Humeurs taurines et éclectiques

dimanche 31 octobre 2010

SPLEEN AUTOMNAL

Ceux qui suivent la Brega connaissent ces périodes de vacuité où l'on se prend à croire que l'auteur-rédacteur-commentateur-imprécateur-vilipendeur (certains sont bien boxeurs-toreros-journalistes-présidents-observateurs...) a disparu corps et biens.
Je me suis fait gentiment engueuler par nombre «d'habitués», chagrinés par l'absence.
Ach so! Ne serait-ce pas là la marque du désir? D'aucuns croient ferme que le désir s'affirme dans la satisfaction. «Que non pas!», comme disait ma grand-mère Berthe, la marque du désir c'est le manque...
Merci donc à tous ceux qui, du septentrion brumeux des confins flamands au Cap de Bonne Espérance (oui, nous avons un lecteur boer du Natal), en passant par l'Andalousie, ont manifesté quelque inquiétude.
Désappointons aussi ceux qui ont espéré en vain la disparition tant attendue du monstre...

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En fait, il y avait trop à faire et trop affaires.
Labeur professionnel, activités municipales, embarras taurins, mais aussi cueillette des cèpes, ramassage des châtaignes et remise en état du garden avant pause hivernale.
Tout cela sur fond de baisse du tonus lié à la petite mort annuellement répétée de Mère Nature. L'animal en nous pâtit de la baisse de la lumière et de la chaleur et nous convoque à la léthargie de l'ours, de la marmotte ou de l'écureuil qui rejoignent la tanière pour entrer en hibernation.
La vie quoi!
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Pour autant, la période fut faste et riche d'évènements.
Il y eut tout d'abord ce prix attribué par les Clubs Taurins Paul Ricard du Sud-Ouest à la corrida de Dolores AGUIRRE d'Orthez. Un prix que la Commission Taurine appréciera humblement comme un encouragement à s'engager outre.
Il y eut aussi ce satisfecit du congrès de la Fédération des Sociétés Taurines qui cite Orthez, parmi d'autres, comme une arène de «qualité et d'émotion».
Il y eut enfin, les nombreux compliments et témoignages de sympathie et de soutien reçus lors de notre récent périple dans les ganaderias d'outre-pyrénées.
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Nos amis espagnols donneraient-ils dans la déprime et le complexe d'infériorité?
Partout ce fut la même litanie: «L'aficion et le public français sont de grande qualité, bien meilleurs qu'en Espagne.», «En France vous savez mieux faire les choses, avec beaucoup plus de sérieux.», «Vous respectez toros et toreros.», «Vous savez garder les «zantis» a su sitio.».
Et surtout, plus surprenant pour des ganaderos: «Les pires des «zantis» sont dans le mundillo, SONT LE MUNDILLO.». Nous les avons rassurés: de Nîmes à la côte landaise, nous avons aussi nos flétrissures mundillesques franchouillardes, des loups dissimulés sous les oripeaux des moutons, de beaux parleurs mauvais faiseurs.
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Et le mal est profond. Il est surtout profondément enraciné dans la conscience même de l'aficion la plus authentique.
Le constat, à mon sens justifié, d'un mundillo qui joue contre son propre camp, qui aurait déjà fait le deuil de la tauromachie et qui s'empresse de se remplir les poches avant le déluge me paraît mal s'assortir avec la naïve créance dans la vertu d'une union sacrée salvatrice.
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Invité hier au dixième anniversaire de la Peña Los Dos de Castétis en Béarn, j'entendais un excellent aficionado de verdad plaider pour l'unité du monde taurin.
Heureux homme qui ne voyait pas, autour de lui, à ce moment même, les signes du désaveu de ses espoirs.
Voilà une jeune peña enthousiaste et dynamique qui organisait une sympathique soirée d'anniversaire parfaitement désertée par l'aficion orthezienne: nous étions deux! Où étaient-ils les collègues et amis des autres peñas? Où étaient-ils les tribuns de tertulias à grande gueule et à bonne conscience? Où étaient-ils les sentencieux unificateurs d'aficion?
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La corrida crève des exigences inconsidérées des professionnels. Exigences financières, mais aussi exigences de sécurité du toreo: le risque n'est plus de mise lorsqu'on doit assurer les 50 à 80 contrats des figuras, à 100.000 euros la prestation. A ces prix, on n'aficione plus, on gère et on thésaurise.
Que les plazas se désertent, que les jeunes ou les classes populaires ne puissent plus accéder aux arénes, que le spectacle débilitant de la lutte factice entre des vedettes blasées et un bétail fabriqué sur mesure prive la fiesta brava de toute émotion et de toute vérité, de tout cela, ils n'en ont cure les pompiers pyromanes. Seul leur importe d'engranger tant qu'il en est temps.
Quelle est l'union possible avec ces gens là?
Quel rapport entretenir avec un novillero qui déclare que des ganaderias telles que celle de Moreno de Silva ne devraient pas exister, ou un Simon Casas qui insulte la mémoire de Vidal?
Quelle convergence subsiste entre ceux qui pensent pognon, et ceux qui voient dans la tauromachie un rituel, un acte profond, l'affirmation d'une culture ancestrale, d'une vision de la vie et de la mort?
Qui comprend que la tauromachie n'a pas échappé à l'évolution d'un libéralisme mondialisé qui place le «marché», l'argent et le profit au centre de sa logique, et que cette règle du jeu là s'oppose, par essence, à la nature culturelle profondément subversive de l'acte taurin, inscrit dans une société de valeurs rurales?
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Ce combat là n'est pas perdu. Il est même, plus que jamais d'actualité.
C'est la réaction salvatrice d'une société et d'une culture qui ne veulent pas s'en remettre à une pensée et à un ordre uniques. Ceux que dénonce Raffaele SIMONE dans son dernier ouvrage à lire d'urgence: «Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite?» Gallimard 2010.
En attendant, profitons des feuillages rutilants ou mordorés de l'automne, des parfums de mousse et d'humus des sous-bois. Ce spectacle là demeure encore gratuit et ouvert à tous.
Xavier KLEIN
PS: Pour m'excuser d'une si longue absence, en exergue et en conclusion, deux superbes clichés tiré par mon fils Alexandre en Andalousie: il a tout compris celui-là!
MIURA Zahariche
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