«La démocratie, c'est le pouvoir pour les poux de manger les lions.»
Georges CLEMENCEAU (dit le Tigre!)
«Le plus grand nombre est bête, il est vénal, il est haineux. C'est le plus grand nombre qui est tout. Voilà la démocratie.»
Paul LEAUTAUD, «Passe-temps»
Quand je regarde avec attention cette vidéo, je suis pris de réflexions contradictoires, sur fond de nausée.
De quoi s’agit-il?:
Un groupe d’aficionados sont réunis dans le parc parisien des arènes de Lutèce pour une séance d’apprentissage de toreo de salon.
Qui? Comment la chose s’organise? Quelle publicité (ou non) a été donnée à l’événement? Il semblerait que Culturafición, le Ruedo Newton et La Belgicana de Bruxelles aient organisé ce «Toreo-Picnic» a priori sympathique et bien inoffensif.
Il est incontestable que cette manifestation réunissant des personnes privées ne contrevient à aucune loi: il n’y a ni sang, ni toro, rien qui puisse choquer le passant, quel qu’il soit.
Ces gens là sont dans l’exercice légitime de leur liberté, sans que nul ne puisse y redire.
Etait-il pour autant opportun, en dehors des zones où la tauromachie porte un sens, de se livrer à un tel exercice public, au risque de choquer ou de provoquer? Pourquoi pas au congrès annuel de la S.P.A. tant qu’on y est?
C’est une vraie question que je pose souvent! C’est une des petites choses que l’on intègre profondément avec la pratique des arts martiaux: le bon budoka évite à tous prix les situations conflictuelles et préfère se retirer, voire piquer un sprint, quitte à passer pour un dégonflé, que de se mettre en situation de se battre inutilement. Le meilleur combat est celui que l’on parvient à éviter, quand évidemment on n'a pas le dos au mur et on ne peut faire autrement.
Je n’ai nullement –c’est le moins qu’on puisse dire- l’afición honteuse, mais pour autant, je ne vois nullement l’utilité de l’afficher hors de son contexte géographique. Pour gagner le droit à l'indifférence, à ce qu'on nous foute la paix, il convient en contrepartie, sans donner dans l'attitude péteuse, d'éviter toute provocation, tout expansionnisme.
Concluons donc en établissant que leur attitude, pour ne pas être des plus pertinentes (à mon sens) n’a rien de honteuse, de scandaleuse, ni d’attentatoire à la loi et aux bonnes mœurs.
Mais sacrebleu, qu’allaient-ils faire dans cette galère lutécienne (Fluctuat nec mergitur)?
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A cette manifestation, se convoque –sans y avoir été invité- un commando d’hurluberlus sur le pied de guerre, qui avait troqué la panoplie de Zorro de ses années bisounours contre l’équivalent adulte, plus «citoyenneté New age» de «zanti de base»: banderolles, tee-shirts ad hoc, sono, grandes proclamations, et tutti quanti.
Les perturbateurs semblaient très motivés par cette pulsion très gauloise qui consiste à emmerder ses contemporains au nom de la Très Sainte Conviction de détenir une vérité révélée qu’il s’agît d’imposer à l’abruti qui ne l’a pas encore comprise. Depuis la Sainte Inquisition en passant par Robespierre ou Saint-Just, c’est un sport national que l’on consacre au nom de Sainte Démocratie.
Beaucoup de saint dans tout cela, penserez-vous. Normal, on n’est pas dans le champ de la raison, du bon sens, de la tolérance ou du «vivre ensemble», mais dans celui de la croisade contre les hérétiques et relaps qu’il convient d’humilier, d’exterminer, d’annihiler, de ridiculiser, de culpabiliser comme on le fit jadis des juifs, des sorcières ou des Cathares.
Le problème avec tout cela, c’est que d’une certaine manière, ces gens là on déjà gagné. Ils ont déjà remporté la victoire de la honte, comme leurs prédécesseurs prédicateurs avaient réussi à convaincre des bienfaits de la «civilisation», la multitude des peuples colonisés, d’où l’on éradiqua nudité, liberté des mœurs, toutes différenciations , tout art ou identité culturelle, au nom de la bien pensance (européenne, nordiste et anglo-saxonne).
Les bons pères blancs faisaient des autodafés des idoles bantoues ou dogon, ont fondu les trésors de l'art aztèque ou inca, ont soutiengorgisé vahinés et négresses, ont appris aux sauvages qu'on ne pouvait faire l'amour que dans les liens sacrés du mariage, avec quelqu'un de sexe différent et dans la position du ... missionnaire. Chacun porte sa croix: nous avons les zantis avec les mêmes discours moralisateurs et dogmatiquement désinfectés et Jean Paul RICHIER dans le rôle du Cardinal Lavigerie!
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Si l’on transpose cette attitude sur d’autres champs, la chose devient d’évidence intolérable, c’est un point de «détail» que j’ai souvent soulevé. On en vient donc à accepter des comportements, inacceptables par ailleurs.
On peut considérer la religion comme l’opium du peuple, une pratique profondément nuisible pour l’épanouissement humain. Les croyants (et les vrais démocrates!) accepteraient-ils qu’on manifestât ainsi devant églises, temples, synagogues ou mosquées?
On peut considérer que la boxe ou le rugby sont des pratiques violentes, dégradantes, porteuses d’un message d’agressivité et de domination. Les supporters (et les vrais démocrates!) accepteraient-ils qu’on manifestât ainsi devant les stades ou les rings?
