Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 15 avril 2010

Qu’est-ce que le bon toreo?

Ne prétendant nullement au doctorat es tauromachie, je me cantonne le plus souvent à traiter de problèmes de fond qui me semblent rattacher le phénomène taurin à l’universel.
La dissection de l’épiphénomène que représente la corrida, épiphénomène au regard d’une infinité de thèmes autrement plus essentiels dans notre vie, permet toutefois d’aborder des problématiques fondamentales (la vie, la mort, la souffrance, le risque, etc…).
Pour une fois, je voudrais me risquer à émettre une opinion sur un sujet certes technique, mais qui n’en recèle pas moins des enseignements plus généraux.
Ma réflexion part d’un constat sur lequel d’aucuns peuvent s’accorder. Que ce soit du point de vue statistique (l’ensemble des corridas toristas) ou au vu d’une après-midi taurine, on constate un sacré différentiel entre la foison de trophées récoltés par des toreros toreristas et lors de corridas toreristas, et l’indigence qui est de règle pour les toreros et pour les corridas toristas.
Est-ce à dire que les uns sont plus mauvais que les autres?
Certes, qu'on le déplore ou non, on devient malheureusement torero torista plutôt par l’échec. C’est à dire parce qu’on ne parvient pas à s’imposer (et à imposer «ses toros») dans le cercle très fermé des figuras, et que l’on tore dans ce répertoire à défaut d’être reconnu dans l’autre.
C’est éminemment regrettable, mais c’est ainsi.
Je me suis plusieurs fois amusé à demander à mes interlocuteurs quelles étaient pour eux les figuras du moment. Sur la dizaine de noms généralement énoncés, très rarement paraît celui d’un torero torista (tel qu’El Fundi par exemple). Pourtant, le bagage technique d’un Fundi, d’un Espla, d'un Damaso Gonzalez ou d’un Ruiz Miguel n’a rien à envier à celui des figuras en vogue. Et ce n’est pas pour rien que ces dernières ne se confrontent guère avec des toros de respect qui ne les autoriseraient probablement pas à la répétition des «prodiges» qu’ils nous servent à l’ordinaire devant les pensionnaires de J.P.D. auxquels ils sont abonnés.
Pourtant, c’est un fait, on ne pense jamais, ou si peu, à ces honorables belluaires lorsqu’on évoque «una figura».
Le public torista se montre t-il infiniment plus attentif à une juste rétribution des trophées? Le public torista, plus exigeant serait-il donc plus sévère, moins demandeur de trophées?
Il est vrai qu’en général, pour apprécier une corrida torista, il convient de mobiliser infiniment plus de savoirs et de connaissance du toreo, que pour jouir béatement de l’esthétique, immédiatement perceptible par n’importe quel quidam, du «toreo moderne» qui, par définition est conçu pour la masse.
J’avance «en général», parce qu’il me semble que sur ce terrain là, nous assistons également à une perte considérable de compétence.
En témoignent les réactions aberrantes que j’ai pu constater dans une plaza comme Vic où l’on réclamait par exemple des vueltas pour des mansos qui avaient connu la bonne fortune de multiplier les piques, y compris sans bravoure.
De même, il faut déplorer l’absurdité d’un public qui réclame que l’on torée un bétail de respect selon les mêmes canons qu’on exige devant les animalcules domecquisés.
Dernière explication, les toros de respect ne «permettraient» pas, par leur «incommodité», les triomphes auxquels s’attachent leurs cousins plus civilisés et urbains?
A voir... De quelque manière que l’on retourne la chose, l’ensemble de ces interrogations se rapporte à deux questions fondamentales:
QU’EST-CE QU’UN BON TORO?
Et par voie de conséquence:
QU’EST-CE QU’UN BON TOREO?
Il y a paraît-il des gens qui sont extrêmement savants et qui sauraient définir ce qu’est et doit être un bon toro.
Personnellement l’entreprise me semble pour le moins hasardeuse et en tous cas parfaitement affective et subjective.
Tout d’abord parce qu’elle se rapporte à des présupposés et à des goûts: qu’est-ce qui touche ou émeut dans un toro?
Ensuite parce que la compétence du torero influe considérablement sur la mise en valeur de son adversaire.
On sait ces dilemmes d’après-corrida où l’on en est à se demander si le problème venait du toro ou du torero, et en tous cas du toreo.
Parmi ces présupposés, le principal tient à l’idée que l’on se fait de la tauromachie. Pour ma part, la tauromachie est un combat, donc un toro digne de ce nom est pour moi un toro qui combat, un toro qui charge, et non un toro qui passe.
Toutefois cette définition exhaustive ne saurait satisfaire, et j’en connais certains qui recherchent tout particulièrement la sauvagerie ou le genio, quand d’autres n’accepteront que le «son» ou la fijeza.
Adepte du paradoxe et de la loi apollinienne d’harmonie, j’oserai avancer que le toro idéal, donc inexistant, doit être le produit de l'union des contraires, et comme les médicaments peuvent être aussi des poisons, doit unir et marier le «ying» et le «yang».
Certes de la bravoure (au sens classique du terme, c’est à dire l’instinct offensif), de la noblesse, mais également une once de genio, un soupçon de sentido (pour lui éviter d’être idiot), une bonne dose de sauvagerie et une pincée de nervio. En fait tout ce qui fait qu’un toro sera «de combat», pleinement adversaire et nullement collaborateur, mais que pour autant il consentira au «jeu» ou plutôt au défi, avec cette qualité qui résume tout: le «piquant».
Tout cela bien évidemment sans parler, ce qui va de soi, d’une présentation intègre et dans le type, et des ressources physiques qui lui permettent le combat.
On me répondra que c’est là le désir général.
Que nenni!
Ma définition exclut à priori 70% de ce qu’on voit sortir dans l’arène, et surtout l’archétype qu’on a monté au pinacle: Desgarbado.
Le toro adversaire?
Le toro partenaire?
Le toro qui permet (mais quoi?)?
Le toro commode?
Le toro-toro?
Faut-il choisir?
Comotive ou zoizillon (voir poème ci-dessous)?
L’ennui provenant de l’uniformité, peut-être devons-nous veiller à tout préserver. Après tout, le caniche toiletté et le doberman, le chihuahua et le danois coexistent sans problèmes dans l'espèce canine.

