillon dans la chaîne de la transmission. L'apprentissage des arts martiaux repose, comme dans toutes les cultures traditionnelles sur la répétition et sur l'imitation.
Le maître montre. Le disciple essaie de reproduire et de mémoriser.
Cette didactique (moyen d'instruire) s'oppose aux conceptions contemporaines occidentales où l'on vise avant tout à développer intelligence, créativité, esprit critique.
Elle a pourtant prévalu chez nous jusqu'au milieu du XXème siècle.
Les maîtres traditionnels considèrent toutefois qu'il convient de posséder le vocabulaire et la technique avant de disserter. Pour s'exprimer, il faut connaître les mots et la manière de les assembler, avant de faire des discours.
La méthode tend effectivement à la reproduction de schémas existants et n'encourage guère la novation et l'inventivité. En apparence seulement. Elle n'a nullement empêché l'apparition de talents et de génies, qui, à leur heure, une fois les bases techniques assimilées, ont su se différencier de leur maître, et se livrer à l'innovation. Il en fût ainsi pour Leonardo Da Vinci, Raphaël, comme pour Goya, Bach ou Mozart.
Elle constitue également la pédagogie la plus démocratique qui soit. Elle est ouverte à tous et tous peuvent y satisfaire. Certes la progression n'est pas identique. Certains cheminent rapidement, d'autres ont un rythme d'acquisition plus réduit, mais le plus grand nombre finit, à l'usage, par acquérir. Certains comprennent le sens, d'autres non, mais tout le monde sait faire. L'outil de base de l'apprentissage des arts martiaux traditionnels japonais, c'est le kata. Le kata est un exercice difficilement définissable et compréhensible dans toutes ses acceptions pour un esprit occidental.
C'est un scénario réalisé seul ou en binôme, qui permet d'intégrer une ou plusieurs techniques de combat, tant offensives que défensives. Soit pour les travailler, soit pour se prémunir du danger de les travailler librement, ces techniques sont codifiées selon des schémas rigoureux qu'il convient de respecter à la lettre.
La collection d'un grand nombre de katas permet de passer en revue la globalité de toutes les situations et hypothèses possibles en situation de combat.
En dépit de cette diversité, l'ensemble de ces variantes découlent de quelques schémas de base, voire même d'un seul: esquiver l'attaque, parer, entrer dans le centre de l'adversaire, exploiter cette position.
Cela ne vous rappelle rien?
Le kata est aussi une micro histoire, une mise en situation qui doit se réaliser de la manière la plus réaliste possible pour signifier quelque chose. Pratiquer pleinement un kata, c'est connaître un moment de vie intense, vivre une histoire résumée et dense compactée en quelques minutes.
Le premier kata de Jodo consiste à esquiver en l'absorbant, l'attaque d'un sabre, de contrôler les mains de l'adversaire avec son jo (bâton), de le forcer ainsi à reculer et à prendre une garde haute, puis de contre-attaquer par une frappe à la tête, qui termine le combat
On voit donc qu'il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. Le danger de blessure est réel, même avec des armes de bois. La violence, qui constitue le moteur initial de l'action doit être parfaitement gérée, canalisée, enfermée dans des règles strictes.
D'aucuns pourraient trouver ridicule ou monotone de polir et repolir ainsi, des centaines, des milliers de fois, les mêmes gestes. C'est négliger d'admettre qu'un geste ne se comprend réellement que «de l'intérieur», sa compréhension procède de sa répétition, ou autrement dit, on pratique d'abord et l'on comprend après.
C'est pourquoi les grands maîtres japonais ne parlent pas. Ils ne se perdent pas dans d'interminables explications: ils montrent. A l'élève de développer son attention, son acuité. S'il ne comprend pas, c'est qu'il n'a pas atteint le niveau pour comprendre et doit poursuivre son travail. Ce n'est nullement dramatique, les maîtres ont l'éternité, les élèves aussi. Tout vient à point à qui sait attendre.

Un geste, un kata, n'est jamais parfait en soi. Ils dépendent complètement de l'environnement et surtout de son principal facteur, l'adversaire. Un bon kata est donc un kata réalisé en complète harmonie et adéquation avec l'adversaire: l'intensité et la vitesse de son déplacement, ses distances, son rythme, sa puissance, sa morphologie. Tout est question d'adaptation immédiate et appropriée à l'autre.

Cela ne vous dit toujours rien?
La progression d'un élève passe par des étapes successives. Il faut apprendre chaque geste, le travailler sans cesse et le parfaire, puis il faut mémoriser les enchaînements, enfin quand les modalités pratiques sont assimilées (quand on possède la vocabulaire et la grammaire), commence le véritable travail.
Ces différentes étapes ne sont ni prévisibles, ni quantifiables, on constate l'évolution d'un pratiquant à son aisance et surtout à sa «forme de corps», une manière particulière de se déplacer, de se mouvoir, d'assurer ses appuis.
On réapprend à respirer, à marcher, à rester immobile, et surtout à être. On se réapproprie son corps dans une progression parfaitement balisée, expérimentée depuis des siècles par l'expérience des maîtres successifs, qui, ne l'oublions pas ont été aussi des élèves et ont vécu ce que l'on vit.
La menace permanente pour le pratiquant, c'est le défaut de vigilance, l'attention, la conscience ou la concentration qui s'évaporent. Le pire travers des katas est alors de se livrer à l'enchaînement mécanique, de tomber dans le train-train et la routine, de dériver vers la chorégraphie. Il faut sans arrêt garder à l'esprit que l'on se trouve dans une situation de conflit dont la vie ou la mort peuvent dépendre. C'est à ce prix, que le véritable travail se réalise. Je parle bien évidemment d'un travail sur soi.
Dans les premiers temps on est obsédé par la technique, puis par la performance, ensuite par le résultat. Tout cela ne représente que des leurres et des illusions. Il faut parvenir à un état de disponibilité totale à l'autre, à ses actes, à l'univers qui vous entoure. Oublier son corps, oublier sa pensée, oublier sa volonté pour être complètement transparent tout en restant parfaitement présent ici et maintenant.
On n'apprend pas le kata, c'est le kata qui nous apprend.
Deux ou trois tournois ou compétitions annuels permettent de se mesurer, d'évaluer sa progression, de se confronter à la diversité des adversaires et donc d'enrichir son expérience; mais aussi de se rencontrer, de partager. Il ne s'agit nullement d'être meilleur que l'autre, mais de se dépasser soi-même.
En compétition, les combats se déroulent dans la gravité et le silence, juste brisé par les «kiaï», ces cris qui permettent de réguler l'énergie interne. Les maîtres ne disent mot à leurs élèves en compétition, ni encouragements, ni critiques. La compétition est un résultat, l'instantané à un moment précis de l'état d'être d'un élève, la résultante de son travail, le constat de ses efforts, de ses savoirs et de ses capacités. Elle n'est uniquement que la base et l'évaluation du travail à accomplir, dés le lendemain, pour continuer à se perfectionner.
Un vrai maître ne félicite pas plus qu'il ne blâme. Ce sont des attitudes infantilisantes, qui ne permettent pas d'accéder à l'autonomie. Il donne du sens et il encourage pour que le pratiquant continue sa progression.
Un jour où je pestais à la suite d'une technique que je n'arrivais pas à réussir. Mon ami d'Irun et mon maître en iaïdo, Kastor, m'interpella avec un grand sourire: «- Vois-tu Xavier, tu viens de commettre 3 erreurs: tu n'as pu réaliser la technique, ce qui n'a aucune importance, tu as manifesté ta déception, pour quelque chose qui n'a aucune importance, et tu a manqué d'indulgence envers ta propre imperfection, ce qui est de l'orgueil.». Tout était dit! Maintenant quand cela m'arrive, je souris en pensant à Kastor, je prend une bonne goulée d'air frais, je me relaxe et ...je recommence la technique.
Est-il besoin de préciser qu'il suffit de remplacer kata par faena, et pratiquant par torero, pour que l'ensemble des considérations énoncées ci-dessus deviennent complètement cohérentes et pertinentes dans le domaine taurin, et que ce dernier gagnerait considérablement à s'ouvrir à d'autres approches susceptibles d'enrichir ses pratiques?
D'évidence, nous n'en prenons guère le chemin.
Deux exemples, que l'on pourrait multiplier, me viennent à l'esprit.
Je lisais hier dans une reseña: «Sébastien Castella, manifestement a gusto face à son second, noble mais faible, a soulevé l'enthousiasme du bouillant public de Cañaveralejo, à droite d'abord lors de séries complètes, puis à gauche avec moins de continuité par la faute du toro.» (http://puraficion.blogspot.com/2008/12/las-cumbres-de-la-nulidad.html). Cette réflexion, nullement le fait de l'ami Don Pedrito, me paraît le comble et le symptôme des errements actuels. Jamais il ne viendrait à l'idée de quelque senseï digne de ce nom, d'imputer un échec à l'adversaire, en l'occurrence au toro. L'erreur provient toujours du pratiquant, en l'occurrence le torero, qui n'a pas su adapter son toreo au combat en cours. Le toro ne fait jamais d'erreur.
Les modalités du toreo moderne ne s'embarrassent plus du «A cada toro su lidia» des anciens. On préfère modifier le toro, que remettre en cause le torero.
Avec cela, comment voulez-vous progresser et vous perfectionner?
De même, il n'y a rien qui ne m'irrite plus que les jaleos ou les conseils que débitent depuis le burladero, des "Roger Couderc du callejon" à des toreros (parfois confirmés). En compétition, le maître se tait. Pendant une faena le torero doit être seul. La faena est le résultat de son travail, de son entraînement, de ses efforts. Elle est ce qu'elle est. Si le torero a besoin de conseils, d'encouragements, c'est qu'il ne mérite pas le qualificatif de maestro. Il en va de même pour les novilleros. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Il vaut bien mieux faire le point après. Un «debriefing» où l'on porte l'apprenti à évaluer lui-même, avec sincérité et sans complaisance, le travail réalisé. Ce dont on prend conscience par soi-même est infiniment plus profitable qu'un conseil dont on ne saisit pas la portée.
Bien évidemment, ces postures pédagogiques n'impliquent que les protagonistes. Les spectateurs ou les commentateurs demeurent libres de leurs jugements et de leurs réactions. C'est la dure loi de ce qui est, aussi, un spectacle.
La corrida est aujourd'hui malade de la facilité et du renoncement aux contraintes.
Cette maladie trouve sa source dans une dérive continue vers des contingences commerciales qui relèguent l'exigence et l'idéal au rang de l'accessoire.
L'équilibre est rompu, il convient de le rétablir. On aimerait que le surnom de «samouraï» attribué à l'une de nos figura, recouvre une réalité généralisée et non un artifice médiatique...

