Lundi 25 janvier, s’est tenue dans l’enceinte du Sénat espagnol une réunion des protagonistes de la fiesta brava, en présence des élus et des représentant des comunidades.
A cette réunion était invité l’O.N.C.T. et son président, fermement décidé à «recadrer un débat qui s’annonce confus» (sic) [1]. On ne sait ce que penseraient les élus d’outre-Pyrénées de la prétention ainsi exprimée d’aller leur dicter avec condescendance ce qu’ils ont à faire ou à décider.
Dans un éditorial du 27/01 [2] André VIARD, président de l’O.N.C.T. communique la teneur de son intervention lors de cette réunion.
Il importe d’étudier ce document, ce qui y est dit, supposé et surtout sous-entendu.
Il importe bien plus d’en évaluer la portée et les conséquences.
Celles-ci ne sont en rien anodines et, qu’on le veuille ou non, nous engagent dans des voies voire dans des ornières, qu’il ne s’agira pas plus tard de déplorer, alors que tout le monde aura laissé faire sans mot dire, dans un silence assourdissant.
De quoi parlons nous? Rien de moins que, je cite:
1°) «tenter d'imaginer, au travers de la réglementation la plus opportune, quel sera le spectacle taurin du XXIème siècle». Il n’est donc ni plus moins question que de décider du faciès à venir de la tauromachie.
2°) dénoncer une «réglementation inadaptée [qui] peut accélérer le risque de décadence», une «décadence consécutive à une réglementation mal adaptée [qui] concerne l'actuel premier tercio». La décadence découle t-elle de l’inadaptation de la réglementation ou bien des pratiques des professionnels et de leurs objectifs? Que signifie cette redondance du concept de décadence, un mot très significatif et connoté, cher à certaine pensée politique réactionnaire.
3°) «Le troisième exemple de dérive réglementaire nous est donné par la surenchère que l'on observe lors de nombreux reconocimientos, laquelle a pour conséquence d'exiger des normes inédites dans toute l'histoire de la Fiesta.» Le problème se pose t-il avec les normes ou avec la surenchère?
4°) «Pour présenter ce toro qui n'existe pas de manière naturelle, ils ont dû renoncer à l'élevage extensif dont celui-ci bénéficia toujours, pour le maintenir au contraire dans des espaces restreints où il est soumis à une alimentation "hors sol", seul moyen pour eux de le doter tout à la fois du poids et de l'énergie nécessaires aux exigences du spectacle moderne.». De qui parle t-on? Des ganaderos «modernes», qui élèvent des «toros modernes» spécialement fabriqués pour un «spectacle moderne», soumettant les toros à des efforts prolongés (allongement des faenas et multiplication des avis) contre-natures!
5°) «Si l'on ajoute à l'exiguïté des cercados actuels l'usage des fundas qui ont pour objet principal d'éviter que le toro ne soit refusé lors des reconocimientos en raison de l'usure naturelle […]». Qui développe cette pratique? Les «ganaderos modernes». Pourquoi? A les entendre, surtout pour éviter que les toros ne se blessent ou se tuent lors de leurs duels. De quoi parle t-on? De l’incompétence présumée des vétérinaires ou organisateurs (merci pour eux!) incapables de discerner entre «usure naturelle», et le vrai problème non-dit et pourtant omniprésent: l’afeitado. Si les fundas posent problème, c’est simple, qu’on en interdise l’usage. Mais pour cela, il faudrait…réglementer.
6°) «nous devons, tant que le naufrage dont les prémices sont visibles en Catalogne est susceptible d'être évité». Tout le monde sait que la problématique catalane est une problématique politique propre à l’Espagne, dont la tauromachie, symbole du combat contre le pouvoir central n’est qu’un alibi. La vraie question est de savoir pourquoi le public -et pas seulement en Catalogne- se détourne progressivement des arènes. Par delà l'évolution des représentations sociales, quel sens la corrida porte t-elle encore avec des parodies de combat face à des toros/faire-valoir?
7°) «ce n'est pas au spectacle taurin de s'adapter aux exigences d'un règlement inadapté, mais au règlement d'être conçu en fonction des besoins du spectacle que nous souhaitons produire.». Tous les mots comptent ici. Traduisons en termes plus généraux en remplaçant «spectacle taurin» par le mot «économie» et le mot «règlement» par les mots «loi» ou «législation du travail» et l’on voit toute la portée et les implications de cette prise de position que l’on peut qualifier de libérale. Nous avons donc là la translation dans le domaine taurin, de la logique qui prévot dans les domaines politique et économique: faisons sauter les barrières, le marché régulera tout...
8°) «il reviendra à chacun de nous, en concertation avec le secteur professionnel». Où sont passés les principaux intéressés, les aficionados?
9°) «Le toreo est un art, et à l'image de la musique, de la peinture ou du théâtre, il ne doit plus être seulement placé sous la compétence exclusive du ministère de l'Intérieur, mais intégrer aussi celui de la Culture.» Pour certains, il est aussi et avant tout un combat, c'est bien ce qui est en cause.
Est-il besoin d’en rajouter: tout est dit, et cela sans aucune ambiguïté.
Les déclarations et prises de position antérieures du président de l’O.N.C.T. ne laissent place à aucun doute quant au sens profond de ses propos et de ses desseins.
Tout cela formulé «au nom du monde taurin français» répété plusieurs fois.
Une prise de position qui ne s’avèrerait pas si inquiétante en soi, si «l’apport français» se fondait sur une démarche consensuelle et ouverte, fruit d’une consultation de l’ensemble des sensibilités du monde taurin français. Ce qui n’est nullement le cas.
Encore que le principe même de ce conclave qui prétendrait décider de que sera la tauromachie de demain me semble parfaitement contestable: l’évolution d’une activité culturelle, comme la tauromachie ne saurait se décréter. C’est un non-sens absolu. Comme si l'on prétendait: la musique, le cinéma ou la littérature de demain sera cela, c'est à dire «ce que nous souhaitons produire».
Il ne faut pas s’y tromper, cette démarche ne doit pas être appréhendée à la légère. Elle se fait devant les élus espagnols, en notre nom, et fait très bizarrement écho à d’autres déclarations, notamment celles de Monsieur J.P. DOMECQ. D’ores et déjà les «professionnels» espagnols témoignent de leur satisfaction de ces déclarations du «monde taurin français». Ils prennent tout cela très au sérieux, EUX.
Demain, après-demain, quand ça ou là, le mundillo viendra nous imposer dans nos arènes, le seul choix du toro moderne, la monobanderille ou la pique andalouse et qu’on nous rétorquera que tout cela a été entériné, voire proposé sans contestations, ni protestations par les représentants du «monde taurin français», il sera trop tard.
Mais après tout, peut-être suis-je seul à crier dans le désert? Peut-être vois-je le mal où il n'est pas? La Fédération par exemple, qu'en pense t-elle? On serait enchanté de savoir si un homme digne comme Monsieur MERLIN approuve ces propos et leur sens profond qui ne devrait échapper à personne. RAS sur leur forum.