Nous avons l’immense chance dans notre pays de bénéficier de la mobilisation et de l’existence d’instances fédératrices de l'afición, telle que la Fédération des Sociétés Taurines de France, et de l’action régulatrice que mène la «vieille dame» depuis des lustres.
L’afición espagnole gagnerait infiniment à disposer d’une telle structure qui lui permettrait de faire entendre son point de vue, ses attentes, ses desiderata et qui pèserait pour réguler les dysfonctionnements taurins dont pâtit la péninsule.
Tout organisateur se devrait d’accorder une attention extrême à l’activité, aux bilans annuels, aux débats, aux initiatives de la F.S.T.F. Il paraît indispensable et fécond, non seulement de les relayer et de les appuyer, mais de s’y associer et d’impliquer pleinement ses représentants; sinon dans l’organisation, du moins dans l’observation et la mise en œuvre des divers festejos.
Des productions intelligentes tels que ses tracts violets (http://www.torofstf.com/tracta.htm), mais également son document d’assistance aux présidences devraient faire l’objet d’une utilisation courante.
Fidèle à sa vocation de «force de proposition» et à son objectif de conservation et d’amélioration des pratiques taurines en France, la F.S.T.F. s’est engagée dans le chantier complexe de la constitution d’un Corps des Présidents (http://www.torofstf.com/corps_des_presidents_assesseurs_corrida_charte_document_assistance).
Certes les objectifs affichés s’avèrent des plus louables: échanger, former, harmoniser les pratiques, susciter les vocations, s'engager dans une «démarche de qualité». Ils répondent à un réel besoin et à une exigence de sérieux et de compétence, depuis longtemps réclamée par l’afición.
Pourtant, si l’initiative se place sous les auspices les plus généreux et les meilleures intentions du monde –mais l’enfer n’en est-il pas pavé?- la création du Corps des Présidents semble poser un certain nombre de questions qui ne sauraient être éludées.
Ces objections sont de trois ordres: pertinence, opérationnalité et modalités.
Il convient tout d’abord de se questionner sur la pertinence. En d’autres termes, quelle fonction remplit une présidence, qu’en attendent ceux qui la désignent, autant que le public dans sa diversité? C’est là que les ambiguïtés et les divergences interviennent et qu’il convient de ne pas se voiler la face.
Pour une majorité d’organisateurs, la présidence doit gérer, voire susciter le succès, en tout cas le consacrer. On connaît ces plazas –et pas des moindres- où l’organisation reprochera souvent à une présidence sa parcimonie quand elle ne lui disputera jamais sa prodigalité, en matière de trophées par exemple.
Le rôle de ces palcos-animateurs se limitera donc à mettre en scène, à accompagner les triomphes programmés, à jouer les disc jockeys en envoyant l’indispensable accompagnement musical au moment stratégique et surtout à distribuer oreilles, queues -et plus si affinités- consacrant la renommée et la gloire –factices- du lieu.
Le discours de nombre de Présidents, y compris de gens généralement considérés comme sérieux, laisse à tout moment transparaître ces considérations. On parle de la volonté de «lancer la corrida», «d’animer une faena», sans évoquer l’aspect comptable de tel à qui l’on fut «obligé» de concéder deux oreilles par rapport à tel qui en aurait obtenu une précédemment. Sans parler de la complaisance avant changement de tercio (le maestro «saurait», donc on obtempère) ou des «retards» dans la sonnerie des avis. L’aboutissement de cette logique transparaît désormais dans les octrois d’indultos où le palco se justifie au motif «qu’on ne saurait avoir raison contre tous».
On aurait tort d’accabler les seuls organisateurs, même si certains d’entre eux abusent caricaturalement soit du téléphone, soit de l’insulte callejonesque, soit usent élégamment de leur … doigté. La majorité des publics, constituée de «spectateurs», cautionne cette demande, à la mesure de son inculture taurine et de sa méconnaissance du Règlement.
En quoi le Corps des Présidents peut-il se concilier avec cette réalité, quand son objet même serait de s’y opposer?
