Tranche de vie taurine ordinaire: Dax, vendredi 14 août 2009, 19h30, Tendidos SOL, escalier 9, la «réserve» des peñas (comme il existe des réserves indiennes ou des réserves naturelles).
Dax certes, mais ce pourrait être n’importe lequel des hypermarchés taurins du sud-ouest ou du sud-est.
Lassés par la soseria du lot de Daniel RUIZ, et l’inconséquence des figuras (Ponce, Juli, Manzanares) qui assurent le minimum syndical avec plus ou moins de conviction ou de talent, quelques impétrants se prennent à manifester au mieux leur ennui, au pire leur exaspération, devant la caricature de combat qui leur est proposée.
Exclamations et lazzis commencent à fuser coté soleil, là où le peuple aficionado se concentre, ceux-là même qui se refusent à n’être que des «clients».
Mais les caves se rebiffent, les bof bovins s’insurgent. Fanchou MOREL, homme intègre, socio éminentissime de la peña CAMPO CHARRO, aficionado de tripes et de conviction, se fait violemment prendre à partie par les bobos des barreras parce qu'il a le mauvais goût de railler la parodie en cours. Après les «chut» agacés, c’est l’agression verbale, la menace virulente, l’injure commode, le «tacayallertoisitésifort» tellement original et commode d’emploi. Les cons ont le droit inné et absolu d’approuver, on dénie aux autres celui de s’indigner.
On nage en plein «toreo moderne», avec ces «medios-toros modernes», tellement appréciés des vedettes pour leur noblesse imbécile, leur absence cosmique de mauvaises intentions, et leur propension marquée à une coopération inconditionnelle. C’est l’apothéose du toro «faire-valoir», qui «sert» sans état d’âme, et l’antithèse de ce qu’on appelle encore, rarement il est vrai, un «toro de combat».
Car de combat, il n’est plus ici question, seulement d’une aimable et féconde collaboration, à vocation vaguement artistique et fortement commerciale.
IL FAUT SATISFAIRE LA «CLIENTELE», diraient certains, qui viennent ici chercher le produit normalisé, calibré, qui justifie leur fond de commerce.
«Ils» en ont parfaitement le droit, ces «aficionados-champagne» qui aiment à s’encanailler dans la folle ambiance du Splendid ou les nuits débridées de la Peña Ponce, ces joyeux lurons qui font le plein d’émotions fortes en 5 jours de feria de luxe, éventuellement rééditée, selon affinités et moyens pécuniaires, à Nîmes, Mont-de-Marsan, Arles ou Séville.
«Ils» sont légion aussi, ceux-là qui, attirés par la «feria», comme les papillons par la lanterne, participent d’un de ces pèlerinages canoniques, où l’on est sensé communier dans le cartel de luxe et la débauche de trophée.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Le problème, c’est qu’une arène, c’est aussi un monde, et que s’y côtoient cette majorité de «consommateurs-jouisseurs» et les autres, la minorité de ceux qui vivent leur passion avec ferveur et exigence, qui se moquent des flonsflons accessoires, qui suent week-end après week-end dans les travées populaires bon marché des arènes «d’art et d’essai», qui savent qu’il existe aussi des novilladas piquées et non piquées où se dévoilent les prémices et la triviale crudité de l’art taurin.
Si, si, ils existent encore ces demeurés primitifs qui ne réduisent pas leur perception à la seule fréquentation des têtes d’escalafon et des ganaderias JPD, et qui savent, qu’il demeure encore, des mots: lidia, casta, genio, brega, pundonor, sauvagerie qui recouvrent d’autres réalités et d’autres saveurs!
Partant d’attentes aussi différentes, il n’est guère étonnant que le clivage ne se manifeste pas de manière spectaculaire.
