Humeurs taurines et éclectiques

mardi 30 août 2011

Le jour d'après


Juan SANCHEZ-FABRES n'en revenait toujours pas en ce lundi 22 août!
De passage à Salamanque, je lui avais téléphoné, comme je le fais souvent pour lui dire un petit bonjour.
Juan, comme dab, m'avait répondu d'un tonitruant «¡Fenomenal!» en me conviant séance tenante dans ses pénates de Pedro Llen. Ce qui représente déjà en soi une originalité révélatrice dans la mesure où c’est sans doute l’un des seuls ganaderos du Campo Charro à vivre et habiter à demeure dans sa finca.
«Un privilège et un bonheur» de son propre aveu, sauf lorsqu’il s’agissait de jouer constamment les taxis pour la marmaille.

Juan est l’homme le plus adorable, cordial et hospitalier qui se puisse être. Un concentré de tonus, d'enthousiasme et de bonne humeur communicative, de vie quoi…
Il n’a qu’un seul tort, celui d’avoir éliminé une barbe qui le faisait ressembler à l’avatar des amours coupables del Capitán Haddock (de Moulinsart…) et d’Ernest Hemingway. Il partage avec ce dernier une passion effrénée de la chasse, ayant été abondamment traîner ses guêtres en bonne compagnie (Don Juan Carlos ou Julio Robles) du coté du Kilimandjaro. Dans la «casa grande», les massacres d’antilopes, de buffles ou de phacochères (certains sont bon marché) côtoient les têtes des toros célèbres de la maison. Tout un programme!

Pour ceux qui l’ignoreraient, la famille SANCHEZ-FABRES préside aux destinées de la maison mère de l’encaste Coquilla qui après des heures de gloire depuis sa création dans les années 30 jusqu’à la fin des seventies a rudement pâti de l’évolution du «toro madrilène».
A Madrid, il faut de la carrure et de la tête, toutes choses dont les Coquillas ne sont guère prodigues. Leurs qualités se trouvent ailleurs, dans une caste et une bravoure piquante qui ne s’accorde guère avec les standards du «toro moderne». Résultat, les Coquillas de Sanchez Fabres, en dépit de quartiers de noblesse amplement justifiés, sont lamentablement délaissés par les grandes plazas et par les toreros.
Là est le problème de la quadrature du cercle. Un problème longuement évoqué lors de la «cena» chez Juan, en compagnie d’augustes représentants du monde ganadero du Campo Charro.

Juan ne manie pas la langue de bois, c'est le moins qu'on puisse dire. On voudra bien se rappeller qu'en 2009, pour d'obscures raisons sanitaires et par l'effet des complications amoureusement élaborées par une administration tatillonne (ce qui dans certains cas est un pléonasme) l'ensemble du troupeau avait failli terminer au matadero.(http://bregaorthez.blogspot.com/search/label/SANCHEZ%20FABRES).
Par nature, Juan conçoit  difficilement la possibilité de se laisser abattre et il a réagi en conséquence, accélérant le rafraîchissement  déjà entamé du sang maison.
Comme il l’explique avec passion, ponctué des opinements de ses homologues, le temps n’est plus au romantisme: pour entretenir des toros, même si l’afición et l’éthique taurine sont au rendez-vous, il faut les vendre.
Et pour les vendre –comme dirait Monsieur de la Palice- il faut qu’on les achète.
Pour persister dans la tautologie, pour qu’on les achète, il faut qu’on en veuille. Et notamment ceux qui font la pluie et le beau temps sur la planète des toros.
Certes Juan admire et apprécie l’effort et l’exigence de ces quelques fous qui, en France le plus souvent, guerroient pour maintenir ce qui peut l’être encore de la diversité d’une cabaña brava en voie d’uniformisation. Toutefois, pour lui, la logique arithmétique élémentaire voue ces efforts méritoires à un échec inéluctable à terme.

