Humeurs taurines et éclectiques

mardi 3 mai 2011

La rage d’interdire

Plus un pouvoir devient impuissant, plus il tend à s’exercer sur les terrains où il peut espérer quelques succès.
Le pouvoir ne sait pas s’abstenir. Contrairement à certaines piles, il croit s’user lorsqu’il ne sert pas.

Entre le consensus libéral européen et le renoncement voulu de la même vulgate libérale à toute incursion du politique sur l’économique, les gouvernements au pouvoir dans l’Union Européenne se rassurent, quant à leur efficience, en intervenant sur le seul terrain disponible: celui de la vie privée des citoyens.
Cette évolution déjà perçue par Alexis de Tocqueville dans «De la démocratie en Amérique» (1835 et 1840) et remise au goût du jour par Raffaele Simone dans «Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite?» conduit à deux dangers d’une part à une «tyrannie de la majorité» qui fonde le vrai et la loi sur l’opinion du plus grand nombre, d’autre part sur un «renoncement démocratique à la liberté» qui conduit à «préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté.».
Le génial vicomte dénonce l'absence d'indépendance d'esprit et de liberté de discussion en Amérique (et par delà dans les futures sociétés démocratiques). Quand toutes les opinions sont égales et que c'est celle du plus grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de l'esprit qui est menacée avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est de l'exercice effectif des droits politiques. La puissance de la majorité et l'absence de recul critique des individus ouvrent la voie au danger majeur qui guette les sociétés démocratiques: le despotisme et «l’empire moral des majorités».
Simone vient préciser les processus à l’œuvre en soulignant ce qu’il appelle la «dictature de l’émotion».
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Ces tendances lourdes de nos vieilles démocraties ne connaissent ni frontières, ni partis. Le gouvernement espagnol finissant du socialiste Zapatero vient de voter une loi anti-tabac du même tonneau que la multitude de lois de circonstances adoptée par notre Nicolas national lorsque l’émotion se fait jour après un fait divers.
J’entendais récemment Notre Dame Royal, en plein délire de ségolinitude, copier sans vergogne la trivialité des expressions et tics de langage sarkoziens: «vous vous rendez-compte», «figurez-vous», «c’est un comble». Cette base sémantique ou ces «idiosyncrasies» (comme on dit à Vieux Boucau) qui procèdent du café du commerce traduisent pleinement l’aspiration de nos élites –ou supposées telles- à faire peuple, à courtiser l’émotion plus que la raison.
Se voulant idéologiquement impuissant sur la chose publique, ayant renoncé à faire plier la banque ou à réguler les marchés, on se rabat allègrement sur la vie privée des citoyens en faisant assaut de moralisme et de «bien-pensance».
Quand l’Etat se mêle de trop gouverner la vie privée des citoyens on verse peu à peu dans le despotisme.
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Je me demande souvent si je ne suis pas plus taré encore que je ne me l’imagine (pourtant mon imagination est féconde!). Je m’indigne d’une évolution qui ne semble perturber personne.
Oui, je ne suis nullement rassuré, au contraire, lorsque je vois à Paris nos gares et nos carrefours envahis d’uniformes, de brodequins et d'armes au point.
Oui, je ne trouve nullement normal que l’on contrôle mon identité sur les routes espagnoles, qu’on me demande où je vais, d’où je viens et pourquoi, sans même me faire souffler dans le ballon, le seul truc amusant de l’opération (j’aime bien la couleur du merdier qui change: ma-gi-que !).
Oui, je vomis la surenchère sécuritaire qui conduit à multiplier les caméras de vidéosurveillance, les radars, les flicages, les règlements de toutes sortes qui tendent à imposer Big Brother dans nos vies quotidiennes, pour notre bien évidemment.
On emmerde les gens pour prouver qu’on gouverne encore, justifiant cette emprise par la sollicitation des angoisses, des peurs et des phobies.
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La dernière mouture de cet envahissement de l’espace privé par le pouvoir dépourvu pourrait être comique si les ressorts n’en étaient si lamentables.
On se préoccuperait désormais de sanctionner les clients des dames du Royaume des Saules (comme disent les japonais).
Nicolas 1er, assisté de sa Marthe Richard personnelle, la Révérende Mère Baloche veut réglementer le plus vieux métier du monde, où plus exactement l’éradiquer en poursuivant les lubriques.

