Un homme qui porte comme patronymes le prénom de Joseph, le cocu le plus célèbre de l'histoire, celui qui ne voulait pas voir, et de Thomas, le septique le plus célèbre de l'histoire, celui qui ne croyait qu’à ce qu'il voyait, ne saurait que présenter des ambiguïtés et provoquer des polémiques.
Rajoutons en une couche de nature à jubiler du manichéisme ambiant.
Ayant plus de goût pour la grillade saignante que pour la viande à l'étouffée, surtout quand on cuisine du toro, je suis quasiment insensible à l'art de J.T. (journal télévisé?), comme je le fus jadis de celui de Paco Ojeda, son illustre devancier. Non que je porte un jugement de valeur. Il s’affirme objectivement et sans aucun doute possible comme un grand monsieur, une figurissima, un torero d'époque, et je conçois qu'il provoque une légitime et respectable admiration. Mais, à mon profond regret, il ne me fait aucunement vibrer. Pourquoi?
Certains à n'en pas douter, vont encore entonner le cantique des pisse-froids ou des «peine à jouir». Mais si l'on tient pour assuré qu'il convient de remonter de 80 cm pour situer le véritable siège de la sexualité, et si l'on admet que l'hédonisme, le vrai, ne se satisfait nullement des facilités et des lieux communs, on prêtera quelque attention à un discours qui, pour être dérangeant, doit être néanmoins entendu.
La réponse tient en un mot: émotion et/ou déficit d'émotion.
Avec Georges Braque, dans sa correspondance avec Picasso, je tendrais assez à prétendre «J'aime la règle qui corrige l'émotion. J'aime l'émotion qui corrige la règle.».
L'émotion trouve sa source dans une multiplicité de facteurs qui tiennent au vécu de tout un chacun. Elle ne saurait régner seule, au risque de l'épizootie d'indultos, qui menace la tauromachie, pire que toutes les légions de moustiques, de vibrions buboniques ou de bacilles tuberculiques coalisés, les plus pernicieux étant le bacillus viardus, et le rétrovirus zocatus.
La pudeur et la retenue ne sont plus de mode, c’est bien dommage! Assister à l'agonie d'une fillette qui met deux heures à se noyer en Amérique du sud ne m'a jamais particulièrement ému. Le caractère voyeuriste de ces images, le pathos et l'exploitation mercantile de la souffrance d'autrui (une souffrance parmi des millions de souffrances à travers l'histoire ou à travers l'espace) m'ont indigné, ont provoqué un sentiment de colère, mais ne m'ont pas proprement ému.
En revanche, le petit bonhomme qui s'est délibéremment placé devant un char à Tien An Men, lui, m'a ému. Allez chercher pourquoi?
C'est toute la distance qui sépare l'anecdote de l'histoire, le champ du privé de celui du politique.
Certains sont peut-être sensibles à l'expressivité de J.T., à la transmission d'une intimité complexe et torturée, à son irrépressible pulsion «d'encornement». En ce qui me concerne, je ne puis me départir d'une impression désagréable d'impudicité, de morbidité, d'un désir insaisissable d'autodestruction, de huis clos oppressant, qui me rendent son art assez insupportable.
Encore une fois, je ne juge pas de la valeur du cher J.T., ni du bien fondé de son art, ni du goût qu'on peut y trouver: je dis ce que je ressens et ce qu'il m'inspire.
Mais qu'on en convienne, considérons également avec qui ou plutôt avec quoi il officie. Le toro n'est plus au centre, il n'est même plus à la périphérie, il n'est quasiment plus du tout... Il est réduit à un rôle d'argument voire même d'alibi. De sujet, il est devenu objet.
En outre, torérait-il ainsi avec des toros de plus de respect? Car la prise de risque suppose des limites et des contingences. On est infiniment plus prudent lorsque ses actes sont sanctionnés par des conséquences extrêmes et problables. Quand l’on constate la fréquence de ses cogidas, ce, avec des toros relativement «complices» qui permettent de se confier, on peut douter qu’il manifeste les mêmes téméraires velléités avec des toros de sentido, de surcroît plus violents et sauvages, qui n’autorisent pas le même détachement, ni n’entraînent les mêmes périls.
Que signifie encore «A cada toro su lidia», quand le mot lidia n'a plus de sens?
Que signifie toréer quand l'objectif n'est plus l'utilité intrinsèque de la passe mais le fait d'en multiplier sans qu'elles portent leur sens réel: dominer et soumettre.
Que signifie encore l'art des grands lidiadors de mettre en valeurs les caractéristiques et les vertus d'un toro quand ce dernier n'existe plus qu'en tant qu'objet de valorisation du torero?
On se commet aux mêmes errements que ces émissions ou le présentateur importe plus que l'invité.