Sans doute, cela a t-il toujours existé. Mais le «rapport de force» était différent quand, il y a quarante ans, les 3 corridas de la feria dacquoise réunissaient surtout, de manière quasiment confidentielle, un public surtout local et plus avisé. L’aficionado «de verdad», l’écumeur d’arènes et de placitas, l’aventurier du Campo Charro, le globe-trotter des marismas, revenait de ses périples ibériques auréolé du prestige de celui qui se voue totalement à sa passion. Il était écouté, respecté, quasiment honoré, réceptacle d’une science acquise par l’expérience multiple du (des) terrain(s).
A ce patrimoine transmis de génération en génération par les «anciens», construit patiemment, par le regard attentif, la connaissance accumulée, le débat, la rencontre, s’est substituée la méthode Assimil accélérée, les 2 ou 3 ouvrages basiques et vulgarisateurs vite digérés, les corridas télévisées «con comentarios de complacencia», l’abono à deux ferias, et la lecture plus ou moins distraite d’opus de luxe et d’échos internet.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Les premiers, les «clients», viennent aux arènes consommer du plaisir, de la jouissance assurée, du «club med» taurin, avec résultat prévisible et, prochainement, label et garantie de satisfaction.
Les seconds savent l’inconstance des choses, vivent d’espérances fugaces et de désirs déçus, la vraie vie quoi, construite de déceptions et de joies rares mais intenses, quand le sort veut bien parfois sourire.
Les premiers sont des gourmands et des consommateurs dont le plaisir doit être garanti.
Les seconds sont des gourmets et des hédonistes pour qui le plaisir survient par surcroît, non par principe.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Que les premiers trouvent leur plaisir devant l’accumulation quantitative de passes faciles devant des bestiaux insipides, qu’ils s’en satisfassent, qu’ils y applaudissent, qu’ils en jouissent puisqu’ils sont venus pour cela, rien que de très innocent et de très légitime… Ils en ont le droit.
Que les seconds y trouvent au contraire motif à déception, s’en émeuvent, et le manifestent, rien que de très innocent et de très légitime… Ils en ont également le droit.
Dans une arène la légitimité est égale entre le droit à la jouissance et celui à l’insatisfaction, entre celui d’applaudir et celui de siffler.
Enfin, ce devrait être le cas.
Or ce ne l’est plus.
Streng verboten, interdiction formelle de siffler, prohibition totale de toute entrave à la jouissance majoritaire. Le plaisir est licite, programmé, voire recommandé. La critique, l’insatisfaction sont prohibées. Jouir sans entraves, c’est le mot d’ordre et rien ne doit venir troubler la quête du «fun».
S’il ne s’agissait que des arènes! Mais c’est toute une société qui est désormais modelée sur ce schéma, gavée d’un idéal et de représentations fallacieuses, complètement déconnectées de la réalité du monde et de la condition humaine. On tient les veaux (comme disait le grand Charles) par le plaisir primaire et/ou par les peurs fondamentales (terrorisme, crise, virus grippaux, hordes étrangères, etc.)
Le refus ou le déni de la limitation du plaisir, c’est l’anti éducation par excellence, c’est la voie royale de la configuration perverse (au sens psychanalytique du terme) du monde, c’est l’acte «décivilisateur» de base.
«- Les cons!» soupirait Daladier, à son atterrissage triomphal au Bourget, après la honteuse signature des accords de Munich, devant la foule qui venait acclamer ce pitoyable et «lâche soulagement». Et Churchill de rajouter plus tard: «- Le gouvernement avait à choisir entre la honte et la guerre, il a choisi la honte et il a eu la guerre.». On ne gagne jamais à céder à l’illusion du plaisir à tout prix.
Devant cette capitulation exigée de l’intelligence, de l’esprit critique, de l’âme frondeuse, ce diktat de la facilité, de l’apparence et du faux-semblant, il convient de ne pas céder, et surtout de ne pas se taire.
Le refus est aussi légitime que l’adhésion.
Ce n’est même plus une question exclusivement taurine, c’est le droit à l’expression de la contestation et de l’indignation qui est en jeu, que l’on chicane de plus en plus, au nom d’un prétendu consensus fédérateur.
Un droit précieux qu’on nous encourage sournoisement à négliger au péril de la menace de l’impopularité ou de la marginalisation dans un «Meilleur des mondes» taurins.
Soyons exigeants et restons capables d’indignation.
Dax certes, mais ce pourrait être n’importe lequel des hypermarchés taurins du sud-ouest ou du sud-est.
Lassés par la soseria du lot de Daniel RUIZ, et l’inconséquence des figuras (Ponce, Juli, Manzanares) qui assurent le minimum syndical avec plus ou moins de conviction ou de talent, quelques impétrants se prennent à manifester au mieux leur ennui, au pire leur exaspération, devant la caricature de combat qui leur est proposée.
Exclamations et lazzis commencent à fuser coté soleil, là où le peuple aficionado se concentre, ceux-là même qui se refusent à n’être que des «clients».
Mais les caves se rebiffent, les bof bovins s’insurgent. Fanchou MOREL, homme intègre, socio éminentissime de la peña CAMPO CHARRO, aficionado de tripes et de conviction, se fait violemment prendre à partie par les bobos des barreras parce qu'il a le mauvais goût de railler la parodie en cours. Après les «chut» agacés, c’est l’agression verbale, la menace virulente, l’injure commode, le «tacayallertoisitésifort» tellement original et commode d’emploi. Les cons ont le droit inné et absolu d’approuver, on dénie aux autres celui de s’indigner.
On nage en plein «toreo moderne», avec ces «medios-toros modernes», tellement appréciés des vedettes pour leur noblesse imbécile, leur absence cosmique de mauvaises intentions, et leur propension marquée à une coopération inconditionnelle. C’est l’apothéose du toro «faire-valoir», qui «sert» sans état d’âme, et l’antithèse de ce qu’on appelle encore, rarement il est vrai, un «toro de combat».
Car de combat, il n’est plus ici question, seulement d’une aimable et féconde collaboration, à vocation vaguement artistique et fortement commerciale.
IL FAUT SATISFAIRE LA «CLIENTELE», diraient certains, qui viennent ici chercher le produit normalisé, calibré, qui justifie leur fond de commerce.
«Ils» en ont parfaitement le droit, ces «aficionados-champagne» qui aiment à s’encanailler dans la folle ambiance du Splendid ou les nuits débridées de la Peña Ponce, ces joyeux lurons qui font le plein d’émotions fortes en 5 jours de feria de luxe, éventuellement rééditée, selon affinités et moyens pécuniaires, à Nîmes, Mont-de-Marsan, Arles ou Séville.
«Ils» sont légion aussi, ceux-là qui, attirés par la «feria», comme les papillons par la lanterne, participent d’un de ces pèlerinages canoniques, où l’on est sensé communier dans le cartel de luxe et la débauche de trophée.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Le problème, c’est qu’une arène, c’est aussi un monde, et que s’y côtoient cette majorité de «consommateurs-jouisseurs» et les autres, la minorité de ceux qui vivent leur passion avec ferveur et exigence, qui se moquent des flonsflons accessoires, qui suent week-end après week-end dans les travées populaires bon marché des arènes «d’art et d’essai», qui savent qu’il existe aussi des novilladas piquées et non piquées où se dévoilent les prémices et la triviale crudité de l’art taurin.
Si, si, ils existent encore ces demeurés primitifs qui ne réduisent pas leur perception à la seule fréquentation des têtes d’escalafon et des ganaderias JPD, et qui savent, qu’il demeure encore, des mots: lidia, casta, genio, brega, pundonor, sauvagerie qui recouvrent d’autres réalités et d’autres saveurs!
Partant d’attentes aussi différentes, il n’est guère étonnant que le clivage ne se manifeste pas de manière spectaculaire.
Sans doute, cela a t-il toujours existé. Mais le «rapport de force» était différent quand, il y a quarante ans, les 3 corridas de la feria dacquoise réunissaient surtout, de manière quasiment confidentielle, un public surtout local et plus avisé. L’aficionado «de verdad», l’écumeur d’arènes et de placitas, l’aventurier du Campo Charro, le globe-trotter des marismas, revenait de ses périples ibériques auréolé du prestige de celui qui se voue totalement à sa passion. Il était écouté, respecté, quasiment honoré, réceptacle d’une science acquise par l’expérience multiple du (des) terrain(s).