Qu’on en juge: il demeure une petite trentaine de ganaderias «différentes» et peu ou prou susceptibles de répondre à l’attente de ces bastions du toro de respect. Ces derniers se comptent en France sur les doigts (plus ou moins amputés) des deux mains et peuvent répondre à l’achat, au mieux, d’une vingtaine de lots entre corridas et novilladas.
L’inadéquation des deux chiffres pose le problème. Un ganadero, pour survivre efficacement doit pouvoir vendre REGULIEREMENT une masse critique suffisante pour lui permettre d’entretenir le troupeau conséquent qui autorise une sélection satisfaisante et lui épargne la consanguinité (pour rappel, au MINIMUM, 2 corridas de toros exigent un troupeau d’une centaine de bestiole). Faute de commercialisation minimale de sa «production», il est condamné à l’étranglement financier ou à l’appauvrissement du sang, donc de la caste de ses cornus.
Le drame actuel se joue en ces termes, même si le recours aux spectacles de rue qui se sont considérablement développés apporte à certains une bouffée d’oxygène salvatrice.

Etranglées par l’absence de demande des empresas taurines, ces ganaderias héroïques le sont également par les toreros et novilleros qui refusent de plus en plus de s’y confronter, et pis, qui n’entretiennent plus l’art de les combattre.
On advient ainsi au paradoxe de la temporada 2011 où de nombreux lots tout à fait remarquables sont sortis dans le sud-ouest, confrontés quasi systématiquement à des professionnels généralement très en dessous de la qualité des bêbêtes, qualifiées de compliquées dés qu'elles sortent des canons modernes.
Pour résumer abruptement, le discours poussé à l’extrême de Juan et de ses petits camarades revient au triste constat: «Vous êtes très gentils, très aficionados, très «éthiques», mais malheureusement, mille millions de mille sabords, vous ne pouvez nous permettre de vivre malgré votre bonne volonté!».
C’est un discours qu’il faut entendre, sans jouer les autruches pour prendre la mesure exacte de la situation actuelle.

Dans ce panorama guère réjouissant d'une diversité et d'une caste qui s'amenuisent sans autres justifications qu'économiques, il demeure des raisons d'espérer.
Un frémissement semble néanmoins se faire jour dont l'un des signes annonciateurs serait que la plaza de Madrid ait jugé bon de programmer une novillada mixte de Coquillas réunissant 3 novillos de Sanchez Fabres et 3 de Sanchez Arjona, le dimanche 21 août 2011.

Le jour d'après, Juan n'en revenait toujours pas que les décideurs madrilènes aient choisi ses novillos qui d'évidence, par leurs trapios et par leurs têtes, ne coïncident guère avec les exigences habituelles de la capitale.

Les lignes frémiraient-elles? 
Reviendrait-on au fond plutôt que s'arc-bouter sur une forme qui n'a plus de sens depuis que sortent régulièrement à Las Ventas des divisions de panzers aux blindages de carton, aux moteurs de pétrolette et aux canons de fer blanc?

Juan en revenait d'autant moins que ses ambassadeurs ont fait bonne figure, portant honorablement les valeurs de la casa à la croix templière .
Manuel Jiménez «Chicuelo» prétendait que les Coquillas étaient «dulce como rosquillas y picante con guindillas» (doux comme des rosquillas et piquants comme des guindillas).
D'évidence à Madrid en ce 21 août de l'an de grâce 2011, les Coquillas se partagèrent équitablement entre rosquillas (gâteaux secs) et guindillas (piments forts).
cf. ci-dessous vidéo, photos et commentaires diversifiés.
En somme, le jour d'après, Juan était HEU-REUX!
***
En hôte passionné et attentionné, Juan ne pouvait manquer de donner à voir ses pensionnaires. Nous empruntâmes donc le 4X4 qui se déglingue un peu plus chaque année (la ventana et la porte passager ne s'ouvrent plus) pour une navigation aventureuse au milieu des «noirs», comme les qualifiait si poétiquement le regretté Patrick Espagnet, l'Antoine Blondin des cornus.
A nos pieds, s'étendait le domaine, baigné de la clarté mordorée du crépuscule.
Profitant d'un virement lof sur lof, je fis remarquer au maître à bord après Dieu, l'état pour le moins arrondi et ... «rustique» de beaucoup de pitones.
Si Juan acceptait que l’on manie la scie ou la râpe sur ses terres, cela se saurait et il y a beau temps que ses Coquillas eussent été troqués contre du vulgaire JPD.

