Humeurs taurines et éclectiques

vendredi 29 mai 2009

LE SENS DES MOTS

J’aime à discuter avec l’ami Fix. Des débats toujours empreints de passion, mais également de courtoisie et d’humour.
Hier, comme dab, nous nous sommes plongés dans l'une de ces interminables et savoureuses «disputes» aficionadas sur les mérites comparés de tel torero ou de telle ganaderia.
Fix est un fin aficionado. Sans trahir sa pensée, son intérêt se porte plutôt vers les toreros que vers les toros, et le coeur de notre conversation portait sur les qualités -ou les défauts- que l’on prête aux cornus.
Il est apparu dans le développement des arguments réciproques que l’une des raisons de notre divergence tenait à une définition différente des notions que nous mobilisions: genio, noblesse et surtout bravoure.
Le quiproquo est récurrent. Ce n’est pas la première fois que je m’aperçois du décalage engendré par une appréciation différente de la terminologie taurine et comme dirait l’autre «- Ca m’interpelle!».
Tout le monde sait, ou devrait savoir, que la langue est chose vivante et évolutive. Des mots apparaissent, disparaissent, changent de sens. Cela reflète l’évolution des idées et des mœurs, ainsi que la vigueur culturelle d’une société ou d’une activité.
En matière taurine, le problème est encore plus complexe dans la mesure ou le verbiage taurin procède du jargon, c’est à dire d’un langage technique et spécialisé. En outre, il s’agît pour nous français d’un langage étranger, dont ne possédons nullement la maîtrise ne serait-ce que dans l’élaboration du mot.
Le langage véhicule la culture et n’a rien d’anodin, il traduit ce que nous sommes et modèle notre pensée. Penser et parler en français sous-entend et détermine des structures mentales et psychologiques spécifiques et différentes des locuteurs chinois, arabes ou…espagnols.
Le lecteur de la Brega aura remarqué la préoccupation plutôt évidente que j’entretiens pour un langage de qualité, même et y compris s’il s’exprime sur des registres différents (argot, humour, polissonnerie, analyse, élégie, plaidoyer, etc…). Cela se traduit par une référence fréquente à l’étymologie, l’histoire et l’origine du mot.
Ce dernier point me paraît fondamental, pour une série de raisons dont la première tient à l’idée que le mot préexiste à ce qu’il est sensé déterminer. En gros l’idée précède la chose, ce qui n’a rien de scientifiquement assuré, je le concède volontiers, bien que des travaux soient en cours sur le sujet.
J’ai beaucoup travaillé sur certains textes fondamentaux, et, la traduction littérale de la Bible par André Chouraqui, s’est avérée une révélation dans la mesure où la translation brute et directe de l’araméen au français fait exploser un texte et révolutionne sa compréhension.
Dans cette version, le récit de la Genèse (Création du monde) prend un tout autre relief. Par exemple le texte «traditionnel» (Genèse I-5) «- Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour.» que Chouraqui traduit ainsi: "Elohîms crie à la lumière : "Jour". À la ténèbre il avait crié : "Nuit". Et c'est un soir et c'est un matin : jour un.».
On constate que selon la conception des Anciens, c’est quand on (Dieu, mais ce pourrait être l’homme!) nomme une chose qu’elle commence à exister. «Appeler» quelque chose, c’est l’interroger et lui permettre d’exister.
Il existait dans le monde juif antique une malédiction particulière qui s’appelait l’anathème (herem en hébreu). L’anathème était un rituel très précis de destruction d’un bien ou d’une personne, destruction totale, absolue et définitive. Ce rituel se terminait par la formule: «- Que ton nom ne sois plus!», ce qui supprimait complètement la «cible» de «l’existant» et l’anéantissait. Là aussi la suppression du nom supprime la chose, comme sa création la crée.
On retrouve cette pensée dans tout le monde antique et «traditionnel», des chamans indiens ou mongols aux égyptiens qui martelaient les cartouches (les noms) des pharaons ou des Dieux pour les rendre au néant.
Ce type de pensée, nonobstant notre conscience, subsiste dans nos mécanismes psychiques, sociaux et culturels. Il n’est donc nullement indifférent de s’en instruire pour donner du sens à l’évolution du jargon taurin.
On sait également que l’usage d’un jargon ne recèle pas simplement une utilité fonctionnelle. La clef du pouvoir c’est la connaissance, et la clef de la connaissance, c’est la maîtrise du langage. User d’un certain langage, et à fortiori le maîtriser, c’est déclarer implicitement l’appartenance à un groupe, et c’est une façon de se différencier, de manière jugée positive et valorisante de ceux qui ne n’en possèdent pas les codes. Parler «taurin», signifie à l’autre qu’on lui est supérieur quant à la connaissance et à l’appartenance à une supposée élite aficionada. Cela peut aussi signifier l’exclure et le dominer.
On peut d’ailleurs se questionner sur l’inopportunité de traduire certains termes qui pourraient l’être sans dommages et sans perte de sens, mais qui ne le sont pas. Ainsi, si l’usage a consacré la «bravoure», la «caste» ou la «noblesse», «genio», «nervio», «sentido» ou simplement «suerte», restent, à juste raison, intraduisibles en un seul mot.
L’évolution de la lingua taurina n’a donc rien de gratuit, ni dans son sens pratique, ni dans son message non dit, ni dans le rapport de force qu’elle induit.
Je constate, mais peut-être que je me trompe, que certains termes ou expressions, auparavant inexistants, inusités ou peu utilisés se répandent quand d’autres disparaissent.
Ainsi, il y a une trentaine d’année, à mon entrée en tauromachie, des termes comme «fijeza», «son», «chispa» étaient peu ou pas employés. Cela fait pourtant bien dans la conversation! Effet de mon imagination? Que non pas! En effet, il reste des preuves éclatantes: les écrits (livres, traités, dictionnaires, encyclopédies) qui témoignent de l’usage des mots. A un instant T, le sens d’un mot est figé, telle une photographie, par la définition qu’en offre le Cocio, Popelin ou Tio Pepe.
Les mots sont aussi les armes de la pensée, et le débat de définition du terme de «bravoure» qui m’opposait au «Dear Fix», recouvrait la confrontation des conceptions de la tauromachie, c’était évident.

