Humeurs taurines et éclectiques

lundi 5 janvier 2009

MILITANCE

«La haine est sainte. Elle est l’indignation des cœurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise»

«Mes haines» d’Emile Zola

Peut-on parler de «militance» en matière taurine?
D’une part, on peut considérer, que ce soit à l’échelle de notre quotidien d’individus, ou à celle de petits humains noyés dans une masse de milliards d’humains, qu’il y a dans la vie des priorités plus urgentes, des nécessités plus impérieuses que de s’engager dans une cause somme toute périphérique, pour une activité marginale (combien de gens sont concernés par la tauromachie sur cette planète?), qui relève en outre du divertissement. N’y aurait-il pas là un parfum de dérisoire, comme ces supporters ou ces fans qui se suicident parce que leur équipe est éliminée ou parce que leur idole a passé l’arme à gauche?
Que diable! Il y a nombre de combats éminemment plus essentiels dans la vie! L’ami Bruno le rappelle régulièrement, à juste raison. Nous ne les énumèrerons pas. La liste en serait trop longue…
C’est d’ailleurs l’un des arguments que l’on emploie à l’encontre des anti-corridas: que ne vous préoccupez-vous du destin de l’Homme avec la même intensité, que de celui des animaux?
D’autre part, les quidams que nous sommes peuvent-ils espérer avoir individuellement quelque influence sur les grands problèmes qui, de tous temps à jamais, agitent l’humanité? Que pouvons-nous envisager, au risque du désespoir, pour conserver l’illusion d’agir sur le réchauffement de la planète, l’inégalité des conditions, l’injustice, les guerres, l’oppression du genre humain, etc., etc., etc.
Nous en sommes donc réduits à tourner nos regards vers ce qui nous semble à notre dimension. La corrida et son «mundillo» constituent un espace dans lequel, aussi petits que nous soyons, nous pouvons encore exister, en tant qu’individus. De plus, ne nous méprenons pas, les enjeux y recouvrent, sans doute plus qu’ailleurs, tant les grandes problématiques actuelles, que des débats éternels et fondamentaux sur la condition humaine.
S’impliquer dans la «défense et l’illustration» de la tauromachie, c’est incontestablement poser un nombre quasiment illimité de questions primordiales: définition de l’homme, de l’humanité et de l’animalité, de la nature et de la culture, de la place de la mort et de la souffrance dans nos vies et dans notre société, du rapport à l’art, à l’économie, à la loi (loi écrite, loi morale, loi symbolique), des relations entre les pouvoirs (centralisateurs –nationaux ou européens- et locaux), de la prise en compte des différences, des identités ou traditions locales, de la place et du rôle de la presse, le «quatrième pouvoir».
Tout cela n’est pas rien! Tout cela prend également une forme tout à fait concrète, que nous pouvons appréhender et sur laquelle nous pouvons légitimement et raisonnablement influer.
On ne peut sans doute pas rêver de réformer le Fond Monétaire International ou la Banque Mondiale, on peut en revanche s’opposer, avec quelques espoirs de succès, à l’envahissement de la tauromachie par une logique uniquement commerciale. C’est une perspective qui reste à notre portée.
Il n’est ni innocent, ni gratuit, de relever dans nombre de blogs, articles après articles, commentaires après commentaires, la polarisation des colères et des protestations contre les propos et, disons le tout net, l’action de certains journalistes ou «observateurs». Pour autant, il me paraît aussi que peu de bloggeurs ne vont, et je le comprends, jusqu’au bout de cette logique. Certes, il n’est ni pertinent, ni réaliste, d’adopter un discours «réactionnaire». Ce faisant, on ne se situe pas dans le développement de ses idées, mais l’on réagit au discours de «l’autre», que l’on place ainsi au centre.
Mais si l’on se refuse au «dialogue» (étymologiquement «échange entre 2 ou plusieurs personnes») ou à la confrontation, on prend dés lors le risque de l’enfermement et du sectarisme.