On peut considérer que tel ou tel parti encourage ou véhicule des messages néfastes ou liberticides. Admettrait-on qu’on manifestât ainsi devant leur siège ou dans leur congrès.
On peut considérer que les courses de chevaux, les zoos, l’élevage, le gavage des oies et canards sont une instrumentalisation inacceptable de l’animal, etc., etc.
La tradition démocratique française a toujours veillé à soigneusement éviter ce genre de frictions.
En fait, on peut ainsi s’émouvoir et se scandaliser de tout, mais qui se permet-on ainsi d’agonir d’insultes et de bassesses en toute impunité sinon l’aficionado avec qui on croit tout pouvoir parce que le plus souvent il est bonhomme et ne ressent pas le besoin de se justifier?
De quoi sont bâtis ces aficionados pour accepter qu’on vienne ainsi les provoquer, les agresser, les agacer sans risques et sans vergogne?
Je les trouve quant à moi bien gentils et bien patients.
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Se pose alors le problème de ce que je qualifie souvent de logique des conséquences.
C’est bien beau, au nom d’une certaine conception dévoyée de la démocratie, de permettre que des citoyens comme les autres, comme vous et moi, puissent être ainsi agressés, sans qu’il en coûte aux agresseurs, mais c’est aussi prendre un risque. Qu'on prenne les choses comme l'on veut, je ne vois là que des citoyens empêchés d'exercer sereinement une liberté fondamentale et agressé verbalement. Que la plupart des bobosparigots présents et persuadés de contribuer ainsi au progrès de l'humanité s'en persuadent, il n'en faut pas douter, mais que les grands penseurs zantis cautionnent ce genre d'outrance, ou parviennent à les justifier m'apparaît, au risque du discrédit, mission impossible.
Je ne suis nullement quelqu’un de violent dans mes actes, tout au contraire, je m’astreins obstinément à réprimer en moi toute pulsion de ce genre. Pourtant, je suis également passionné, et je n’apprécie pas que l’on veuille me contraindre à penser, à dire ou à faire ce qui ne me convient pas en conscience.
Je n’aurais sûrement pas été me placer dans un «sitio» adverse, fût-ce dans les arènes de Lutèce, mais je n’aurais sûrement pas accepté non plus, que l’on me traitât ainsi, et «l’ouverture de la boite à claques» et l'emploi du «distributeur de pieds au cul» aurait sans doute été au programme quand ma patience se serait (vite) épuisée.
En dépit de mes convictions profondément catholiques et romaines, j'aspire à la sagesse certes, à la sainteté, non! Ou alors dans le genre doncamillesque...
Il m’apparaît donc que la puissance publique, dont l’une des fonctions majeure et régalienne est de garantir la sûreté, la liberté de conscience et de pensée, celle de réunion et d’association doive garantir leur exercice.
D’autres libertés fondamentales, celles d’expression et de manifestation, n’incluent en rien celle d’aller provoquer ceux que l’on conteste dans leur activité ou leur intimité.
Ces pratiques douteuses relèvent de conceptions anglo-saxonnes de la démocratie, nullement de notre tradition française, ce qui en soi indique parfaitement d’où vient le vent mauvais.
Le contrat social établit la paix sociale en garantissant au citoyen que justice sera faite pour que ce dernier renonce à se faire justice lui-même. C’est un principe civilisateur élémentaire pour faire obstacle à la barbarie. La renonciation à la vengeance personnelle permet la justice collective. Il s’agirait donc que les contempteurs de ces libertés dussent payer le prix de leurs actes inconsidérés.
Il y a dans cette vidéo (diffusée triomphalement à tous les vents), tous les éléments patents de plusieurs délits constitués: insultes, provocations, incitation à la haine. N’importe quel juge ou procureur peut y constater l’impavidité opposée à l’agression. Il serait indispensable qu’ils disent le droit et rappellent la règle pour éviter, qu’un jour, les choses ne dégénèrent et qu’on en vienne aux mains. Sans réponse de la puissance publique, cela deviendra inévitable! Est-ce ce que l'on souhaite?
Il paraît que nous avons de grands observateurs, plaideurs qualifiés de surcroît et maîtres es chicaneries procédurières, voilà le terrain où par delà les mots ronflants, ils pourraient exercer leurs talents avec profit.
Plutôt que d’appeler sans cesse les autres à agir, les maires à promulguer des édits, que ne le font-ils?
Pour illustrer l’ensemble de mon propos et mettre en exergue le péril que court la démocratie et la liberté à laisser ainsi transgresser impunément les règles, je recommande de nouveau à ceux qui ne l’auraient pas vu, AGORA, ce film édifiant sur l’histoire et la mort de la liberté intellectuelle à Alexandrie sous les coups du fanatisme religieux. Là aussi, il y avait des gens persuadés d’avoir raison.
Remplacez les chrétiens par les zantis, les néoplatoniciens par les aficionados, la question religieuse par la question taurine et vous comprendrez complètement mon point de vue!
Xavier KLEIN
PS: Le mot de la fin à une grande humaniste, icone et orgueil de nos zamis zantis: «En 1981, Mitterrand choisissait de défendre l’éthique en abolissant la peine capitale. En 2011, l’autre Mitterrand choisit d’anoblir la torture animale… Trente ans de régression ont fait de la France une fosse à purin, où toute la merde des autres cultures est venue polluer la nôtre!» Brigitte BARDOT