Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 13 janvier 2011

Ca fait du bien là où ça fait mal... ou la défaite d'Albert LONDRES


«Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison»
Victor HUGO
«Celui qui supprime un instit, crée un maton»
Xavier KLEIN

J’aime bien bouger, j’aime la nouveauté, le renouvellement. Plutôt, j’aimais. Alors, je remue moins, je reste plus quiet, moins réactif.
Avec les années on se calme, on apprécie moins le changement, la remise en question, la perturbation vivifiante, le mouvement…

Pas bon! Pas bon! La véritable vieillesse est là, dans l'acceptation et le fatalisme, pas dans les rides ou les cheveux blancs.
Pourtant, il demeure des causes, des discours, qui malgré cette ankylose me font toujours bondir et m'indigner.
***
En 1996, le concours de Chef d’Etablissement de l’Education Nationale en poche, j’entamais une année de formation.
A l’époque, il y avait concours -très sélectif de surcroît (700 reçus pour 7800 candidats)- et formation de qualité. Une année de «stage lourd» (formation théorique, technique, pratique, suivie de deux années de stage en situation).
Le concours n’existe plus. D’une part parce qu’il laissait accéder des candidats indésirables par la hiérarchie (quand on recrute les gens sur des capacités intellectuelles, on n’a pas les mêmes résultats que lorsqu’on les coopte sur des critères de «maniabilité» et de soumission à l’autorité), d’autre part parce que la barre étant trop haute, le niveau de recrutement ne cessait de baisser (de 13/20 au dernier admis on passait à 9/20) et l’on ne trouvait plus de candidats compétents.
La formation lourde aussi n’existe hélas plus (il paraît que c’était inutile. En langage administratif normalisé sarkoziste, "inutile" signifie "coûteux"…). C’est fort dommage, car durant cette formation, on bénéficiait d’un mois de stage par trimestre dans des administrations ou entreprises autres que l’Education Nationale.

Quelle opportunité, au mi-temps de sa vie professionnelle, de pouvoir lever le nez du guidon, et d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte!
J’avais choisi trois secteurs dont les activités m’intéressaient à divers titres: le milieu carcéral et plus particulièrement celui des mineurs et jeunes majeurs, la Police Nationale, et enfin une entreprise de logistique internationale.
Ce dernier stage m’a considérablement éclairé sur les mérites comparés du public et du privé. Ayant eu de nombreux contacts avec beaucoup d’entreprises, j’ai constaté qu’on n’y travaillait ni plus, ni mieux, ni plus vite, ni plus moderne qu’ailleurs, et que mon honorable administration tant décriée, n’avait nullement à rougir de la comparaison.
Lors de ce stage, j'ai travaillé sur la rationalisation des outils de travail, l'élaboration de formulaires et de procédures, sur l'application de l'informatique, alors balbutiante, aux besoins quotidiens. L'expérience n'a pas dû être complètement négative puisqu'on m'a vivement sollicité pour une embauche, à l'issue de mon séjour, pour un salaire nettement supérieur, à ce que l'Etat me consentait.
***
Les deux autres stages représentèrent des expériences inoubliables.
La Sûreté Urbaine de Bordeaux est un monde complexe où l’on peut rencontrer des personnalités trempées tout à fait extraordinaires. Je suis passé dans tous les services, des «stups» aux mœurs (l’ancienne «mondaine») en passant par la cellule anti-terroriste, la financière, etc. J’en parlerai un jour, si vous souhaitez.
Je resterai marqué à jamais par mon séjour d’un mois à la Maison d’Arrêt de Gradignan (février 1997) et notamment au centre de rétention des jeunes. A telle enseigne que pendant 2 ans, j’ai ensuite servi comme visiteur de prison, activité que je reprendrai sans doute, quand je serai retraité.
Il paraît que le français moyen, même et y compris lorsqu’il est de souche étrangère, voit la prison comme un lieu idyllique avec télé, salle de sport et repas gastronomiques.

Peut-être, mais alors le détail m’a complètement échappé.

