Humeurs taurines et éclectiques

lundi 9 mars 2009

AMENDE HONORABLE

L'honnêteté intellectuelle commande de reconnaître que l'émission de Fr3, «Signes du toro» (http://signesdutoro.france3.fr/index.php?page=article&numsite=1148&id_rubrique=2705&id_article=8030) a donné lieu à un exposé infiniment plus objectif que ce qu'on aurait pu craindre.
Certes le débat de fond n'a pas été traité aussi profondément qu'on aurait pu le souhaiter, mais sans être toutefois esquivé.
Il faut dire que c'est un débat technique et surtout éthique qui dépasse amplement l'objet d'une telle émission, le temps qui lui est consacré et l'attente du télespectateur.
Il faut donc, à mon sens, saluer une émission somme toute équilibrée qui pose globalement très correctement le problème.
On discerne malgré tout, au détour des mots, les présupposés du journaliste (par exemple quand il évoque les «ronchonnements» de la minorité contestataire), ce qui ne me paraît nullement dérangeant dans la mesure où il a eu à coeur de donner loyalement la parole à la contradiction.
Toute cette affaire pose tout de même un certain nombre de questions fondamentales. Et parmi celles-ci, les plus importantes dépassent le strict cadre tauromachique et relèvent de la sociologie.
J'ai parfois évoqué ici la figure de mon maître en tauromachie, le très regretté Claude PELLETIER.
L'attachement qui me liait à cet homme procédait beaucoup plus de ses qualités humaines et intellectuelles que de ses seules compétences taurines.
Il était parfaitement capable de défendre, avec talent et conviction, un point de vue, puis, après avoir discuté de remonter sur le tonneau pour reconnaître une erreur d'appréciation.
Si l'intelligence consiste à savoir reconnaître ses erreurs plus qu'à les commettre, Claude était un génie.
On pourrait faire le même constat avec Pierre Albaladejo, qui confesse sincèrement «avoir pété les plombs». Partant de cet aveu, sans nul doute difficile, et sortant de la langue de bois, des discours convenus et surtout de la mauvaise foi, on peut commencer à «causer» utilement et intelligemment.
Sur quoi reposent les termes du débat?
Olivier BARATCHART, dans un interview joint au reportage télévisé les a posé très clairement en affirmant que les évolutions inéluctables de la corrida conduisaient celle-ci à s'adapter aux nouveaux goûts du public.
Or c'est précisément ce genre de raisonnement qu'il faut s'éviter d'avaler comme une vérité révélée. Au détour d'une phrase apparemment innocente et anodine, se cache une contre-vérité criante, de celles qui nous font couramment faire fausse route.
Ce disant, je ne mets nullement en cause Olivier, ce discours étant communément énoncé et communément entendu de toute part.
J'ai appris lors de mes études universitaires à me méfier de ces lieux communs redoutables qui engendrent tant de conséquences.
Un jour où j'évoquais la «vocation touristique» de la côte landaise en reprenant l'expression d'un aménageur, mon directeur de recherche me china avec humour en me demandant qui, quand et comment avait un jour décidé de cette soit-disant vocation touristique. Etait-ce «nos ancêtres les gaulois», Aliénor d'Aquitaine ou bien plus simplement les grands groupes de promoteurs qui voulaient, comme sur la Côte d'Azur, bétonner les plages océanes?
Il en va de même des goûts. C'est l'éducation et la culture qui forment et génèrent les goûts. L'appétence des japonais pour le poisson cru, des mexicains pour l'épicé, ou des européens du nord pour la viande bouillie n'a rien à voir avec une génération spontanée, c'est le produit d'une culture, c'est à dire d'une propension créée, entretenue et...cultivée.
Ces fameux «goûts du public» qui tomberaient ex nihilo, s'imposeraient d'eux-même, et auxquels il faudrait se plier -vox populi, vox dei- sont en fait des créations du «système taurin» et notamment le produit de l'activité médiatique (presse et audiovisuel).
Exactement comme l'on formate les goûts musicaux avec la «staraque», les goûts gastronomiques avec les produits calibrés de supermarché ou les macdonalds, les goûts cinématographiques avec les séries américaines, ainsi de suite...
Or, que nous ressassent les medias taurins sinon la dimension normative des arènes de 1ère catégorie? Qu'est ce qui y est donné à voir? Quel type de toros, de toreros, de toreo? Quels spectacles sont repris et survalorisés par «Signes du toro»?
Sont-ce les élevages passionnants qu'on a pu voir l'an passé à Saint-Sever, Hagetmau, Parentis, Roquefort (pour le sud-ouest)? Sont-ce les faenas plus difficiles d'accès, qui requièrent des savoirs techniques, un œil exercé, une analyse subtile des problèmes posés par les toros et de l'intelligence mobilisée par les hommes pour les résoudre?
Non. On préfère nous livrer en pâture le brouet insipide, le hamburger pré mâché, qui ne mobiliseront ni nos crocs, ni notre réflexion. On ne fait pas oeuvre d'information et encore moins d'éducation, mais oeuvre de promotion.
Les fameux «goûts du public» sont donc le fruit du consensus entre les «majors» du mundillo (empresas, toreros, ganaderias), les plazas qui peuvent se les offrir et la presse qui par adhésion, intérêt, inconscience ou facilité (cochez une ou plusieurs bonnes réponses) les promeuvent.
Il est infiniment plus confortable de consommer passivement que de se poser des questions, surtout quand elles sont gênantes. Mais il s'agirait de temps à autres d'être à l'écoute de ce qui se passe et de ce qui se dit.
J'entends par là, qu'il ne suffit pas d'écarter d'un revers de manche certains arguments des anti-taurins, mais bien au contraire de les entendre, surtout quand ils affirment que derrière tout cela, il y a une affaire de gros sous et de profits.
La vérité n'est le monopole de personne, et il faudrait être bien sot pour ne pas la reconnaître, y compris dans le discours de son adversaire.
La politique de l'autruche n'a en effet jamais participé à résoudre les problèmes.
En attendant, il nous faut espérer que ce media du service public poursuivra dans le sens d'un questionnement intelligent, pondéré et ouvert à toutes les sensibilités taurines, qui représente la seule réponse opportune aux attaques que subit la corrida.

Xavier KLEIN

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Xavier,

Tu l'as déjà développé dans un envoi précédent (je préfère "envoi" à "post"...), et je le reprends ici parce que ça me paraît central.
Nous ne rendrons notre position tenable (au sens quasi militaire du mot tenir) que si, d'une part (vis à vis des "antis") nous disons clairement que le "toro de combat" n'est pas plus naturellement sauvage que le "cheval de course" n'est naturellement un coureur élégant - mais qu'au contraire les deux sont identiquement des "produits de culture", c'est à dire des produits de notre bon plaisir d'Homo sapiens sapiens, s'exerçant sur un donné naturel que nous aurons justement modelé à notre goût. Et, dans cette ligne de vue, le "toro de combat" est un animal élevé - autant que faire se peut - hors de toute "familiarité" avec l'Homme (au sens où l'a développé Francis WOLFF in "Philosophie de la corrida"), en cherchant à conserver au travers de la sélection zootechnique un caractère - comportement - de "fureur" (originellement présent chez Bos taurus hispanicus), le portant à charger - aller vers pour le faire fuir - tout ce qui empiète sur son territoire (le fameux "terrain du toro" chers aux aficionados). Et si, d'autre part, nous disons à nos "amis taurins" portés vers le modernisme du "goût du public à satisfaire", que le risque de laisser se perdre la "fureur" - au motif que le "combat" doit se faire désormais et inexorablement "spectacle" (et qu'à l'issue d'un spectacle il n'y a bien évidemment plus de mort!) - contient en lui-même la fin de la corrida comme combat à mort et dans l'honneur ("Le toro doit être combattu et non abattu" - F. WOLFF) entre un homme et un toro...
Remettons la "fureur" du toro au centre du raisonnement et, me semble-t-il, tout deviendra ou redeviendra plus clair (par exemple, qu'est-ce au fond qu'un élevage "décasté" sinon un élevage dans lequel les toros ont - momentanément sinon définitivement - perdu leur "fureur" comportementale vis à vis de toutes les sollicitations des différentes "suerte taurines"?...)

A suivre?...

Bien à toi - Bernard

PS : combien l'ami Claude nous manque! (originaire du Sud-Est, je l'ai longtemps lu avec passion dans "TOROS", avant que mon transfert en Sud-Ouest m'ait donné l'occasion et le plaisir de le rencontrer - hélas pour moi bien trop fugacement pour pouvoir échanger...)

Marc Delon a dit…

les fameux "goûts du public" sont simples à appréhender : ils coïncident avec le résultat de la taquilla...
1)les figuras remplissent les arènes.
2) Mise à part trois ou quatre arènes primordiales, elles n'ont pas envie d'y prouver quoi que ce soit donc de prendre du bétail sérieux
3)résultat des courses : (et on ne peut mieux dire...) les après-midi où on voit les figures face à des bédigues générent infiniment plus de recettes que l'inverse
4) suit donc le discours qu'on connait : les toros artistes et toutes ces conneries...
Si on rajoute le fait que les toreros choisissent tout : non celui-là je ne veux pas toréer avec lui etc.... ça manque de peps

Quant j'étais jeune la programmation de marcel Aymé (je crois) à Nimes était assez stimulante : il mettait la star puis celui qui voulait le détrôner et enfin un mort de faim qui avait tout à gagner à se sortir les tripes (au sens figuré, hein...)

Anonyme a dit…

Marc,

Si je parts du principe simple que la "taquilla" c'est nous, c'est à dire vous, moi, etc; qu'ensuite et quant à moi, je ne peux décider que pour moi, je me suis fait modestement la raison suivante que je ne donne ma taquilla qu'en fonction de mes goûts (plutôt Céret que Dax pour faire vite) - me disant que c'est mon argent qui fait vivre ceux que je finance... Le reste est perte de temps (ex: aller à Dax le 7 septembre 2008, y payer donc une place, puis "se faire du mauvais sang" en fulminant contre l'"indulto" de Desgarbado!): ainsi que l'eussent dit les marxites de la grande époque, pour gérer ce type de contradiction (aller à une corrida dont on aura toutes les chances de ne rien attendre), mieux vaut la traiter préventivement (ne pas aller à une corrida où on aura toute chance de n'avoir rien à attendre)...
Bref, pour moi, déplorer ne sert à rien: j'essaie de faire ce que je peux à la hauteur de mes moyens...

Bien à vous - Bernard

PS : Gardois d'origine - quoique né à ARLES (!), je crois de mémoire que le regretté AYME se prénommait Ferdinand (à vérifier donc)

Xavier KLEIN a dit…

Et oui Bernard, Marcel c'est celui de la Jument Verte, pas celui du noir toro...