Xavier KLEIN

samedi 27 décembre 2008

NOËL

J'appartiens définitivement et irrémédiablement au sud.
Le soleil, la lumière, la chaleur, le contraste définissent mes normes.
J'aime les terres arides, ocres et desséchées, les flagrances de garrigues et de terres surchauffées.
J'aime le désert et son horizon sans limites, patrie des saints, des sages et des fous.
J'aime l'eau rare, et la volupté de sa rareté dans l'oasis ou le jardin de l'Alhambra ou du ksar.
Dans une vie antérieure, j'ai dû être bédouin ou touareg.
Dés que les jours s'amenuisent, que la lumière diminue, que la température baisse, en gros ours mal léché, je rentre en période d'hibernation.
Alors, le Père Noël, je m'en tamponne à un point...
Toute cette mythologie de supermarché, le gros con rouge, les caribous, le Tannenbaum (traduction: sapin), la neige et tutti quanti, tout cela ne m'inspire guère.
En sus, c'est l'époque de mon anniversaire. Un an de plus, les os qui grincent, les chairs qui flasquissent, les muscles qui faiblissent, le bigorneau qui marquera bientôt plus souvent 6 heures que midi. Voilà une perspective encourageante et stimulante! Fin décembre pour moi, les plus grosses boules ne sont pas sur le résineux!
Ce qui m'agace le plus dans tout ce bazar, c'est l'importation de rites qui nous étaient étrangers, il y a cinquante ans. Le père Noël, c'est ricain et consorts. Prenez les teutons par exemple: ils ont santa Klaus (saint Nicolas). Les espagnols, peuple civilisé s'il en est, disposent de los reyes magos. Nous aussi, me direz-vous, nous en avons des magos...
Mais il y a mieux dans le genre. Dans la chronique «nous avons essayé pour vous», partons en orient extrême, dans l'empire du soleil levant.
Pour fêter le solstice d'hiver et éviter que les kamis (esprits) de la terre ne s'engourdissent définitivement dans les frimas, on va les taquiner dans leurs tanières.
A grands renforts de taïkos (ou plutôt de wadaïkos: tambours cérémoniels), on extirpe des temples des phallus géants, symboles de fertilité, que l'on promène en procession vers les rizières. Une semana santa shintoiste en quelque sorte, où les pasos sont décorés en l'honneur de sainte Nitouche ou plutôt de sainte Flamberge. Ces «matsuris» (festivals religieux) donnent lieu à une san Fermin débridée (sic), on distribue des zigounettes à tout le monde, les fillettes se gavent de sucettes popauliques. Le saké aidant, les porteurs travestis, complètement torchés, parviennent à la rizière pour un bon bain de boue (debout, impossible vue l'éthylisation des protagonistes).
Et oui, à Noël, le nippon pataponne, nos jaunes amis se déchaînent sur les tatamis et sous les couettes ils se la jouent salaces les asiates.
Ils ne sont pas les seuls, à travers tout l'hémisphère nord, les fêtes et processions phalliques rythment l'hiver de décembre à Carnaval. En Europe, les rites de fertilité ont perduré de Plouguernével dans les Côtes d'Armor où les femmes venaient en procession se frotter au menhir de Ker Alain, à Tyrnavos en Grèce où une grande procession phallique carnavalesque attire toujours des foules.
Le rituel affleure du fond des âges pour apaiser les peurs archaïques, toujours présentes sous le frêle vernis de la civilisation. En dépit de 2000 ans de christianisme, les traces fossilisées de nos origines païennes, et au delà des chamans préhistoriques n'ont jamais été effacées (
http://www.psychanalyse-paris.com/1114-Du-Culte-du-Phallus-chez-les.html). Car l'Homme reste l'Homme (quant à la femme, elle est comme chacun le sait, un homme comme les autres!).
Sommes-nous très éloignés du propos taurin dans tout cela?
Si l'on cause marché, comme d'aucuns, à des années lumières sans doute.
Si l'on reste dans l'humain et que l'on considère la corrida comme un rituel qui s'intéresse au rapport entre l'homme et la nature, ou plus précisément sur le débat entre nature et culture, sur la mise en lumière de questions éternelles de la destinée humaine (tuer, manger, souffrir), alors on peut reconnaître dans la diversité des pratiques humaines, ces points communs qui, des zizis géants japonais aux menhirs celtes, interrogent obstinément notre intelligence.
Les pratiques rituelles sont omniprésentes et, en dépit de tout subsistent désespérément au grand dam des rationalistes ou des adeptes du progrès à tout crin.
Pourquoi? Parce qu'elles sont fonctionnelles et répondent toutes à la nécessité de donner du sens en s'opposant aux peurs individuelles et collectives de l'humanité. Elles acquièrent acuité et puissance proportionnées à celles de la question posée.
C'est pourquoi il ne faut pas croire en la disparition de la tauromachie sous les coups de boutoirs des anti-corridas.
La corrida ne serait qu'un spectacle, qu'une affaire commerciale, qu'une mode, sa fin serait programmée, comme celle de n'importe quel produit.
Mais la corrida n'est pas cela, ou du moins pas que cela, n'en déplaise à ceux qui n'ont que les mots de marché ou de modernité à la bouche.
Si la corrida, comme toute chose humaine, comme les grands empires, doit périr un jour, ce sera par l'intérieur, par la dénaturation qu'on veut lui imposer inconsidérément, sûrement pas par une cause extérieure, véritable miroir aux alouettes.
Elle s'effondrera sur elle même, car vidée de son sens, de sa signification profonde, archaïque, sauvage, brutale et dérangeante.
Noël, fête païenne du solstice et de l'annonce de la renaissance devenue fête chrétienne de la naissance du Messie devrait nous y faire songer. L'Eglise, selon le mot des Pères Apostoliques, «s'est fortifiée du sang de ses martyrs», a grandi et prospéré sous l'outrage. Elle se meurt chez nous, non pas sous les persécutions ou les assauts, mais désertée de l'intérieur, parce que ses paroles ne sont plus comprises ou entendues, ses discours ne font plus sens à nos contemporains.
C'est cette implosion interne qui menace et qu'il faut parer dans nos arènes.
Cela ne dépend pas des «autres». Cela dépend uniquement de nous.
Joyeuses fêtes de Noël et que l'année 2009 vous apporte la joie.


Xavier KLEIN
Pour les masochistes quelques paroles bien senties:
«Car le phallus, comme nous l’avons montré ailleurs, est le signifiant de la perte même que le sujet subit par le morcellement du signifiant, et nulle part la fonction de contrepartie où un objet est entraîné dans la subordination du désir à la dialectique symbolique, n’apparaît de façon plus décisive»
Jacques LACAN «À la mémoire d’Ernst Jones: sur sa théorie du symbolisme», 1959.


dimanche 21 décembre 2008

BAJEZA

«Une sottise ou une infamie en se renforçant d'une autre peut devenir respectable. Collez la peau d'un âne sur un pot de chambre et vous en faites un tambour.»