Car la véritable question que la F.S.T.F. et les pionniers de ce Corps des Présidents éludent est bien celle là: quelles sont les attentes de ceux qui désignent les présidences et quelles sont les attentes des publics? Lorsqu’on se préoccupe d’y répondre, on en vient vite à considérer la difficulté de l’opération, voire son amphibologie.
L’opérationnalité pose également problème.
On sait que chaque plaza a sa culture, sa tradition, sa ligne taurine, son histoire, son «âme». On ne préside pas de la même manière à Dax, Béziers, Nîmes, d'une part, Céret, Vic ou Parentis de l'autre. Pas plus qu’on ne préside de la même façon une corrida de Garcigrande et une escolarada.
On peut le déplorer, mais on pourrait également s’en réjouir, si les palcos des premiers se montraient plus rigoureux et ceux des seconds faisaient preuve de plus de mansuétude et de compréhension par rapport à une difficulté nettement accusée, ce qui malheureusement n’est que rarement le cas. Comment dés lors envisager une forme d’harmonisation, quand la différenciation et l’adaptation aux caractères propres de l’arène et du festejo proposé seraient éminemment souhaitables?
Le point le plus contestable se situe dans les modalités de constitution de ce Corps de Présidents.
Il faut craindre qu’on ne suscite un mode d’élection des palcos porteur d’autant d’arbitraire que dans la situation actuelle, et qu’on ne remplace le fait du prince par l’emprise d’une caste autoproclamée. Le plus comique dans l’affaire, c’est que les impétrants sont eux-mêmes issus du système que l’on envisage de réformer.
A moins de recourir –ce qui serait passablement taquin- à la forme la plus impartiale de recrutement d’une élite: le concours (encore faudrait-il savoir qui sélectionne et sur quels critères…), on doit malheureusement craindre l’écueil de la cooptation et du copinage (non plus avec l'organisation, mais avec le divin phalanstère).
Aurons-nous droit comme dans la Chine confuséenne depuis le VIIème siècle à l'institution des «examens impériaux» qui sélectionnaient les futurs mandarins?
Aurons-nous droit comme dans la Chine confuséenne depuis le VIIème siècle à l'institution des «examens impériaux» qui sélectionnaient les futurs mandarins?
«Celles et ceux qui vont le rejoindre seront connus pour leur bonne connaissance des toros, leur souci d'éthique et de vérité, leur dévouement à la cause taurine. Ils seront contactés par les membres fondateurs ou présentés par des associations taurines honorablement connues» avance la F.S.T.F. Chacune de ces vertueuses assertions peut donner lieu pour le moins à sourire, sinon à persifler et l’on attend avec impatience la liste des oiseaux rares, dont les connaissances, le souci d’éthique et de vérité, le dévouement, l’honorabilité les propulseraient à la dignité de membres fondateurs et de recruteurs d’élite.
On patauge, avec la meilleure conscience du monde, en plein arbitraire et dans la glèbe incertaine d’une subjectivité incontournable. Sans compter que d’autres qualités non évoquées paraîtraient tout aussi nécessaires: l’honnêteté, la force de caractère, la sensibilité, l’intelligence des situations, le pragmatisme, etc.
On notera également que les apôtres du Saint Cénacle demeurent pour l'instant inconnus. On attend donc comme dans l'Islam chiite, la révélation des patronymes de ces mahdis, de ces imams cachés oints de si précieuses vertus!
Que des présidents se réunissent, se concertent, échangent, se fixent des objectifs, soit. Mais prétendre à de si hautes compétences qu’on (qui?) puisse ainsi désigner les futurs heureux élus, laisse rêveur. Ne nous égarons pas: dans l'état actuel des choses (et on ne voit pas comment il pourrait changer étant donné les enjeux), le choix d’une présidence est toujours partial et correspond à une attente de l’organisateur, quelle qu’elle soit, avec les plus nobles intentions comme les plus sordides arrières pensées, parfois les deux.
La seule manière d’y pallier serait que les présidences de chaque festejo soit désignées par une instance indépendante de l’empresa ou du politique ET que cette obligation s'impose à tous et soit inscrite dans le Règlement Taurin (dont il faut rappeler qu’il doit être adopté dans chaque ville par vote du Conseil Municipal, c’est à dire des élus locaux).
Qui contrôlerait cette instance?
