La France, pays foncièrement conservateur, en dépit de la sempiternelle célébration de ses mythes révolutionnaires, s’est fait une spécialité nationale d’être toujours en retard d’une guerre. Sous le couvert d’une histoire qu’elle s’est ingéniée sans cesse à écrire ou réécrire pour se persuader de sa grandeur, de sa légitimité et de l’universalité de son message, le XXème siècle, mis à part quelques innovations de l'ère gaulliste, est la pitoyable succession des rendez-vous ratés et des guerres de retard.
1914-1918? Une atroce boucherie où l’on a compensé par la débauche de chair à canon l’incompétence, l’impréparation, le retard technique et intellectuel de nos élites militaires (Merci Monsieur le Général Nivelle). On a trompeusement sauvé la mise grâce à l’intervention des Ricains et de leurs chars.
Quand les fridolins portaient un feldgrau salvateur, on en était au garance, puis au bleu-ligne bleue des Vosges et aux bandes molletières si tellement pratiques.
1939-1945? Rebelote! Déroute, puis soumission totale. 10% de salauds qui collaborent, 10% de héros qui se révoltent, 80% de français moyens qui tentent de survivre et pour qui le mot résister s’efface devant la course au marché noir pour boulotter.
Puis la victoire des anglo-américains... avec leurs supplétifs français.
La France combattante: mon cul! Quelques insurgés, fortes têtes, idéalistes, poètes et baroudeurs à célébrer comme il convient (et il ne convient jamais assez!), d’autant qu’ils furent plutôt rares et la contribution inestimable des troupes dites indigènes!
On était toutefois passé du bleu horizon au kaki, tout en conservant les si tellement pratiques bandes molletières.
Rien qu'à voir les uniformes allemands et français on pouvait deviner qui remporterait la Bataille de France!
«Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts» claironnait Paul Raynaud en 1939, quand un autre génie bien français avançait fièrement: «La poche est colmatée» quand l'avant garde allemande traversait la Loire.
Doulce France...
Passons pudiquement sous silence les légers ratés de l'Indochine et de l'Algérie, dont nous fument légitimement boutés, sans que beaucoup aient encore compris pourquoi...
Evidemment lorsqu’en matière d'histoire comme en matière de tauromachie on se contemple sans cesse l’ombilic et qu’on tient la chose pour la plus magnifique qui soit, on s'évite de reluquer celui des autres!!!
A s’épargner d’ouvrir les yeux sur le vaste monde, on persiste à mariner dans les remugles de sa caverne en prenant les ombres du feu pour des réalités absolues.
Cette réalité existe aussi en tauromachie...
Tout le monde glose, tout le monde y va de son commentaire (y compris votre serviteur, cela va de soi), tout le monde distille son avis éclairé, comme de bien entendu. Cependant, comme Dirty Harry, l’Inspecteur Callahan le remarquait très crûment : «Les avis c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un.» («La dernière cible») .
La prolifération des avis autorisés ne me dérange en rien. Ils font même partie des charmes discrets de la démocratie et s'ils ne peuvent faire de bien, en général, il ne font guère de mal.
Le seul léger problème dans l’affaire, c’est qu’au bout d’un moment, les plaisanteries les plus courtes étant les moins longues, il s’agirait quand même de prendre conscience de qui dit des conneries depuis des années, de qui les met en pratique, et de qui, finalement avait raison, histoire de se prémunir préventivement des couillonnades présentes et à venir.
En d’autres termes: les cons et autres talibans bien inspirés d’hier ne deviendraient-ils pas les sages d’aujourd’hui?
Actuellement, la mode est à l'annonce ça et là de grands bouleversements!
Après la sauterie apocalyptique prévue le 21 décembre à Bugarach (Aude), vous allez voir ce que vous allez voir en 2013, nomdediiou!!!
On «aurait compris le message», on «aurait pris la mesure de la situation», on «ferait assaut d’imagination», on «programmerait un mano a mano Fandiño-Perera con guarnición de Fuente Ymbro», voire innovation suprême on se battrait pour la grâce insigne d'alternativer Juan Leal !!!
Putaingue, la révolución culturelle!
Les gardes rouges aux portes des arènes!
Les gourous d’hier honteusement exhibés aux prolétaires, en chemise, la corde au cou et bonnet d’âne!
Casas, Margé, François Guillaume et consorts expédiés en camp de rééducación!
6toros6 transformé en organe du peuple du toro!
Les dazibaos vengeurs affichés dans les patios de caballos! Arevalo et Viard condamnés à l’autocritique avant de porter la cangue!
Ca va chier les mecs et mectones!!! Et ça va saigner dans les ruedos, et pas que de la sanguette de bovidé! Du raisiné millésimé de mundillocrate!
Tout cela ne serait-il pas aussi vain que de demander à Hollande d’aller manifester en jean’s et foulard rouge à Florange en faveur d'une coopérative ouvrière nationalisée ou à Sarkozy de se taper une tête de veau-beaujolais sans sa rolex et sa gonzesse au routier des «Copains Réunis»?