Gustave Flaubert «Carnets»


Jeudi 18 décembre 2008, on pouvait lire sur Terres Taurines un éditorial signé André VIARD: «Le goût de la vérité». http://www.terrestaurines.com/forum/actus/01-12-08/18-12-082.php
Ce texte donne à lire quelques morceaux choisis d'une élévation à pâmer une carmélite. Que de bons sentiments! Que de célébrations de la vertu et d'un wonderful word dégoulinant de lieux communs aseptisés et consensuels. C'est Disneyland sur Guadalquivir pour les bofs ou les bobos montherlaniens en mal de virilité hemingwayenne.
Morceaux choisis: «
[...] Un idéal complexe qui, chez les aficionados passionnés et bien sûr chez les toreros, débouche souvent sur une véritable éthique de vie en ce sens que les valeurs que l’on recherche dans l’arène, soit pour les partager, soit pour les exprimer, deviennent indissociable de l’existence même. On est torero, et aficionado, dans l’arène et dans la vie. [...]
On peut donc prétendre sans risque qu’il existe un style de vie propre à tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs de la tauromachie, au nombre desquelles, sans que la liste soit limitative, on peut citer: la notion de tradition si décriée lorsqu’on évoque celle des régions taurines, la solidarité face au danger, le dépassement de soi, l’entraide, la persévérance, la loyauté, le respect des règles, le sens des responsabilités, de l’équité et du partage…
Mais aussi le goût de la vérité, à l'opposé de celui du mensonge et de la caricature véhiculés le plus souvent aujourd'hui.
»
Ne sont-ils pas mignons tous ces gentils aficionados communiant oecuméniquement dans la liturgie du toro moderne? On se croirait à Dax après un indulto...
Monsieur VIARD me pardonnera (et s'il ne me pardonne pas je n'en ai cure...) de ne pas me rallier à une vision aussi simpliste et manichéenne qu'infantile de la vie en général et de la tauromachie en particulier. La vie ce n'est pas cela, et la tauromachie non plus. On y trouve, comme ailleurs, tout l'éventail du sublime au pitoyable, des sages aux truands, des altruistes aux francs salauds.
Contrairement au bon Monsieur VIARD, l'arène pour moi est celle du monde, le théâtre des conflits et le lieu allégorique de la subversion. Subversion de la violence, de la mort, de la souffrance, de la sexualité, de la sauvagerie, soigneusement empaquetée dans la soie et les ors. Toutes choses qu'il se refuse à voir et surtout à reconnaître: cela fait mauvais genre dans les medias ou les salons parisiens. Le discours esthétisant passe mieux. Et puis, surtout, c'est peu vendeur ou comme il dit: «Comme plan media on peut rêver mieux
Il paraît «qu'on est torero, et aficionado, dans l’arène et dans la vie». VIARD n'a jamais réussi à être torero, il n'en est resté qu'aux médiocres prémices. De même, il ne sera jamais un aficionado. Cela demande une gratuité à laquelle il a renoncé depuis longtemps pour entrer dans le monde trouble des accessoiristes et des part-prenants. La passion ne se monnaye pas. L'amour ne se salarie pas, sinon son substitut dans les maisons subventionnées et les hôtels borgnes.
Monsieur VIARD professe de bons sentiments mais ne les pratique guère. Il y a comme de l'indécence à lire sous sa plume les mots de solidarité, de dépassement, d'entraide et surtout de loyauté, de respect et d'équité. L'énumération de vertus dont il est dépourvu, et qu'on comprend qu'il fantasme.
La réalité de Monsieur VIARD est infiniment plus délétère et nauséabonde. Derrière les paroles de miel se tapissent les insinuations assassines, les propos calomnieux, les manoeuvres en coulisses. Ne sachant répondre aux arguments, il préfère le poison au duel, l'agression dorsale et sournoise à la confrontation franche et loyale des idées.
Son commentaire du dimanche 21 décembre 2008 (LA MAUVAISE (?) PIOCHE D'ORTHEZ
http://www.terrestaurines.com/forum/actus/actu.php) est un joyau dans l'art complexe et subtil de la saloperie. Il y prend le risque délibéré de porter tort à une plaza, de saboter un projet pour satisfaire sa rancune, régler ses comptes personnels et assouvir une basse vengeance. Ne pouvant m'atteindre, il s'en prend à une équipe, à une ville, à un ganadero. C'est la minable et illusoire revanche du faible et du médiocre.
C'est bas! C'est vil! C'est lamentablement grotesque!
Où sont les grands sentiments? Où est l'objectivité? Où est l'éthique journalistique? Où est le devoir de réserve et de fédération des énergies et de la diversité du prétendu président de l'O.C.T.?
Il ne reste plus que le pitoyable spectacle d'un petit homme, englué dans ses contradictions, qui, après avoir avorté la plupart de ses entreprises, s'efforce indignement, pour avoir le dernier mot, de faire échouer celles des autres.
A titre personnel de tels procédés ne mériteraient que la manifestation la plus éclatante du mépris: le silence. Mais il y a les copains, il y a ma ville, il y a les partenaires avec qui nous travaillons. Pour ceux-là, je m'indigne.
A Orthez, nous ne savons sans doute pas ce qu'est un plan media, sans doute André VIARD eût-il désiré nous renseigner à ce sujet. N'ayant ni les moyens, ni la volonté de le rémunérer, comme bien d'autres, nous faisons avec nos modestes capacités: le dévouement, l'enthousiasme, la créativité, la sincérité, l'honnêteté, l'authenticité.
Et puis André VIARD a déjà eu l'occasion de sévir à Orthez. Comme empresa, il n'y laissa guère de souvenir impérissable. Le public, dont il se réclame a même oublié son nom. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs!
Enfin, avant que d'avancer des calomnies, ou des vérités tronquées, André VIARD serait heureusement inspiré de se renseigner sur les résultats des autres lots d'Adolfo Montesinos. Cela lui éviterait, une fois de plus, de se ridiculiser. En outre, s'il s'était informé correctement (mais n'est pas journaliste qui veut) il aurait appris que la corrida dont il parle a été précédée d'un encierro interminable qui s'est très mal déroulé, les toros restant durant plus d'une demie heure dans les rues et ayant été toréés.


«Quel est l'homme auquel le besoin ne fasse faire des bassesses?»

«Histoire de ma vie» Giovanni CAZANOVA

Xavier KLEIN

PS: Pour l'édification de Monsieur VIARD, pour qu'il puisse à loisir parfaire ses pratiques, une saine lecture: «La calomnie, Monsieur? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville, en s'y prenant bien; et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil; elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?»


«Le Barbier de Séville» Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS

samedi 20 décembre 2008

FERIAS D’ORTHEZ JOURNEE SANTA COLOMA: MONTESINOS et NIEVES

Photos: novillos (toros d'Orthez) d'Adolfo MONTESINOS novembre 2008

Une fois n’est pas coutume, je dérogerai à un nécessaire devoir de réserve en publiant les prochains élevages prévus pour la journée taurine d’Orthez du dimanche 26 juillet 2009. Nul doute que plus d’un s’en réjouira, d’autant plus que nous désirons, par des initiatives diverses et variées oeuvrer à la réhabilitation d’un tercio de varas digne de ce nom. Les cartels de toreros, auxquels nous travaillons d’ores et déjà, ne seront pas «piqués des hannetons»: audace et originalité garanties. A vos plumes pour vos réactions.

Xavier KLEIN


Photos: novillos (toros d'Orthez) d'Adolfo MONTESINOS novembre 2008

La Commission Taurine d’Orthez tient à vous présenter le nom des élevages qui fouleront le sable des arènes du Pesqué lors la temporada 2009.
La Commission Taurine a eu le désir de proposer des ganaderias peu connues voire totalement inédites en France mais susceptibles, par leur origine d’une part et par les caractéristiques de leur comportement d’autre part, de répondre aux attentes des aficionados et du grand public.
De même, les membres de la Commission Taurine ont affiché la volonté de diriger leurs choix vers des encastes minoritaires voire en danger d’extinction à court ou à moyen terme.
C’est donc à une journée entièrement tournée vers l’encaste SANTA COLOMA que vous convie la ville et la Commission taurine d’Orthez qui espèrent vous retrouver nombreux le dimanche 26 juillet 2009.
La traditionnelle novillada du dimanche matin sera cette année piquée et les quatre novillos combattus proviendront de l’élevage de ANGEL NIEVES GARCIA (Asociacion de los Ganaderos de Lidia) localisé à Mayalde dans la province de Zamora. Il s’agit d’une ganaderia d’origine Santa Coloma par l’achat en 2004 d’une petite partie de l’élevage de San Martin connu des aficionados pour avoir tenté de réunir sous un même fer les différentes lignes du sang Santa Coloma.
L’après-midi, les taureaux arboreront la devise, inédite en France, de ADOLFO RODRIGUEZ MONTESINOS (Asociacion de los Ganaderos de Lidia) dont la finca est située à Oropesa dans la province de Tolède. La ganaderia a été créée en 1978 par le désormais célèbre vétérinaire taurin Adolfo Montesinos auteur de nombreux ouvrages sur les taureaux de combat. Ses taureaux sont également d’origine Santa Coloma, le ganadero ayant tenté de constituer un savant amalgame entre les diverses lignées de ce sang (BuendiaCoquillaGraciliano).
Soyons sûrs que les deux ganaderos auront à cœur de réussir au mieux leur présentation face à l’aficion française.
La Commission Taurine d’Orthez


et pour le plaisir, toujours chez Montesinos, la plus belle peau de vache rencontrée cette année.


