Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 12 août 2010

DREAMCATCHER

Toile de Tony SOULIE "Dreamcatcher"

Lorsque j'étais étudiant, j'avais un ami canadien originaire de Winnipeg (Manitoba). Il avait la particularité d'être un authentique «native american» de la tribu des Anishinaabes, la seule nation indienne à avoir, paraît-il, collé une raclée mémorable aux célèbres sioux.
Doté d'un humour à toute épreuve, ce grand taiseux supportait difficilement de rester immobile et enfermé dans un lieu clôt plus de ¾ d'heures, surtout lorsque le dit endroit était surchauffé, ce qui était le cas des amphithéâtres. Il lui fallait alors déployer son immense carcasse de hockeyeur et aller prendre un bol d'air frais.
Partageant cette phobie, nous nous retrouvâmes souvent, puis systématiquement voisins dans les cimes universitaires, au dernier rang, près de la sortie et des fenêtres.
Comme de plus, il était légèrement anglophone et donc passablement preneur de mes notes de cours, une solide camaraderie naquit de cette proximité.
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On a tort de croire que l'université est conçue pour les gens intelligents. En fait, on y trouve autant de cons qu'ailleurs. Mais des cons instruits, ce qui les rend sinon plus supportables, du moins plus prétentieux.
A l'époque venait de sortir «Vol au dessus d'un nid de coucou», et la grande plaisanterie des cons de service était d'interpeller mon voisin et ami d'un «- Ca vole Chief Bromden» (du nom du héros indien du film). L'autre, sans piper mot, levait les yeux au ciel, atterré d'une telle originalité.
Si l'asiatique est fourbe, le bougnoul sournois et le nègre indolent, on sait moins que le peau rouge est souvent teigneux et rancunier. C'est d'ailleurs pour ça que les bons américains, blancs, blonds, yeux bleus, comme Custer, ont préféré les exterminer afin d'éviter les emmerdements ultérieurs.
La chose m'apparut dans toute son évidence, lorsque je m'aperçus que la liste des petits comiques coïncidait tout à fait avec celle des blessés à l'issue des matchs de rugby.
Il faut dire qu'un plaquage façon panzer, du «Chief» produisait le même effet qu'une vraie série de vraies passes à une bestiole de Victoriano del Rio, on s'en remettait difficilement. S'essuyer consciencieusement les crampons sur un authentique con en parfait état de fonctionnement fait partie des voluptés que tout honnête homme devrait connaître avant le dernier voyage. Je recommande.
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Cette allergie à la connerie humaine ne fit que renforcer les liens déjà évoqués et lorsque j'eus à pérégriner du côté du Québec, je me vis invité chez mon peau rouge. Deux semaines de rêve à l'hiver 79, avec cabane de rondins, force promenades en raquettes, ski-doo et beuveries gargantuesques. Le rêve de tout ex-gamin qui a joué à Oeil de Lynx!
Lorsque je repartis pour Montréal, très éprouvé (l'indien est endurant...), la famille me couvrit de cadeaux: un beau couteau traditionnel et une couverture faits mains et maison (ou plutôt tribu).Mais le plus beau cadeau me fut offert par son grand-père que nous allâmes visiter.
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Il vivait avec un pote dans un mobil home délabré fourni par l'administration, au bord d'un lac dans la forêt, un vrai dépotoir, loin de l'image écolo qu'on peut se faire des indiens. Les deux vieux bonshommes trappaient et se torchaient la gueule d'abondance sans se préoccuper des lendemains.
L'isolement de leur situation ne faisait pourtant en rien obstacle à une vie mondaine intense. Et pour cause, on venait de partout pour consulter l'ami du grand-père qui était medecine-man (le chaman ou le rebouteux) du secteur.
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Les deux vieux étaient adorables, bavards comme des pies, mais le plus souvent dans leur baragoin, ce qui limitait l'échange. Ils passaient leur temps à rigoler comme des bossus en se tapant les cuisses ou en vous refilant de grandes claques dans le dos.
Incroyables les fossiles, ils étaient ridés comme Mathusalem, ronflaient, toussaient, crachaient comme des locomotives tubardes, mais vous crevaient quand on cavalait en raquettes et d'un coup de pétoire pouvaient faire un second trou du cul à un drosophile à cent pas.
La veille de notre départ, ils prirent pourtant un air de gravité pour me faire présent d'un dreamcatcher, un «attrapeur de rêves», en indien asubakatchin.
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On trouve maintenant partout de pâles imitations de cet objet magique. Mais peu connaissent son emploi. C'est un anneau en saule avec une résille qui imite un filet avec diverses décorations en pierres, perles, os fourrure ou plumes.
L'attrapeur de rêve doit être donné (et non vendu) de la main à la main par le chaman. Il n'a d'effet que sur la première personne qui le touche. On le suspend près d'une ouverture qui reçoit les premiers rayons du soleil du matin. Il détruit les mauvais rêves et magnifie les beaux. En fait, dans la culture indienne, c'est une petite embrasure entre le monde visible et celui des esprits, un catalyseur d'énergie cosmique pour parler simple et cartésien.
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De retour en France, j'ai suivi longtemps le «mode d'emploi» et l'asubakatchin a apparemment rempli son office avec efficacité: je ne me souvenais jamais de mes rêves. Jusqu'à l'un de ces déménagements où l'on oublie toujours d'ouvrir un carton qui se retrouve invariablement au grenier. Vous savez ces cartons où l'on empile tous les objets et colifichets que l'on a pas le coeur de jeter.
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Il y a quelques mois, par hasard j'ai ouvert le carton, et j'y ai retrouvé ces petits riens qui ouvrent les portes du souvenir. L'asubakatchin se nichait parmi des billes d'agate gagnées de haute lutte dans les cours de récré, un galet de l'île de Wight, un petit bouddha birman et autres trésors qui ne le sont que pour moi. Les plumes était empoussiérées et défraichies, les lambeaux de fourrure un peu mités.
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Quand me vint l'idée de le replacer devant une fenêtre, je connus quelques démêles avec ma chère et tendre. Allez expliquer à une infirmière, pétrie d'hygiène et de principes raisonnables l'attachement à une telle vieille «rique», le poids affectif des souvenirs qui y sont liés.
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Les deux anciens doivent sucer les pissenlits par la racine, et ce grand couillon de «chief» s'est emplâtré à l'aube, fin 84, un Kenworth, l'un de ces monstres des routes qui relient le Pacifique et l'Atlantique.
La longe piste n'est plus fréquentée par les bisons, et on gagne pas à ce jeu là, même taillé comme un colosse, surtout au voisinage des 4 grammes.
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Va falloir trouver une solution!
Le dreamcatcher doit impérativement retrouver une place et surtout sa fonction.
Depuis qu'il est enterré mes rêves deviennent cauchemars.
Les fous triomphent et passent pour sages, un petit homme brise une à une dans son palais élyséen toutes les idées généreuses de ma jeunesse, la taïga brule, la forêt landaise git désarticulée, des petits toros sans âme et sans substance sortent vivants des arènes...
Xavier KLEIN

3 commentaires:

el chulo a dit…

oui, mais par ici la caisse!
je te recommande le dernier "discours" de ponce. pocifs, compilation, vide absolu.

Anonyme a dit…

Le mettre sur l'écran de l'ordinateur...

Marc Delon a dit…

J'ai beaucoup aimé cette histoire.