On connaissait «Arsenic et vieilles dentelles», on nous joue maintenant «Magouilles et petits fours».
Est-il normal que l’argent du contribuable, bien malmené en temps de crise, soit affecté aux sauteries (sotteries?) mondaines organisées par l’Ambassade de France à Madrid?
Qu’on en juge d’après le reportage très «Point de vue, images du monde», la revue des Altesses, publié par le site EUROTORO2010: (http://www.eurotoro2010.com/revistas/n43.pdf).
Tant comme citoyen et contribuable français que comme élu, en charge des affaires taurines (qui consacre beaucoup de temps et d’énergie à se décarcasser pour promouvoir une tauromachie populaire et trouver les 3 francs 6 sous pour équilibrer notre budget), je ne peux qu’être scandalisé par ce spectacle de pique-assiettes endimanchés venus à la curée (il y a quand même dans le lot quelques personnes honorables).
Quand je vois tant d’argent gaspillé en vain et sans effets, je pense aux efforts consentis pour promouvoir, à Orthez, et ailleurs, l’accès aux arènes de nos concitoyens défavorisés, des jeunes, des chômeurs et des RMIstes afin que le fait taurin demeure l’affaire de tous, et non l’apanage d’une élite.
Nul angélisme dans tout cela: la tauromachie n’échappe aucunement aux injustices du monde, aux données sociales et économiques. L’arène est le lieu du conflit, de la subversion et de la sublimation de ceux-ci. Encore faut-il qu’y puisse toujours siéger les acteurs de ce rituel social, dans leur diversité.
Il faut vraiment solliciter les ressources d’un humour fellinien pour supporter sans nausée, le spectacle navrant d’une brochette de «people» endimanchés et profiteurs, plus soucieux de paraître et de profiter des ors et des lustres déclinants de la Grande Nation, que de défendre une cause qu’ils seront les premiers à déserter lorsqu’elle ne sera plus «chébran».
Ce n’est ni l’idée que je me fais de l’afición, la vraie, celle qui sue dans les tendidos, ni la solution aux arènes qui se vident car elles perdent leur assise populaire. Tout au contraire.
Tout cela traduit les expédients calamiteux auxquels on recourt désormais pour se faire un nom, une réputation, pour soigner ses egos par l’illusoire convocation de célébrités de pacotille.
L’avenir de la tauromachie ne se décidera jamais dans les salons dorés d’une ambassade ou l'antichambre feutrée d'un ministère. Ce type de pratique n'a plus cours.
Il se décidera d'abord par le rapport de force, la passion, la mobilisation et la détermination des aficionados de base. Parce qu’au bout du compte, ce sont eux qui pèseront auprès des élus locaux, pour la défense de leurs droits et de leur culture. Comme il en a toujours été depuis un siècle.
Il se décidera aussi par le DROIT -y compris contre la majorité- le droit des minorités culturelles.
Le reste n’est que palinodies et amusailles sans conséquences autres que néfastes.
Sont-ce ces pitoyables vestiges maquillés, parés, liftés, d’une caste qui se meurt, comme les émigrés emperruqués de l’Ancien Régime qui préserveront la tauromachie du tsunami programmé d’une société qui ne sachant plus d’où elle vient, ne sait pas où elle va?
Comment ces images ne pourraient-elles conforter l’image déliquescente d’une tauromachie conservatrice, rassotée, et disons le mot franquiste, promue et défendue par le ban et l’arrière ban d’une Espagne que l’on voudrait oublier?
Est-ce ce genre de démonstration qui va convaincre la jeunesse espagnole, les forces vives de la Péninsule qui ploient sous le fardeau de la crise et s’en prend aux élites vermoulues et corrompues?
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On apprend par ailleurs, qu’une fois de plus la manigance a sévi.
La triomphale proclamation de l’inscription de la tauromachie au Patrimoine Culturel Immatériel français n’était en fait que la résultante d’un tripatouillage douteux.
Monsieur Philippe Bélaval est Directeur Général des Patrimoines. En tant que tel, c’est lui qui a supervisé et avalisé la fiche d’inventaire qui a engendré l’inscription au patrimoine.
Le problème, c’est que Monsieur Bélaval est également membre fondateur de l'Observatoire National des Cultures Taurines (ce qu’on a essayé de camoufler), sans compter son affiliation à un club taurin (La Querencia à Paris).
Monsieur Bélaval a parfaitement le droit de ses opinions et de ses goûts. Il n’a ni à en rougir, ni à les renier. Il me paraît en outre évident qu’un fonctionnaire de haut rang au Ministère de la Culture se doit d’avoir des compétences, des avis, et inévitablement qu'il professe des inclinations en matière culturelle. Il en a toujours été ainsi. Pourquoi pas en matière taurine?
Par contre, sur une question aussi épineuse et polémique que la tauromachie, il est absolument intolérable qu’il use et abuse de sa fonction pour, de manière quelque peu opaque, en avançant masqué, pousser et favoriser ce dossier. Le lobbying, s’il est en vogue dans les pays de tradition anglo-saxonne, n’a pas (encore) officiellement droit de cité en France, ce qui est heureux à mon sens.
Il me semble éthiquement et démocratiquement inacceptable qu’un fonctionnaire soit juge et partie, et dispose du pouvoir que lui confère la Nation pour privilégier des options personnelles, en l'espèce, l’inscription de la corrida au Patrimoine Culturel Immatériel français.
Comme dirait plaisamment l’ami Chulo, c’est comme «donner les clefs d’un jardin d’enfant à un pédophile», celles du harem de l’émir du Koweit à DSK, ou celles de l'ONCT à un boucalais grisonnant.
La fin ne justifie nullement les moyens.
Ce coup fourré, après l’affaire de la liste truquée des élus qui soutenaient la tauromachie en Catalogne, s’ajoute à l’interminable litanie des magouilles en tous genres qui font l’ordinaire de nos stratèges taurins.
C’est stupide: comment nos comploteurs d’opérette ont-ils pu penser que la manoeuvre allait passer à l’as?
C’est contre-productif pour le gain négligeable d’un effet d’annonce qui risque d’être invalidé.
C’est extrêmement préjudiciable en ce que la systématisation de ce genre de pratiques de bas étage conforte la réputation de «mafia taurine» aux pratiques occultes et peu ragoûtantes qui nous fait d’autant plus de torts qu’elle n’est le fait que d’une minorité de taurinos qui abusent la majorité intègre des aficionados.
L’exercice de la rouerie gasconne est difficilement exportable hors des terrains de rugby ou des coteries locales, surtout dans une société démocratique et développée où l’information circule librement.
Il faut beaucoup d’immaturité, d’incompétence et de balourdise provinciale de la part de nos têtes pensantes pour imaginer que telles pratiques puissent s’épanouir sans coup férir à l'échelle nationale.
Avec des gens pareils nous n’avons pas besoin de «zantis», les «pros» nous discréditent bien plus efficacement.
Au mieux, cette affaire du «Patrimoine» sera une victoire à la Pyrrhus, au pis une décapilotade.
Et dans les deux cas un discrédit supplémentaire dont on se serait bien passé.
Quand donc l’afición française comprendra t-elle que nous avons plus besoin de tribuns éclairés que de stratèges véreux?
Xavier KLEIN