Qu'on ne s'inquiète guère, les intéressés ont la couenne épaisse et le cuir endurci. Certains ont paraît-il connus quelques succès, comme demi-finalistes de boxe, poids légers, aux championnats de France universitaires à Nîmes, c'est tout dire!
La malédiction des temps que nous vivons tient souvent à l'insuffisance de références, notamment historiques, qui permettraient de relativiser les évènements.
Il y a deux ans, travaillant dans un groupe de réflexion sur le thème du consensus en politique, je relisais les retranscriptions des discours des députés à l'Assemblée Nationale depuis les débuts de la IIIème République. Qu'est-ce qu'ils se mettaient mes aïeux! Cela valait son «pesant de gratin dauphinois» et les parcimonieux moments de gloire de nos tribuns actuels sont loin, très loin d'atteindre à la puissance, au souffle, à la violence des débats qui confrontaient alors les Gambetta, Jaurès, Clémenceau, Déroulède, Barrès ou Maurras. Débats qui bien souvent se terminaient sur le pré au petit matin.
Nostalgie quand tu nous tiens!
Nous nous amollissons, camarades aficionados, nous nous amollissons!
Faisons donc fi de la tendance actuelle à la sensiblerie et à la «dictature compassionnelle» pour parler en vérité, sans détours et sans faux-semblants. Si cela insupportait certains, ils trouveraient à n'en pas douter, dans certaines terres taurines, des sites ou des blogs qui dégoulinent régulièrement de magnifiques intentions et de bons sentiments, prônant l'avènement d'un wonderful word taurin où tout le monde il serait beau et tout le monde il serait gentil, la vraie vie des vrais gens, en somme!
«Quand on a du caractère, il est toujours mauvais» comme l'avouait Clémenceau. J'ai beau être doté d'un tempérament au mieux ombrageux, au pire excessif, je n'ai tout de même pas inventé les derniers poncif de l'augure des ruedos.
Non content de prodiguer moult conseils éclairés, comme de bien entendu parfaitement bienveillants et désintéressés, sur la gestion des arènes en général, de Bayonne et de Mont de Marsan en particulier («Signes précurseurs», «Brainstorming montois», «Coup d'envoi»); notre mentor, dont la compétence et la réussite d'empresa est universellement reconnue s'autorise («La feria idéale») à «animer le débat» en nous vantant innocemment les charmes du fameux «wonderful word» que nous évoquions précédemment. Un paradis enfin débarrassé des vilains Palhas, des horribles Moreno de Silva ou des abominables Zaballos; un Eden peuplé de figuras attestées, d'où les seconds couteaux insignifiants auraient disparus.
Cela pose un certain nombre de questions, partant du préalable élémentaire que les conseilleurs ne sont pas les payeurs.
Quels intérêts sont défendus de la sorte, sinon ceux des «majors» de la corporation qui peuvent se permettre l'organisation d'une feria de 5 ou 6 corridas?
André Viard assène («Signes précurseurs» du lundi 20 octobre 2008): «[...] une baisse d'environ 12% qui concerne essentiellement les arènes de troisième catégorie, c'est à dire la tranche dans laquelle le marché est le plus artificiel.[...] Autrement dit, au niveau des corridas données dans les arènes de première et seconde catégorie la baisse est relativement faible, mais au niveau des montages plus ou moins hasardeux elle équivaut à une récession notable.
L'inconvénient de cette baisse réside dans le manque de débouchés qu'elle implique pour les toreros modestes ou les débutants, ainsi que pour les ganaderos n'appartenant pas à l'élite. Encore que, serait-on tenté de dire, vu les problèmes qu'un certain nombre de ceux-ci rencontrent déjà, ce mal équivaut peut-être à un bien dans la mesure où il incitera à plus de modération dans la production qui ces dernières années avait augmenté de manière exponentielle.»
On comprend plusieurs choses derrière les mots et les idées ainsi instrumentalisées:
1°) Le président de l'O.N.C.T. pense la tauromachie en terme de «marché», de «montage», de «production». C'est un langage que nous devons certes entendre au nom du principe de réalité, mais qui ne saurait prévaloir et sonne bien mal sous la plume du héraut de l'Observatoire. Un discours qui ne recouvre aucunement la réalité de la plupart des plazas «ordinaires» du sud-ouest, qui ambitionnent avant tout de sauvegarder leur tradition taurine et d'éviter les déficits. Merci pour elles et pour leur combat! Certaines ont bien du souci à se faire, du coté de Rion des Landes par exemple, tant le diagnostic semble les concerner...
2°) En outre, les attendus sont contestables: les arènes de 3° catégorie où les «montages» seraient arbitrairement et péjorativement qualifiés «d'hasardeux», les ganaderos qui appartiendraient ou non à «l'élite» (qui et comment la définit-on?). Qu'est-ce qui permet à André Viard d'user d'un tel mépris?
3°) Plus que la multiplication des spectacles dans les arènes existantes, c'est l'émergence de nouvelles enceintes qui a provoqué l'inflation des festejos. Mais qui, depuis des années, a salué cette progression? Qui s'est réjoui de la naissance de Floirac ou de Fenouillet? Qui a initié des novilladas là où il n'y avait que des courses landaises?
4°) Qui fait le lit des grandes plazas en survalorisant les spectacles qu'elles peuvent se permettre et la tauromachie qu'elles promeuvent au détriment des «petites plazas» dont les cartels constituent l'ordinaire de la fiesta brava et non son exception?
Et Viard de conclure: «Vu sous cet angle la crise qui se profile ira peut-être dans le sens souhaité par les aficionados... à condition que les organisateurs fassent également preuve de mesure et ne se lancent plus dans des programmations inconsidérées.»
A l'aulne de la «Feria idéale» version Terres Taurines, on connaît peu d'arènes qui pourront mettre en place des programmations qui ne soient pas inconsidérées, selon les critères très personnels d'appréciation du bon André. En fait, en Aquitaine, seules 3 plazas pourraient s'offrir ce défilé de figuras et de «ganaderos d'élite».
Le monde merveilleux du toreo moderne selon Viard se résumerait ainsi aux 3 ferias de Bayonne, Dax et Mont de Marsan. Il rejoint sur ce point, comme sur d'autres, ses acolytes de la presse écrite et télévisée régionale, qui par leurs reseñas ou leurs reportages, ne rendent réellement compte que des grandes ferias.
Cette tauromachie se réduit à un objet économique. Elle sanctionne le passage annoncé d'un stade artisanal à un stade industriel, de la diversité à la concentration et à la normalisation.
A cela, la mouche que suis ne saurait jamais adhérer.