Humeurs taurines et éclectiques

lundi 21 mars 2011

OUI MAIS


Nos petites préoccupations taurines sont bien peu de choses au regard des secousses du vaste monde. En réponse à diverses interventions de blogs amis et compte-tenu de l’éclectisme affiché de la Brega, plutôt que de répondre au coup par coup, je propose ici quelques considérations dont on aura bien raison de se contrefoutre.
Il s’agît d’opinions et de points de vue et non de vérités, ce qui suppose qu’on fasse l’exercice mental de systématiquement les faire précéder d’un «il me semble que» qui ne quitte jamais mon esprit.
Bien entendu, il est parfaitement légitime de les contester.

Je me rappelle qu’en 1969, tout le monde en France–et notamment les «progressistes»- était fortement entiché d’un jeune et séduisant capitaine de 27 ans nommé Mouammar Kadhafi, qui venait de renverser avec d’autres jeunes loups révolutionnaires et nasseriens, le vieux roi Idriss qui était parti soigner ses rhumatismes à l’étranger.
La France pompidolienne avait alors les yeux de Chimène pour le fringuant officier, à qui elle fourgua dans la foulée, une palanquée de mirages.

Par la suite, comme dans tous les vieux couples, les relations se sont quelque peu détériorées. Si en famille les crises se traduisent chez certains par de la vaisselle brisée, ce qui ne prête guère à conséquence (sauf si c’est du «Limoges Grand Impérial»), il n’en va pas de même entre états quand les avions de lignes en font les frais et commencent à exploser en vol!

La France est bonne fille, mais sa diplomatie à la mémoire longue, ce qui n’est pas forcément un défaut.
Depuis, le plaisant bédouin libyen s’est transformé, à l’instar de ses camarades dictateurs, en repoussant poussah ridé et lipideux.
La France a pris l'initiative et le leadership d’une intervention contre le vieux dictateur.

OUI, on a raison de demander pourquoi là et pas ailleurs.
OUI, on a raison de demander pourquoi maintenant et pas avant.
OUI, Alain JUPPE a eu l'air con sur son perron, d'apprendre une décision prise apparemment sans aucune concertation avec les ministres, les alliés, les autres européens.
OUI, c'est l’opportunité pour le tsarévitch Nicolas de se hausser du col et de se refaire une vertu internationale.
OUI, c’est l’opportunité pour le tsarévitch Nicolas de tenter d’influer sur les élections en cours.
OUI, c’est l’opportunité pour le tsarévitch Nicolas de remuer de nouveau les peurs, notamment d’une immigration incontrôlée fantasmée, et de s’en faire le rempart illusoire.
OUI, après avoir hyper pédalé dans la choucroute en Tunisie, il fallait démontrer qu’on pouvait également le faire dans le couscous, et éviter de présenter l’image d’une collusion systématique avec tous les tyranneaux locaux.
OUI, après avoir pris nettement position et brûlé ses vaisseaux, l’affaire tournant au vinaigre coté insurrection, il fallait boire la coupe, une fois le vin tiré.
OUI, les intérêts de nos multinationales et de nos approvisionnements en pétrole et surtout en gaz sont en péril. Les pépètes des copains sont menacés
OUI, on risque moins à s’attaquer à la Libye (6 millions d’habitants), qu’à la Chine (1,35 milliard d’habitants) ou même à la Corée.
OUI, Mille fois OUI!

MAIS pour autant fallait-il s’abstenir au motif, qu'avant ou ailleurs on ne l'avait pas fait ou on ne le fait pas (Bahrein)?

Deux principes s’affrontent depuis que le monde est monde.
D’une part le principe de réalité (la realpolitik), d’autre part l'idéal, la diplomatie de la vertu et de l’angélisme. Les deux, poussés à leurs extrêmes mènent à l’impasse.
Le premier conduit à toutes les compromissions voire à repousser la solution (c’est l’hypothèse munichoise: «vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre»), la deuxième voie, partant du principe que l’enfer est pavé de bonnes intentions, est de fait irréalisable ou s'avère aberrante (Qui fera la guerre à la Corée Nucléaire?)
Ne pourrions-nous un jour poser les problèmes autrement qu’en termes manichéens de bien et de mal?
Le meilleur n'étant jamais assuré, la politique ne serait-elle pas l’art de faire au moins pire ou autrement dit, le choix du moindre inconvénient?