Personnellement j’ai plutôt été épouvanté par les cellules minuscules et surpeuplées, les personnels en sous nombre complètement débordés et dépassés, l'absence criante de formation, d’aide psychologique et morale. J’ai rencontré des hommes à bout, déconstruits, dans la détresse la plus profonde, à leur énième tentative de suicide, des jeunes aux yeux vides, que l’espoir avait déserté.
Dans la lignée des idées généreuses du Conseil National de la Résistance, la base de notre édifice pénal reposait antérieurement sur l’idée de réhabilitation et d’insertion. Disons le tout de go, ce n’est malheureusement plus le cas.
Rassurons les beaufs: leurs voeux sont comblés. La sanction, la punition ont pris le pas et la situation des prisons, remplies à ras bord, est catastrophique. Les diverses remontrances à la France des instances européennes sont d’ailleurs là pour en témoigner. Le pays des Droits de l’Homme est celui des pays développés, où les détenus sont le plus indignement traités: «Dis-moi comment tu pénalises et je te dirai qui tu es»
La prison est plus que jamais un lieu de souffrance, où l’on vous infantilise, où l’on vous brise, où l’on vous soumet. Une école de l’hypocrisie, de la violence, de la drogue, de la loi du plus fort, où l’on fabrique plus des bêtes féroces que des futurs citoyens réhabilités, reconstruits et aptes à un nouveau départ.
Bien sûr, je ne sombrerai pas dans l'angélisme. Beaucoup de détenus, quelles que soit les modalités de leur peine, rechuteront. Parce que l'«imprégation» de la transgession est particulièrement marquée en eux, parce qu'ils sont irrémédiablement étiquetés, parce qu'à l'issue de leur détention, ils retombent dans le «bouillon» de culture qui a favorisé leur chute. Sait-on que nombre de détenus se suicident ou subissent des dépressions graves à leur libération? Une espèce de nostalgie des barreaux, une incapacité à vivre libre et autonome.
Ma pratique professionnelle avec des enfants m'a convaincu de la nécessité du tryptique: EDUCATION, PREVENTION, REPRESSION. Expliquer et justifier la règle, être présent pour la faire appliquer, sanctionner raisonnablement et intelligemment les transgressions.
Actuellement en France, on renonce à l'EDUCATION, que ce soit à l'Ecole, mais aussi  sur le terrain social: pardi, il faut bien les trouver ces 1 fonctionnaires sur 2 à ne pas remplacer!
Pour les mêmes raisons on a sacrifié la PREVENTION. Les ilotiers, la police de proximité n'existent plus. On a préféré y substituer les incursions spectaculaires et régulièrement médiatisées (cf il n'y a pas une soirée TV sans reportage "live" sur le sujet).
Il ne demeure plus que la REPRESSION, qui s'apesantit jour après jour, loi après loi, dans un climat de peur soigneusement entretenu.
***
Pour parler franc, je suis sans nul doute un idéaliste béat, mais je doute que les tabassages en règle, que la loi du milieu qui s'exerce aussi en taule, que les brimades, que la sodomisation brutale d’un jeune adulte dans les douches ou par un «compagnon» de cellule puissent être de nature à l’épanouir et à le réhabiliter. Est-ce d'ailleurs le dessein non dit de ceux pour qui l'«ennemi social» et la peur qu'il engendre sont électoralement payants.
Mais c’est un point de vue! Question de sensibilité hémorroïdaire sans doute! La rectitude par le rectum. Tout le monde ne peut s’appeler Jean Genet!
Je suis certes un vieux con catholique et gauchisant, mais je tiens à la connerie qui m’avait ému en voyant un jour «Chiens perdus sans collier».

Je n’ai jamais renoncé à «ça» et quitte à mourir de et avec cette connerie, je n’y renoncerai jamais.
Sartre avançait: «L’existentialisme est un humanisme».
Cette connerie là l’est également, même si la chose n’est plus de mode!
Xavier KLEIN

A lire ou relire: «Surveiller et punir » de Michel FOUCAULT


12 commentaires:

el chulo a dit…

parfait!

mais tu résumes exactement ce qui sépare un homme de gauche d'un homme de droite.