L’une des petites choses que la vie m’a enseignée, c’est que l’on ne se bat bien que pour ce en quoi l’on croit, et qu’il est inutile et fallacieux d’exiger qu’un loup se mute en brebis, qu’un énarque devienne humain ou qu'une empresa de plaza de 1ère ait une afición inspirée.
Ce n’est pas de leur faute, il ne sont pas «étudiés pour»…
La mutation salvatrice que tout le monde espère ne peut être réalisée par ceux là même qui, non seulement ont créé la situation actuelle, mais ont résisté bec et ongles à son évolution jusqu’à ce que les réalités s’imposent.
Comment des caciques mundillesques aussi compromis avec un système qui les a produits, qui les a nourris, qui les a formés, qui les formatés peuvent-ils concevoir et mettre en œuvre une «autre voie»?
Comment rompre avec des amitiés, des pratiques, des affects aussi profondément imprégnés?
Comment, lorsqu’on est cul et chemise avec Figuro le Magnifique, lui imposer –ou même lui exposer- les vérités fondamentales qu’il se refuse à admettre, parce que ce n’est ni sa structuration intellectuelle et culturelle, ni son intérêt?
Je radote? On a récemment vu l'innocuité, l’échec révélateur de certaine lettre ouverte à un certain Julián López Escobar et l’autisme manifeste de l’intéressé.
Entendons-nous bien, ce n’est pas que nos bonnes et braves élites taurines soient stupides, aveugles ou intrinsèquement malhonnêtes, c’est qu’elles ne sont pas programmées pour, c’est qu’elles pâtissent d’une impossibilité structurelles à penser «autre».
Pourquoi?
Parce que leur métier, qui est un métier de pouvoir, les contraint à la réponse et non à la question, parce que conduits à FAIRE, il sont devenus inaptes à la PENSEE critique.
Parce qu’ils vivent la remise en cause de ce qu’ils FONT, comme une remise en cause de ce qu’ils SONT.
Ce qui peut être un atout (foncer et réaliser) est également une malédiction.
Nous en sommes tous là, mais certains plus que d’autres.
Cette parano, c’est la maladie des décideurs de tous poils, qu’ils soient politiques, économiques ou artistiques, une maladie difficile et très douloureuse à combattre car le seul remède efficace c’est le DOUTE et la remise en cause, et que peu en supportent l’exercice.
Peut-être ces symptômes résultent-ils d’une évolution sociétale où, depuis des lustres, on a privilégié la performance et son accomplissement à l’analyse et au regard plus subtilement humaniste.
Où sont passés les caciques d’antan, les Manolo Chopera et consorts, passés par la discipline des «humanités» avant d’apprendre le jeu impitoyable des requins? Ils parvenaient eux à équilibrer et à conjuguer leurs intérêts bien compris avec une afición indéniable.
Le mal de notre époque, c’est également l’a-culturation ou la déculturation, au choix. La culture est même devenue une infirmité, un handicap, un motif de raillerie, une accusation implicite de préciosité, de prétention ou de supériorité, comme ces bons élèves de nos classes que leurs copains traitent d'«intellos».
On compense la paresse intellectuelle d’aller écouter une conférence, de lire le Cossio ou les dizaines d’ouvrages passionnants (souvent en espagnol malheureusement) par le suivi scrupuleux de Tendido 000, des «news» de Mundomachin, etc qui font figure de connaissance approfondie de la res taurina.
Or, information n’induit aucunement culture.
L’information c’est apprendre que Chopetilla ou Matira s’emparent de telle ou telle arène, que le susnommé Figuro le Magnifique change d’apoderado ou qu’il a coupé 7 oreilles à 2 toros de Victoriano de Domecq dans la Monumental de Los Trouillos, le 30 février.
La culture, c’est non seulement de ne pas s'encombrer excessivement de ces amusettes, mais 20 ans après d’interpréter et de donner un sens à l’ensemble de ces informations en les croisant avec des dizaines d’autres d’ordre politique, sociologique, culturel, économique, etc.
Sans recul, sans analyse solide du passé et du présent, on ne peut accéder à la perspective et encore moins à la prospective. Si l’on ne comprend pas clairement et lucidement d’où l’on vient, où l’on est, pourquoi et comment on y est parvenu, on aura beaucoup de peine à savoir où l’on doit se diriger.
Nous en sommes là…
L’autisme des élites et leur déficit culturel taurin actuels sont tels qu’elles se trouvent pour leur majorité, dans l’incapacité d’élaborer des solutions à la mesure des enjeux.
Vivant et macérant de concert dans leurs cercles avariés et trompeusement rassurants, elles se persuadent de bonne foi que leurs déboires ne résultent que de l’action nocive «des 40 gueulards qui pourrissent leurs corridas».
