«[…] Qui voulez-vous qui nous regrette, Puisque nous sommes des réprouvés.»
Chant de Marche des Bataillons d’Afrique
Régulièrement, j’ai dénoncé dans la Brega la dictature compassionnelle qui marque de son empreinte les sociétés de type occidental. L’apitoiement et l’émotion se substituent de manière outrancière à la nécessité de la réflexion.
Certes l’émotion est nécessaire, certes elle doit recevoir son lot, certes on ne peut et ne doit s’y soustraire au risque de la sécheresse de cœur et d’une forme de déshumanisation. Mais pour autant doit-on tout lui sacrifier, abdiquer la raison, renoncer à la réflexion? N’est-il pas de la responsabilité de nos responsables politiques, de nos intellectuels (complètement muets en la circonstance) d’œuvrer à la mise à distance, à la contention de cet excès d’émotion qui parasite l’exercice de la Raison et de la pensée?
C’est pourtant ce qui se déroule en ce moment à propos de l’abomination des crimes d’un fanatique.
Toute société, de tous temps et de tous horizons génère ses 0,2% de sages ou de saints et ses 0,2% de fous ou de criminels. Ces franges extrêmes -aussi monstrueuses (au sens étymologique du terme) soient-elles- procèdent de l’humanité, de notre humanité. Nous portons tous en germes le sublime comme l’abominable. De vouloir ignorer cette réalité, en premier lieu en nous même, nous expose à l’incompréhension de ce type d'évènements.
La cohue des politiques de tous bords (à part Mélenchon) qui se bousculent pour se grandir de la proximité des cercueils, l’hypocrisie de la pause de la campagne, les mines composées de mater dolorosa, les discours faussement réconfortants, l’union sacrée de façade, le diktat émotionnel d’une tragédie nationale surdramatisée de toute pièces: tout cela me donne la nausée quant à l’état de déliquescence de notre communauté nationale.
Car n’en doutons pas, cette émotion collective est générée, fabriquée, entretenue, pilotée par un petit monde médiatique qui prétend exprimer l’état d’esprit du pays et le manipule par un matraquage incessant.
La mise en scène de la peur et son exploitation, l’exécution libératoire et cathartique qui vient conclure le psychodrame composent une tragédie en 3 actes dont il convient de s’interroger sur la fonction sociétale et l’utilisation politique qui en est faite.
Je ne prétends nullement à la vérité et je voudrais ici confier quelques considérations qui me sont venues au gré des évènements. Des ressentis personnels dont je n’ai reconnu aucuns échos dans les débats et commentaires en cours. Se peut-il que je sois le seul à penser cela? Peut-être ces réflexions parleront-elles aux lecteurs?
1°) Le «péché originel».
Le Premier Ministre de l’Autorité Palestinienne, Salam Fayyad a eu parfaitement raison de dénoncer l’instrumentalisation par les fanatiques de tout poils de la situation de son pays et du sort de ses enfants. Néanmoins, peut-on ignorer que le foyer d’infection de la question palestinienne pollue depuis plusieurs années le Moyen-Orient et que l’attitude pour le moins équivoque des occidentaux et leur soutien inconditionnel à Israël nourrit toutes les haines de la communauté arabo-musulmane?
Je précise ici que je fais partie de ceux qui éprouvent de la sympathie pour Israël, seule démocratie véritable de la région, mais que l’intransigeance et les provocations du Likoud de Sharon à Netanyahou m’exaspèrent. Si la communauté internationale avait écarté les lobbies et pesé pour obliger les parties à négocier, on aurait ôté depuis longtemps l’alibi palestinien aux extrémistes.
2°) Le plusieurs poids, plusieurs mesures.
Les vies d’un enfant libyen «colatéralisé» par les missiles français, d’un gamin irakien ou afghan «bavuré» par la Coalition, ou, quotidiennement, celle d’un gosse syrien massacré par El Assad (avec des armes vendues par la France) ont-elles moins de valeur et d'importance médiatique que celles d’enfants français exécutés par un fanatique?
On me dira que c’est en France… Mais il y a 9 mois, en France, à Pau, le petit Alexandre JUNCA disparaissait, atrocement assassiné et démembré; en 2002, Sohane était brûlée vive à Vitry sur Seine. Il n’y a pas de mois sans que se produisent des meurtres innommables, fruits de la folie raciste ou du fanatisme religieux.
D’évidence pour être honoré par la Nation, il vaut mieux être assassiné durant une campagne électorale.
Comment cautionner cette hiérarchisation des victimes, ces victimes dont on s’émeut et celles que l’on tait?
3°) Un communautarisme qui ne dit pas son nom.
La «qualification» des victimes m’a particulièrement frappé. Ce ne sont pas des soldats français qui ont été tués, ce sont des «militaires d’origine maghrébine». Ce ne sont pas des enfants qui ont été exécutés, mais des enfants juifs. Personnellement, je serais incapable de distinguer un enfant juif d’un autre, comme lorsque je vois l’un des mômes de mon collège, sa couleur, sa religion ou sa nationalité me sont parfaitement indifférents. Ce sont des mômes, un point c’est tout!