Anonyme a dit…

"Adieu donc, enfants de mon cœur"

ludo a dit…

mouais...tu crois Chulo ? il me semble que une des dernières à avoir un peu levé le ton sur ce thème ce fut la sarah palin des yvelines dite la Boutin.

ludo

Marc Delon a dit…

je dirais même que le pire, c'est l'homme honnête de droite : à lui le cachot et la sodomie brutale, directement prescripte par la société sans casier judiciaire. Quel salaud ce Boulaghmoudi ! Arabe, pauvre et victime... cumulard atypique, il exagère, trop. Chez les Delon aussi, on visitait les prisons. Ma mère y était interprète bénévole. Trop chiant ces bénévoles à la noix qui font vaciller l'idée que la bonté, la tolérance, l'intelligence serait "private property" de la gauchitude. Une idée qui nous est sodomisée depuis des lustres avec moult vaseline, elle. Wouarf !

Anonyme a dit…

El Chulo a dit : parfait !, mais la suite de son court et éloquent propos en guillotine me suggère un lien avec l'article précédent de Xavier sur le fascisme. El Chulo et Marc Fabre, un même combat, celui de l'intolérance et de l'étroitesse d'esprit. Même sur les toros, nous pourrions, je le crains, être en désaccord sur la façon de les aimer, de gauche ou de droite.

el chulo a dit…

anonyme, tu me flattes!

je maintiens toutefois, y compris sur le fascisme.

Anonyme a dit…

Alors la brega, c'est un blog politique de gauche ?

Xavier KLEIN a dit…

Pourquoi? C'est de gauche de s'intéresser au sort des prisonniers?

Marc Delon a dit…

ben oui, c'est une sensibilité de gauche, bien sûr. La gauche assiste le criminel car elle pense que s'il en est arrivé là c'est qu'il a eu moultes difficultés, tandis que la droite assiste la victime pensant qu'elle a accumulé assez de malchance comme ça pour ne pas voir dissiper l'énergie d'un bénévolat auprès de son bourreau...
j'te caricature la tendance générale, hein... peut y avoir des cas particuliers... mais est-ce bien nécessaire de le rappeler à chaque fois...

Ludovic Pautier a dit…

se torea mejor al natural...o sea con la zurda. y las ventajas con la derecha. el toreo no miente.
el toro mata por los dos pitones. el toro tampoco miente. pero unos se lo arreglan. por el derecho y por el izquierdo. eso es lo malo.
un saludo.

Ali Lodelpiton

pd : el anonimato es de tremendistas.o de toro bravucon.

Xavier KLEIN a dit…

N'est-il pas possible selon toi Marc, d'assister la victime et de comprendre le bourreau. Sachant qu'expliquer n'est nullement justifier.La victime demande en général vengeance, le bourreau, en général indulgence. Et la JUSTICE dans tout cela?
Ce que je pense, c'est que si la société a le DROIT et le DEVOIR de se protéger, et d'assurer ce que l'on appellait très justement la SURETE de ses membres, je désapprouve qu'elle s'accorde la licence de faire souffrir et de déhumaniser les criminels, ce qui revient à l'antique loi du Talion, stade primitif de la civilisation.
En outre, excuse moi de penser, au nom de mes idées philosophiques et religieuses, que l'homme peut toujours changer.
Ce n'est pas un hasard si Hugo est en exergue (Jean VALJEAN).

Marc Delon a dit…

Tout à fait. Mais ça, c'est une fuite digressive en avant. ce que j'ai dit plus haut ne sous-entend aucunement qu'il m'est impossible de partager ce que tu dis-là. j'expliquais juste ce qui est une naturelle inclinaison de sensibilité qui semblait t'échapper puisque tu posais la question.
Après on peut discuter : le "multirécidivisme" par exemple, me semble plus être la traduction d'une volonté de ne pas changer. On peut faire une erreur. Quand on la fait six ou sept fois... Quoique, vu l'époque où les "erreurs" se font à coups d'armes létales pour un regard, il n'y a plus trop de rattrapage possible...