Ainsi, quand il s’est agi, durant la décade passée, de dénicher des ganaderias toristas pour les grandes ferias, a t-on vu fleurir et prospérer des lots de Victorinos ou de Miuras, voire de La Quinta ou de Conde de Mayalde, ce qui faisait se tordre de rire les authentiques toristas très au fait, eux, du discrédit (qu'on espère provisoire...) de ces maisons au nom illustre.
Pour tomber à côté, on ne pouvait rêver mieux!
Le monde taurin et particulièrement le monde ganadero évoluent vite, très vite, trop vite.
Si l'on veut suivre le mouvement, il convient de se tenir très informé de l'actualité du campo. Non pas des vétilles du torobusiness, mais de savoir la politique des ganaderias à suivre, de celles qui montent, de celles qui «bachent», des changements de sementals, des variations des camadas, des «en forme». Il faut suivre les petits signaux si révélateurs.
Combien d'empresas écument-elles régulièrement le campo?
Combien se hasardent-elles hors des chemins battus et rebattus?
Combien prendraient-elles le risque de sortir des gammes des toros de soit-disant garantie?
Malheureusement, les ganaderos sont aussi des négociants et peu résistent aux tentations: lorsqu'une figura commence à s'intéresser à une ganaderia, ce n'est généralement pas bon signe quant au devenir de la casa. On pourrait citer moult exemples.
Par contre, l'esprit taquin relèvera que les propositions de l'afición (Cuadri, Aguirre, Cebada Gago, etc...) sont rarissimement suivie d'effets. Etrange, n'est-ce pas?
Des maisons sérieuses comme Baltasar IBAN ou FUENTE YMBRO étaient intéressantes, on constate, ne serait-ce qu'en novillada, qu'elles connaissent depuis 2 ou 3 ans une méforme et un affadissement qu'on souhaiterait provisoire. Malheureusement le goût que les figuras leur professe subitement n'engage nullement à l'optimisme.
Là sévit le syndrôme de la bande molletière et de la guerre de retard. C'était alors qu'il fallait les programmer!
Comment remédier?
En ce qui concerne les toros, au centre du débat, il existe des professionnels du campo, les veedores. Des auxiliaires précieux et compétents, pour qui n'est pas au fait, si l'on sait en user, tout en conservant à l'esprit la juste mesure de leurs limites.
Comme les autres mundilleros, ils ont leurs intérêts, leurs faiblesses, et leurs préjugés qu'il y a lieu de prendre très sérieusement en compte. Ils devraient être des ressources, des compléments, des «plus», nullement des solutions, ce qui n'est malheureusement pas souvent le cas, dans un contexte où l'inculture de nombre de décideurs les porte à s'en remettre inconsidérément à leurs truchements et à leurs arbitrages.
Imprégnés des présupposés des taurinos, des points de vue des toreros, ils peinent à se départir d'idées toutes faites y compris sur la France et l'attente de son afición.
Il n'est pas tant question de divergences de goûts, de vérités taurines, mais bien d'une acceptation d'une demande qu'ils récusent. S'ils vous avancent une définition du toro idéal et que vous leur rétorquez qu'il n'en va pas de même pour vous et votre public, ils ne peuvent l'entendre. Pourtant, il ne s'agit pas de vérités, mais de choix, et en la matière le client a toujours raison ... sauf en tauromachie où c'est le vendeur qui impose ses normes.
Là est le problème...
Et lorsque la dure réalité s'impose, que les aficionados, encouragés par la crise désertent les arènes, contre toute évidence, ils persistent dans l'erreur.
Eux aussi retardent d'une guerre, avec leurs opinions datées et très arrêtées sur ce que doit être «le toro de Dax», «le toro de Mont de Marsan», «le toro de Vic» ou celui d'Orthez.
Ils transposent la réalité des plazas espagnoles, et quand ils ont quelque conscience de l'évolution française, c'est souvent par ouï dire, de manière déformée.
Issus du milieu, vivant dans et par le milieu, en règle générale, la seule vérité qui s'impose vraiment à eux n'est nullement celle des aficionados, mais celle du milieu.
Ceci étant précisé, lorsqu'ils appréhendent correctement les demandes et les enjeux, ils représentent des ressources inappréciables par leurs connaissances, leur savoir, leur discernement.
Les écoute t-on, et les écoute t-on avec les réserves et précautions indispensables, sans naïveté et sans illusions excessives?
La mutation indispensable de la tauromachie sera ardue et périlleuse car peu, surtout les décideurs actuels y sont culturellement préparés: on demande aux décideurs de «l'ancien régime» d'en concevoir un nouveau.
De ce point de vue, ma perception est pessimiste. Il faut malheureusement craindre que nécessitant des Guderians, nous ne disposions que de Gamelins, retardant d'une guerre pour mener victorieusement celle à venir.
Une bête histoire de bandes molletières si tellement pratiques!
Xavier KLEIN