Arthur SCHNITZLER
Chaque hiver, je pratique une cure intensive de littérature étrangère.
Je clos quasiment toujours le cycle en découvrant ou redécouvrant de vieilles connaissances, la plupart du temps germaniques ou russes.
Chez les popovs, c’est toujours mon très cher Dosto, et de plus en plus Léon TOLSTOÏ, dont je lis depuis deux mois «Ma confession».
Une saine lecture qui permet de mesurer combien le soit-disant progrès de notre civilisation se cantonne surtout à la technicité. Dear Léon impressionne par la puissance de ses idées et la manière décomplexée de les assumer, sans souci de ce qui est socialement, politiquement et philosophiquement correct.
Mais mes deux préférés sont deux auteurs aujourd’hui trop délaissés. Stefan ZWEIG dont les nouvelles «Vingt-quatre Heures de la vie d'une femme» ou «La peur» représentent pour moi des modèles inégalables d’analyse psychologique, et le très méconnu Arthur SCHNITZLER dont le texte «La nouvelle rêvée» avait constitué la trame du testament cinématographique de Stankey Lubrick dans le film «Eyes wide shut» (qu'on pourrait traduire par: «Des yeux largement clos») en 1999. La nouvelle étant à mon avis très largement supérieure au film.
***
Ce qui me ravit inlassablement chez la plupart de ces (h)auteurs, c'est leur talent à représenter, avec finesse et délicatesse, la complexité des êtres humains, leur ambiguïté, et pour employer le mot le plus approprié, leur AMBIVALENCE.Ces chères vieilles choses se sont refusées à tout manichéisme, à toute vision bipolaire de l’humain, pour en souligner attentivement, dans des dissections littéraires subtiles, les failles, les faiblesses, les contradictions, tout ce qui constitue pour moi la grandeur de l’humanité.
On comprendra donc que cette fascination extrême pour l’ambivalence, pierre de touche, incontournable à mon sens de l’humain et de sa condition, me porte à m’opposer au simplisme réducteur très anglo-saxon de la post modernité et de ses avatars (dont l’animalisme).
Précisons de suite, que lorsque j’évoque la couleur «anglo-saxonne» de ce penchant, il n’est aucunement question d’oublier l’apport inestimable de l’intelligentsia britannique et U.S. (Tennessee Williams pour n’en citer qu’un), qui ne reflète en rien, voire infirment l’état culturel ultra majoritaire de ces contrées.
Pour ceux qui pourraient en douter et me soupçonner d’anti-américanisme primaire, un sondage paru il y a 6 mois dans le New Herald Tribune, relevait que si 74% des français pouvaient citer 3 écrivains contemporains d’envergure, ils n’étaient que 31% des américains. Mais qu'attendre de bon d'une société qui évoque le «bonheur» dans sa constitution fondatrice?
Malheureusement, à cet égard, les sociétés européenne en général, et française en particulier se «normalisent» et se mondialisent à grand train, au mauvais sens de la chose. On y voit paraître ce maudit moralisme à deux sous, cette daube de bons sentiments waltdysneyiens primaires qui sévit outre-atlantique.
On dit que les corridas seront interdites d'antenne nationale en Espagne à cause des dégâts qu'elles produisent sur les jeunes esprits.
Un progrès sans doute! Il vaut bien mieux que nos morbacks s'intoxiquent avec la débilité plus moderne de «30 millions d’amis» (une émission pornographique et vulgaire censurée dans ma chaumière).
Des générations d’enfants ont tété à la mamelle de La Fontaine, des contes de Grimm ou de Perrault (ce dernier ayant passablement dénaturé la portée symbolique des mythes précédents), de la Comtesse de Ségur (interdite de bibliothèque rose), où pour qui sait lire et décrypter, l’arrière plan ne se situe pas souvent sur le même plan sirupeux que les magnifiques aventures de Mickey ou du «Roi lion».
L’exemple le plus manifeste étant le «Livre de la jungle», mièvrerie hollywoodienne, à cent lieues (mais sans bottes) de la puissance de Kipling. Un Kipling, Fils de la Veuve, qui sait ce qu'il écrit et dans quel but: la formation morale des jeunes anglais de la société victorienne en mal d'exotisme.
Chez La Fontaine, comme chez Perrault, le loup n’est pas gentil. Comme chez les pasteurs pyrénéens, l’ours ne l’est pas non plus. Pas plus qu’on y ignore Barbe Bleue ou l’ogre, parce qu'on y transmet le message fondamental des pulsions, des angoisses, des terreurs qui habitent l'humain qui est tout sauf «gentil».
Certains préfèrent sans doute le confort de la vipère que la santé ou la survie des humains (mon fils s’est fait mordre une fois… je connais le problème). Ce n’est nullement mon cas.
Désolé d'être si prosaïque, mais quand je vois une poule, je subodore le pot, quand je vois un boeuf, je pense rôt, quand j'aperçois les canards du voisin, je rêve foie gras et galantine.
Je préfère que mes enfants aient intégré l’interdit de tabasser leurs homologues, quitte à lâcher sur la volupté qu’ils aient pu ressentir à arracher les pattes des araignées ou faire fumer les crapauds: il faut bien que sadisme se passe!
Je ne prétends nullement avoir raison. Les parents de toute manières ont toujours tort et se trompent toujours. Mais mes petits me semblent à priori, très normalement névrosés.
Evidemment, sous les efforts conjugués et hautement moraux des bestialistes, cela deviendra bientôt un délit, et je remercie le ciel d’avoir achevé le plus gros de leur éducation pour ne point avoir à rendre des comptes à des enquêtrices de la justice ou de l’assistance sociale pour défaut d’éducation.
Ainsi va le monde! En mieux paraît-il!
Un monde où ma chère ambivalence n’existera plus, puisqu’on nous annonce que nous serons parfaits.
Heureusement, je n’y serai plus, ce qui ne pourra que contribuer à la perfection de la chose…
Ere Mor the Peacock flutters, ere the Monkey-People cry,
Ere Chil the Kite swoops down a furlong sheer,
Through the Jungle very softly flits a shadow and a sigh,
He is Fear, O Little Hunter, he is Fear!
Very softly down the glade runs a waiting, watching shade,
And the whisper spreads and widens far and near;
And the sweat is on thy brow, for he passes even now,
He is Fear, O Little Hunter, he is Fear!
Ere the moon has climbed the mountain,ere the rocks are ribbed with light,
When the downward-dipping trails are dank and drear,
On comprendra donc que cette fascination extrême pour l’ambivalence, pierre de touche, incontournable à mon sens de l’humain et de sa condition, me porte à m’opposer au simplisme réducteur très anglo-saxon de la post modernité et de ses avatars (dont l’animalisme).
Précisons de suite, que lorsque j’évoque la couleur «anglo-saxonne» de ce penchant, il n’est aucunement question d’oublier l’apport inestimable de l’intelligentsia britannique et U.S. (Tennessee Williams pour n’en citer qu’un), qui ne reflète en rien, voire infirment l’état culturel ultra majoritaire de ces contrées.
Pour ceux qui pourraient en douter et me soupçonner d’anti-américanisme primaire, un sondage paru il y a 6 mois dans le New Herald Tribune, relevait que si 74% des français pouvaient citer 3 écrivains contemporains d’envergure, ils n’étaient que 31% des américains. Mais qu'attendre de bon d'une société qui évoque le «bonheur» dans sa constitution fondatrice?
Malheureusement, à cet égard, les sociétés européenne en général, et française en particulier se «normalisent» et se mondialisent à grand train, au mauvais sens de la chose. On y voit paraître ce maudit moralisme à deux sous, cette daube de bons sentiments waltdysneyiens primaires qui sévit outre-atlantique.
On dit que les corridas seront interdites d'antenne nationale en Espagne à cause des dégâts qu'elles produisent sur les jeunes esprits.
Un progrès sans doute! Il vaut bien mieux que nos morbacks s'intoxiquent avec la débilité plus moderne de «30 millions d’amis» (une émission pornographique et vulgaire censurée dans ma chaumière).
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Au contraire, les imaginaires européens et leurs sources sont tout sauf lénifiants et en tout cas plus vigoureux.Des générations d’enfants ont tété à la mamelle de La Fontaine, des contes de Grimm ou de Perrault (ce dernier ayant passablement dénaturé la portée symbolique des mythes précédents), de la Comtesse de Ségur (interdite de bibliothèque rose), où pour qui sait lire et décrypter, l’arrière plan ne se situe pas souvent sur le même plan sirupeux que les magnifiques aventures de Mickey ou du «Roi lion».
L’exemple le plus manifeste étant le «Livre de la jungle», mièvrerie hollywoodienne, à cent lieues (mais sans bottes) de la puissance de Kipling. Un Kipling, Fils de la Veuve, qui sait ce qu'il écrit et dans quel but: la formation morale des jeunes anglais de la société victorienne en mal d'exotisme.
Cette transmission codifiée et archétypique de la réalité -et non d'un wonderful word mièvre et hypothétique- me semble infiniment plus utile à la constitution psychologique d'un enfant, que des niaiseries qui le mènent à une vision erronée du monde dans lequel ils vivent et vivront.***
De fait la question qui se pose est: «Jusqu'à quel point est-il sage de protéger nos enfants?». C'est la question et l'illusion de Siddhārtha, ce jeune prince hindou que ses royaux parents voulaient à tout prix préserver de la confrontation aux maux de l'humanité (maladie, pauvreté, souffrance, mort, faim, etc.). C'est aussi la question que je pose et me pose.Chez La Fontaine, comme chez Perrault, le loup n’est pas gentil. Comme chez les pasteurs pyrénéens, l’ours ne l’est pas non plus. Pas plus qu’on y ignore Barbe Bleue ou l’ogre, parce qu'on y transmet le message fondamental des pulsions, des angoisses, des terreurs qui habitent l'humain qui est tout sauf «gentil».
