Humeurs taurines et éclectiques

vendredi 26 juin 2009

COMMUNIQUE

En réponse aux écrits polémiques de M. André Viard parus sur son site internet Terrestaurines et à un communiqué de M.Alain Bonijol (http://www.terrestaurines.com/forum/actus/01-06-09/24-06-091.php), la Commission taurine d’Orthez tient à préciser les points suivants:
"L’ensemble des contrats afférents à l’organisation de la journée taurine a été négocié dans l’indépendance, la clarté, l’impartialité et l’équité, avec la préoccupation d’œuvrer qualitativement au meilleur coût, dans l’intérêt des aficionados et des contribuables d’Orthez.
Au terme d’une procédure de marchés publics lancée par la Mairie d’Orthez, et sans réponse des deux cuadras contactées à la date de clôture de cette procédure, il a été décidé de recontacter ces deux cuadras (Bonijol et Heyral) pour leur demander que chacune envoie un devis pour la journée taurine du 26 juillet 2009.
Considérant en outre que les deux cuadras françaises, celles d’Alain Bonijol et de Philippe Heyral, présentaient un niveau qualitatif équivalent, la Commission taurine a retenu le critère du moins disant à partir des deux devis existants, envoyés par Messieurs Bonijol et Heyral.
La cuadra Heyral a donc remporté le marché.
En outre, il a sans doute échappé aux commentateurs que la gestion de la plaza d’Orthez était désormais assurée en direct par la Commission taurine et que les décisions déléguées par Monsieur le Maire d’Orthez étaient prises par le Président de la dite Commission après consultation de ses membres, qui en l’occurrence étaient en plein accord.
Monsieur Alain LARTIGUE, excellent professionnel, assure désormais une prestation pour la rédaction, le suivi des contrats, ainsi qu’une assistance avec la pleine confiance de la Commission et de son Président.
La Commission comprend la déception de Monsieur BONIJOL qui a fourni durant plusieurs années une prestation de grande qualité dont Orthez n’a eu qu’à se féliciter. Elle espère que dès l’an prochain, M. BONIJOL concourra au marché qui sera mis en place pour une durée de 3 ans et qui sera attribué selon les mêmes principes.
Monsieur BONIJOL doit cependant entendre que la qualité tout à fait indéniable de sa prestation et de sa cuadra, qualité dont il n’a toutefois pas le monopole ni l’exclusivité, ne saurait constituer le seul élément du choix de la Commission.

Xavier KLEIN, Président de la Commission Taurine d’Orthez
Sans commentaires!

dimanche 21 juin 2009

¿DESESPERANZA?