LIENS UTILES:

http://www.camposyruedos.com/galeries/127/index.html


http://www.camposyruedos.com/texte.php3?t=111


http://www.camposyruedos.com/texte.php3?t=19

vendredi 19 décembre 2008

CRUZ et CROIX

Un nouvel article de Lionel PIEROBON
Voilà c’est fait, la France vient de célébrer le 09 décembre dernier, le 103ème anniversaire de la «loi concernant la séparation des églises et de l’Etat», dite loi de 1905. Comme pour son centenaire, où les élus de la République ont brillé par leur manque d’enthousiasme à ce sujet, cette année non plus la loi ne semble pas avoir intéressé grand monde, si ce n’est les militants laïques déjà convaincus, et bien entendu, les adversaires de celle-ci, qu’ils soient de droite comme de gauche. Car le combat contre les valeurs laïques n’est pas le fait exclusif d’une droite catholique conservatrice, elles dérangent aussi une certaine gauche que l’on retrouve souvent parmi les adversaires de la tauromachie.
Un jour athée, un jour agnostique, suivant l’humeur, mais radicalement laïque, je réfute les dogmes quels qu’ils soient, religieux, philosophiques, sociétaux. Malgré cela, je constate que l’un des symboles de l’un des dogmes auquel je refuse de croire, se montre jusque dans ma passion des toros.
Ce symbole est la croix, la cruz, celle au centre de laquelle le matador doit plonger son épée pour tuer le toro. Il est attesté que l’homme la connaît depuis l’Antiquité, dans des contrées aussi diverses que la Chine, la Crète, mais aussi l’Egypte, et force est de constater que la croix est présente dans la corrida contemporaine, dans sa dimension géométrique ainsi qu’allégorique. D’autant plus que les représentations allégoriques de notre civilisation occidentale sont le plus souvent tirées de la mythologie greco-romaine, et que la tauromachie puise ses origines dans cette époque lointaine.
Intersection entre deux droites coïncidant avec un centre, le centre du cercle, du carré, mais aussi de la rencontre entre l’homme et le toro au moment ultime de la lidia. La croix peut diviser le cercle en quatre segments engendrant ainsi des carrés et triangles. Comme s’accordent à le dire des spécialistes des symboles, de sa simple observation dérive la perception allégorique la plus complexe.
Complexité qui offre de multiples interprétations qu’il serait trop long et fastidieux d’aborder ici, ne voulant donc pas assoupir le lecteur, je m’en tiendrai à une seule représentation.
La croix est un symbole d’orientation, qui va des quatre points cardinaux aux différents niveaux d’existence de l’homme. La cruz qui m’intéresse dans l’art de Cuchares, est une orientation pour le torero dans sa trajectoire lorsqu’il porte l’estocade puisqu’elle est la cible qu’il vise, mais aussi une orientation symbolique dans son niveau d’existence en qualité de matador.
Pour les anti-taurins, auxquels échappe la dimension justement symbolique de notre passion, et malheureusement, pour une partie de ceux qui se prétendent aficionados en croyant que s’identifier à ce vocable ne consiste qu’à regarder une corrida, le niveau d’existence du torero ne peut être palpable. Pourtant, il est intéressant d’essayer de percevoir les différentes orientations de l’état, de l’existence du matador, que représente symboliquement la cruz visée.
Cela passe par trois phases. Encore le trois que l’on retrouve si souvent en tauromachie. Trois phases symboliques de la croix, qui se retrouvent dans la décomposition en trois temps de la suerte suprême.
Afin de garder l’ordre établit par les spécialistes, l’orientation symbolique que figure la croix dans le niveau de l’existence, débute par l’orientation du sujet animal par rapport à lui-même. Il est dit qu’elle se retrouve au sein du monde terrestre immanent. Il faut l’entendre à mon humble avis, dans sa définition de ce qui est contenu dans un être, en l’occurrence la partie animale dont résulte la nature même du torero. Bien entendu, la seconde définition philosophique qui accepte ce qui relève du caractère de l’expérience, peut être aussi considérée comme part immanente dans le sujet qui nous intéresse. Il semble toutefois plus juste de définir en premier ordre la partie animale du torero, qui le pousse à combattre, puis à tuer. L’animalité du torero vis à vis de lui-même, est figuré lors de l’entrée à matar. Prédateur comme toutes les espèces vivantes mais aussi combattant, il démontre ainsi volontairement tout son côté animal, doucement, à l’affût du moindre mouvement du bicho, il se met en position afin de porter le coup ultime.
Dans l’ordre de l’orientation de l’état de l’existence, la croix représente aussi l’orientation spatiale vis à vis des points cardinaux. Avec cette fonctionnalité de mesure, elle permet dans la tauromachie d’appréhender la distance qui sépare le matador de sa cible. Comme dans certaines représentations ou se joignent le ciel et la terre en la croix, la cruz où est portée l’estocade est le point de jonction entre le temps et l’espace. Le temps mesuré en distance à parcourir par l’homme afin d’atteindre son objectif, l’espace représenté par l’intervalle où la lame s’enfonce.
L’intersection des branches de la croix, marque les carrefours des points cardinaux mais aussi ceux des lieux de cultes, des artères citadines. A l’identique, l’intersection des branches de la cruz représentées mentalement, marque le carrefour des vies. De celle qui s’arrête pour le toro, mais aussi et l’histoire taurine le démontre, de celle qui peut s’arrêter pour le torero lorsqu’il bascule avec la lame sur la pointe des cornes.
Au point central de la croix, s’élève souvent des autels sous diverses formes, lieux de rassemblements et de diffusions des messages. Sur le point central sur la cruz, pas d’élévation d’autel, mais la diffusion du point de départ de l’une des Vérités, à savoir celle de savoir ce qu’il y a après la mort.
Enfin la troisième perception est l’orientation temporelle en rapport aux points cardinaux célestes. L’on peut y voir l’articulation avec l’axe de rotation de la planète, figuré par les pôles nord et sud. A contrario de l’orientation animale de l’existence, qui amène sur le plan immanent, cette troisième perception pose la symbolique de la croix se situant pour les spécialistes sur l’aspect transcendant, plus exactement sur le supra-temporel transcendant. L’on retrouve alors ici toute la dimension religieuse de la croix, celle dont s’est appropriée l’iconographie chrétienne pour signifier le supplice du Christ.
Il est intéressant de noter qu’en tauromachie, la cruz aurait très bien pu être remplacée par un point, un petit cercle et donc nommée différemment. Ce qui aurait très bien été en adéquation avec la représentation qui est communément faite pour désigner une cible. Car il faut garder présent à l’esprit qu’au moment précis de l’estocade, le toro est une cible, comme dans tout combat. Et l’on ne peut nier le fait du combat, puisque suite à la lecture du livre de Francis Wolf, les aficionados se gargarisent à tout va de nos jours pour affirmer comme le philosophe que le toro doit être combattu et non abattu. Affirmation à laquelle je souscris. Pour l’anecdote, «le Popelin» désigne la cruz à l’intérieur d’un cercle. La croix, et donc la cruz, pointe une position comme le font les mathématiciens, géographes, géologues et architectes. Certes le torero est un peu tout cela à la fois. Mathématicien qui calcule les distances dans la lidia, géographe pour la connaissance qu’il est censé posséder des terrains, peut être géologue s'il lui vient l’envie d’étudier la composition du sable du ruedo, mais surtout architecte de son combat. Il est alors certain que l’on peut traduire l’attribution du symbole de la cruz au point de rencontre de l’estocade, par la signification de la position idéale de l’épée. Mais devant les différents facteurs qui rendent l’estocade compliquée et difficile, la symbolisation d’une cible aurait été semble-t-il plus adéquate.
Même si la cible intègre la notion d’une recherche de parfaire le geste, en offrant la possibilité de se rapprocher de son centre, la figuration d’une croix, d’une cruz, paraît être plus parlante au simple mortel. La représentation de la cruz signifie donc plus communément dans l’esprit collectif une recherche de perfection du positionnement de la lame, mais aussi, consciemment ou bien inconsciemment, elle apporte le témoignage symbolique d’une recherche de perfectibilité humaine.