On voit comment sur le terrain politique par exemple, des stratégies sont régulièrement développées pour créer des concepts, voire pour s’approprier la terminologie de l’autre, surtout pour la neutraliser. Ainsi, se sont succédés les termes de rigueur, d’austérité, de réforme pour recouvrir une réalité qui a besoin d’être fardée pour ne pas révéler son sens réel trop souvent insupportable. Ainsi, notre vénéré président s’approprie t-il sans vergogne l’héritage culturel et sémantique traditionnel de la gauche pour mieux la réduire.
La bravoure, telle que l’évoquait Fix, recouvre en grande partie ce que j’aurais quant à moi, surtout qualifié de noblesse. Est-ce vraiment important?
Le problème, c’est que pour communiquer les mots doivent avoir un minimum de communauté de sens pour toutes les parties. Si je pense «radis» et que je vous dis «carotte», nous ne pourrons nous comprendre. Il y a donc nécessité d’un consensus sur le sens qu’il convient d’attribuer aux mots.
Cela m’a donné l’idée d’un nouveau thème d’article, et d’un processus novateur: utiliser le blog pour constituer un mini dictionnaire taurin participatif.
La règle du jeu sera simple: on lance le débat sur un mot ou une expression, pour ce faire, on fournit les définitions «généralistes» et l’étymologie en français et espagnol. Puis les contributions des lecteurs seront progressivement intégrées au cours du débat, non pas comme commentaires mais par modification du texte de l’article. L’humour n’est pas interdit non plus, comme dans la rubrique «dico» des joyeux forbans de CyR (
http://camposyruedos2.blogspot.com/search/label/DicO)
Amusant n’est-ce pas?
A vos plumes…



Xavier KLEIN

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