Humeurs taurines et éclectiques

dimanche 19 juin 2011

Les «douleurs » de Vic

Vic-Fezensac, comme son étymologie l’indique est un village.
Qui plus est un village on ne peut plus gascon!
La présence de cette Mecque du «toro de respect» aux marches orientales du pays taurin gascon ne constitue pas le moindre des paradoxes.
Le surdimensionnement de la plaza en rapport avec la taille du village me fait souvent penser à l’immense citadelle du Désert des Tartares, où l’on subsiste dans l’espérance d’un ennemi qui n’arrive jamais.
Mais quand il surgit…
Vic, c’est l’histoire d’un succès grandissant, dont les arènes Joseph Fourniol (un bayonnais paraît-il!) portent dans leur architecture les cernes de croissance.
Erigées en 1931 à l’instigation de la «Société des courses de taureaux», elles sont tout d’abord dédiées à la course landaise. Le succès est vite au rendez-vous, puisqu'on les porte dés 1933 de 3500 à 5850 places.
Une première novillada en 1932 est suivie en 1933 par la première corrida (Don Joaquim BUENDIA PEÑA avec Nicanor VILLALTA, Armillita CHICO et EL ESTUDIANTE).
Dés 1934, on bourlingue déjà dans le lourd, avec une corrida de Don Félix Moreno Arduany pour les matadors Armillita CHICO, GITANILLO de TRIANA, et Domingo ORTEGA (pour le 80ème anniversaire en 2014, le Club Taurin Vicois aura t-il la bonne idée de programmer la descendance: Moreno de la Cova ou Moreno de Silva?). En 1998, les arènes sont encore agrandies pour adopter la physionomie que nous lui connaissons: celle d'une arène de 1ère catégorie de 7000 spectateurs.

Je fréquente ces lieux depuis 1976 et je dois avouer que je nourris quelque nostalgie de l'époque où l’on y sentait vibrer une afición artisanale, sans fards et sans chichis, loin de toute préoccupation commerciale.
Avec la gloire –mais Balzac n’avançait-il pas que «La gloire est le soleil des morts.»- les choses ont bien changé.
On est passé de l’artisanat à la production quasi industrielle et du sympathique portier autochtone au teint rubicon et l'accent rocailleux à la société de vigiles formatés et anonymes.
Ici comme ailleurs (à Orthez par exemple), il paraît que c’est un progrès!
Je ne vois nullement comment le fait de troquer l’urbanité et la relation, fussent-elle parfois conflictuelles, contre le contrôle et le flicage peut constituer un progrès, mais ce doit-être l’effet d’un gâtisme précoce…

N’ayant qu’une appétence fort limitée pour les uniformes, fussent-ils noirs (j'adore les "fussent-ils"!), j’apprécie assez peu qu’on emmerde un pépère replet comme votre serviteur pour qu’il décapsule à tout prix sa bouteille d’eau.
Cette année j’ai eu droit à un interrogatoire en règle sur le thème «Oukilé le bouchon?» par une ravissante vigilette qui m’a refusé, suprême humiliation, la fouille à corps que je réclamais avec insistance, émoustillé par sa mine martiale et une paluchette qu’on devinait facilement investigatrice.
Je suggère toutefois d’améliorer encore le dispositif par l’obligation de troquer le brodequin contre la botte cavalière, et le treillis coton contre la guêpière satin, ainsi que de munir les charmantes hôtesses d’une schlague de bon aloi.
Ce fut donc un peu chagrin que je me hissai dans les étagères, comme disent ceux qui ne les fréquentent jamais.

L’un des nombreux avantages de Vic, c’est qu’on y rencontre quasiment pas de «chutistes», vous savez cette engeance qui réprime impitoyablement toute perturbation intempestive de sa méditation artitisco-mystico-taurine.
Il règne encore à Vic -pour combien de temps encore?- quelques relents d’impertinence gouailleuse populaire, qui, pour être parfois excessifs ou intempestifs demeurent tout de même bien rafraîchissants.
Entendre monter vers les tendidos le beuglement éraillé de borrachos en goguette qui entonnent depuis la buvette voisine un «troubabadour» puissant et approximatif pendant la minute artistique de Trucmuchito confine au sublime pour qui goûte la dérision et la littérature rabelaisienne.
Ô Sainte Truculence quels blasphèmes n'endurai-je pas en Ton Nom!
On s’y permet même des écarts auxquels on se refuserait en d’autres lieux. Et telle présidence dont on sait la souplesse coutumière en d'autres enceintes se montrera ici d’une vertueuse intransigeance qu’on aimerait la voir pratiquer ailleurs.
Commedia umana!