Il convient d’analyser objectivement la situation et surtout sa spécificité et son contexte, qui diffèrent à mon sens de situations antérieures.
Nous nous trouvons confrontés à une lame de fond qui submerge le monde arabe et maghrébin. Un mouvement comparable à certains égards à ce qu’on appela en 1848, le «printemps des peuples».

Le panarabisme autoritaire, plus ou moins social incarné par le parti BAAS (Syrie, Irak) s’est discrédité. La solution nassérienne (Egypte) a échoué. Le socialisme collectiviste (Algérie) se noie dans la corruption généralisée de la nomenklatura et ne tient plus que par l’armée.
La solution religieuse (Iran) est dans l’impasse.
Des royaumes (Arabie Saoudite, Jordanie, Emirats), seul finalement le Maroc, parce qu’il a malgré tout su évoluer socialement, politiquement et économiquement avec son jeune roi, semble stable à terme. Le Liban est miné par les divisions entretenues par des pays étrangers (Iran, Syrie).

Voilà de manière inattendue, que la crise économique vient secouer le cocotier et faire vaciller les équilibres précaires de dictateurs usés. Le feu prend en Tunisie et se répand.
Faut-il s’en réjouir? Sûrement. Enfin les choses bougent!
Ces peuples qui furent opprimés secouent le joug. On est loin de la situation de l’Irak, où aucune contestation ou opposition visible n’existaient, et où l’intervention militaire de l'Alliance, fruit du mensonge US de Bush, s’est avérée complètement artificielle.

Il n’était nullement de l’intérêt de la France de déstabiliser un régime libyen avec lequel nous venons de passer l’an dernier de fructueux contrats. Idem pour les USA, et la Grande Bretagne qui ont réglé il y a deux ans leur contentieux (indemnisation des victimes de Lockerbie).
L’origine du problème n’est aucunement l’occident, c’est une insurrection populaire de citoyens excédés.

Comment un peuple désarmé peut-il se libérer contre une armée moderne, dotée de chars et d’aviation, dont la moitié des effectifs est composée de mercenaires étrangers insensibles au sort du peuple? On l’a vu: impossible!
On n’est pas en 1830 ou en 1848 sur les barricades parisiennes où le fusil d’un insurgé valait celui d’un soldat de l’infanterie de ligne, lui même citoyen. En 1870 la chose avait déjà évolué: Haussmann avait troué la ville lumière des avenues qui permettaient de canonner tranquillement la populace, d’où l’échec de la Commune.
En outre, la Libye n’est pas aux antipodes: c’est notre «banlieue» à ¼ d’heure de vol d’un Mirage parti de Corse, aussi éloignée de nous que la Grèce.

L’application de la doctrine (que je défends) du moindre inconvénient justifie que l’on soutienne un peuple révolté contre son tyran, une lutte justifiée moralement, personne ne le conteste. A défaut d’être la meilleure solution, c’est la moins pire.
Ceci dit, rien n’assure qu’après 40 ans de «stérilisation démocratique», les libyens, sans tradition d’état de droit, ne troquent une tyrannie pour une autre, on l’a vu en Iran par exemple. D’autant qu’à n’en pas douter, les occidentaux préfèreront un régime «rassurant» pour leurs intérêts bien compris.
Le pire serait que l’on ne mène pas l’affaire jusqu’au bout, comme en Irak pendant la première Guerre du Golfe (ce qui avait justifié la mainmise US sur la zone). Khadafi DOIT TOMBER, sinon nous sommes embarqués pour des années d’instabilité.

L’Histoire des Hommes n’est pas morale, et le happy end est rarement au rendez-vous.
La seule véritable question éthique que l’on puisse se poser dans ces circonstances est extrêmement simple: si vous étiez libyen, que préfèreriez-vous?
Xavier KLEIN

9 commentaires:

Marc Delon a dit…

presque plus compliqué que ça :

Si on était Lybien pro Gbagbo ou pro Ouattara ?

Anonyme a dit…

Un Lybien du sud-est ou un du sud-ouest ?
Momo

Marc Delon a dit…

Un Lybien nationaliste ou communiste ?

Un Lybien à nantir ou à anéantir ?

Un gardien de la loi ou un combattant de la liberté ?

Un insurgé ou un rebelle ?

Un légaliste ou un révolutionnaire ?

Un progressiste laîque ou un intégriste psycho-rigide ?

Fallait-il intervenir ou laisser massacrer ?

S'arroger en supra-gendarme chez les autres alors que la société Française est en plein burn-out ?

To ''bombard'' or not ''bombard'' ?