Lionel PIEROBON

jeudi 18 décembre 2008

EMPRESAS, LA COURSE A L'ECHALOTE

Faut-il s'étonner de l'intérêt tout particulier que certains affichent pour le résultat des adjudications en cours dans nombre de plazas françaises du sud-ouest?
De part et d'autres les grandes manoeuvres sont engagées, on engage l'artillerie, on fait donner la garde pour colmater les brèches, on forfante, on macchiavélise au petit pied, on spadassine à tout va. Les grands fauves sont lâchés, les chiens courants aussi.
On ne voit pas que la blogosphère réellement aficionada se passionne réellement pour ces démêlés qui procéderaient avant tout de l'anecdote, du chiste, ou du feuilleton de Dallas sur Nive ou sur Midouze, s'ils ne supposaient des conséquences fâcheuses.
Peut-être y a t-il là toute la différence entre l'aficion, la vraie, et les tenants du «complexe médiatico-taurin», entre ceux qui pensent toros, et ceux qui en profitent.
Que peut nous importer vraiment que Simon Jalabert triomphe d’Oscar Casas ou de Marie Sarah Chopera? Ces gens là ne donnent pas dans la philanthropie militante, la tauromachie est le paravent de leur industrie. L'objet véritable de leur convoitise ce sont avant tout les profits qu'on peut en retirer. Affirmant cela, je ne sous entend aucun jugement de valeur, aucune condamnation des intéressés, je rappelle seulement une vérité indéniable sur une profession par ailleurs respectable.
Ces imbroglios en tout genres ont toutefois le mérite de dévoiler clairement les intérêts souterrains, longtemps camouflés, de certains commentateurs polymorphes, qui confirment clairement qu'ils ne se sont jamais contentés d'observer.
Le week-end dernier, se tenaient les assises de l'U.V.T.F. en la bonne et belle cité d'Arles. Hors les débats convenus -mais cette auguste assemblée n'a jamais fait figure de dangereux nid de révolutionnaires- on y put faire des rencontres chaleureuses et enrichissantes.
Deux conversations furent particulièrement éclairantes.
Questionné sur les raisons qui peuvent conduire les élus d'une grande ville taurine provençale à concéder une plaza renommée et d'évidence rentable à une empresa privée, un magistrat municipal répondit en termes politiques et financiers.
Politiques du fait qu'il s'agissait pour les édiles de mettre fin à une confusion excessive entre une activité taurine, somme tout marginale dans le destin économique d'une ville, et la gestion globale de la cité. Le mariage de la furor taurina et l'incandescence du tempérament méridional marginalisaient des problèmes futiles comme la politique culturelle, les enjeux sociaux, le logement ou l'économie au profit des disputes taurines, entretenues par une nébuleuse de peñas et clubs en tous genres, où chacun prêche pour sa chapelle, sa tauromachie, son grand homme. En outre, les élus étaient soumis à des pressions constantes et intolérables pour prendre fait et cause dans des débats très éloignés de leurs mandats et de leurs attributions.
Financiers, car l'aficionado n'en étant pas moins homme, le budget municipal pâtissait fortement du déficit généré par une gestion disons approximative et trop impliquée dans l'humain. Désormais, les arènes rapportent, alors qu'elles coûtaient.
La deuxième conversation fût des plus éprouvante. Honteusement retenus en otage par deux terribles activistes ayatollesques de Campos y Ruedos, soumis à la question par l'ingestion répétée de breuvages locaux (dont un délicieux Crozes Hermitage si je me souviens bien), traînés en place publique devant un amphithéâtre antique et néanmoins illuminé, rien ne nous fût épargné.
L'évangélisation des terres lointaines comporte des risques et nous étions résolus au martyre pour tenter d'apporter quelques lumières aux peuplades indigènes plongées dans l'erreur.
Ainsi nous nous efforçâmes d'évoquer les efforts de la Commission Taurine d'Orthez, cité petite par la taille mais grande par les espérances, pour accéder à un mode de gestion directe qui fasse fi des grands monopoles.
Quelle ne fût pas la stupéfaction des sympathiques autochtones devant tant d'audace et de témérité: il y a t-il une vie possible sans Chopera, Casas et consorts? Il nous fallut bien des efforts pour persuader ces idolâtres que la voie de la rédemption bien qu'étroite et périlleuse reste praticable pour les tenants de la Vraie Foi.
Aujourd'hui, nous pouvons le confirmer, les décisions ont été prises, les arbitrages rendus, Orthez gérera ses activités taurines de manière autonome, seules certaines procédures trop techniques et complexes feront l’objet d’un mandat.
Il n'est pas question ici d'en faire la réclame. Seulement de confirmer qu'il existe d'autres destins possibles que de s'en remettre aux grandes empresas.
Deux cas de figures se présentent en général:
* Celui des grandes plazas qui mobilisent des budgets importants. Ces cités de traditions taurines ne manquent pas des ressources humaines compétentes qui pourraient oeuvrer à l'élaboration des cartels. Elles peuvent également affecter du personnel à la mise en oeuvre pratique des choix retenus et à l'aboutissement des procédures complexes ci-dessus évoquées. Cela crée des emplois locaux, cela permet de savoir ce que l'on paie et à qui on le paie. Enfin, et cela ne constitue pas le moindre des avantages, cela donne un pouvoir et une indépendance insoupçonnés au donneur d'ordre. Un ganadero devient tributaire de ce dernier et non d'une empresa qui a d'autres intérêts et d'autres préoccupations. Il en va de même, dans une moindre mesure, pour les toreros. Comme l'évoque le dicton: c'est celui qui paye qui commande!
* Celui des petites arènes qui organisent un nombre limité de spectacles. Tout le travail repose alors sur une équipe motivée et soudée, et sur des services municipaux qui doivent effectuer la dizaine de démarches indispensables au montage d'une corrida. Il ne faut ménager ni son temps, ni sa peine, mais le résultat en vaut la peine: une économie substantielle de 8 à 20% qui peut éviter le déficit, et surtout l'accès au libre choix.
Comme toujours, le principal obstacle à la généralisation des gestions directes, comme le principal obstacle à tout processus d'émancipation, c'est la peur, une peur fondée sur le fantasme et l'ignorance savamment entretenue par les réseaux appointés. Marcher seul représente une prise de risque, un pas vers l'inconnu qui effraie. C'est une éternelle et universelle répétition depuis le mythe de la caverne de Platon.
Maîtriser les informations, les données, suppose des savoirs, des savoirs faire qu'il est ardu d'acquérir, car la loi du silence s'impose et que ceux qui les détiennent n'ont aucun intérêt à les partager, bien au contraire.
La liberté, la dignité, l'indépendance ont un prix. Elles sont également un enjeu. Un enjeu qui ne concerne pas qu'Orthez. Rompre avec les diktats d'un système taurin dont on sait l'opacité, les pratiques malsaines, les compromissions douteuses représente un espoir pour une autre tauromachie plus sincère et authentique.
La gestion directe ne saurait incarner la panacée. Il y a sans doute le revers de la médaille. L'exemple en la matière nous vient de Dax, dont en dépit des critiques, on ne dira jamais assez que parmi les grandes plazas de France, d'Espagne et de Navarre, elle demeure la seule à se gouverner librement. Dax, qui ne cotise pas au racket empresorial connaît un succès dont rêvent bien des plazas voisines, et plus lointaines...
Dax nous montre aussi que l'exigence de rentabilité, la dictature du public moderne imposent des accommodements bien contestables.
Sans doute le noeud du problème réside t-il ailleurs, dans la formation, ou la déformation, c'est selon, des goûts des spectateurs par le travail de sape des revisteros complices. Le fameux article phare de Dubos sur les ayatollahs devrait nous éclairer à ce sujet.
Il serait nécessaire, vital même, d'en prendre conscience et d'explorer les voies d'une information et d'une pédagogie émancipées des tutelles commerciales et des intérêts du mundillo.
Y sommes-nous résolus?