Xavier KLEIN

SUITE A VENIR
Comme cela, pour changer, l’un de mes poèmes de chevet:

ELLE SERAIT LA, SI LOURDE
Elle serait là, si lourde
Avec son ventre de fer
Et ses volants de laiton
Ses tubes d'eau et de fièvre
Elle courrait sur ses rails
Comme la mort à la guerre
Comme l'ombre dans les yeux
Il y a tant de travail
Tant et tant de coups de lime
Tant de peine et de douleurs
Tant de colère et d'ardeur
Et il y a tant d'années
Tant de visions entassées
De volonté ramassée
De blessures et d'orgueils
Métal arraché au sol
Martyrisé par la flamme
Plié, tourmenté, crevé
Tordu en forme de rêve
Il y a la sueur des âges
Enfermée dans cette cage
Dix et cent mille ans d'attente
Et de gaucherie vaincue
S'il restait
Un oiseau
Et une locomotive
Et moi seul dans le désert
Avec l'oiseau et le chose
Et si l'on disait choisis
Que ferais-je, que ferais-je
Il aurait un bec menu
Comme il sied aux conirostres
Deux boutons brillants aux yeux
Un petit ventre dodu
Je le tiendrais dans ma main
Et son coeur battrait si vite...
Tout autour, la fin du monde
En deux cent douze épisodes
Il aurait des plumes grises
Un peu de rouille au bréchet
Et ses fines pattes séches
Aiguilles gainées de peau
Allons, que garderez vous
Car il faut que tout périsse
Mais pour vos loyaux services
On vous laisse conserver
Un unique échantillon
Comotive ou zoizillon?
Tout reprendre à son début
Tous ces lourds secrets perdus
Toute science abattue
Si je laisse la machine
Mais ses plumes sont si fines
Et son coeur battrait si vite
Que je garderais l'oiseau.

