J’ai souvent évoqué ici le rôle et la fonction essentiels des peñas, qui, comme les associations en général, représentent dans notre pays non seulement l’un des outils essentiels de la culture populaire, mais des rouages démocratiques inégalés.
Les peñas, un thème de discussion récurrent avec nombre d’interlocuteurs et tout dernièrement avec Jean François MOREL, dit «Fanchou», aficionado et «peñista» distingué, de longue date (il a vu s’éteindre le dernier mammouth à l’issue de la dernière glaciation, Würm, si mes souvenirs sont bons).
Fanchou a bu à la source de jouvence et conserve intacts un enthousiasme, un émerveillement, une capacité d’indignation et une libre parole miraculeusement préservés. Un DE-LI-CE!
C’est en sus un grand honnête homme, qui a toujours refusé la brigue, les prébendes, et les honneurs de pacotille pour conserver jalousement son trésor le plus précieux: sa liberté.
Fanchou me confiait tantôt son expérience de 12353 ans de vie associative taurine depuis ses débuts à la Peña Taurine Dacquoise qui jusqu’à la fin des années 70 constituait l’unique association taurine de la cité des Aguas Calientes.
Son impétuosité et son ardeur trouvaient quelques motifs de désagrément devant le désengagement croissant de nombre de ses ouailles de la Peña Campo Charro de Dax. Un constat quelque peu exagéré à mon avis au regard du dynamisme d'une peña qui multiplie activités et animations de grande qualité.
L’analyse du phénomène et les conclusions que nous en tirâmes (issou), me semblent dignes d’intérêt dans la mesure où elles permettent d’éclairer les temps que nous vivons, notamment du point de vue taurin.
L’affaire ne concerne pas exclusivement le milieu taurin, le phénomène procédant d’une dimension sociétale.
L’évolution de nos sociétés vers un individualisme croissant (accéléré depuis 68 qui est une révolution individualiste et bourgeoise) a abouti à la parcellisation, voire à la «clanisation» du corps social qui a renoncé à une ou des cultures d’ensembles solidaires.
Auparavant on se rattachait socio-culturellement à un groupe dont on se sentait partie prenante (on était ouvrier, bourgeois, catho ou syndicaliste).
Ce n'est quasiment plus le cas.
En outre, on est passé d’une culture solidaire à une culture consumériste. On profite sans se soucier de participer.
L’ensemble du monde associatif comme le monde syndical ont vécu cette douloureuse évolution qui change totalement la donne. La relation sociale devient économique dans la proportion inverse de la désaffection du bénévolat et du militantisme.
Les collectivités doivent désormais foncer pour créer des postes de ci ou de ça (éducateurs sportifs, etc.) pour compenser par exemple la désaffection du papa qui venait encadrer les gamins à l’école de rugby, la maman qui enseignait le macramé ou le passionné qui animait le labo photo. Dans nos villages, l’éducation instrumentale était assurée par les anciens de l’harmonie ou de la batterie-fanfare quant il faut maintenant présenter diplômes et qualifications certes valorisants mais aussi très onéreux.
Qu’on le veuille ou pas, qu’on s’en plaigne ou non, les faits sont là («et le désir s’accroît quand les faits se reculent»). Impossible de revenir en arrière, d’autant que les réglementations ne cessent de s’alourdir, composant une usine à gaz kafkaienne. Toute association doit par exemple satisfaire au stage de formation d’un référent pour pouvoir ouvrir une buvette!!!
Il y a donc un désengagement général de ce type d’activité sociale qui pourtant faisait lien.
Ce mouvement s’ajoute à d’autres. Par exemple le développement de ce qu’on appelle les «réseaux sociaux», par le truchement des nouvelles technologies, mais également par l’explosion des possibilités d’informations.
En 1975, il n’existait en France qu’une revue taurine: la vieille dame, TOROS. Il fallait également s’abonner pour recevoir très imparfaitement l’unique périodique taurin espagnol de masse: Aplausos.
L’accès à l’information taurine globale ne passait que par ces canaux forcément très réducteurs. Idem pour la littérature taurine, infiniment moins développée que de nos jours où les seules nouveautés occupent un rayon entier chez un bon libraire.
Pour voir une corrida, pour rencontrer des aficionados, causer toros, développer ses connaissances, une vision distanciée ou critique, il fallait nécessairement se déplacer et partir à la rencontre de l'Autre.
Aujourd’hui, télévisions, vidéos, blogs, sites internet permettent une information instantanée dans un contexte de masse, là où tout relevait de la transmission orale et personnelle.
On est passé des maîtres (Popelin, Tio Pepe, Tolosa, Lestié, Dumont, Pelletier) aux centimètres.
L’accès même au monde des toros, à celui des toreros passait par des intermédiaires obligés et un parcours du combattant éprouvant, dans lesquels il fallait avoir ses entrées.
Tout cela n’était généralement possible que grâce aux peñas qui organisaient, capeas, sorties au campo, conférences, rencontres, tertulias, discussions de comptoir jusqu’à des heures indoues.
Ce lien social, ce monde de la transmission n’a malheureusement plus de raisons d’être. A mon sens, on ne peut que le déplorer, comme un appauvrissement de ces opportunités de relations humaines. Communiquer par fesse-bouc ou par blog interposé s’avère infiniment plus pauvre et réducteur que les pesanteurs malgré tout bien séduisantes de l’«ancien monde».
Ce brin de nostalgie accompagné d’une esquisse de «l’arme à l’œil» ne doit pas empêcher d’espérer et de considérer les aspects positifs que toute situation nouvelle suppose.
La nature et l’humain ont horreur du vide.
Il faut donc cher Fanchou, que tu te remettes à l’établi pour imaginer d’autres possibles, d’autres outils de convivialité et de rencontre, d'autres utilités captivantes.
Qu’est-ce qui peut intéresser dans une peña de nos jours? Quel intérêt –puisque c’est l’intérêt qui motive l’homme- à se regrouper?
La gamme des réponses me paraît longue à énumérer et recèle nombre de ferments d’espérance.
Encore faut-il se mobiliser et se retrousser les manches pour réfléchir et pour entreprendre.
C’est affaire de jeunesse d’âme, de tonus et pour tout dire de puissance vitale.
Nul doute que le vieux guerrier, blanchi sous le harnais, au visage buriné par le soleil des tendidos et les bourrasques du campo saura trouver les ressources…
Xavier KLEIN
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