Il y a aussi autre chose.
Il me semble que nous vivons en ce moment une époque charnière. A lire les commentaires divers et variés, c'est sans doute un sentiment partagé. Confusément, nous sentons tous que des enjeux se manifestent, que des choix se dessinent, que des évolutions se profilent.
José Tomas ne serait-il pas Dieu, comme certains le brocardent, mais plutôt le prophète, l'imprécateur involontaire, celui qui pousse un raisonnement absurde au bout de sa logique?
Car de fait, que peut-il se faire de mieux dans le cadre étroit des canons taurins actuels que ce qu'il fait? Qui peut aller plus loin que lui et, oserai-je un blasphème, que d'autres praticiens virtuoses tels que Perera dans d'autres styles?
Et si José Tomas était l'aboutissement d'un paradigme, son zénith avant la décadence ou la redéfinition d'autres logiques?
Rajoutons en une couche de nature à jubiler du manichéisme ambiant.
Ayant plus de goût pour la grillade saignante que pour la viande à l'étouffée, surtout quand on cuisine du toro, je suis quasiment insensible à l'art de J.T. (journal télévisé?), comme je le fus jadis de celui de Paco Ojeda, son illustre devancier. Non que je porte un jugement de valeur. Il s’affirme objectivement et sans aucun doute possible comme un grand monsieur, une figurissima, un torero d'époque, et je conçois qu'il provoque une légitime et respectable admiration. Mais, à mon profond regret, il ne me fait aucunement vibrer. Pourquoi?
Certains à n'en pas douter, vont encore entonner le cantique des pisse-froids ou des «peine à jouir». Mais si l'on tient pour assuré qu'il convient de remonter de 80 cm pour situer le véritable siège de la sexualité, et si l'on admet que l'hédonisme, le vrai, ne se satisfait nullement des facilités et des lieux communs, on prêtera quelque attention à un discours qui, pour être dérangeant, doit être néanmoins entendu.
La réponse tient en un mot: émotion et/ou déficit d'émotion.
Avec Georges Braque, dans sa correspondance avec Picasso, je tendrais assez à prétendre «J'aime la règle qui corrige l'émotion. J'aime l'émotion qui corrige la règle.».
L'émotion trouve sa source dans une multiplicité de facteurs qui tiennent au vécu de tout un chacun. Elle ne saurait régner seule, au risque de l'épizootie d'indultos, qui menace la tauromachie, pire que toutes les légions de moustiques, de vibrions buboniques ou de bacilles tuberculiques coalisés, les plus pernicieux étant le bacillus viardus, et le rétrovirus zocatus.
La pudeur et la retenue ne sont plus de mode, c’est bien dommage! Assister à l'agonie d'une fillette qui met deux heures à se noyer en Amérique du sud ne m'a jamais particulièrement ému. Le caractère voyeuriste de ces images, le pathos et l'exploitation mercantile de la souffrance d'autrui (une souffrance parmi des millions de souffrances à travers l'histoire ou à travers l'espace) m'ont indigné, ont provoqué un sentiment de colère, mais ne m'ont pas proprement ému.
En revanche, le petit bonhomme qui s'est délibéremment placé devant un char à Tien An Men, lui, m'a ému. Allez chercher pourquoi?
C'est toute la distance qui sépare l'anecdote de l'histoire, le champ du privé de celui du politique.
Certains sont peut-être sensibles à l'expressivité de J.T., à la transmission d'une intimité complexe et torturée, à son irrépressible pulsion «d'encornement». En ce qui me concerne, je ne puis me départir d'une impression désagréable d'impudicité, de morbidité, d'un désir insaisissable d'autodestruction, de huis clos oppressant, qui me rendent son art assez insupportable.
Encore une fois, je ne juge pas de la valeur du cher J.T., ni du bien fondé de son art, ni du goût qu'on peut y trouver: je dis ce que je ressens et ce qu'il m'inspire.
Mais qu'on en convienne, considérons également avec qui ou plutôt avec quoi il officie. Le toro n'est plus au centre, il n'est même plus à la périphérie, il n'est quasiment plus du tout... Il est réduit à un rôle d'argument voire même d'alibi. De sujet, il est devenu objet.
En outre, torérait-il ainsi avec des toros de plus de respect? Car la prise de risque suppose des limites et des contingences. On est infiniment plus prudent lorsque ses actes sont sanctionnés par des conséquences extrêmes et problables. Quand l’on constate la fréquence de ses cogidas, ce, avec des toros relativement «complices» qui permettent de se confier, on peut douter qu’il manifeste les mêmes téméraires velléités avec des toros de sentido, de surcroît plus violents et sauvages, qui n’autorisent pas le même détachement, ni n’entraînent les mêmes périls.