Le fond de l’air semble virer à la morosité ces derniers temps sur le net torophile. Crise économique? Crise politique? Crise morale? Le contexte difficile pèserait-il sur les humeurs aficionadas?
Il faut bien reconnaître que la saison taurine n’a, jusqu’à présent, guère prêté à pavoiser. Mais on en a pourtant connu d'autres et des plus sévères.
Certains trouvent là matière à des conclusions sans doute définitives et donc négligeables, d’autres, plus avertis ou plus roués, en profitent pour opérer des virements de bord spectaculaires et d’autant plus ridicules.
On doute, on spécule, on «hypothèse», on "hypothèque" même sans vergogne et sans retenue.
Comme disait ce bon Monsieur de Talleyrand Périgord: «Tout ce qui est excessif est insignifiant.». Le doute ne vaut que lorsqu’il est permanent, ce que l’on ne s’autorise jamais.
La situation est-elle plus catastrophique qu’elle ne l’était il y a deux, dix ou vingt ans? Que nenni! Que nenni!
Disons qu’une malheureuse conjonction d’évènements (ou heureuse, selon le point de vue où l’on se situe) éclaire brutalement l’obscénité d’un processus de longue date.
Comme le réchauffement climatique, l’évolution de la tauromachie ne saurait se révéler en une année. Un été caniculaire n’induit pas le changement climatique, comme un été pourri ne le réfute pas.
En réalité, l’unité de compte ne serait-elle pas le quinquennat, soit le temps qui sépare le choix d’un semental, et donc d’une option taurine, de la sortie sur le sable de ses premiers rejetons?
Si catastrophe il y a, elle s’est donc produite il y a cinq ans. Qui s’en est aperçu?
Le drame ne se serait-il pas noué depuis lurette, petit à petit, dans l’indifférence et dans l’opacité des bureaux de notaires, quand l’héritage d’un sang, d’une culture ganadera, d’une gloire passée s’en est allé avec la vente d’un fer, la dispersion d’une camada, au fil des héritages ou des revers de fortune? Les faire-part de ces enterrements à la sauvette résument laconiquement la tragédie: «eliminando lo anterior» ou «elimina todas las reses». Et la richesse et la variété génétique du peuple brave, s’en sont allées au fil des modes, des intérêts à court terme et des visions sans lendemains. (http://camposyruedos2.blogspot.com/2009/01/analyse-des-encastes-iii-corridas.html)
Un autre drame, plus heureux celui là, ne serait-il pas la conséquence de l'amélioration spectaculaire des conditions de vie de nos voisins? Des conditions de vie qui jetaient antan, des maletillas sur les chemins, pour jouer avec leur sang à la grande loterie de la fortune: «...ou tu porteras mon deuil...».
Les écoles taurines ont certes remplacé la formation sur le tas, l'élimination impitoyable et plus ou moins aléatoire, en tous cas dispendieuse, des moins doués ou des moins chanceux. Mais cela s'est réalisé avec l'inconvénient d'une standardisation des formes, d'un nivellement des personnalités fortes, d'un arasement de l'originalité.
Et puis, en règle générale, qui sont les formateurs qui y dispensent des savoirs? A quel titre et avec quelles compétences? La pédagogie, l'art d'enseigner et de transmettre des savoirs ne s'improvise pas, c'est un métier qui requiert des savoirs et des savoir-faire qui ne sont d'ailleurs que rarement ceux du praticien. On connait très peu de vedettes dans le domaine des sciences, des arts, des sports, et ... de la tauromachie, qui aient conjuguées aussi l'art d'enseigner.