Le feu roulant à boulets rouges contre certaines «bêtes noires», ne me semble nullement préjudiciable, ni pour les intéressés, qui prennent sciemment, du moins on l'espère, le risque de s'exposer à la critique, ni pour le débat taurin qui ne peut qu'y gagner en substance. C'est d'ailleurs une vieille tradition que ces disputes théologiques, du contentieux sur le sexe des anges ou de la «controverse de Valladolid» à la «bataille d'Hernani» ou du long et implacable conflit entre communistes et surréalistes durant l'entre deux guerres. Ce qui manque le plus de nos jours est à l'opposé, l'absence quasi totale de débats ou de confrontations intelligentes et argumentées entre les Jean Paul Sartre et les Raymond Aron ou les Albert Camus. Bien entendu, la corrida ne saurait prétendre à l'altitude de ces débats. Quoique! Ce qui est en jeu réellement dépasse l'argument primairement taurin et touche à l'universel.
Il importe au contraire d’enfoncer et de réenfoncer le clou, avec une ténacité qui porte, car elle dérange et dérange d’autant plus, que là se noue le problème. Etant donné le mode de fonctionnement d’un blog, où la durée de vie de l’information et d’un article s’avère très éphémère, il n’est pas dérangeant d’entretenir le feu sous l’alambic pour que la distillation soit continue.
Tout cela n’est après tout pas si grave. Ce genre de «disputes» et de controverses fait partie du folklore taurin, et en bons méridionaux, nous avons le goût et l’habitude des paroles flamboyantes et définitives, dont nous ne sommes jamais complètement dupes. Avec l’humour, le détachement et la courtoisie qui doivent rester de mise, mais avec vigueur et régularité, il faut espérer que nous sachions persister dans une critique justifiée et répétitive des errements actuels.
Les blogs taurins «underground» connaissent une audience grandissante et représentent un danger dont témoigne régulièrement le discours, pour le coup si souvent réactif, de leurs antagonistes. La critique leur est insupportable parce qu’elle est le plus souvent justifiée, parce qu’elle rencontre un nombre grandissant d’échos, enfin et surtout parce qu’elle remet en cause un monopole et une légitimité qu’ils pensaient incontestés.
La presse et les medias constituent en effet, très clairement, les vecteurs par lesquels un «complexe taurino-industriel» (comme on parle en d’autres lieux de complexe militaro-industriel) s’efforce, par tous les moyens, de formater le goût du public.
Qu’est ce qui, pour la grande majorité du public d’une corrida, oriente sa perception? De quel outil le spectateur lambda, qui veut se faire une «honnête opinion», sans pour autant s’engager dans la voie de la passion, dispose t-il?
Il y a certes les discussions de comptoirs entre aficionados, mais elles ne concernent le plus souvent que les 10% de spécialistes et de passionnés, qui en outre, lisent la presse spécialisée et consultent les blogs.
Il y a également les tertulias organisées par quelques peñas. Elles s’adressent le plus souvent à un public intéressé mais en général plus néophyte. Elles permettent à ce dernier de se faire une idée sur ce qu’ils ont vécu, à condition que les intervenants ne se prennent pas au sérieux, ne jouent pas aux docteurs de la loi, exposent des ressentis ou des points de vue diversifiés et critiques (et non des vérités révélées), ne soient pas inféodés à l’organisation, respectent la perception, quelle qu’elle soit, des participants.
Le mépris que beaucoup d’aficionados autoproclamés se flattent d’afficher à l’endroit des tertulias est bien souvent inconséquent voire stupide et prétentieux. Il faut savoir si l’on veut partager, échanger, parfois instruire, où si l’on préfère en laisser le monopole aux médias. Il est tous cas bien dommage que des associations de passionnés démissionnent et renoncent à leur fonction la plus utile et la plus noble, l’éducation, pour ne se complaire que dans la facilité égoïste d’une agence de voyages au campo. On ne peut pas se contenter de s’offusquer d’un indulto réclamé par 90% du public et se refuser aux moyens d’en faire évoluer les représentations.