Il me vient alors une idée déplaisante: si ces gosses là s’étaient retrouvés avec les autres dans un collège de la République, qui aurait pu les distinguer? Qui aurait pu «frapper la judéité» si celle si ne s’était pas différenciée? La revendication communautaire a donc autorisé une revendication communautaire différente. N’y a t-il pas là motif à réflexion?
Tant qu’avant de revendiquer d’être humains, français, les juifs comme les musulmans préfèreront se sentir peu ou prou mandataires ou solidaires de leur communauté culturelle ou cultuelle d'origine, les conflits d’ailleurs ne continueront-ils pas à déborder chez nous?
Dans ce sens, hier, la présence exclusive de représentants juifs et musulmans à l'Elysée ne consacre t-elle pas ce communautarisme quand la présence de TOUS les courants de pensée philosophiques ou religieux (chrétiens et non croyants) eût été indispensable?
4°) L’Ecole prise en otage.
Il devient extrêmement lassant que les desiderata ou lubies d’un responsable politique –fût-il Président de la République- s’imposent à une institution comme l’Education Nationale en évidente contravention avec sa mission.
Comme pour la lecture de la lettre de Guy MÔQUET, on a contraint à une minute de silence: une manière de mobiliser notre jeunesse dans le courant de l’émotion cathartique générale. Or, justement, la fonction d’éducation est de développer l’usage de la raison, de porter au sens critique, de faire œuvre d’histoire et non de mémoire.
Un enseignant n’a pas à «affectiser», il est là au contraire pour donner du sens, pour promouvoir l'observation, l'analyse des causes et des conséquences, en mettant justement l'émotion à distance.
Il faut croire notre petit Nicolas bien frustré de n’avoir pas été capable de devenir enseignant. On sent chez lui toute la rancune accumulée contre une institution qui n’a jamais reconnu ses médiocres mérites scolaires ou universitaires. Après avoir voulu inféoder les instituteurs aux prêtres ou aux pasteurs, ne voilà t-il pas qu’il se préoccupe de faire le job par lui même en intervenant lamentablement dans un collège, sur un registre désastreux, celui de la peur.
Décidément!
5°) Un «pourquoi» absent
Pourquoi, par quelles causes et quels ressorts, un jeune homme peut-il être conduit à de si épouvantables extrémités? Comment des valeurs extrêmes peuvent-elles à ce point supplanter les valeurs de la République?
Un détail a attiré mon attention. A plusieurs reprises Mohamed MEHRA avait postulé pour intégrer l’armée puis la Légion Etrangère. Pour des raisons de casier judiciaire chargé, sa candidature n’a pas été retenue. Qu'en aurait-il été si cette voie lui était demeurée ouverte?
Ce rejet objectif qui se conjugue au ressenti d’exclusion de beaucoup de jeunes beurs doit nous questionner.
«J’ai la haine» constitue le refrain ressassé de nombre de mômes des banlieues.
Cette haine, cette violence portées en soi, quelles qu’en soient les origines et la légitimité réelle ou supposée sont bien présentes. Ce sont des réalités qui ne trouvent ni solutions, ni exutoires satisfaisants.
Au début du XXème siècle, les «mauvais garçons», les Pierre GILIETH/Jean GABIN de «La Bandera» trouvaient dans la Légion ou les «Bats d’Af» un exutoire à leur nature violente ou à leur révolte.
Ces réponses là, aussi critiquables ou sommaires qu'elles puissent paraître n’existent plus dans une société policée qui postule l’a priori idéologique d’une négation de la violence.
Et c’est peut-être là que réside le nœud de l’énigme, de l’interjection obscène jetée par Mohamed MEHRA par ses actes apparemment insensés.
N’est-ce pas l’irruption inévitable d’une violence et d’une sauvagerie que notre société ne veut plus voir, mais qui n’en demeure pas moins omniprésente et irréductible? Apparemment et généralement domptée, mais qui n’attend qu’un prétexte, qu’une faille, que la rupture du maillon faible de la chaîne sociale pour fendre le vernis et s’exprimer dans toute sa scandaleuse crudité.
Cette même barbarie qui conduisit de braves pères de familles allemands à s’impliquer dans les Einsatzgruppen de la «Shoah par balles» ou de gentils pioupious franchouillards à torturer ou à cautionner la gégène en fermant les yeux pendant la Guerre d’Algérie, il n’y a que 50 ans.
Mohamed MEHRA ne serait-il pas la face émergée d’un iceberg dont nous ne voulons pas avoir à connaître?
C’est toute la question que je pose en ne voulant pas me satisfaire de réponses confortables ou simplistes.
C’est également toute la question posée par la corrida, mode culturel et rituel de gestion et de sublimation de la violence sociale.
Quand donc sortirons nous d'un consensus compassionnel qui nous transforme en autruches et obère notre capacité à penser?
Xavier KLEIN
Pour mieux comprendre