Que signifie encore «A cada toro su lidia», quand le mot lidia n'a plus de sens?
Que signifie toréer quand l'objectif n'est plus l'utilité intrinsèque de la passe mais le fait d'en multiplier sans qu'elles portent leur sens réel: dominer et soumettre.
Que signifie encore l'art des grands lidiadors de mettre en valeurs les caractéristiques et les vertus d'un toro quand ce dernier n'existe plus qu'en tant qu'objet de valorisation du torero?
On se commet aux mêmes errements que ces émissions ou le présentateur importe plus que l'invité.
Il y a aussi autre chose.
Il me semble que nous vivons en ce moment une époque charnière. A lire les commentaires divers et variés, c'est sans doute un sentiment partagé. Confusément, nous sentons tous que des enjeux se manifestent, que des choix se dessinent, que des évolutions se profilent.
José Tomas ne serait-il pas Dieu, comme certains le brocardent, mais plutôt le prophète, l'imprécateur involontaire, celui qui pousse un raisonnement absurde au bout de sa logique?
Car de fait, que peut-il se faire de mieux dans le cadre étroit des canons taurins actuels que ce qu'il fait? Qui peut aller plus loin que lui et, oserai-je un blasphème, que d'autres praticiens virtuoses tels que Perera dans d'autres styles?
Et si José Tomas était l'aboutissement d'un paradigme, son zénith avant la décadence ou la redéfinition d'autres logiques?
Et si José Tomas était l'annonciateur de la destruction de ce qu'il porte et incarne?
Et si, nous arrêtions de nous aveugler et que nous acceptions de voir en JT, ce qu'il est: le porte étendard du «toreo moderne»?
Les grandes figuras actuelles célèbrent le triomphe d'une émotion esthétique au détriment d'une émotion fondée sur l'affrontement et le péril réel. Ce sont les chantres de la dialectique du toro partenaire et faire valoir et les fossoyeurs du toro adversaire.
Cette posture est suicidaire -à tous les points de vue- parce qu'elle encourage une critique qu'on ne pourra éluder, notamment de la part de ceux qui remettent en cause la corrida.
On peut justifier la confrontation de la sauvagerie latente de l'homme et de celle de l'animal, on ne peut pas accepter que cette même sauvagerie humaine s'exerce sur un animal réduit par une «domestication par la noblesse».
En d'autres termes, on peut moralement chasser le loup, on ne peut pas battre son chien.
En la portant à son absolu, José Tomas et consorts énoncent, corrida après corrida, la fin d'une époque, de l'âge d'or d'un savoir faire avec des toros faciles, prévisibles et prédisposés. Ne serait-il pas temps d'envisager de revenir aux sources de ce qui doit rester avant tout l'affrontement de la culture et de la nature, celle de l'homme, et celle du toro?
Jouissez de José Tomas, Messieurs les tomasistes et tant qu'à faire, jouissez sans entraves, mais rappelez vous que les plaisirs solitaires génèrent, parait-il, de la surdité, pas de l'aveuglement!
Les grandes figuras actuelles célèbrent le triomphe d'une émotion esthétique au détriment d'une émotion fondée sur l'affrontement et le péril réel. Ce sont les chantres de la dialectique du toro partenaire et faire valoir et les fossoyeurs du toro adversaire.
Cette posture est suicidaire -à tous les points de vue- parce qu'elle encourage une critique qu'on ne pourra éluder, notamment de la part de ceux qui remettent en cause la corrida.
On peut justifier la confrontation de la sauvagerie latente de l'homme et de celle de l'animal, on ne peut pas accepter que cette même sauvagerie humaine s'exerce sur un animal réduit par une «domestication par la noblesse».
En d'autres termes, on peut moralement chasser le loup, on ne peut pas battre son chien.
En la portant à son absolu, José Tomas et consorts énoncent, corrida après corrida, la fin d'une époque, de l'âge d'or d'un savoir faire avec des toros faciles, prévisibles et prédisposés. Ne serait-il pas temps d'envisager de revenir aux sources de ce qui doit rester avant tout l'affrontement de la culture et de la nature, celle de l'homme, et celle du toro?
Jouissez de José Tomas, Messieurs les tomasistes et tant qu'à faire, jouissez sans entraves, mais rappelez vous que les plaisirs solitaires génèrent, parait-il, de la surdité, pas de l'aveuglement!
«La grandeur d'un destin se fait de ce que l'on refuse plus que de ce que l'on obtient»
«L'allée du Roi» de Françoise Chandernagor
7 commentaires:
Perso JT me files pas le pellizco,
torero morbo,prefere et de loin les vers trop solitaires du dibujante Morante.