Il y a enfin la presse écrite et télévisée. Il convient de distinguer les organes généralistes et la presse spécialisée. Qui regarde la télévision espagnole sinon les 10% d’aficionados qui veulent consentir des investissements relativement onéreux? Il reste donc les télévisions régionales actuellement sous la tutelle de l'église officielle du «toreo moderne rédempteur pour tous».
En ce qui concerne la presse écrite, il en va de même. 90% du public se réfère, en Aquitaine, à la reseña de «La voix du mundillo», canal historique (Journal Sud-ouest). Information hautement objective, désintéressée et critique, comme tout un chacun le sait.
A part cela, dans les kiosques d’une petite bourgade comme Orthez (au hasard), on ne trouve qu’une unique publication, dont le titre, paraît-il, commence par «Terres» et termine par «taurines». On n’est plus dans la frappe chirurgicale, mais dans le bombardement en tapis, puisque cette revue, luxueuse et instructive au demeurant, surabonde dans tous les tabacs-presse et chez tous les libraires. On ne saurait trop être prévoyant!
L’offre en matière de critique taurine se résume donc, pour 90% du public, aux opinions contestables (et contestées) d’un ou deux journalistes, ou prétendus tels, dans la mesure où ils n’ont reçu aucune formation technique ou éthique dans ce sens.
La situation ne serait nullement sujette à caution, si ces braves plumitifs se contentaient simplement de faire de l’information, le plus objectivement possible.
Exprimer des opinions serait certes parfaitement respectable, dans le cadre de journaux spécialisés, mais il existe néanmoins, de facto, une situation de monopole de l’information généraliste, en parfaite contradiction avec la Constitution française en général, et la déontologie journalistique en particulier. Car ces beaux messieurs ne se contentent pas de manier l’information à leur gré, ils s’impliquent à corps perdus et sans états d’âmes dans l’entreprise de promotion tendancieuse et éhontée d’une certaine tauromachie. C’est, répétons le, un droit indiscutable et indiscuté, c'est aussi une responsabilité que l'on voudrait voir exercée avec objectivité et pondération.
S’opposer à une excessive commercialisation de la fiesta brava, à sa normalisation, à la disparition prévisible et programmée de sa diversité et d’une partie de son patrimoine, promouvoir l’originalité et la variété des toros et des toreos, défendre une éthique d’intégrité et de vérité des toros et de la lidia ne sont peut être pas des actes fondamentaux de démocratie, mais ils constituent, à n’en pas douter, des actes de résistance à une tendance générale d’appauvrissement de la pensée et de normalisation des esprits. Ce sont de ces pierres que se bâtit le mur de la liberté, qui, comme chacun devrait le savoir, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Et la pierre angulaire de ce mur, c’est une presse libre, indépendante et critique.
Pour conclure sur une note d’humour, cette histoire que me rapporta un copain russe, réfugié politique dans les années 80. Trois chiens se rencontrent. Le premier, français, nommé Krazucki interpelle les autres: «Ce matin, j’ai dû aboyer pendant une demie heure avant qu’on me serve ma viande.». Le second un chien polonais du nom de Walesa: «C’est quoi la viande?». Le troisième, russe, Sakharov: «C’est quoi aboyer?».
Pour n’avoir jamais à poser la troisième question, sachons nous montrer parfois un peu militants. On ne peut demeurer éternellement dans la plainte, il s’agit quelquefois de s’engager. Les autres n’ont pas de ces pudeurs, ils agissent eux, sans scrupules et sans états d’âmes!

