Je ne peux jamais m’empêcher de penser qu’un excès de navigation «webique» relève avant tout de la compulsion. Une dérive qui me concerne, comme les copains, dont il convient toutefois de ne pas être dupe dans ses effets comme dans ses motivations.
Pourquoi passer autant de temps derrière un écran, dans une relation virtuelle, qui nous permet d’éviter soigneusement d’autres activités, ou d’autres formes de communications plus directes et, peut-être, plus dangereuses car exigeant une autre implication?
S’il fallait une preuve de cette forme de fuite devant diverses réalités, de cette manière de misanthropie «light» et déguisée, je ne retiendrais que l’usage quasiment généralisé des pseudonymes qui questionne en ce qu’il permet de tenir tous les discours sans jamais s’engager personnellement, et qu’il dévoile une difficulté à s’assumer dans son identité réelle.
Le masque du pseudo permet toutes les audaces, toutes les violences, tous les excès verbaux puisqu’on ne peut en identifier l’auteur.
Dans un tourbillon vénitien carnavalesque de loups et de travestissements, on se crée donc sa petite planète virtuelle où chacun, muni d’un statut et d’une «comedia» personnelle, devient enfin existant (latin existere: sortir de, se manifester, se montrer) dans un cercle restreint et rassurant d’initiés. Pour pouvoir exister, certains aiment ainsi à se grimer…
La tauromachie se prête par essence à ce jeu là, puisqu’elle procède, dans son essence même de l’«arte de burlar», l’art de tromper.
L’art de la tromperie, mais aussi celui de la moquerie, de la critique et de la séduction. Don Juan «El burlador de Sevilla» est à la fois trompeur et séducteur.
Sans doute certaines vérités jaillissent-elles sous et à la condition du masque, ce qui révèle une bien paradoxale réalité. Le mensonge et l’hypocrisie étant des vices individuels mais des vertus sociales, c’est par l’usage du masque et du déguisement que l’on parvient à l’expression de certaines exactitudes.
C’est convaincu de ces évidences là, qui procèdent de l’humain, de ses mystères et de son charme, que je m’enfonce régulièrement dans les entrelacs de la toile, vêtu de muraille, pour me glisser dans le monde souterrain et interlope des partouzes mentales. Un peu comme ces princes qui se vêtent en manants pour savoir ce que pense le peuple ou le Docteur William «Bill» Harford, dans «Eyes wide shut» («Les yeux grands fermés») de Stanley Kubrick.
Dans ces Cours des miracles virtuelles, même les plus estropiés, même les moins pourvus, même les plus insignifiants peuvent devenir «Archissupots», «Duc d’Argot», «Roi de Thunes» ou «Grand Coësre». Chacun peut à foison et sans retenue se livrer au péremptoire et, s’exemptant de tout principe de réalité, de toute contingence pratique, décerner bons ou mauvais points, prodiguer conseils avisés ou sentences définitives. La désinformation, la mauvaise foi ou le procès d’intention y côtoient les analyses lucides, la finesse de la culture, les avis éclairés et l’humour décapant.
Dubout, La Cour des Miracles |
Pourtant ces virées dans l’underground taurin sont toujours des plus réjouissantes et instructives. Certes on en prend souvent plein la gueule, mais c’est revigorant et cela constitue l’antidote indispensable aux chevilles qui gonflent et à l’enflure du melon. A condition toutefois de trier, de faire la part de la malveillance, de l’ignorance et de l’incompatibilité d’humeur.
Ce qui me sidère et me fascine par dessus tout, c’est l’impossibilité pour certains de mesurer la distance entre l’idéal, le souhaitable et la triviale réalité.
Elle est tristement con et obstinée la réalité. Elle est comme l’impossibilité de remettre toute la terre dans le trou qu’on vient de creuser.
Elle est construite des compromis incessants et précaires que l’on concède en s’arc-boutant sur l’essentiel.
Elle est la contrariété du rêve et l’impossibilité nécessaire à la perpétuation du désir.
La réalité ne mérite qu’un grognement borborygmique de dépit, un réflexe d’agacement. Plus, serait trop, et surtout trop d’honneur !
Il faut l’accepter comme une maîtresse acariâtre à la fesse flasque et à la mamelle insipide qu’il faut bien supporter parce qu’elle est comme votre ombre, indissociable de votre destinée.
Forums? Le nom même ne serait-il pas une imposture?
Quoi de commun entre les alcôves intimistes de l’internet où l’on se complait dans la discussion anaérobie et les places publiques ensoleillées où la foule bigarrée se rencontre?
Ils ont pourtant l’attrait utérin des clubs anglais où l’on devise entre gens du même monde…
J’adore!
Xavier KLEIN
5 commentaires:
Les partouzes, forcément, ça décoiffe
Skeba33 - Peña Q/R
Bien vu X. Klein ! Et hop ! tous dans le même sac, absolument !
N'oubliez pas toutefois que, place Saint Marc ensoleillée à Venise, il y avait dans la pénombre des arcades, la "bocca del leone" où l'on pouvait glisser ses amertumes et ses lâchitudes.
JLB
Les forums c'est bien mais cela ne me suffit pas, je poste aussi des messages sur les blogs des autres.
JPc
Q/R + Bronca
Pfffffff, faut savoir lire entre les lignes mon cher JLB...
Ce que j'aime bien dans votre blog, que nous sommes plusieurs à suivre par le bouche à oreille, en plus de la variété des sujets abordés et de l'humeur qui change, c'est que vous dîtes pas mal de vérités sans langue de bois.
Assez rare pour être souligné surtout que vous n'allez pas dans le sens des modes et de l'air du temps.
Comme en plus il y a la culture et que c'est bien écrit, c'est un délice.
Continuez M KLEIN ce bol d'ait frais.
Denis
Enregistrer un commentaire