A ce patrimoine transmis de génération en génération par les «anciens», construit patiemment, par le regard attentif, la connaissance accumulée, le débat, la rencontre, s’est substituée la méthode Assimil accélérée, les 2 ou 3 ouvrages basiques et vulgarisateurs vite digérés, les corridas télévisées «con comentarios de complacencia», l’abono à deux ferias, et la lecture plus ou moins distraite d’opus de luxe et d’échos internet.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Les premiers, les «clients», viennent aux arènes consommer du plaisir, de la jouissance assurée, du «club med» taurin, avec résultat prévisible et, prochainement, label et garantie de satisfaction.
Les seconds savent l’inconstance des choses, vivent d’espérances fugaces et de désirs déçus, la vraie vie quoi, construite de déceptions et de joies rares mais intenses, quand le sort veut bien parfois sourire.
Les premiers sont des gourmands et des consommateurs dont le plaisir doit être garanti.
Les seconds sont des gourmets et des hédonistes pour qui le plaisir survient par surcroît, non par principe.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Que les premiers trouvent leur plaisir devant l’accumulation quantitative de passes faciles devant des bestiaux insipides, qu’ils s’en satisfassent, qu’ils y applaudissent, qu’ils en jouissent puisqu’ils sont venus pour cela, rien que de très innocent et de très légitime… Ils en ont le droit.
Que les seconds y trouvent au contraire motif à déception, s’en émeuvent, et le manifestent, rien que de très innocent et de très légitime… Ils en ont également le droit.
Dans une arène la légitimité est égale entre le droit à la jouissance et celui à l’insatisfaction, entre celui d’applaudir et celui de siffler.
Enfin, ce devrait être le cas.
Or ce ne l’est plus.
Streng verboten, interdiction formelle de siffler, prohibition totale de toute entrave à la jouissance majoritaire. Le plaisir est licite, programmé, voire recommandé. La critique, l’insatisfaction sont prohibées. Jouir sans entraves, c’est le mot d’ordre et rien ne doit venir troubler la quête du «fun».
S’il ne s’agissait que des arènes! Mais c’est toute une société qui est désormais modelée sur ce schéma, gavée d’un idéal et de représentations fallacieuses, complètement déconnectées de la réalité du monde et de la condition humaine. On tient les veaux (comme disait le grand Charles) par le plaisir primaire et/ou par les peurs fondamentales (terrorisme, crise, virus grippaux, hordes étrangères, etc.)
Le refus ou le déni de la limitation du plaisir, c’est l’anti éducation par excellence, c’est la voie royale de la configuration perverse (au sens psychanalytique du terme) du monde, c’est l’acte «décivilisateur» de base.
«- Les cons!» soupirait Daladier, à son atterrissage triomphal au Bourget, après la honteuse signature des accords de Munich, devant la foule qui venait acclamer ce pitoyable et «lâche soulagement». Et Churchill de rajouter plus tard: «- Le gouvernement avait à choisir entre la honte et la guerre, il a choisi la honte et il a eu la guerre.». On ne gagne jamais à céder à l’illusion du plaisir à tout prix.
Devant cette capitulation exigée de l’intelligence, de l’esprit critique, de l’âme frondeuse, ce diktat de la facilité, de l’apparence et du faux-semblant, il convient de ne pas céder, et surtout de ne pas se taire.
Le refus est aussi légitime que l’adhésion.
Ce n’est même plus une question exclusivement taurine, c’est le droit à l’expression de la contestation et de l’indignation qui est en jeu, que l’on chicane de plus en plus, au nom d’un prétendu consensus fédérateur.
Un droit précieux qu’on nous encourage sournoisement à négliger au péril de la menace de l’impopularité ou de la marginalisation dans un «Meilleur des mondes» taurins.
Soyons exigeants et restons capables d’indignation.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Xavier KLEIN
Xavier KLEIN