Pour enseigner les mathématiques, l'histoire ou l'éducation physique à des mômes de 14 ans, il faut 5 ans d'études après le bac, passer un concours terriblement sélectif, puis être formé durant 3 ans, être régulièrement évalué en présence des élèves, continuer à suivre des formations et des stages. Pour autant, comme dans toutes les professions, ce processus complexe et élaboré laisse passer quelques enseignants qui ne sont pas tous à la hauteur. Mais quelles conditions président à la formation et au recrutement des gens sensés diriger des jeunes qui vont ensuite jouer, non pas leur avenir mais leur vie? Aucune à ma connaissance. N'importe qui peut s'intituler enseignant en tauromachie et monter son école taurine.
Ce système d'écoles, le plus souvent initié et soutenu par la profession ou par ses satellites, promeut et fabrique ce que la profession exige ou cautionne. C'est dire qu'on n'a guère à en attendre de créativité et d'originalité, même si, ça ou là, par miracle, éclosent quelques talents atypiques.
On sort en série ce dont le «toreo moderne» a le besoin: des jeunes gens parfaitement calibrés et adaptés à ce qu'on leur demande, la faena spectacle devant toro noblissime et dénaturé.
Pouvait-il en être autrement?
La tauromachie peut-elle échapper aux contingences économiques, à l’évolution d’une société espagnole qui a progressivement remplacé les aristocrates subtils ou la bourgeoisie éclairée, par les magnats parvenus, les grands propriétaires latifundiaires par des sociétés par action, les romantiques ou les passionnés par des comptables ou des boutiquiers, l’artisanat par l’industrie.
Lorsque certains esprits taquins se sont avisés en 1936 de boulotter des spécimens de sa ganaderia, pour éviter de crever de faim, Don Felix Moreno de Silva a répliqué sur le même ton joueur en décidant l’exécution de dix impétrants pour chaque toro tué. Evidemment, ce genre de délicatesse calme vite les velléités ludiques. Ah le bon vieux temps! Faut-il déplorer ce changement et une réévaluation du taux de change en faveur des prolétaires, à condition bien sûr, qu’ils ne soient pas maghrébins, ce qui autorise encore quelques fantaisies sur la terre andalouse?
Certainement pas! A conditions nouvelles, adaptations nouvelles.
Il faut croire dans l'émergence de nouveaux goûts, de nouvelles initiatives, de nouvelles pratiques, de nouveaux rapports de force.
La régulation peut s'opérer d'elle-même, et les masses séduites par la «tauromachie moderne» finiront sans doute par se lasser du miracle quotidien programmé, de l'uniformité de l'exceptionnel, et de la fadeur de la perfection.
A CONDITION évidemment, qu'on ne réprime pas la révolte ou la maturation des esprits comme les manifestations dans un bazar persan.
A CONDITION aussi, qu'on ne s'avise pas de museler les critiques, d'embrigader les récalcitrants sous une unanimité de façade, de fustiger les divergences sous couvert de «propos orduriers», de vibrionner frénétiquement en se gargarisant de boycotts ou de menaces improbables. L'ordure n'est jamais tant dans le propos que dans son objet.
A CONDITION enfin, qu'on ne sabote pas au grand jour et/ou en sous main, les entreprises alternatives, les tentatives d'innovation.
Certains en sont restés au stade du croquemitaine, «lou bécut» en gascon.
Qu'ils cessent de prendre leur cas pour une généralité. Nous ne sommes pas en Iran, et les ayatollahs qui fulminent contre les grands satans, ici, comme là bas ne font plus peur.
Ne vous inquiétez pas: demain ils seront d'accord avec vous. Il en va ainsi de tous les arrivistes.
Halte à la desesperanza! Haut les coeurs!

