«Pour moi, la joie réside dans le non-être. Or, celui-ci est un objet d'horreur pour la foule. Certes, en principe, le vrai et le faux ne sauraient être fixés; mais grâce au non-agir, il est possible de les définir. Car si la joie suprême justifie l'existence humaine, seul le non-agir la préserve.
Le Ciel n'agit pas et il est pur, la Terre n'agit pas et elle est stable. L'un et l'autre unissant leur inaction produisent les dix mille êtres. C'est pourquoi il est dit: Ciel et Terre sont sans agir et il n'est rien qui ne se fasse.
Qui donc parmi les hommes sera capable d'appliquer le non-agir?»
Tchouang Tseu
Il faut lire ou relire «L’art de la guerre» de Sun Tzu.
Le «non agir» devrait-il revenir à la mode?
Pourquoi pas après tout?
Lorsque l’on se rend auprès de maîtres spirituels ou d’arts martiaux d’Orient, on entend (pour celui qui consent à écouter…) des subtils: «non-vouloir!», «non-faire!» qui restent souvent incompréhensibles à nos esprits rationnels occidentaux.
Chez nous, communément, ÊTRE se décline par FAIRE (mais également par PARAÎTRE ou par AVOIR). On existe par ce que l’on fait.
Là-bas, très curieusement, le nec plus ultra de l’ÊTRE, c’est d’accéder au NON-ÊTRE, comme celui de l’ACTION est de parvenir au NON-AGIR.
La doctrine du maître chinois, imprégnée de l’esprit du Tao, résulte d’une conception de l’harmonie universelle qui postule la nécessaire combinaison des principes contraires yin/yang, agir/non-agir, mâle/femelle, jour/nuit, chaud/froid, proche/éloigné, etc. Quand l’agitation règne, il convient d’être immobile, quand l’adversaire se concentre, il faut se disperser, etc.
«L’art de la guerre», cet ouvrage majeur du VIème siècle avant J.C., qui constitue depuis 30 ans l’un de mes livres de chevet, porte des enseignements applicables à la politique aussi bien qu’à la philosophie ou à la morale. L’une de ses fins ultimes: «Soumettre l'ennemi par la force n'est pas le summum de l'art de la guerre, le summum de cet art est de soumettre l'ennemi sans verser une seule goutte de sang.» postule également que l’ennemi est une part de soi-même et que son anéantissement revient à son propre anéantissement.
Pensées dans l'esprit du taoisme, les conceptions de Maître Sun rejoignent dans le domaine opérationnel du champ guerrier celles d'autres maîtres du Tao (Tchouang Tseu et Lao Tseu) et notamment celle du «non-agir»
Il faut comprendre une différence fondamentale entre le non-agir et la passivité, comme entre l’agir et l’agitation: une question des plus brûlantes.
Dans la période de bouleversements profonds et multiples que nous connaissons, la lisibilité des évènements, la validation des directions à prendre s’apparentent à une navigation à l’estime dans une purée de pois britannique. Le monde bouge, les rapports de force évoluent, les adaptations s’avèrent indispensables.
Tout le problème est de savoir lesquelles!
Il y a plusieurs façons d’envisager les choses, selon la hauteur de vue.
D’aucuns nous pressent de tout bouleverser dans l’urgence et tels les cabris du Grand Charles vibrionnent en tous sens en martelant: «Réforme! Réforme!». Ceux-là ne voient qu’à court terme, avec un horizon limité.
Une société n’est pas une corvette véloce et réactive, c’est plutôt un paquebot ou un tanker lents, puissants et dotés d’une inertie qui leur interdit les manœuvres précipitées. A vouloir forcer les choses, à violer les ressorts profonds d’un peuple, à nous abrutir de réformes quotidiennes et vaines comme on l'a fait depuis un septennat, on l’expose au désarroi et à la désintégration de son âme, au délitement de sa cohésion. C’est à mon sentiment ce qui se joue actuellement en France.
On veut à toute force que notre pays s’adapte dans l’urgence à une réalité mondiale qui va à l’encontre de son histoire, de sa culture, de ses espérances à long terme, de son essence sociétale. En un mot, de son UTOPIE FONDATRICE. Les marchands du temple veulent réintégrer leurs petits étals juteux.