N’empêche qu’ici également le progrès fait rage.
Ici comme ailleurs, le public fin et connaisseur d’antan cède progressivement la place au «vernis de surface», à ces nouveaux convertis qui ont mal assimilés la catéchisation.
En émerge un snobisme torista dont la connerie intrinsèque n’a rien à envier au snobisme torerista, à part qu’il s’exprime plus bruyamment et avec impudeur. L’excès d’intransigeance mène aux mêmes errements abscons que l’excès de complaisance, surtout quand l'inculture taurine s'en mêle.
En outre l'une des caractéristiques majeures de la connerie étant de ne douter de rien, et surtout pas d'elle même, le tosnobrista standard ne réchigne jamais à exposer orgueilleusement au grand jour et à tous vents les preuves indiscutables de son infortune. Un peu comme certains cocus flamboyants et fiers de leur état.
Mais bon! Cela ne prête guère à conséquences et cela fait partie du charme du spectacle.
On voit donc réclamer une vuelta à un toro bravucon (brave ou con prétendent les prosélytes) ou à un manso parce qu’ils ont simplement été piqués dans les règles de l’art! C'est à dire que ce qui devrait constituer l'ordinaire prend des allures d'évènement.
On voit aussi, avec des toros de respect qui n’ont parfois rien d’évident, la plèbe enhardie exiger des gladiateurs les mêmes prestations que fournissent les figuras avec les toros modernes et civilisés.
Non-sens, inculture et surtout insensibilité!
Heureusement, il demeure encore quelques hurluberlus atypiques qui viennent pieusement y faire pélerinage et accomplir leurs dévotions. Normal à la Mecque!
Ce samedi 11, je me réjouissais -on se demande pourquoi- de voir courir des «douleurs» d’Aguirre, piqué par la curiosité quant aux thérapeutes chargés de les soigner.
Un lot «καλός καγαθός» («beau et bon») bien qu'un peu desigual, ce qui ne m'était nullement apparu au campo lorsque je les vis, il y a peu. Il manquait toutefois du zeste de "je ne sais trop quoi" qui marque les grandes journées.



Sauvagerie? Vigueur? Suavité excessive? D’aucuns intentaient déjà une procédure accusatoire en domecquisation.
A mon sens, l’analyse était un peu courte et le verdict quelque peu sommaire.
Comment juger d’un lot dont la brega fut, à de rares exceptions près, si déficiente? Tant au niveau des piques, où le sieur MORA par exemple fit délibérément assaisonner outrancièrement ses binômes, qu’à celui du peonnage qui donna du capote à l’envi, multipliant les lances pour placer les toros au millimètre des velléités ésotériques des banderilleros.
Après un tel déluge de passes inutiles et approximatives, de piques assassines portées n’importe comment et partout sauf là où elles auraient dû, il «en fallait» à ces toros pour ne pas se trouver complètement délités.
Manque de chispa m’a t-on assuré. On s’en serait vraiment privé à bien moins, et les pensionnaires de Dolores ont eu quelques mérites de demeurer aussi actifs après de tels outrages et surtout après 3 piques, traitement combien rare de nos jours.
On s’est également ému d’une certaine «facilité». Facilité toute relative au regard des résultats et surtout du niveau d’engagement des belluaires.
Prudence est mère de sûreté. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la proximité du poil de toro n’a pas provoqué de crises d’urticaires vu les précautions prises par ces messieurs (hormis David MORA au 5ème). On aura plutôt donné dans le lumbago.
Une telle «timidité» ne paraissait pourtant guère s’imposer avec des toros propres à laisser dans le ruedo une cargaison d'oreilles.
Le problème symptomatique de la tauromachie contemporaine s'incrivait ainsi dans le sable vicois: ceux qui auraient pu mettre au mieux en valeur ces toros ne les consentent pas quand ceux qui les acceptent ne sont pas en mesure (pour des raisons diverses) de les mettre en valeur...

