«Qui critique les autres travaille à son propre amendement.»
Arthur Schopenhauer, «Aphorismes sur la sagesse dans la vie»
Que faut-il penser de la charge féroce, stupide et outrancière de Monsieur VAL sur France Inter?
Il faut méconnaitre le bonhomme pour s'en étonner. Quand Philippe VAL se préoccupe de s'engager dans une cause, il ne donne pas dans la dentelle, mais oeuvre plutôt au canon de 75.
Ce qui est plus étonnant, c'est qu'on s'émeuve soudain de propos récurrents, alors que l'on ait pu rire grassement par le passé, de ce qu'il a abondamment balancé dans le même style à d'autres cibles (église, islamisme, etc.). Tant qu'on n'était ni curé, ni barbu, ni amerloque c'était amusant, quand on se trouve concerné, cela devient insupportable.
Faut-il préciser qu'il n'est pas le seul à Charlie Hebdo à vitupérer contre la corrida? Cavanna ou Choron se sont largement exprimés à de multiples reprises sur le thème, et dans des termes équivalents.
Je n'ai jamais été un lecteur assidu de Charlie Hebdo. Tant le fond que la forme m'ont souvent fait sourire, parfois froissé. Mais jamais il ne me viendrait à l'idée que cette expression là puisse faire l'objet d'une censure.
Le problème n'est pas que Philippe VAL s'exprime, y compris violemment sur le sujet de la corrida. Comme journaliste, chansonnier et échotier il en a la prérogative imprescriptible, et la liberté de la presse doit rester un droit sacré et inviolable, y compris si ce qu'il dit ne nous plait pas.
Peut-être faudrait-il s'inquiéter au contraire de l'inflation des censeurs qui s'offusquent de toute parole qui ne leur revient pas?
Le problème c'est que cette parole, qui a le droit d'exister, ait été prononcée sur une antenne de service public, sans contradiction possible.
Quand on lit Charlie Hebdo, on sait à quoi on s'expose. On reste libre ou non d'acheter un journal dont on connait les orientations. Ce n'est nullement le cas pour France Inter où pas mal de gens ont été surpris de cette saillie matinale. Par ailleurs, nulle autre parole n'est venue contredire, tempérer, remettre en cause ou en perspective ce que venait d'asséner VAL, et c'est cela même qui vient limiter et équilibrer la nécessaire liberté d'expression, et le droit sacré du journaliste.
S'il faut s'offusquer de quelque chose, c'est de l'absence d'un droit de réponse, et en cela, ce n'est pas VAL qui est en cause, mais France Inter.
Qu'on se rassure, je ne boycotterai pas France Inter, je continuerai obstinément à écouter cette radio de grande qualité, je persisterai à entendre le billet d'humeur de Val, surtout parce qu'il vient bousculer sauvagement mes certitudes et me confronter à l'inconfort ou à l'indignation, à solliciter opiniâtrement cette vertu menacée: la tolérance. Non pas la tolérance molle d'une passivité ou d'une indifférence à l'autre, mais l'acceptation douloureuse et difficile de ce qui nous gène.
Philippe VAL n'est pas le seul, loin s'en faut, à s'engager dans le combat anti-taurin. Michel ROCARD, le chanteur RENAUD ou Philippe GLOAGUEN, directeur du Guide du Routard se font une gloire de leur activisme. On peut bien évidemment multiplier les procès, voire même les boycotts, ce qui semble à la mode, mais ce genre de batailles n'est jamais gagnée devant les tribunaux. Les idées se combattent avec des idées et des arguments, en s'appuyant sur des positions tenables. Durant l'affaire Dreyfus, Zola a perdu ses procès mais a remporté la bataille politique.
De ce point de vue, il convient de s'appuyer, non pas sur des vérités révélées, ou se bercer de douces illusions, confortées par le soutien rassurant mais illusoire de ceux qui sont d'accord avec vous, mais au contraire de s'ouvrir à ce que vous dit le contradicteur. Ce qu'il dit qui nous est insupportable, mais aussi ce qu'en disent ceux qui n'ayant pas encore choisi, entendent, jugent et se prononcent.
Quand les anti-corrida sont venus manifester à Dax durant la feria, je suis aller discuter avec eux, et notamment avec Monsieur HELY, leur porte parole.
Il n'était nullement question de ma part de polémiquer, de les convaincre ou même de les faire douter.