Xavier KLEIN

jeudi 18 juin 2009

De l’influence civilisatrice du Paquito

Nous vivons une époque moderne, c’est un fait entendu, mais quand même!
Je suis issu d’une lignée de patriotes (ce qui dans mon esprit se différencie radicalement de l’esprit nationaliste) qui n’a jamais barguigné quand il s’agissait d’aller se faire casser la gueule pour les beaux yeux de la République, sur quelque théâtre d’opération que ce soit, de Dunkerque à Tamanrasset, et de la Pointe de Grave jusqu’aux rizières tonkinoises.
Lorsqu’il fût question d’aller remplir mes obligations militaires, dans le cadre du Service National, j’aurais pu en être exempté. Néanmoins, nonobstant l’antimilitarisme de rigueur durant les seventies, il m’avait semblé obscène de se défiler, quand nos ancêtres de 1789, s’étaient battus pour obtenir le droit de porter les armes pour la défense de la Nation, ceux de 1914 pour récupérer l’Alsace et la Lorraine, et ceux de 1940 pour que leurs enfants ne s’appellent ni Helmut, ni Siegfried, et ne se croient pas inférieurs parce qu’ils n’avaient ni les yeux bleus, ni les cheveux blonds.
Non pas que j’ai trouvé quelques attraits aux délices de l’ordre serré, de la corvée de chiotte ou de l’infantilisation troupière. Non pas que le port du treillis, l’esprit de corps, ou la mystique du chef ou du groupe me soient apparus comme des idéaux métaphysiques. Mais plus simplement parce qu’il me paraissait que tout citoyen libre revendiquant des droits se devait également d'assumer des devoirs envers sa communauté de vie, sa culture et son histoire.
Quoique l’on pense du drapeau tricolore, des gens sont tombés pour lui et cela doit être respecté.
Je ne prétends nullement, ni être dans la vérité, ni qu’on doive imposer cette vérité à quiconque, mais c’est ma conviction, et je la dis.
Liberté, Egalité, Fraternité, mais aussi, tolérance, humanisme, ouverture à l’Autre, hospitalité, générosité, solidarité sont des valeurs qui, en dépit de tout, méritent pour moi, et peut-être pour toi, lecteur, qu’on se batte et à l’extrême qu’on meure pour les défendre.
Etre patriote, c’est défendre et assumer les valeurs des Pères.
Au même moment où, contre mauvaise fortune bon cœur, je partais faire le guignol au 57ème régiment d’infanterie («le terrible que rien n’arrête» selon l’Empereur au soir d’Austerlitz), beaucoup de mes contemporains se démerdaient avec ardeur pour échapper à la conscription et se faire exempter. Que de moqueries n’ai-je point entendues, quand je revenais le vendredi de la caserne déguisé en féroce guerrier!
Ironie de la vie, ce sont ces mêmes brillants esprits, portant beau à l’époque, clarks, patdefs, chemises indiennes, toisons abondantes, peace-and-love, anarchistes, révolutionnaires, maoistes, babas, etc. que je croise maintenant en complet veston, ou en blazer-jean-mocassins, crânes rasés, bourgeois, UMPisés, berline-de-luxisés, bobonnisés, golfisés, lion’sclubisés, en un mot parfaitement «conformes». Ah, je tranche avec ma cacugne bringuebalante et défraichie, ma barbe philosophale et ma mise approximative!
Certes, il paraît qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, mais quand même!
Nous vivons une époque moderne!
Ceux-là même qui crachaient sur l’uniforme en 1970, sont en première ligne pour le proposer dans les écoles et l’imposer dans les fêtes!
La fête, qui pour moi fédère les différences, promeut la fantaisie, autorise la transgression, laisse s’exprimer le corps, la liberté, la pulsion, la déraison, tout cela bien sûr dans des limites; cette fête, «ils» veulent nous l’enfermer, nous l’encadrer, nous la réguler, nous la barragiser.
L’endiguement des passions dangereuses est devenu leur obsession, leur lubie, comme la crainte maladive des dérives supposées d’une juvénilité qu’ils ont résolu d’oublier, comme ils se sont résolus au racornissement de leurs rêves et à la désagrégation de leurs utopies.
Il n’est pas question ici de jeter la critique sur tel ou tel, de clouer au pilori une organisation lambda, mais plutôt de dénoncer un mouvement d’abrutissement général dans lequel malheureusement, chacun, consciemment ou inconsciemment, prend sa part.
A Dax, cela fait dix ans qu’on m’emmerde parce que je me refuse obstinément à adopter la tenue de rigueur, l’uniforme de circonstance, le sauf-conduit pour la «feria», l’Ausweis de la dissolution rassurante dans la masse.
Dix ans de résistance contre une injonction absurde et sans fondements.
Rouge et blanc? Bleu et blanc? En quoi devons-nous nous déguiser en navarrais pour paraître plus festifs? Pourquoi pas en traje corto, tant qu’à faire, en Gilles de Binche ou en highlanders?
Nous sommes gascons, basques, provençaux, catalans, mais aussi lillois, parisiens, bourguignons, anglais, guatémaltèques, marocains. Pourquoi s’accoutrer selon une coutume qui nous est a priori étrangère? Pourquoi limiter notre désir et l’enfermer dans le cadre obligé d’une tradition créée de toute pièces, importée artificiellement? Et tout cela dans quel but, avec quelle arrière pensée régulatrice?
Il est vrai qu'il vaut mieux avoir l'air con à mille que de l'être tout seul. La connerie ne se dénonce qu'individuellement, collectivement elle s'appelle "mode".
J’aime à voir dans les fêtes, la créativité s’exprimer. J’aime à croiser des barbus en layettes et tétines, des martiens en goguettes, celui-là qui avaient fêté toute la madeleine en…skis et tenue alpine, ou cet autre en palmes et tuba.
Je refuse de m’embrigader dans quelque «paquito» que ce soit, pour mimer grégairement les mêmes gestes, dans les mêmes oripeaux, sur la même ritournelle, cela me rappelle trop l’armée que j’ai subie quand d’autres s’en dispensaient.
N’en déplaise aux dictateurs du désir encadré, aux prématurés du vieillissement, aux croisés du festivement correct, aux trous-du-cul empesés, aux cuistres quoi!
1968: Sous les pavés la plage. L'imagination prend le pouvoir!
2009: Sous la plage les pavés. Le pouvoir prend l’imagination!
NOTA: Avez-vous remarqué comment on annonce désormais les nouveaux cartels? Exit les toros, exit les toreros, seule demeure la figura: «Corrida avec Sébastien Castella, samedi 20 juin à 18h aux Arènes le Palio»