David MORA est d’ordinaire un torero de pundonor, d’une sobre et gracieuse distinction. L’inélégance du traitement de hussard des Carpathes qu’il fit infliger par son ulhan de service à son premier toro surprit d’autant.
Il sembla s’étonner que le quadrupède éreinté en fût quelque affecté à la longue et surtout que l’auditoire avisé lui en tint légitimement rigueur. Il faudrait tout de même que ces beaux messieurs intègrent qu’une afición digne de ce nom peut, à l'occasion, prendre en compte l’intégralité de la lidia!
A son cinquième, le David des familles déploya des grâces voluptueuses tant à la percale qu’à la serge. Des séries allurées et intenses, ornées de changements de main et de détails de qualité.
Pourtant, ce toreo m’a laissé en bouche une finale déplaisante par sa propension à accumuler les passes de chaque série, à multiplier des pechos à mon sens inutiles.
Cette façon d’obliger et de contraindre à outrance un toro noble, au risque de l’asphyxie, cette manière de s’en servir et non de le servir me déplaisent.
J’eus préféré l’air vivifiant des grands espaces, la simplicité biblique des 3 + 1 encore inégalées dans leur austère pureté. Cet amas luxuriant et baroque de passes contrarie la qualité par la quantité, conduisant à ne s’en souvenir d’aucune. Question de goût!
Et puis trop souvent, l'élégance du geste,  la réalité du temple camouflent des carences de placement que je ne parviens pas à m'empêcher de remarquer. Sans doute une tare popelinesque indélébile!


On fut à mon avis bien sévère avec ce brave Joselillo (brave au sens de «bien brave», si vous voyez ce que je veux dire). Voilà un garçon sans morgue et sans prétention qui nous gratifia généreusement de ce qu’il peut offrir: son enthousiasme et sa sincérité, avec en bonus le bon goût involontaire de finalement révéler les qualités de ses opposants.
José Miguel Pérez Prudencio (il ne l’est pas trop…) «Joselillo» torée comme on bûcheronne … à coups de hache et de serpe, avec cette manière rustique qui s’accorde avec son physique de caporal-chef de la bandera.
Il cita systématiquement ses toros de loin, mettant en exergue la longueur et l’intensité de leurs charges. Et pour le coup, de l’air, il y en eût, entre l’abattage muletassier qui projetait approximativement les toros à tous les vents, et les grands espaces qui séparaient le légionnaire du pico de la muleta où s’enfournaient les cornus.
Les délicats s’offusquèrent que l’entame du sixième se fît à genoux (également de loin), comme si l’alpha et l’omega de l’art taurin résidaient dans l’esthétisme.
J’y vis pour ma part, la marque de l’alegria et d’une spontanéité qui nous font bien défaut de nos jours. Cette fraîcheur sans complexe qui fait aussi intégralement partie de la tauromachie que la profondeur de Morante.
Enfin en voilà un qui ne se croit pas obligé de copier sur Jose Tomas ou sur Talavante! Quoique le résultat serait peut-être taquin...

Il faut prendre les choses et les gens comme ils viennent et comme ils sont, dans leur diversité, surtout lorsqu’ils donnent de bon cœur. Joselillo a toréé comme il sait le faire, avec ses limitations, mais sans indignité. Il eût également le mérite d’être le seul à bien placer ses toros en suerte et à les faire piquer correctement, ce dont on ne peut que lui savoir gré.
Pour le reste, on se renseignera dans auprès de la presse subventionnée.
En somme, une matinée fort agréable avec un festejo qui aurait satisfait bien des organisations. Il n'est nullement assuré que des lots de cette qualité se multiplient durant la temporada. On s'en contenterait à Orthez!!!

A suivre dans le prochain épisode: «Les Palha pas là»
Xavier KLEIN

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Vaya banderilla de aficionaos güenos sentaos en la foto !
"Vic is diferent" decia Pelletier.
pero el futuro de la fiesta esta por borrar este sentio.Y a los malajes hay que darle pala o espalda.

Tryphon Patapalante