''Tomahawk'' ou ''porte-jarettelles et rouge à lèvres'' pour libérer la société ? (houellebecq)

That is a putain de fucking questions !

khadafi ou cas d'école ?
faire fi de l'ingérence ou gérer le Khadafi ?

el Chulo a dit…

wait and see!

Benjamin a dit…

Je crois que tu touches là Xavier le noeud absolu du problème que nous connaissons dans notre rapport au Politique.
Largement fantasmé et/ou -car cela va ensemble- diabolisé, on oublie largement que, outre l'affaire de tous, sa finalité indispensable en société, est de faire des choix.
Tout "bêtement".
Et que le choix souvent ne se réduit qu'à celui entre la peste et le choléra, mais que pour autant il nous faut choisir ensemble pour éviter l'impasse et parfois entrevoir le meilleur...
Il me semble dans ce cadre que la résolution 1973 est ce qui pouvait arriver de "moins pire" dans cette histoire jusqu'à preuve du contraire. Pour autant j'avoue que la gestion misérablement petite de cette intervention par le Président de la République, et par le chef du parti au pouvoir, en plus de toutes les sales raisons que tu évoques très justement, donne une fois de plus la nausée.
Cela aussi était prévisible et ne remet pas pour autant en cause la validité de la résolution du Conseil de sécurité. Pourquoi être plus petit que le petit ? Pourquoi être l'esclave de la médiocrité imposée dans le "débat" politique, qui est bien trop souvent identifié au débat politicien faute de hauteur (sans jeu de mot, promis ;-)
La guerre en plus n'est jamais une solution satisfaisante et profite souvent aux même. La résolution 1973, quoi qu'on en dise, n'est pas pour autant un blanc seing. Il faudra exiger des comptes car la responsabilité, même si elle méritait d'être prise, est maximale.

Xavier KLEIN a dit…

Benjamin,
Entièrement d'accord avec toi sur toute la ligne.
Quant à exiger des comptes, bernique! Une fois que ces trucs là sont sur des rails, il est difficile de savoir jusqu'où le train va.
Exemple: pour qu'une zone d'exclusion aérienne fonctionne, il faut que les chasseurs chargés de la faire respecter ne puissent être canardés depuis le sol. Donc destruction préalable des moyens anti-aériens (y compris ceux qui équipent tous les blindés).
Tout le monde sait cela et pourtant on entend des cris de vierges outragées.
La foire aux faux-culs commence...

el Chulo a dit…

J'espère que tout est si pur que tu veux le dire Xavier.

En tous cas, l'unanimité qui n'a jamais existé sauf chez nos "politiques" entre guillemets se fendille ailleurs et semble t'il on commence à infléchir le discours. ça va d'ailleurs être rigolo, si on peut dire. la legion condor avait aussi largement infléchi le cours des choses ailleurs, sans officiellement se mêler au combat terrestre. ach la puissance de l'aviation et des "frappes chirurgicales"! dios mio!

le bien le mal, les saints et les maudits, faut voir, je ne suis pas si expert que vous tous. j'espère que tout ceci se terminera bien vite, à vrai dire je n'y crois pas, à moins que Kadhafi n'ait la bonne idée de se pendre, ou de se mettre un missile dans le cul, ou de se tirer une rafale de mitraillette dans le caisson.

déjà des cadres de chez dassault disent qu'on va s'arracher le glorieux rafale. suréaliste non. en plus un f18 s'est craché. j'espère pour d'autres raisons liées à ma sensiblerie sans doute qu'aucun rafale ne se crachera dans ce "combat douteux".

j'espère surtout donc comme vous qu'on se bat pour de bonnes raisons morales, comme partout dans le monde. je voudrais tant y croire, mais j'peupa!

Bernard a dit…

Chulo,

"Wait and see"?... Tant que ça?...
Mais voyons, si je ne m'abuse, la légion condor se fut Guernica!... Alors, nous aurions pu avoir Benghazi aussi - mais nous n'avions plus de Picasso pour le dire!... Vallait donc mieux que nous l'évitassions (non, je voulais pas écrire "lévitation")

Abrazo - Bernard

el Chulo a dit…

je parlais de l'efficacité des supports aériens, surtout lorsqu'au sol, il y a une armée organisée, ce qui visiblement n'est pas le cas ici, pour reconquérir le trrain gagné.
aurait t'on sous évalué la capacité de résistance de kadhafi?
on parle déjà d'opération "terrestre" longuet, je crois.
en tout cas va faire du boulot partout dans le monde.
de plus j'ai bien dit que tout ça me dépassait totalement.