Xavier KLEIN

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Militer ?! Oui, mais pas à n’importe quel prix. J’ai personnellement donné dans l’associatif, jusqu’au jour où j’ai été écoeuré des « coucheries » intéressées et répétées pour obtenir des financements associatifs. Dégoûtés des bâtons dans les roues d’associations qui défendaient les mêmes valeurs, mais qui ont tout fait pour qu’un gros projet ne voit pas le jour (elles n’y sont pas arrivées) car des copains ne faisaient pas partis des gens qu’elles appréciaient. Associations qui maintenant ce sont rapprochées, car nous sommes quelques uns à être parti (même si j’ai eu plusieurs appels pour revenir). Et pourtant tout cela se disait ouvert, humaniste, progressiste…
Militer pour la défense d’une certaine conception de la tauromachie, oui. Mais à condition que l’on ne snobe pas l’aficionado lambda, celui qui n’est pas fortement impliqué dans le mundillo, qui ne va pas systématiquement tous les hivers au campo espagnol (le français est bien aussi, je m’y suis fait plaisir ces jours-ci), bref qui n’est pas comme les recrues de ces clubs taurins espagnols auprès desquels il fallait montrer une certaine approche intellectuelle de la corrida pour en être. Militer après avoir été coopté, très peu pour moi.
Pour militer, il faut y trouver son compte et y prendre du plaisir. C’est avant tout se faire du bien, et se sentant bien, l’on est plus prompt à œuvrer pour les autres et les idéaux communs à défendre. Militer, c’est au départ une démarche égoïste de son propre plaisir. Et pour le trouver, l’on va vers les structure qui à priori, sont susceptibles d’offrir se plaisir. N’en déplaise, ce sont les structures qui offrent se plaisir qui voient le monde affluer, car les gens aiment à être brossés dans le sens du poil, et ces asso le font pas les autres. Et comme la mode est de boire les faits et paroles sans se soucier de leurs véracités, les dogmes, taurins ou non, ont de beaux jours devant eux puisque les structures qui voient le monde affluer offrent pour la plupart cela.
Pour ma part, je n’ai pas trouvé une structure qui m’offre une impression de plaisir (à part l’UBTF mais ce n’est pas dans le même registre), entre les regroupements d’aficionados impliqués qui doivent être mérités par les autres aficionados, et ceux qui ne se laissent que très difficilement approcher, le choix est fait. Militer oui, mais dans une structure qui s’ouvre tout en défendant ses valeurs, qui accepte tout type d’aficionado du moment ou il (elle) défend le toro et les valeurs intrinsèques de la corrida. Si on me le propose, je pourrais en être, pour l’instant... J’ai trouvé cela, mais dans un autre domaine ou l’on rencontre quelques aficionados, mais le but des combats est tout autre que la tauromachie…

A propos du réchauffement climatique, l’on commence à entendre des climatologues qui réfutent cette thèse et demandent à plus de modération dans le catastrophisme à la mode. Quant à Walesa, il paraîtrait que son mouvement était soutenu par l’opus dei, branche intégriste de l’église catholique romaine.
Lionel

Xavier KLEIN a dit…

J'ai eu l'occasion de vivre dans des pays où la liberté n'existait pas. Où il fallait se méfier dés que l'on parlait avec quelqu'un. Où une conversation avec deux amis pouvait vous faire expulser ou même embastiller (ça m'est arrivé), parceque l'un des deux vous avait dénoncé.
J'ai vu des gens dignes risquer très gros pour avoir le droit de rester des hommes.
Ce qui me met très en colère c'est l'inertie ambiante et l'absence d'indignation et de protestation alors que nous vivons dans une société où la parole est libre et où il n'y a aucun risque à s'exprimer.
Qu'est ce que ça serait s'il y en avait!
Il me semble que le minimum serait que les gens, au moins, se positionnent.

velonero a dit…

Tonique et roboratif pour le blogueur que je suis. Merci Xavier Klein.

Anonyme a dit…

A l'intention de Xavier ( pas d'adresse mail connue, j'utilise ce canal), voir blog "socio 13", article "L'ART ET LA MANIERE D'IGNORER LA QUESTION DES MEDIAS", par Serge Halimi.
En écho à la "militance"