jeudi 4 juin 2009

PERIPLE TAURIN: MONTESINOS

Lundi 1 juin 12h00 (heure locale) Grand beau temps 32°C
La lumière frappe drue sur les cercados. La pluie n'arrose plus la terre fendue et ne féconde plus la poussière depuis déjà des semaines. La fenaison sera indigente.
Ivan VICENTE nous attend dans sa berline climatisée devant le portail de la finca. Il en extirpe sa silhouette longiligne et féline, le visage éclaboussé d’un sourire colgate, l’œil pétillant, la lunette playboyesque, colifichet de cuir au poignet, enfin tous les attributs du parfait séducteur latino dont ma grand-mère disait: «- Celui-là, il leur tord le cou sans les faire crier!».
Ivan est vraiment un charmant garçon, il se fait un art d’une élégante nonchalance, qui ne semble jamais rien prendre au sérieux. Pourtant il y a un «je-ne-sais-quoi» dans l’attitude qui trahit imperceptiblement le torero, non pas seulement dans les postures ou le maintien, mais par ces ombres qui viennent parfois voiler de gravité le regard rieur et enjoué.
Abrazo cordial, vigoureux et sincère. Nous roulons vers la placita de tienta et les corrals.
Adolfo MONTESINOS nous attend, son regard océanique alterne la rêverie et l’examen perçant des choses et des êtres. Il a des mines gourmandes de prélat vatican qui cachent, sans y parvenir vraiment, l'exaltation dévorante qui l’anime. Cet homme là est une encyclopédie ambulante du toro brave. Lancez le nom d’une ganaderia, et il vous déroule illico, l’ascendance, les lignées, la succession des propriétaires, les anecdotes, en précisant éventuellement le cas qu’il tient de ses produits.
Raul VELASCO nous rejoint plus tard. Raul, c'est la sincérité, le don, le généreux enthousiasme. Raul se perd souvent dans des méditations improbables et son visage se fige dans des rêves de charges, dans la grâce d'une naturelle profonde et templée, celle qu'il offrira un jour à n'en pas douter. Avec une ingénuité presque enfantine, il s'enflamme dans l'apologie fervente de ces santacolomas qu'il apprécie tant.
En compagnie d'Oscar, le jeune mayoral taiseux mais lui aussi nourri de la passion, nous passons de cercado en cercado, pour admirer les toros d'Adolfo, les filmer et les photographier. L'opération n'a rien d'une sinécure, le santacoloma est volontiers turbulent et naturellement agressif. Adolfo a séparé le lot en 4 groupes pour mettre un terme aux peleas qui ont amenuisé le choix d'origine. Il a parfois mélangé les quatreños avec des jeunots afin d'éviter les rivalités.
Nous cherchons un brin d'ombrage en limite d'un enclos pour procéder aux interviews. Las! Le vent vient contrarier nos projets et nous nous rabattons sur la cantina qui surplombe la placita, où les fauves, pour l'heure placides, semblent ruminer l'éternité avec une patience infinie.
Toreros et ganadero nous content leurs attentes et leurs espoirs: Orthez, 26 de Julio, à las 6 de la tarde, ils ont rendez-vous avec leurs désirs de toros et de gloire. Les toros eux, s'en foutent, ils ne connaissent que le présent.
Lors de la collation campera nous devisons. Les potins du mundillo, la carrière de chacun, les perspectives, Ivan à Madrid, ce toro important à coté duquel il est passé. Baste! Les toreros ne sont pas des machines, et c'est pour cela que nous les aimons. Laissons l'obligation de résultats aux illusionnistes politiques ou aux populistes taurins. Raul raconte à Ivan, très étonné, son expérience vicoise. Jean François, notre ami bayonnais qui le suit, a eu la profonde intelligence de lui faire humer l'air des arènes depuis les tendidos. Il évoque les applaudissements aux piques alors qu'en Espagne, on tend plutôt à abréger le tercio pour complaire au public, ce qui incite au premier puyazo assassin.
Nous leur confions notre projet de valoriser le premier tercio, et le débat qui court en France à ce sujet. On évoque l'influence et la pesanteur des cuadrillas, le rôle des piqueros et la difficulté d'en trouver de compétents, surtout quand on n'assure qu'un nombre limité de corridas.
Pour ma part, la relation avec le mundillo, ses codes et ses règles de fonctionnement demeure délicate et complexe. J'observe, je comprends, mais bien souvent je ne parviens ni à adhérer, ni à cautionner nombre de pratiques dans cette "mesclade" de code d'honneur fluctuant, d'amitiés équivoques, d'exploitation forcenée, où en fin d'analyse, dans la majorité des cas, seul l'intérêt prévaut. C'est un "milieu" dur où la valeur, la loyauté, la droiture, la reconnaissance ne sont que rarement des vertus productives. On en connaît tant de ces talents écrasés pour cause d'insoumission ou de franchise, tant de rêves fracassés, tant de jeunes hommes brisés.
Je déteste les discours apologétiques parce qu'ils sont réducteurs de la pensée et de la complexité de l'humain. Comme disait l'autre, quand j'entends le mot "valeurs", je sors mon pistolet. Les "valeurs de la tauromachie", les "valeurs du rugby"! Foutaises! Voilà le paravent derrière lequel se dissimulent toutes les bassesses et toutes les avanies... Passée l'illusion romantique, il en va de la tauromachie comme du reste: le théâtre de l'humanité, qui décline la comédie humaine du sordide au sublime.
Ivan gravement m'interpelle: "- Xavier, surtout ne change pas! Reste en dehors de tout cela."
Cher Ivan, à la fois si léger et si profond, en un mot si espagnol! Que Dieu te garde et qu'un jour passe ce toro qui te permettra de tout dire, sans avoir à parler!