On veut rompre avec des centaines d’années d’évolution -le plus souvent chaotique- vers un modèle social plus égalitaire, plus juste.
On veut rayer de notre mémoire collective, comme des accidents historiques regrettables et dépassés, des évènements aussi anodins que la Grande Révolution, celle de 1848, la Commune, le Front Populaire, mai 68.
Au nom d’une modernité auto-proclamée, on veut nier que l’évolution des derniers siècles raconte les efforts des hommes pour substituer au règne de la puissance sans limite la barrière de la loi, pour tempérer la violence économique par le primat du politique, pour affirmer que l’Homme doive prévaloir en tout.
Et depuis des siècles, il se trouve toujours des hommes pour contester, au nom de la Réalité, la légitimité de l’Idéal. Depuis des siècles, c’est le même discours d’appel à une fausse sagesse qui n’est que résignation et démission de notre responsabilité d’hommes devant les «réalités économiques».
Conserver à une société sa cohérence, son lien, sa solidarité, son espérance me paraît devoir primer absolument sur toute autre considération, notamment sur celle qui prétendrait nous rendre compétitifs par rapport au sort lamentable des malheureux coolies chinois ou indiens, ignoblement exploités.
Car au bout du bout, qui profite de tout ce contexte sinon les détenteurs de capitaux de ces multinationales apatrides qui, au détriment des êtres humains, vont se porter là où le profit et donc l’exploitation sont maximisés.
Faut-il donc s’adapter au mieux-disant économique qui est le moins-disant social, c’est tout l’enjeu de nos temps.
Il importe donc, selon moi, de répondre à la pression de «réformes» du libéralisme par un «non-agir» de bon aloi. Un «non-agir» qui ne soit ni inaction, ni passivité, mais une RESISTANCE.
Une pression identique de la «modernité» s’exerce en matière de mœurs. En 45 ans, celles-ci ont plus évoluées que durant les 5 siècles précédents. Le statut des femmes, des enfants, des pater familias, de l’autorité, des medias, de la sexualité, etc. a été bouleversé de fond en comble.
Pour le meilleur et pour le pire.
Le problème, c’est que l’on est passé d’une aspiration sociale globale, légitime et acceptée à l’ère des lobbies. Ce sont maintenant des groupes sociaux minoritaires communautaires qui exercent un activisme sans mesures et parfaitement disproportionné. De la «Ligue contre la violence routière» qui pousse à un flicage massif, à l’«Institut pour la Justice» qui veut accentuer la répression judiciaire, en passant par les officines gays qui militent pour le mariage ou l’adoption homosexuels et bien entendu nos zamis «zantis», tout le monde y va de son couplet.
On n’est plus dans le «Vivre ensemble», mais dans le «Imposons nos névroses»! Le pompon en la matière étant sans aucun doute l’inoubliable «En 2012, les taureaux voteront». Un slogan qui, s’il était entendu version «zantis», conduirait par la prohibition à l’extinction des toros de lidia, donc à un suicide programmé.
Pour protéger les taureaux, organisons leur disparition: Kafka n’est pas mort!!!
Dans ce champ des mœurs, le «non-agir» s’imposerait également.
Après des décennies de séismes, notre société plongée dans l’angoisse a t-elle besoin de perturbations supplémentaires? Le temps n’est-il pas venu de la pause et de la DIGESTION? Ne nous faut-il pas procéder à un réexamen paisible de notre évolution, à un retour à une sérénité qui fasse la part des choses et se préoccupe d’aménager, d’approfondir, de trier les acquis de plusieurs décades.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas là de plaider le conservatisme ou la réaction mais plutôt de faire une halte, un estanquet pour reprendre des forces et réfléchir sur les progressions futures, leur sens, leur opportunité. Pour déterminer avec un désir décidé, ce que nous voulons réellement et ce dont nous ne voulons à aucun prix.
Le «non-agir» n’est aucunement l’absence, la vacuité.
La montagne n’agit pas, elle EST…
Apprenons à être aussi des montagnes!
Xavier KLEIN