Xavier KLEIN

vendredi 12 décembre 2008

Les TROLLS

Remise du prix Genova
«Nous vivons une époque moderne, le progrès fait rage»
Philippe Meyer

On est parfois sauvé par ses enfants.
Savez-vous ce qu'est un «troll»?
J'aurais pu mourir stupide, mais une récente conversation autour de la soupière familiale m'a récemment préservé d'une irrémédiable perdition corps et biens.
Je survivrai car désormais je sais ce qu'est un troll.
Néologisme né avec internet et les blogs, il qualifie sur un espace de discussion, un utilisateur qui cherche à créer une polémique en provoquant les participants par des messages provocants, insultants et souvent répétitifs sur des forums de discussion, pour susciter la colère des autres internautes.
Par extension, c'est aussi un message dont le caractère est susceptible de générer des polémiques ou est excessivement provocateur, sans chercher à être constructif.
Le mot «troll» peut également faire référence à un débat conflictuel dans sa globalité. Le terme «troll» provient, paraît-il, de l’expression trolling ou pêche à la traîne (ligne munie d’hameçons).
En bon français pour nos amis pécheurs, réticents à l'envahissement linguistique anglo-saxon, on parlerait de palangre, palangrotte ou palangreur.
Enfin, qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse!
La conversation familiale n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd et m'a ouvert quelques perspectives.
La saison hivernale laissant quelques repos coté cornus, il serait séant de s'activer utilement dans la chasse aux nuisibles et de lancer une grande battue aux trolls en tous genres. Et il n'en manque pas!
Car disons le tout go, sur le toronet, le troll croît, copule, se multiplie et pullule.
Le sujet est tellement vaste, la trollerie tellement établie qu'il nous faudra sans doute plusieurs mois pour l'épuiser. Des années peut-être, tant les mutations génétiques au gré des circonstances ou des opportunités affectent les trolls dans leurs discours, comme dans leurs manifestations.
Les trolls taurins ont leurs thèmes, leurs habitudes, leur baragouin bien spécifiques et éprouvés. En l’occurrence, ils se caractérisent par un manque total d’originalité et de créativité. D’aventure, un troll un peu mieux luné que les autres, dans l’euphorie d’une érection matinale ou suite à un pétard plus tassé qu’à l’ordinaire, accouche d’une idée lumineuse (ou imaginée telle). Dans la foulée, le chœur des trolls taurin reprend l’antienne à l’unisson. En effet le troll est par nature grégaire et suiveur. L’esprit critique, l’analyse, l’élévation du débat ne font guère son ordinaire. Il goûte les lieux communs, les idées reçues, les expressions toutes faites, le prêt-à-penser (qui les dispense de faire l'effort eux-mêmes), et se fait l'écho (du callejon?) de tous les poncifs poussiéreux et éculés. En résumé, le troll taurin est au débat taurin, ce que le bof est à la discussion de comptoir du Café du Commerce.
Les copains de Campos y Ruedos entament la retransmission en différé d'un dico taurin des plus savoureux, attaquons nous à la traduction de la sémantique trollique.
Ayatollah, آیت‌الله en persan peut se traduire par «signe de Dieu». C'est un haut dignitaire du clergé chiite, renommé pour sa sagesse, sa connaissance des textes et la pertinence de ses interprétations des écritures saintes de l'Islam.
Ayatollah pourrait donc être l'équivalent d'un évêque dans le monde chrétien. A la différence notable qu'un évêque est désigné par le Pape, alors qu'un ayatollah est «reconnu» par l'Oumma, c'est à dire la communauté des croyants. Faut-il être troll pour traiter quelqu'un d'évêque!
En outre, par delà des relents xénophobes peu ragoûtants, le ou les trolls qui ont usé de ce qu'ils tenaient comme un quolibet, affichent sans pudeur une inculture et une méconnaissance abyssales de ce dont ils prétendent parler. En effet, en Iran, nombre d'ayatollahs ont été pourchassés, persécutés, tués, emprisonnés pour s'être levés contre le fanatisme religieux de Khomeni et consorts.
L'ayatollah Hossein Ali Montazeri , par exemple (photo) est pourtant aujourd'hui, le principal dissident en Iran. Il a été placé en résidence surveillée entre 1997 et 2003 pour avoir critiqué le Guide Suprême et pour avoir plaidé en faveur de la séparation de la religion et de la politique. Il en va de même pour feu l'ayatollah Abou al-Qassem Moustafavi Kachani qui s'est battu pour l'émancipation de la tutelle coloniale anglaise et pour la nationalisation du pétrole sous le régime de Mohammad Mossadegh dans les années 50.
«Les ayatollahs ne sont pas ceux qu'on croie» ou «ce qu'on croie». On aimerait qu'en tauromachie, des autorités incontestées, cultivées, sages et reconnues se lèvent tels des ayatollahs (dans la vraie acception du terme) pour incarner une certaine authenticité, pour défendre les vrais fondamentaux, pour rappeler les vérités essentielles.
Il n'en est rien et seuls demeurent les imprécateurs qui substituent la caricature ou même l'injure à l'argumentation et à l'exercice de la pensée. Leur insignifiance devrait leur servir de paravent, mais comme le rappelait le maître Audiard: «Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît...».
Et puis qui est le pire ennemi connu des ayatollahs sinon un certain Georges W. BUSH? A tout prendre, on préfère encore le turban.

Xavier KLEIN


LECTURES CONSEILLEES
«De plus en plus, nos importations viennent de l'étranger.»
«Notre nation doit s'unifier pour se réunir»
«Nous sommes prêts pour tout événement imprévu qui pourrait ne pas se produire.»

Tiré des «Pensées» de G.W. BUSH

et bien sûr l'incontournable bible trollique: http://www.echoducallejon.com/article.php?id=4816

HANDICAP ET TAUROMACHIE

Lionel PIEROBON, qui intervient souvent sur le blog, nous fait la gentillesse d'écrire ce texte, suivi sans doute de bien d'autres. Une approche originale...