Mais de même que «Sainte Majorité» voudrait réintroduire nounours chez les pequenots de l’Aspe ou de l’Ossau et supprimer les corridas chez les bouseux avinés de la plaine, il faut douter que les mêmes voient d’un bon œil la réintégration de hordes de loup dans le bois de Boulogne ou la forêt de Fontainebleau.
Il y a quelques années, un ami parisien s’était fortement ému –voire fâché- parce que je venais de faire son sort à une vipère qui lézardait sur ma terrasse. J’ai vainement tenté de lui expliquer que je passais outre les mignonnes (et utiles!) bestioles lorsque je les croisais dans les champs ou à la pêche, mais que la susdite ayant pris ses quartiers à l’endroit où mes enfants jouaient, je ne voyais pas trop l’intérêt de la confrontation.Certains préfèrent sans doute le confort de la vipère que la santé ou la survie des humains (mon fils s’est fait mordre une fois… je connais le problème). Ce n’est nullement mon cas.
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Je suis très vieux jeu, mais je considère que (attention, ça va hurler chez Brigitte, Jean Paul et Jo!) l’animal doit rester A SA PLACE. Un danois, un doberman, un patou, un cochon ou une vache n’ont nullement leur place dans un appartement parisien de 50 m2 (Si! Si! Ça existe!), ni à mon sens dans un appartement tout court, pas plus qu’une vipère à côté de my barbecue. Par contre, je n’ai aucune prévention contre la couleuvre qui niche dans le bûcher ou les crapauds qui viennent prendre le frais, quoique au moment de l’apéritif, il y ait mieux, les cuisses de grenouilles par exemple!Désolé d'être si prosaïque, mais quand je vois une poule, je subodore le pot, quand je vois un boeuf, je pense rôt, quand j'aperçois les canards du voisin, je rêve foie gras et galantine.
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Il me semble que tout cela procède du bon sens, mais avec les «êtres sensibles», il vaut mieux se méfier.Je préfère que mes enfants aient intégré l’interdit de tabasser leurs homologues, quitte à lâcher sur la volupté qu’ils aient pu ressentir à arracher les pattes des araignées ou faire fumer les crapauds: il faut bien que sadisme se passe!
Je ne prétends nullement avoir raison. Les parents de toute manières ont toujours tort et se trompent toujours. Mais mes petits me semblent à priori, très normalement névrosés.
Evidemment, sous les efforts conjugués et hautement moraux des bestialistes, cela deviendra bientôt un délit, et je remercie le ciel d’avoir achevé le plus gros de leur éducation pour ne point avoir à rendre des comptes à des enquêtrices de la justice ou de l’assistance sociale pour défaut d’éducation.
Ainsi va le monde! En mieux paraît-il!
Un monde où ma chère ambivalence n’existera plus, puisqu’on nous annonce que nous serons parfaits.
Heureusement, je n’y serai plus, ce qui ne pourra que contribuer à la perfection de la chose…
Xavier KLEIN
Le Chant du Petit Chasseur du Livre de la Jungle: évidemment, c'est pas Walt Dysney!
The Song of the Little Hunter
Ere Mor the Peacock flutters, ere the Monkey-People cry,
Ere Chil the Kite swoops down a furlong sheer,
Through the Jungle very softly flits a shadow and a sigh,
He is Fear, O Little Hunter, he is Fear!
Very softly down the glade runs a waiting, watching shade,
And the whisper spreads and widens far and near;
And the sweat is on thy brow, for he passes even now,
He is Fear, O Little Hunter, he is Fear!
Ere the moon has climbed the mountain,ere the rocks are ribbed with light,
When the downward-dipping trails are dank and drear,
Comes a breathing hard behind thee--snuffle-snufflethrough the night,
It is Fear, O Little Hunter, it is Fear!
On thy knees and draw the bow; bid the shrilling arrow go;
In the empty, mocking thicket plunge the spear;
But thy hands are loosed and weak, and the blood has left thy cheek,
It is Fear, O Little Hunter, it is Fear!
When the heat-cloud sucks the tempest, when the slivered pine-trees fall,
When the blinding, blaring rain-squalls lash and veer;
Through the war-gongs of the thunder rings a voice more loud than all,
It is Fear, O Little Hunter, it is Fear!
Now the spates are banked and deep; now the footless boulders leap,
Now the lightning shows each littlest leaf-rib clear--