Simplement de juger par moi-même, sans le filtre déformant de ceux qui d'ordinaire rapportent, plus ou moins honnêtement ou caricaturalement, leurs propos.
Simplement de les écouter et de les entendre.
Simplement de voir ce qui fondait leur argumentation et justifiait un tel engagement de leur part.
J'ai conversé pendant ¾ d'heures, fort courtoisement d'ailleurs, avec Monsieur HELY. Il y avait chez lui quelque chose qui tenait du prédicateur ou du missionnaire qui ne désespèrerait jamais d'une conversion possible de son protagoniste. Ces gens là échappent au rationnel, ils sont dans une mystique, ils font croisade et sont prêts au martyre ou à toutes les extrémités, y compris celle de se dénuder en public.
Ce qui est frappant, c'est le discours rodé et formaté, qui a prévu toutes les objections et qui use de toutes les ressources de la rhétorique, de toutes les ficelles de la propagande ou de la désinformation pour s'imposer.
En fin de compte, à bout d'arguments, ce qui émerge, c'est un recours systématique aux affects et à l'émotionnel au détriment de la pensée. On en termine toujours avec cette interrogation sybiline: "Mais vous n'éprouvez donc point de compassion?". Une question morale sur un concept d'origine religieuse.
Et c'est une conclusion logique dans la mesure où tout leur système est érigé sur des postulats moraux, c'est à dire sur des convictions. On n'est plus alors confronté à un raisonnement mais à des croyances, on est dans la religion, pas dans la raison.
Que les anti-corridas soient entrés en religion pourquoi pas, c'est leur droit et leur affaire, à condition que cette religion dise son nom et s'identifie en tant que telle, pas qu'elle avance masquée, auquel cas on doit parler de secte.
Il semble donc vain de songer convaincre ou même faire douter des gens portés par une foi. En revanche, il faut trouver les idées et les mots qui portent sur un grand public, auquel, un jour ou l'autre, on demandera de se prononcer.
Cette bataille des idées sera remportée par les plus convaincants et par les plus crédibles.
Les tauromaches présentent-ils cette image?
On peut en douter au vu de la «contamination» anti-taurine que l'on constate dans l'évolution de la tauromachie et à travers les débats en cours.
La référence incessante à une justification par l'esthétique, la contestation de la sauvagerie, l'affadissement des toros, les tentations «d'adoucissement» du tercio de piques, ne constituent-ils pas un engagement sur une pente dangereuse, vers ce que d'aucuns évoquent déjà: la suppression désormais virtuellement possible des deux premier tercios et de la mise à mort que la mutation des toros actuels permet d'ores et déjà d'envisager?
L'aficionado moderne aurait-il la passion honteuse? Doit-il donner des gages de sa civilité pour espérer survivre?
La dialectique mobilisée par les avocats de la cause taurine, en France comme en Espagne, s'apparente souvent à une auto justification laborieuse et défensive. Il faut le dire, c'est une option suicidaire à terme. En Catalogne, l'initiative et l'offensive appartiennent aux abolitionnistes et les aficionados s'en remettent à des compromis politiques sans se manifester positivement et vigoureusement. En France, on était quasiment résolu à des concessions sur l'accès des mineurs aux arènes pour éteindre l'incendie.
Notre crédibilité sera déterminante et il faudrait en finir avec les dénis de réalité et les langues de bois qui infirment et pervertissent complètement notre discours.
Oui le toro souffre sous la pique! Et alors!
Essayer de persuader un quidam néophyte du contraire, en dépit des artifices argumentatifs constitue une gageure et une illusion. Il nous faut assumer cette souffrance là et lui donner un sens au lieu de la nier.
L'important pour l'aficionado n'est pas de s'en repaître, mais d'observer ce que le toro en fait (la bravoure), et en quoi elle concerne l'Homme.
C'est en assumant ce que nous sommes (le bon et le mauvais, si tant est que bon ou mauvais signifient quelque chose...), les valeurs culturelles portées par la corrida, ce en quoi nous croyons, ce que nous aimons et que nous n'avons en rien à justifier, que nous serons écoutés et respectés, pas en négociant des capitulations successives, ou en nous adaptant aux valeurs des autres.
On peut croire à l'idéal humaniste, vouloir une Europe unifiée, un monde apaisé et ne rien vouloir concéder à l'uniformité et à la standardisation des cultures et des idées. C'est là le rêve des marchands, pas celui des philosophes.
Assumons et affirmons fièrement notre différence, elle est richesse.
Xavier KLEIN