Précisons tout d’abord que j’adhère à cette option philosophique qui se soucie de distinguer la morale (qui doit demeurer une démarche personnelle ne concernant que l’intéressé) du moralisme (qui prétend imposer sa morale aux autres).
En l’occurrence, ce que je peux penser importe peu puisque cela ne regarde que moi. Disons tout de même pour résumer que le commerce de l’humain, le «pain de fesse» n’a guère mes faveurs et que je m’en voudrais d’y recourir jamais.
Pour autant, je m’en voudrais également d’imposer mon éthique aux autres. Chacun fait ce qu’il veut (ou ce qu’il peut) sans avoir à être jugé.
Le maître mot en la matière est LIBERTE.

Si la prostitution résulte d’un libre choix, peut-on et doit-on s’y opposer?
Peut-on et doit-on revenir sur l’acquis fondamental de la libre disposition de son corps?
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Comme à l’ordinaire, l’argumentaire gouvernemental répond à coté de la question. On nous cause croquemitaine: les hordes slaves ou pire, yougoslaves (les slaves du sud…) qui viennent jusque dans nos bras… baiser nos fils et nos compagnes. On confond, à dessein, prostitution et proxénétisme, même si souvent les deux marchent de pair.
Bizarre ce désir obsessionnel de vouloir empêcher de baiser chez ceux qui nous baisent si souvent!
Bizarre aussi ces indignations sélectives!

Il ne dérange personne dans les «sphères»  (mais il a de l'artiche en jeu, on ne plaisante plus) que certaines chaînes de la TNT (appartenant aux copains) nous abrutissent de pubs pour des téléphones roses ou des sites de rencontres coquines.
«Trouve une relation chaude près de chez toi en appelant le 6969» qu’ils promettent les hyènes. A votre avis, quel est le tarif de la chaleur à l’heure de la crise énergétique?
Il ne dérange personne non plus d’investiguer sur ce qui pousse un être humain à louer son corps. Il est vrai que le SMIC horaire est un tantinet moins élevé que le tarif d’une turlutte. Sans causer bien sûr du SMIC albanais ou biélorusse qui s’apparente à un pourboire de chez nous!
Pourquoi s’abrutir à la chaîne ou se suicider aux Telecom alors qu’on peut gagner en 3 jours le salaire du mois? Même si l’Etat-Tartuffe prélève aussi un écot appréciable sur une activité si indécente.
Il est vrai que la véritable indécence en Sarkosie, ce serait d’envisager de faire contribuer les actionnaires: il est moral de s’enrichir en dormant, pas en couchant.
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J’aime assez l’approche réaliste des pays protestants du Septentrion qui se résumerait à la maxime: ce que nous ne pouvons empêcher, aménageons le au mieux.
J’aime aussi la liberté d’esprit du Siècle des Lumières pour laquelle la question devait être traitée avec sérieux.

Il faut IMPERATIVEMENT lire cette curiosité de Restif de la Bretonne, alias «le Hibou», «le Spectateur Nocturne», «le Rousseau du ruisseau», «Monsieur Nicolas» qui a nom «Le Pornographe ou la prostitution réformée»*: «Je te vois sourire; le nom demi barbare de PORNOGRAPHE erre sur tes lèvres. Va, mon cher, il ne m’effraie pas. Pourquoi serait-il honteux de parler des abus qu’on entreprend de réformer?»
Restif veut rationaliser et moraliser une profession incontournable avec un véritable souci de bonheur du genre humain. Si l’on peut s’étonner du propos, des préjugés de l’époque, on se réjouira de l’absence d’hypocrisie et même d’une certaine jubilation lancinante. Le cul est gai à l’âge d’or des vrais libertins, ceux pour qui l’importance du mot est dans sa racine: LIBERTE.
Nous en sommes fort loin tant qu’on ne pourra imaginer la mère Bachelot en guêpière et porte jarretelle lubriques, lascivement alanguie façon Boucher, le popotin à l’air.
Allez donc parler de Restif à Nicolas: à la lettre R de son encyclopédie personnelle, il n'existe que l'article Rollex!
On devrait plutôt l’envoyer d’urgence en mission en Italie où les berlusdéconades lui donneraient à méditer.On a les indécences et les immoralités qu’on peut, mais certaines donneraient à rire, s’il ne fallait en pleurer…
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Prostitution, tauromachie, même combat!
Il est temps de rejeter les censeurs et les moralisateurs de tous poils qui veulent à tout prix nous convaincre de peineàjouir de leur triste et morne vertu.
La peste soit des pisse-vinaigres…
Xavier KLEIN


* Nicolas Edme Restif de La Bretonne (1734-1806) était un écrivain philosophe, engagé et curieux de tout, qui traita des thèmes les plus modernes et les plus divers: «Le Mimographe» (théâtre), «Les Gynographes» (condition féminine), «L’Andrographe» puis le «Le Thesmographe» (projets utopiques sur le bonheur), «Le Glossographe» (rationalisation de la langue et réforme de l’orthographe)
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