Je suis arrivé un peu par hasard à la lecture d’un article sur un site anti-taurin, dont le signataire ne vaut même pas la peine que l’on relève son nom. Dans son texte, l’auteur en arrive à la conclusion nauséabonde que le toro est un handicapé mental. Travaillant auprès de personnes handicapées et déficientes intellectuelles avec ou sans troubles associés, comparer de la sorte un animal et des personnes, m’a entre autres fait songer à une époque pas si lointaine où ces personnes n’étaient justement pas considérées comme telles. Au delà de cette comparaison inqualifiable, essayant de pousser la réflexion un peu plus loin que l’auteur de l’article en question -et je n’ai pas eu à forcer-, la notion de handicap m’est apparue dans la tauromachie. Mais la définition première du handicap mérite toutefois d’être ici précisée.
Le handicap provient d’une expression anglaise hand in cap, qui peut être traduite par «la main dans le chapeau». A l’origine, il s’agissait de jeux de hasards où les joueurs enfouissaient leurs mises dans un couvre-chef. Déviant dans le domaine sportif, l’expression fût notamment appliquée aux courses de chevaux, se traduisant par une volonté égalitaire en donnant les mêmes chances à tous les concurrents, en imposant des difficultés supplémentaires aux meilleurs d’entre eux. Un britannique, encore un, Philip Wood, a développé la définition du handicap. Il désigna ce dernier comme un désavantage dont souffre une personne afin d’être perçue dans une attribution sociale normale. Désavantage causé par des lésions temporaires comme définitives. Mettant en avant l’aspect fonctionnel au détriment de l’aspect social, cette définition a fait couler beaucoup d’encre.
En France, la loi du 11 février 2005 dénommée loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, définit la notion de handicap comme une limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société associée à une altération durable ou bien définitive d’une ou plusieurs fonctions.
Mais la tauromachie dans tout cela? Au delà du fait qu’un anti-taurin compare un animal, le toro bravo, à une personne, de surcroît handicapée, force est de constater que notre passion est aussi composée d’une notion de handicap. Le handicap d’officier en plein air, de ne pas avoir un mais des types de toros, de mettre en suerte pour piquer ou bien de tuer le toro, de voir le comportement du bicho changer pendant la lidia. Certains acceptent ces facteurs handicapants, car pour eux ils font partie intégrante de la corrida, et demandent une application stricte des canons tauromachiques afin qu’il soit surmontés. D’autres en profitent pour vouloir les gommer, et en attendant, s’en servent pour y trouver des excuses.
L’histoire taurine a toujours témoigné des différents handicaps taurins, et parmi ceux qui les acceptèrent tout en voulant les surmonter, l’on trouve des personnalités comme Luis Mazzantini qui réduisit les tricheries dans l’attribution des lots, en imposant le sorteo. Il y eût également Josélito, dont la carrière démontre un fort désir d’être torero, et donc d’accepter tous les handicaps que pouvaient présenter les différents élevages qu’il affrontait. Mais aussi Belmonte, qui, pour être torero, a surmonté un certain handicap physique qui a abouti à ce que l’on sait pour le toreo.
Autant divers handicaps peuvent servir à affirmer son tempérament et aider à progresser, autant le handicap peut devenir un prétexte afin de justifier l’échec. La faiblesse ou le genio de bovidés par exemple, mais aussi de plus en plus récurrents dans les commentaires, les éléments comme la pluie et le vent, sont des facteurs handicapants souvent pris en compte par l’entourage de certains toreros, des toreros eux-mêmes, ainsi que par les revisteros. Au point que dans un monde ou tout tend à être allégé, du trapio à la puya, mais aussi la mort avec «l’indultoïte» aiguë qui frappe aux portes des arènes, l’on se demande si un nouveau paramètre dans la graduation des pratiques tauromachiques ne va pas un jour être créé.
L’on nous propose déjà des réponses afin d’amoindrir puis un jour peut être de supprimer quelques handicaps, ou pour répondre aux faits handicapants que constituent les facteurs climatiques. Peut être verra t-on émerger dans le règlement taurin, la prise en compte d’un «Indice Climatique Minimal». Ceci afin que la corrida soit interrompue lorsque toute pluie (même un crachin nantais), toute manifestation d’Eole (le moindre souffle de Sers), ou même une trop forte chaleur qui pourrait gêner le torero dans l’amplitude de ses mouvements (car la transpiration n’est pas compatible avec une expression corporelle aisée), se présente avant ou pendant la lidia. Ainsi le torero bénéficierait-il d’un maximum de chance de triompher lors de la course. Les exigences d’un public ravi d’assister au triomphe quasi assuré, seraient prises en comptes, et cela additionnerait le possible handicap physique causé par les éléments, à la notion du handicap sociétal qui est représenté par un public n’ayant pas assisté à une corrida au nombre conséquent d’appendices coupés. Ces deux types de handicaps gommés, la corrida trouverait ainsi une petite part de «normalité».
Ce désir de normalité représenté par la normalité d’un spectacle tauromachique où une certaine forme de succès doit être au rendez-vous, à savoir celui de l’homme avant tout, n’est pas sans faire songer à la recherche de normalité à tout prix. La société refuse de voir le handicap, non en le cachant contrairement à ce que l’on croit communément, mais en voulant «insérer» à tout va des personnes handicapées dans le milieu ordinaire du travail, des enfants handicapés à l’école, sans donner les moyens de les accompagner comme cela peut se faire dans les structures spécialisées. Ainsi plongées dans le moule collectif sociétal, les difficultés individuelles ne seront plus perçues, la société ne prêtera guère attention à ces personnes livrées à elles mêmes ou bien à des associations à connotations religieuses voire aux penchants communautaristes, faites par et pour des personnes handicapées qui souvent dans leurs propos en veulent à l’ensemble des valides.
Une certaine frange du mundillo désire gommer toute perception du handicap que peut présenter le fait de combattre le toro bravo. Ceci afin d’accéder à un brevet de respectabilité de nos détracteurs, de devenir fréquentables aux yeux de la société chlorophyllée qui étend tous les jours un peu plus ses ramifications, et surtout pour se faire du fric. Ainsi débarrassé de ses handicaps, le «taurinement correct» pourrait diriger ses actions vers la mise en place de prestations tauromachiques, où seuls les gens bien pensants seraient admis.
Si comme pour les personnes handicapées, la tauromachie sombrait dans cette dérive de ne plus accepter tout type de handicap, de chercher à les amenuiser, cela n’équivaudrait à terme qu’à orienter la tauromachie vers une dérive communautariste où seule une certaine forme de vision de l’art de Cuchares aurait droit de s’exprimer. La conception «combative» qui suppose que les canons taurins soient un tant soit peu respectés, mais aussi quelques acteurs du web, seraient appelés à disparaître, et l’ANDA ne serait malheureusement que la première d’une longue liste. Livrée aux pseudos gardiens du temple, la corrida n’aurait plus qu’à tranquillement devenir celle imaginée par François Capelier dans sa nouvelle «An 25 de l’Ampire»(1).
Pourtant, cette notion de handicap peut être valorisée. Sans aller jusqu’à prétendre que les personnes handicapées doivent jouir d’un préjugé a priori favorable, que le handicap représente une opportunité (j’ai connu une jeune croyante d’une vingtaine d’années qui voulait avoir 7 enfants et adopter 3 trisomiques car c’est tellement beau disait-elle!), sans verser dans l’angélisme, je dois avouer que travailler auprès de personnes atteintes d’un handicap apporte bien des satisfactions.
Dans le domaine taurin, voir un matador affronter les difficultés causées par le bovidé, tout faire pour en venir à bout, mais aussi s’adapter aux paramètres handicapants des éléments, ne peut que forcer le respect et faire réfléchir sur les capacités humaines devant l’épreuve. C’est du moins mon sentiment, et je n’arrive pas à comprendre le plaisir que peuvent prendre certains sur les étagères, à voir passer inlassablement des toros qui n’opposent aucunes difficultés. Malgré cela, l’on veut gommer toute forme d’aspérités, après l’éventuelle modification du tercio de varas qui fait actuellement débat, l’on voit poindre une mode à vouloir supprimer le handicap de la suerte suprême, en indultant le moindre toro accroché à la muleta comme la bernique sur le rocher.
La tauromachie est construite de handicaps, comme l’est la vie. Il faut l’accepter, comme peuvent le faire avec plus ou moins de difficultés les personnes handicapées elles-mêmes (clin d’œil à ma nièce avec sa quasi surdité).
La société veut gommer toute forme de difficultés, de douleurs. Comme elle s’efforce de le faire avec la mort (2). Le handicap tend à être visiblement supprimé en donnant l’illusion d’une intégration. La tauromachie participe de cette dérive, pour donner une relative bonne conscience sociale à une catégorie d’aficionados, pour qui il faudrait que la corrida s’intègre dans un paysage formaté.
Lionel PIEROBON

(1) «An 25 de l’Ampire», édité dans le recueil de nouvelles Pasiphae (prix Hemingway 2006), aux éditions Le Diable Vauvert.
(2) Pour tout complément, lire l’article sur «Les rites positifs» sur la page du site de la FSTF (http://www.torofstf.com/pagesinvites/241108pierobon.html)

vendredi 5 décembre 2008

APODERADOS

«Celui qui n'a pas subi les sévérités d'un maître subira les sévérités de la vie»
«Le Verger» Saadi
«Un bon maître a ce souci constant: enseigner à se passer de lui»
«Journal» André Gide


