Il est quelque peu affligeant de constater que les gros bataillons des «aficionados de verdad» -ou du moins ceux qui se prétendent tels- n'aient pas cru bon de faire le déplacement dans les marches béarnaises pour soutenir les efforts de l'organisation locale et pour profiter de l'opportunité de découvrir des toreros qu'on n'a pas souvent l'occasion de voir.
Il faut préciser que nulles figuras n'étaient à l'affiche et qu'on s'y était dignement dispensé de racoler le badaud par quelque mobilisation anti-anti-taurine comme il est désormais de mode.
Si la salle de banquet était comble et plaisamment animée (excellente garbure et haricots de compétition), les gradins n'étaient remplis qu'aux 2/3 pour cause de match.
Pourtant, ce genre de festivité présente l'intérêt majeur de découvrir de nouvelles têtes, et les connaisseurs savent que l'on y vit souvent des moments de grâce.
Ce fut le cas.
Disons le d'emblée, le lot de Santafé Marton (origine Marquis de Domecq si je ne m'abuse) s'avéra extrêmement décevant au regard de ce qu'on pouvait en attendre. Faibles, décastés, marqués d'une mansedumbre chronique, les pensionnaires de la ganaderia navarraise se préoccupèrent surtout de se réfugier aux planches.
Dans ces conditions, il fut très difficile pour les sympathiques candidats de donner la mesure de leurs talents.
L'affiche était néanmoins alléchante pour qui veut enrichir sa culture taurine tout en sortant des sentiers battus.
Le navarrais Francisco MARCO
Le provencal Marc SERRANO
L'alagónais (et de ce fait aragonais) Antonio Gaspar PAULITA
Le régional de l'étape Julien LESCARRET
L'andine Milagro del Peru
Et le vénézuelien Fabio CASTAÑEDA
Que de braves et bonnes gens qui avaient à coeur d'en découdre et de collectionner les cartilages, voire plus si affinités.
Horreur! Malheur! Le combat cessa souvent vite, faute de combattants: il est difficile de causer longtemps avec des partenaires cornus qui ont d'évidence un rendez-vous urgent quelque part «tras las tablas»...
On vit toutefois d'élégants (MARCO) ou d'exotiques (zapopinas de CASTAÑEDA) toreos de capote, de belles paires de banderilles (El CHANO, CASTAÑEDA), et des passes profondes et valeureuses. A une exception près, tous me parurent toutefois peiner à trouver les distances et le sitio (début de saison? pratique insuffisante?).
Si les bestiaux faibles de Francisco MARCO et de Marc SERRANO n'engendrèrent que des faenas hospitalesques, ce dernier eût le souci d'une brega de qualité, soignant ses mises en suerte au premier tiers et les passes de châtiment de l'entame.
Guère mieux loti, Julien LESCARRET fit du … LESCARRET, à 30 tics à l'heure.
Milagro del Peru ne parvint pas, en dépit de son bon vouloir, à caser une passe à un opposant qui fuyait pitoyablement, comme les arbalétriers génois à la bataille de Crécy.
Inca désespérée! Son machu pichuait, son atahualpa yupanquait.
Le jeune Fabio CASTAÑEDA m'intéressa vivement par une fraîcheur, un enthousiasme et une présence qu'on ne voit malheureusement plus dans la novilleria actuelle. Après un tamponazo majuscule, suite à un quiebro initié à genou, il s'accrocha comme un forcené. Le garçon reste encore très vert techniquement, du moins possède t-il déjà ce qui ne s'apprend pas (courage, volonté, enthousiasme). Il lui reste encore à acquérir ce qui s'apprend.
Venons en à déguster goulûment la cerise sur le gâtal, avec le sieur PAULITA. Et après tant d'après-midi d'un ennui et d'une banalité insondables, cela seul justifiait «d'y être» pour avoir joui d'un pur moment de toreria.
Lui échut un toro selon mon goût: encasté, puissant, violent. Un barbare sauvage et échevelé, un cimmérien ravageur prêt à tout détruire et tout vandaliser par ses charges brusques et brutales. Pour autant, le garçon demeurait toréable: du genio, du sentido certes, mais civilisable pour peu qu'on eût l'âme conquérante, ainsi que la tactique et la technique ad hoc.
En résumé l'un de ces exemplaires dont les figuras se débarrassent en deux coups de cuillère à cacharro, si possible après avoir démontré par quelques passes savamment sabotées, que la chose ne mérite aucune considération.
L'esprit fantassin se perd, on le sait, mais Antonio Gaspard ne voit pas passer tant de toros qu'il puisse se payer le luxe d'en négliger un.
On vit alors ce qu'on ne voit plus.
Fi des faenas stéréotypées, des prologues par cambiadas ou statuarias, des amusettes aimables, on donna dans le sérieux, l'efficace, l'intelligent, le vrai toreo quoi...
Fi des faenas stéréotypées, des prologues par cambiadas ou statuarias, des amusettes aimables, on donna dans le sérieux, l'efficace, l'intelligent, le vrai toreo quoi...
Véroniques pieds rivés au sol, demies dévastatrices, puis passes de châtiment galbées, piton a piton, duel au coutelas pied à pied, que si-je-recule-tu-m'empapaoutes, replis et contre-attaque au clairon, baïonnette au canon. C'était beau comme la charge du 57ème sur le plateau de Pratzen, ou l'assaut de la cavalerie de la Garde Impériale contre les chevaliers-gardes du Tsar.
S'il y eût la manière, l'art ne fut nullement en reste, avec race et élégance, avec ces détails qui ne s'inventent pas, ne s'apprêtent pas, mais jaillissent à l'impromptu d'une âme poétique. Un choc épique, une faena selon mon coeur, où tout pèse, où tout geste se justifie par son efficience et non par vain esthétisme. Le tout conclu par une valeureuse estocade.
Dieu n'était peut-être pas à Arzacq mais avait du moins délégué un Roi mage: Gaspard d'Alagón Paulita!
Voilà ce que vous ratâtes ô lecteurs malchanceux!
Bon! Peut-être que j'exagère un tantinet. Une belle, blonde et subtile helléniste phocéenne disait apprécier ma «fougue scripturale»... Peut-être pourra elle ainsi en mesurer l'effet.
Va savoir, Charles!
Va savoir, Charles!
Mais c'est y pas mieux ainsi...
Nous reviendrons encore à Arzacq, il s'y passe toujours quelque chose, avec la gentillesse, la simplicité et la bonhomie de surcroit.
Xavier KLEIN