Juan leva les yeux aux cieux, façon Saint François d'Assise vu par le Greco. Je subodorai alors l'avis de grand frais et l'irruption de la risée dévastatrice sur la voilure.
On entama l'empannage par un «Te lo digo yo» du meilleur aloi et un arrêt de circonstance de l’embarcation.
Juan maîtrise parfaitement toutes les subtilités du «taurinement incorrect» et avec calme et détachement, un sourire quasiment narquois aux lèvres, il asséna à peu près cela: «Je ne devrais pas parler comme cela, cela contrarierait quelques illusions, mais tu dois savoir qu’actuellement, aucune expertise de cornes sérieuse ne permet de distinguer un afeitado correctement et habilement pratiqué d’une usure naturelle des cornes.».

Tonnerre de Brest, enfer et damnation, la bordée par tribord de ta mère qui s'fait niquer devant l'Prisunic!
Mais que fait la police? Non, la culture?
Sainte UVTF, au secours, toi le recours des afeités!

«Voy a enseñarte». Et toute voile dehors, par vent arrière de rallier des minis canyons, dont certains d’un profondeur abyssale de 1,20 m:
«Vois ce qu’ils sont capables de creuser avec leurs têtes, mes sapeurs.». Et moi de reluquer pensif les énormes caillasses excavées à la force du piton.
Je photographiai un trou.
C’est dur à photographier un trou!
Comment saisir la béance?
Pourtant, c’est révélateur un trou, c’est même la particularité majeure du gruyère et de Zarah Whites, l'égérie porno-bestialiste!
J’avisai les troueurs quadrupèdes en prenant conscience de leur réalité désormais la plus incontournable: un toro, ça n'existe vraiment que pour faire des trous! Des trous dans la terre-mère ou dans la viande d'homme...

Mais je n’en avais pas encore complètement terminé. Triomphant (c’est le nom d’un sous-marin, non?), Juan me véhiculait aux antipodes du cercado pour fièrement exhiber la production artistique de ses ouailles qui non content de labourer, exerçaient leur talents de sculpteurs sur le tronc des encinas (yeuses en bon français) disponibles.
Du grand art, digne de Joachim-Raphaël Boronali, maître de l’excessivisme (en fait le «Père Frédé», patron du cabarret montmartrois du «Lapin agile») qui fit peindre en 1910 son unique et impérissable chef d’œuvre par son âne «Lolo».
Comment voulez-vous après tant d’activités kératiniques que les puntas ne s’émoussent pas?
C’est sur ces considérations hautement philosophiques que par un prompt renfort, nous nous vîmes vingt deux en arrivant au port. Tant, à nous voir marcher avec un tel visage, les plus épouvantés reprenaient de courage…
Campo, école d’humilité…
Xavier KLEIN

Une vidéo de la novillada:
Pas mal l'échantillon représentatif!

Quelques commentaires diversifiés sur la novillada:

Photos "officielles" du lot:
http://www.flickr.com/photos/copetoros/sets/72157627482633686/

Et celles que j'ai réalisées le jour d'après:
 
 

3 commentaires:

el Chulo a dit…

belle resena!
enhorabuena maestro

Pierre a dit…

Et les Fundasses c'est pour qui ?
C'est quoi ces ganaderos qui laissent leurs toros s'abimer les cornes de façon naturelles !
Vive les méthodes d'élevage moderne et vive le toro moderne !
Plus sérieusement en effet le Campo est une belle école où on y apprend beaucoup

Marc Delon a dit…

Les peons, chaque fois qu'ils afeïtent, ils font un trou ou esquintent un arbre, tu savais pas ?