Y sommes-nous prêts?
Est-ce réaliste?
Est-ce réaliste?
Ce serait sans aucun doute souhaitable, mais demeure pour l’heure de l’ordre de l’utopie, surtout lorsque l’on considère que des plazas parmi les plus importantes, certaines de dimensions interplanétaires, ne siègent pas à l’U.V.T.F. pour les raisons que l’on sait.
La dernière question que l’on doive se poser après avoir considéré les attentes des empresas et celles des publics serait d’examiner quelles sont, quelles seraient celles des présidents?
Partant du principe basique que lorsque quelqu’un choisit de faire quelque chose, c’est toujours qu’il y trouve un intérêt (pas nécessairement matériel ou pécuniaire), il est intéressant de s’interroger sur celui qui motive généralement les présidents et assesseurs.
En outre, il en va des palcos taurins comme de la politique, la préoccupation sous-jacente n'est souvent pas d'y monter, mais d'y remonter, une contrainte qui favorise moult menus accommodements avec l'éthique.
On passera sur la «coquetterie» souvent constatée des faux modestes qui plaident «qu’on leur a demandé avec insistance», «que personne n’était disponible», «que l’on rendait service», «qu'on est passé, qu'il y avait de la lumière et qu'on est rentré...» et toutes sortes de billevesées. On en plaindrait quasiment les malheureux!
Figurer au palco est l’une expérience des plus intéressantes que puisse vivre un aficionado. Une expérience à mon sens des plus souhaitables, non seulement pour mieux comprendre le fait taurin, mais par delà, comme être humain pour vivre la distance de la coupe aux lèvres et de la théorie à la réalité. Après avoir subi les affres d’une bronca magistrale, on est généralement plus enclin à la bienveillance et à la compréhension.
En priver un aficionado au motif que le Saint Ordre du Corps des Présidents n’aurait pas validé votre candidature me semblerait stupide et stérile.
D’autant qu’officier au palco constitue une forme évidente de consécration.
On est «reconnu», «distingué», ce qui ne peut que flatter le narcissisme de l’heureux élu.
Et pourquoi pas?
Celui qui monterait à reculons, comme au calvaire, sans y trouver de gratification morale ferait sans doute un bien piètre président: il faut aimer «cela», une prétention parfaitement légitime que la plupart s’acharne stupidement à nier mais qui s’impose pourtant.
Celui qui monterait à reculons, comme au calvaire, sans y trouver de gratification morale ferait sans doute un bien piètre président: il faut aimer «cela», une prétention parfaitement légitime que la plupart s’acharne stupidement à nier mais qui s’impose pourtant.
A toutes les qualités -déjà énoncées- que l’on exige des présidents, la dernière, la plus rare, la plus indispensable serait donc la lucidité: l’acceptation simple et bonhomme de la volupté d’être acteur du rituel taurin et d’avoir été choisi pour le faire.
Il me semble enfin que l'approche utile devrait s'inspirer de ce qui existe en matière d'arbitrage sportif, surtout rugbystique.
Ce qui excluerait de facto, l'idée très en vogue, à mon sens aberrante, de la nécessité d'un assesseur vétérinaire. Non que je remette en doute la compétence de cette très honorable corporation, mais parce qu'un aficionado montant au palco et ne sachant discerner une infirmité ou une incapacité n'y aurait pas sa place.
Requiert-on d'un arbitre d'être médecin?
Requiert-on d'un arbitre d'être médecin?
Mon propos ici n’est aucunement de «dézinguer» une initiative dont le premier des mérites, et non le moindre, serait d’ouvrir un chantier utile et de poser des questions nécessaires. Il vise seulement à modérer des enthousiasmes parfois empreints de (fausse?) candeur et à mettre en évidence les dérives que portent inéluctablement les projets les plus généreux.
Il n'est que de considérer ce qui se passe chez nos voisins méridionaux, où existe la Asociación Nacional de Presidentes de Plazas de Toros de España (cf ci-dessous): c'est pas Byzance!
Le pire, en cette matière comme en d’autres, serait d’être dupe des réalités.
Un Corps des Présidents?
Oui, MAIS...
Xavier KLEIN
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire