Humeurs taurines et éclectiques

mardi 2 octobre 2012

Des mots à maux


Fuera de cacho................................
Toujours passionné par le sens que l’histoire d’un mot et son étymologie confèrent à son actualité, autant que je le puisse, je passe en revue le glossaire de l’arène.
C’est une tache difficile car je ne suis nullement un linguiste distingué, loin de là!
Mes études hispaniques s’étant réduites au strict minimum (un año de «grand commençant» en classe de terminale), et n’étant nullement doué pour l’apprentissage des idiomes, je baragouine un espinguès approximatif et laborieux. Je ne parviens à l’entendre qu’après avoir consciencieusement abreuvé mon interlocuteur de «despacio, por favor» (lentement, s’il vous plait). Une précaution parfaitement vaine avec les andalous, créatures étranges et loquaces qui se soucient en général très modérément d’être comprises…
Après 7 ans d’anglais, je ne suis toujours pas rosbifnophone. Je lis couramment et manie le godon sans trop de tribulations, mais quand il s’agit d’entraver, c’est Trafalgar et Waterloo united. Et pour peu que l’interlocuteur soit un amerloque, c’est à dire un andalou anglais (la comparaison étant exclusivement phonétique!), là, je joue panique à bord.
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Non, moi, mon truc, c’est l’archéologie des langues. 
C’est pourquoi, bien qu’étant aussi nullissime en latin et en grec que dans leurs héritières modernes, j’ai toujours conçu une immense félicité à leur fréquentation, ce qui s'est avéré fortement avantageux pour l’abord de l’espagnol, de l’italien ou du portugais. Une fois sur deux, on y parvient à retrouver un mot inconnu grâce au recours à un radical latin, ce qui est impossible avec les langues septentrionales, germaniques ou anglo-saxonnes.
Il en va de la langue comme des peuples: la «pureté» n’existe pas. C’est au contraire par leur dynamisme interne et leur interaction avec l’«autre» qu’elles évoluent, se transforment et «vivent». Une langue qui n’évolue pas est une langue qui se meurt.
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Ces avatars sont réellement passionnants et transcrivent dans la modernité les relations historiques intra et inter-nationales.
Le mot «barbecue», par exemple, est le témoignage d’un aller-retour avec l’anglais. «Barbecue» -honi soit qui mal y pense- est l’adaptation anglaise d’une pratique de l’embrochement de «la barbe à la queue» bien gauloise, comme paquebot est celle du grand breton «pack boat».
Outre Pyrénées, l’histoire a également marqué la langue. L’émergence des Habsbourg et d’un empire-mosaïque sur lequel «le soleil ne se couchait jamais» a engendré une cohabitation des cultures.
Les reîtres et lansquenets mercenaires du Saint Empire Romain Germanique cohabitant avec les  tercios ibères communiquaient dans un sabir qui a laissé des traces. Ainsi, les premiers aillant coutume de se lisser la moustache en s’exclamant «Bei Gott!» («Por Dios!» en espagnol et «Pardieu!» en français), les seconds en conclurent que c’était là l’appellation de l’appendice pileux. «Bei Gott!» est donc devenu «bigotes» en castillan.
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La tauromachie n’a pas échappé au mouvement.
Ainsi, cherchant l’origine du mot «brindis», dont je ne parvenais à trouver aucune source latine, j’eus la surprise de découvrir qu’il provenait de l’allemand «bring dir's»je te l’offre»). Les fridolins avaient encore sévi!
Ce travail de recherche de l’origine du jargon taurin, de ses expressions spécifiques ne revêt pas seulement un aspect anecdotique, il révèle un sens profond, une histoire, des influences.
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J’ai toujours été intrigué par le mot «cacho», dans l’expression «fuera de cacho». En fait, ce mot peut se décliner non seulement sous diverses acceptions, mais relever de plusieurs étymologies.
Le verbe correspondant «cachar» est d’origine d’Amérique du Sud (Chili, Colombie) et signifie «cornear» (donner des coups de cornes).
Il faut savoir que les ex-colonies espagnoles (comme c’est le cas pour la France) pratiquent souvent un espagnol à la fois plus archaïque, plus pur ou plus soutenu que dans la mère-patrie. Il suffit de fréquenter un peu des québécois, des lettrés de la francophonie, antillais ou africains pour constater la pratique d’une langue plus subtile et plus châtiée que le français métropolitain. J’ai toujours ouï dire que le castillan de Colombie était particulièrement relevé.
Dans cette optique, on notera que deux occurrences de «cacha» (nom féminin de cacho) abondent dans ce sens:
CACHA1
(Du latin capŭla, pluriel de capŭlum, poing, poignée).
1.                   Revêtement (de corne) qui couvre le manche des «navajas», de certains couteaux et de quelques armes à feu.
2.                   Manche de couteau ou de «navaja».
3.                   De Cachete (joue). Mais également poignard.
4.                   Fesse. Portion charnue et rebondie.
CACHA2
1. Colombie: Corne.
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Le nom commun «cacho» dans l’une de ses occurrences, rejoint tout à fait «cacha», mais la déclinaison des significations, porte également très humoristiquement un sens qui peut s’adapter à la situation d’un torero ou d'un toreo «fuera de cacho».
         CACHO3
1. Amérique. Corne.
2. Amérique du sud. Timbale de corne.
3. Bolivie et Colombie. Jeu de hasard.
4. Chili et Guatemala. Corne.
5. Chili et Pérou. Rebut, chose inutile et méprisable.
6. Chili. Corvée, travail pénible et inopportun.
7. Colombie argotique. Joint, pétard. Cigarette de marijuana.
8. Equateur. Plaisanterie, historiette, en général obscène.

Ainsi «fuera de cacho» qui en jargon taurin se traduirait par «en dehors de la corne» ou «hors la corne»,  pourrait aussi diversement signifier dans un jeu du mot: «hors du poignard», c’est à dire hors du danger, qui rejoindrait alors «hors de la fesse», ce qui indique l’éloignement du péril.
Nous avons aussi le «hors du jeu» ou «hors jeu» trop souvent actuel et le «hors de la corvée, du travail pénible» qui s’avère explicite. Et «hors de la plaisanterie», dont, comme chacun le sait, les plus courtes sont les meilleures.
Par contre toréer «fuera de cacho» provoque un certain nombre de «pétards», même si d’un autre côté, la chose n’a rien du psychédélisme induit par un bon joint de marijehane. Notons que le mot «joint, pétard» se traduit aussi en argot mexicain par «cucaracha» (qui signifie aussi «blatte, cafard»). C’était le surnom du général-président aztèque Victoriano HUERTA, alcoolique, cannabique et sale comme un cancrelat après ses abondantes et fréquentes libations.

Refrain :
La cucaracha, la cucaracha,
Ya no puede caminar ;
Porque no tiene, porque le falta
Marijuana que fumar
Refrain :
Le pétard, le pétard, (ou le cafard, le cafard)
Déjà ne peut plus marcher ;
Parce qu'il n'a pas, parce qu'il lui manque
De la marijuana à fumer

Les mots dans leur crudité, dans leur subtile variabilité font plus que parler. Ils hurlent des vérités que nous nous refusons trop souvent à entendre.

Xavier KLEIN

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4 commentaires:

el Chulo a dit…

je nbe suis pas spûr de la traduction "déjà ne peut plus marcher".

Anonyme a dit…

La prochaine fois que je vais en Andalousie, je vous ramène une paire d'oreilles (sans difficulté si je vais voir Manzanares dans la Maestranza) que l'excellent Professeur Lafeuille vous greffera. Dès lors vous pigerez tout de l'andalou.
Je peux aussi vous ramener une queue... Non ? Sans façon ? Bon.
A bon entendeur salut !
JLB

Anonyme a dit…

bringe dich : je te l'apporte

Xavier KLEIN a dit…

Trouvé à l'article Brindis du Dictionnaire de l'Académie Royale espagnole.
Sans doute du vieil allemand...
http://lema.rae.es/drae/