Je n'ai jamais cessé de m'interroger sur la fascination qu'exerçait sur bon nombre d'aficionados, de chroniqueurs, ou de têtes pensantes (le mot est sans doute mal choisi) du mundillo, la «valse des apoderados».
Un des spécimens d'humanoïde les plus distrayants à rencontrer sur la planète des toros, ce sont ces manières de gothas ambulants qui jouissent d'un sentiment de supériorité à pouvoir dans un titanesque effort de mémorisation qu'ils pensent indépassables, vous citer qui est avec qui, qui a changé, pourquoi, à quelles conditions, etc.
La mémoire et la compilation se substituant à l'intelligence ou à l'analyse, témoignent d'une activité neuronale certes, mais l'empilement d'informations, surtout lorsqu’elles sont dérisoires fait les bons ordinateurs et les braves imbéciles.
On les reconnaît le plus souvent à leur cri de guerre: «Tu l'as su?» et le moment le plus croustillant de leur commerce s'accomplit dans le regard triomphateur, nettement méprisant et vaguement réprobateur qu'ils se croient obligés de vous asséner quand «- Vous ne le sûtes pas». Y a t-il plus grande volupté en ce bas monde que de laisser à un con le sentiment illusoire de sa victoire et de sa supériorité?
En ce qui me concerne, je n'ai jamais trouvé quelque intérêt à savoir si telle ou telle figura était avec Machinito, Trucmucho ou la «Casa Jamonera».
Tout au plus le volume des «flux commerciaux» indique t-il que ça grenouille dur dans le merdier, ce qui peut être un bon indicateur du climat actuel des marchés taurins.
En règle générale, qu'est-ce qu'un apoderado?
Le dictionnaire espagnol nous indique: «Persona que tiene poder o permiso de otra para representarla y actuar en su nombre.
sinónimos: encargado de negocios, delegado, mandatario, representante, comisionado, administrador, poderhabiente, tutor, manager». Est-il besoin de traduire?
La définition nous renseigne sur l'acception juridico-financière du terme et tourne autour de la notion d'un PODER, d'un pouvoir délégué.
Peut-être trouvons-nous là l'explication de l'intérêt monomaniaque des cons susnommés: le POUVOIR, objet de leur récurrente fascination? Non pas quelqu'un qui vous apprenne le pouvoir, mais quelqu'un à qui vous le déléguez. L'apoderado est de fait, quelqu'un à qui on s’en remet pour prendre des décision ou des responsabilités à votre place ou pour vous représenter.
Dans le domaine des arts, il y eût au fil des âges, de ces guides, de ces mécènes, de ces directeurs de galerie, de ces éditeurs qui savaient avec finesse et empathie, guider l'artiste, l'orienter, le porter à se dépasser, lui éviter les impasses, le ragaillardir dans la déprime.
Pour ce faire, il fallait des qualités exceptionnelles d'intelligence, de psychologie et d'une vertu qu'on a malheureusement enterrée, le discernement.
En fait, il fallait ce qu'on appelle un Maître, ou sous d'autres cieux, un senseï ou un gourou. Le problème, c'est que depuis la Renaissance, on n'a cessé dans notre bonne vieille Europe, de combattre les Maîtres et de les dévaloriser. Ce lent mouvement d'usure s'est accentué avec les Lumières, s'est accéléré avec la Révolution Française, a triomphé avec l'industrialisation et s'est achevé avec Mai 68 où l'on a renversé les estrades en Sorbonne au nom de la démocratisation, de l'interdiction de l'interdiction, et du jouissez sans entraves.
Qu'on me comprenne bien, je ne suis pas de ces réactionnaires qui font actuellement le procès très tendance du joli mois de mai ou des épisodes révolutionnaires de notre évolution. Mais, en historien qui s'efforce de ne pas porter un regard moral, je constate simplement que les progrès portent leurs contraires, et que comme l'aurait dit Maître Dac: «L'air frais et vivifiant de 68 a emporté le bébé avec l'eau du bain.».
Il n'aura échappé à personne, qu'avant 68, on faisait «ses humanités». Et là est toute l'affaire, car le mot humanité disparaît complètement d'une instruction qui, en dépit d'un dernier vernis, ne vise plus qu'à l'utilitaire et à l'économiquement rentable.
Je m'entretenais hier avec un jeune novillero qui envisage de passer son alternative. Ce jeune homme intelligent, sensible et motivé me téléphone toutes les semaines pour me rendre dépositaire de ses doutes et de son désarroi. Il est conscient de ses manques, de ses imperfections tant techniques que morales ou psychologiques. Où apprendre? A qui remettre sa confiance? Qui peut, avec sagesse, compétence et désintéressement le guider, le conseiller, l'enseigner? C'était à pleurer.
La transmission du savoir, c'est le rôle des Maîtres. Dans toutes les civilisations traditionnelles, l'élève donne sa confiance et paye avec sa volonté pour mériter l'enseignement. Dans les arts martiaux, un Maître accepte son élève en fonction, non de ses aptitudes, mais de sa motivation. Les récits nombreux font état de ces aspirants qui sont restés prosternés 3, 4 jours, une semaine dans la neige dans l'espoir que la porte du dojo s'ouvre et qu'ils y soient admis. Les vieux maîtres n'agissaient pas ainsi par mépris, ou par inhumanité, mais pour évaluer le degré de motivation et la force d'âme du candidat.
Par la suite, le maître porte l'élève à se trouver, il est l'accoucheur de conscience qui enseigne: «Deviens ce que tu es». L'élève, en plusieurs années devient lui même un maître. Parfois un «petit maître», rarement un «grand maître», le plus souvent il retourne à la vie, enrichi de son cheminement. Mais nul n'est laissé à lui-même, à moins qu'il ne l'ait voulu.
Rien de ce genre dans le mundillo moderne. On prend un jeune homme qui paraît doué, on l'exploite, on le pressure, on le flatte, on lui évite soigneusement les observations ou les remarques qui pourraient le faire progresser. Mieux, on le maintient dans la dépendance et la tutelle. On le satisfait de triomphes à bon marché, de trophées faciles et vains. En France, on lui garantit un marché clôt, en faisant jouer la franchouillarderie, le réflexe «de la tierra», les connivences. On lui réserve les lots faciles, ceux où il pourra triompher à bon compte, réciter sa leçon, réaliser ses rêves de faenas dérisoires. En un mot on le découple de la réalité impitoyable d’un métier écrasant, de la compétition terrible, des exigences du combat. Un toro le met-il en échec? Il ne peut qu’être décasté! Une critique vient-elle à poindre? Ce sont des malfaisants, des ignorants ou mieux des ayatollahs!
Un apprenti devient non pas un espoir mais un investissement financier qu'il convient de gérer au mieux et de faire fructifier à bon compte et à court terme; un produit périssable à durée de vie limitée et date de péremption incertaine. Qu’importe qu’il faillisse, d’autres le remplaceront! On ne considère pas le jeune humain en devenir, l’homme qu’il convient d’éduquer, mais le talent qui rapporte, le profit possible, la gloire prévisible, modelés dans la sueur, le sang et la peur de l’arène, dans l’éphémère illusion de succès sans lendemains.
Combien se sont noyés, combien se sont irrémédiablement perdus dans la jungle du mundillo, égarés par de mauvais guides préoccupés de leurs intérêts plus que de ceux de leurs pupilles? Nous connaissons tous de ces pauvres hères dont les rêves déchus gisent, brisés, dans l’oisiveté, l’alcool ou la drogue, qui ne se sont jamais résolus à un échec auquel on ne les avait pas préparés, au contraire.
Former un torero ce n’est malheureusement quasiment jamais former un homme. Ne s’improvise pas pédagogue qui veut! La désolation dans ce métier, mais n’est-ce pas aussi le reflet de notre temps, c’est l’absence ou le déficit de personnalités capables par leur savoir et par leur humanité d’aider des jeunes (et des moins jeunes) à grandir et à devenir libres, c’est à dire à s’affranchir du POUVOIR qu’on exerce sur eux.
Des A-PODERADOS (préfixe privatif A) seraient préférables à des APODERADOS. Il n’en est rien, et ce n'est pas près de changer.
On comprendra alors que peu me chaut de savoir qui plumera qui? Qui s'enrichira avec qui? Qui profitera de qui? Faut-il absolument se divertir de l’indigence humaine?


Xavier KLEIN


Pour votre divertissement, un petit conte des budos que j'aime bien.
Boduken, grand maître de sabre, reçut un jour la visite d’un confrère. Pour présenter ses trois fils à son ami, et montrer le niveau qu’ils avaient atteint en suivant son enseignement, Boduken prépara un petit stratagème:
Il cala un vase sur le coin d’une porte coulissante, de manière à ce qu’il tombe sur la tête de celui qui entrerait dans la pièce. Tranquillement assis avec son ami, tous deux face à la porte, Boduken appela son fils aîné.

Quand celui-ci se trouva devant la porte, il s’arrêta net. Après avoir entrebâillé la porte, il décrocha le vase avant d’entrer. Refermant la porte derrière lui, il replaça le vase avant d’aller saluer les deux maîtres.
"Voici mon fils aîné, dit Boduken en souriant, il a déjà atteint un bon niveau et est en voie de devenir maître"
Le second fils fut appelé. Il fit coulisser la porte et commença à entrer. Esquivant de justesse le vase qu’il faillit recevoir sur le crâne, il réussit à l’attraper au vol.
"C’est mon second fils, expliqua t-il à l’hôte, il a encore un long chemin à parcourir".
Quand ce fut le tour du fils cadet, celui-ci entra précipitamment et reçut lourdement le vase sur le cou. Mais avant que le vase ne touche le tatami, il dégaina son sabre et le cassa en deux.
"Et celui-là, reprit le Maître, c’est mon fils cadet. C’est un peu la honte de la famille, mais il est encore jeune."

lundi 1 décembre 2008

CLUB TAURIN JOSEPH PEYRÉ VENDREDI 12 DECEMBRE

Il faut encourager tout effort d'information et d'enrichissement de la culture taurine. C'est la condition sine qua non d'une évolution positive des publics de nos plazas.
C'est pourquoi, une nouvelle rubrique de la Brega soutiendra régulièrement les initiatives en se faisant le relais des manifestations sérieuses organisées dans ce sens.
Il faut épauler les peñas dynamiques qui oeuvrent dans un esprit d'ouverture et de pédagogie.
CLUB TAURIN JOSEPH PEYRÉ
19 bis rue Copernic 64000 PAU
Adresse électronique : contact@clubtaurinpau.com

Chers amis(es) aficionados(as),
Après le succès de la soirée des Présidents, toujours dans le cadre des animations 2008/2009 à la Bodega de Meillon, 7 rue de la Mairie (entrée par la plaza des Férias), nous vous invitons à nous retrouver pour une nouvelle soirée le:
vendredi 12 décembre 2008 dès 19 h 30.
Nous recevrons le Grand Maestro Victor MENDES.
Malheureusement, nous devrons sûrement limiter le nombre de places. Les inscriptions se feront par ordre d’arrivée. Merci de vous inscrire pour le mardi 9 décembre 2008 au plus tard auprès d’Antoine Gonzalez au 05.59.30.05.08 ou 06.50.67.92.62 ou
contact@clubtaurinpau.com.
Au programme :
Ø Apéritif offert par la Peña
Ø Débat avec Victor, animé par notre chroniqueur Pierre VIDAL
Ø Repas
Ø Poursuite du débat autour d’un verre et si l’on s’attarde peut-être quelques chansons.
Une participation de 15 € par personne est demandée pour la soirée.

Hasta luego e adishatz,
Pour le Bureau du CTJP,
Antonio