Cher Monsieur,
Merci de l'avoir ouvert (votre blog) - info que je dois aux amis (Saint?) CyRiens que je compulse quasi quotidiennement, et merci en particulier de ce texte... Certes, dès lors qu'on est d'accord avec son interlocuteur, on est porté à l'être de plus en plus, mais - outre que nous les "hooligans toristes" et fiers de notre minorité sommes et serons de plus en plus heureux de nous retrouver en des lieux de mots multiples et variés ("plus nous serons de blogs-fous plus nous rirons") - ces blogs ne pourront que semer les antidotes textuels indispensables, au hasard de ces visites papillonnantes qui sont la seconde nature de l'internaute - et que la doxa taurine ne pourra maîtriser... Et, sur "le loup et le chien", comment ne pas penser d'une part à cette pertinente formule de Francis WOLFF dans sa "Philosophie de la corrida" ("Le toro doit être combattu mais non abattu"), et comment surtout ne pas faire référence à ce que Joseph PEYRE appelait déjà en 1950 le "toro de pitié" (vous avez peut-être lu cet article si prémonitoire paru dans le Figaro littéraire - et que le site "lafetesauvage" a récemment publié)... Je vous visiterai avec plaisir.
Suerte et, comme on dit chez moi en Provence, "Longo maï"
Bernard GRANDCHAMP
Merci cher Bernard,
Savez-vous que je ne me définis pas particulièrement comme un "toriste". En fait, j'ai la plupart du temps en horreur les mots en "iste", parce que c'est un "diminutif de la pensée". Et puis classer les hommes où leurs idées dans des petites cases, c'est tellement dommage pour le foisonnement et la richesse de notre diversité.
Mais si le torisme signifie lutter contre l'appauvrissement de la diversité bovine, contre l'excessive domestication de la sauvagerie, si c'est traduire la primordialité du toro dans la corrida, comme condition essentielle, alors je veux bien assumer l'épithète.
J'ai déjà lu vos interventions sur CyR, à propos de ces textes splendides.
Pour l'anecdote, mon fils vendange aujourd'hui dans le village d'Aydie où est né Joseph PEYRE, et nous avons fréquenté, à 70 ans de distance, les mêmes bancs du lycée Louis Barthou à Pau...
A vous relire.
Xavier KLEIN
Cher Xavier,
Certains disent qu'il n'y a pas de hasard (certes, généralement plus facile à énoncer a posteriori)... Il n'empêche... Et, ce ne serait pas seulement pour vos communes origines "paloises" que je me permettrais de vous suggérer quelque visite sur le site d'Olivier DECK (olivier-deck.fr) et en particulier son "carnet taurin"... Quoi qu'il en soit, vive le foisonnant et le rhizomatique (-teux?)
Bien à vous - Bernard
PS : que Bacchus veille aux grains des raisins d'Aydie
Ach...! cher Xavier quel article anti-Tomasiste ! j'en partage le dégoût pour les toro prédisposés et dociles, le raisonement logique qui ne se perd pas et les conclusions sur les néfates conséquences possible sauf que je le trouve......faux ! Etiez-vous à ses trois dernières courses à Barcelone ? Moi j'y étais et n'ai pas vu de toros commodes ! le 21 septembre dernier par exemple les petits toros asthéniques que l'on plaignait étaient pour...le Fundi ! et le Juli, la veille !!! JT lui a eu des toros en armes, mobiles et jamais fléchissants !!!
et je ne crois pas avoir eu la berlue (poil au ...) le rang de toristas avec lequel je m'étais déplacé était tout comme moi, debout et transporté !!!! (j'ai rajouté un quatrième point d'exclamation à dessein...)
Bien sûr j'irais le voir avec moins d'entrain à Dax ou à Nîmes vu le bétail d'ordinaire servi. Et à Madrid où je n'étais pas, z'étaient comment les toritos ?
Marc, je reconnais pousser le bouchon un peu loin, certes. Mais vraiment je ressens avec JT, le même sentiment déplaisant qu'avec Castella,quelque chose de mortifère. Cela n'a rien de cartésien: ils ont pour moi, de "mauvaises ondes". Je ne leur reproche rien, je ne les accable pas, ça ne passe pas, c'est tout!
J'ai eu le même ressenti pour Gainsbourg ou Léo Ferré: énormes artistes, super textes, mais les bonhommes ne passent pas, comme les salsifis ou les hamburgers!
J'en suis fort désolé, mais je vous ferai remarquer que pour autant je reconnais leur mérite, même si j'essaie d'analyser les raisons du rejet.
a moitié pardonné alors.... à Barcelona il souriait le mortifère !
Moi au contraire j'identifie et ressens instantanément la toreria suinter de sa muleta et de son être. Mais bon heureusement hein sinon on serait tous amoureux de la même femme.
Enregistrer un commentaire