Xavier KLEIN
D'autres photos de la série prochainement sur le site de la Commission
http://torosorthez.blogspot.com/

Adolfo Rodriguez MONTESINOS, le ganadero et Ivan VICENTE Ivan VICENTE et Raul VELASCO
Raul VELASCO
Ivan VICENTE

Oscar, le mayoral


Ma préférée, une "vega-villar" au teint de neige

PERIPLE TAURIN: VIC et NIEVES

Comme annoncé dans le dernier article, la Pentecôte fut rude: samedi vicois, dimanche castillan, lundi tolédan.
Tout avait débuté fort mal. Les effets de la crise avaient poussé à l’occupation du pont d’Aire sur Adour par les salariés désespérés d’entreprises locales.
Furibard, j’ai erré pendant quasiment une heure dans la campagne aturine, cherchant, dans le dédale des déviations de fortune, la voie vers le Saint Sépulcre vicois.
La beauté des paysages, la sérénité de la nature m’ont appelé à quitter cette indignation et cette colère qui naissent du désir frustré. Oui, j’allais être en retard aux Flores de Jara, mais combien plus importante était la colère de ces frères humains dont la vie était broyée par une impitoyable logique économique. La vie, l’âge, la passion, l’unique considération de nos désirs nous rendent indifférents, insensibles et égoïstes. C’est une vérité qu’il nous faut regarder sans artifices, et dont nous devons nous prémunir au risque de perdre la quête de l’essentiel: l’Homme.
Et finalement, ce week-end se plaça, sous le signe de l’Homme, de ces humains rencontrés, tellement plus importants que tous les toros du monde. Une affirmation humaniste qui doit faire la grandeur des aficionados de verdad, et déjuger les anti-corridas, qui identifient et mesurent à la même aulne, l’homme et l’animal.
J’ai pris un grand plaisir à découvrir les visages de nombre de «pèlerins des blogs» les amis de Campos y Ruedos, Pelayo, Pedrito, Lionel, Florent (et bien d'autres, tout aussi chers qui me pardonneront de ne pas les citer), que je ne connaissais que par leurs écrits. Et ces rencontres pour trop brèves qu’elles fussent, remplirent mieux ma journée et mon souvenir, que les excellents novillos de Bucarré –du moins des 4 derniers que je réussis à voir- ou des redoutables Escolar qui animèrent la tarde.
Les conclusions taurines de la journée me laissèrent un goût d’amertume.
D’évidence, il foisonne autant de néophytes gueulards (ou de gueulards néophytes) chez les toristas que chez les tenants de la toreria «moderne».
Réclamer et obtenir des vueltas pour des toros qui prennent des piques en mansos me paraît stupide et déplacé. Le toro idéal –existe t-il et doit-il exister?- me paraît devoir allier bravoure avant tout, noblesse, un poignée de genio, une grande louche de sauvagerie, un zeste de sentido et surtout, suffisamment de ressources physiques pour pouvoir exprimer les ingrédients. Le problème est dans les proportions et dans une identification claire de la nature réelle des qualités ou des défauts des toros. L’aspect spectaculaire de certaines piques où le toro exprime de la puissance et de la violence ne saurait, par exemple, gommer les étriers qui sonnent, les sorties sans sollicitations d’une mansedumbre évidente.
De même, l’exigence envers les toreros me semble bien souvent inappropriée voire à la limite de l’indécence. Aucun torero, dés lors qu'il accepte de se colleter avec un Escolarne ne me paraît mériter qu’on le siffle indûment. Qu’on vilipende David MORA en fin de premier tercio, pour avoir fait assassiner son toro à la pique, certes, mais j’ai entendu certains noms d’oiseaux pendant la faena, qui étaient indignes à l’endroit d’un jeune homme qui se confronte régulièrement à du bétail très souvent impossible. Que n’a t-on les mêmes exigences vis à vis des figuras!
Ignorance crasse de nombreux spectateurs qui attendent qu’on serve à des toros de respect, les mêmes chefs d’œuvres d’horlogerie suisse, qu’ils admirent béatement sur les petits écrans ou durant les grands cycles ferials. Faut-il préciser ici que certaines faenas ne se monnaient qu’à la passe, et que parfois ces passes doivent se limiter à du piton a piton, quand le toro l’exige. Demander plus est demander trop. L’abnégation tomasiste ou castellienne n'existe que par la limitation du risque présenté par des adversaires en général accommodants. Gardons-nous de l’oublier jamais.
Au risque de m’attirer quelques foudres, ce dont je n’ai cure, le snobisme vicois de certains s’exhibe aussi pitoyablement et ridiculement que le snobisme nîmois, bayonnais, arlésien ou dacquois. Certains viennent y gagner le brevet d’honorabilité torista, qui leur permet de justifier d’autres choix plus contestables. On les voit se pavaner à Vic, plus rarement à Céret, mais quasiment jamais dans ces petites plazas où pourtant s’entretient une aficion brûlante, qui n’est jamais récompensée par la notoriété, la médiatisation et les profits financiers. Etre vu là où l’on montre semble être la condition de leur choix.
Voulez-vous connaître ces plazas? Il suffit de lister celles où Signes du Toro ne filme jamais…
Il me fallait me porter à la rencontre d’autres hommes, sous d’autres cieux et le lendemain je traçais la route de Mayalde (province de Zamora) pour préparer le support vidéo de promotion de la journée taurine d’Orthez.
Nous avons souhaité centrer cette promotion sur une information avisée et intelligente de l’aficionado. Instruire le public (on ne se refais pas), particulièrement la cohorte des locaux pour qui la corrida d’Orthez est souvent l’unique accès à la tauromachie, de ce qu’ils allaient voir, des caractéristiques, de l’histoire, de la vie des toros de Santacoloma d’Angel Nieves et d’Adolfo Montesinos, de la passion de ces ganaderos, de leurs objectifs, de leurs épreuves, de leurs doutes.
Nul esprit publicitaire, nulle «réclame», mais des paroles simples et sincères qui permettent de mieux comprendre, de mieux choisir et de mieux apprécier.
C’est ainsi que l’ont compris les éleveurs, et les toreros que nous nous sommes attachés à convaincre, que notre démarche s’inscrivait un peu dans un esprit commercial (il faut bien remplir les arènes), et beaucoup dans la passion.
N'en doutons pas, Orthez sera un manifeste pour une autre tauromachie, celle du lien humain, contre celle des affaires, celle de l'artisanat contre celle de l'industrie, celle de l'authenticité contre celle des faux-semblants et de la mode.
Tous les acteurs en sont conscients, et pour tous il y a un enjeu et un challenge.
On m’a souvent dit et répété, que devenu organisateur, je ne pouvais plus penser en aficionado. C’est le genre de lieu commun que je réfute catégoriquement, et pour ceux qui me connaissent, que je suis assez con pour infirmer contre vents et marées.
Comme Angel Nieves, qui consume sa vie, sa santé, ses biens, au service de sa passion, entraînant, tel un Don Quijote moderne, femme et enfant dans sa déraison sublime.
Les toros justifient-ils de tels sacrifices, de tels renoncements?
Les pèlerins de Saint Jacques prétendent qu’on ne «fait pas le chemin», mais que c’est le chemin qui vous fait. Sans doute en va t-il de même pour les toros, et pour le reste. C’est l’effort, la tension vers un but, la discipline qu’on s’impose qui forme l’homme, quelle que soit la voie.
Les mystiques ne sont pas tous dans les monastères…
Voyez la dernière photo: elle crie!

Xavier KLEIN
D'autres photos de la série prochainement sur le site de la Commission