Boris Vian

9 commentaires:

el chulo a dit…

immense vian!

Bernard a dit…

Xavier,

D'abord, tu me permettras (!) de te paraphraser: "domecquiser" écris-tu... Et pourquoi pas (forme dérivée sinon dévoyée): "domecstiquer" - voire "domecqstiquer" ("domextiquer" ferait un peu exotique)? On aurait à la fois, et pour le prix d'un seul, la domestication ET la domecquisation!...

Trèfle de plaisanterie... J'en viens à ta question préalable: "Qu'est-ce qu'un bon toro?"... Mais il me semble que poser déjà la question c'est la biaiser!... En effet, s'interroger sur ce que serait un "bon" toro, c'est en quelque manière et après l'avoir défini tel, vouloir qu'il le soit "bon", c'est à dire qu'il réponde à des critères - qu'on sera tenté à un moment ou à un autre de vouloir "modéliser" (et nous revoici chez J.P.D.)... Car, si gérer c'est tenter d'éliminer les effets (non mesurables et non contrôlables) du "hasard", alors le toro "post-moderne" que nous aimons tant (qui aime bien châtie bien) est tout bonnement un toro "géré", et évidemment géré à l'économie (économie de moyens, depuis le ratio du nombre de toros à l'ha de campo, jusqu'au nombre de passes "permises", en passant par l'angle idoine que fera la tête avec le reste du corps durant les dites passes...).

Et si, au fond, le toro "de combat" n'était pas tout simplement - et sans le savoir - "malrucien" (le Malraux du "surgissement de l'imprévisible")?... Non seulement en ce sens qu'il aura conservé une part de "hasard" (c'est à dire d'hétérogène - y compris et surtout comportemental), mais aussi parce que cette part de hasard aura été délibérément conservée durant son "élevage" (élevage paradoxal bien sûr, comme l'a très bien expliqué Francis WOLFF in "Philosophie de la corrida", dans lequel la part de "familiarité" - inhérente à tout processus humain d'apprivoisement préalable à une réelle domestication - doit être délibérément amoindrie, pour laisser une place suffissante - mais également nécessaire - au "sauvage", qui n'est en fait qu'un sauvage partiel...). Parce qu'après tout, si on ne laisse pas (plus) sa place à ce hasard "protecteur" (protecteur de la possibilité même du toro de combat), à quoi sert par exemple le "sorteo" prélable à la corrida elle-même? (déjà, il n'y aura bientôt plus de pique; alors, si en plus on n'a plus de sorteo, ça fait autant de temps de gagné pour l'apéro, non?)...

A suivre?

Abrazo - Bernard

Xavier KLEIN a dit…

Ah, cher Bernard, que tu me comprends bien!
Je dénoterai toutefois une légère erreur de ta part, sûrement pas dûe au hasard tel que je te connais: ma question préalable est "Qu'est-ce que le bon toreo?" et non "Qu'est-ce que le bon toro?".
Ceci dit, il me semble que cette "prévisibilité" erre au centre du débat actuel.
Depuis que le monde est monde, et que l'humanité a entrepris de le dominer, c'est l'une des préoccupation majeure de nos petits camarades: minimiser l'imprévisible, voire l'annihiler.
Et c'est justement tout l'intérêt de la corrida que d'être un "conservatoire de l'imprévisibilité", d'où le thème souvent abordé ici du risque.
L'arène doit absolument demeurer pour garder un sens, le lieu du risque, ce risque que toute une société s'efforce désespérément de supprimer dans un désir, excessif à mes yeux, de sécurité.
Vouloir l'atténuer ou le canaliser comme l'envisagent certains, est une hérésie, une absurdité absolue et un contresens par rapport à la signification profonde et à la JUSTIFICATION de la tauromachie.
Va leur expliquer cela à ces béotiens!!!

el chulo a dit…

bon, je vais être outrancier!

ils le savent très bien car avant d'etre assassins ils furent innocents, mon cher xavier.

simplement, ils font du business!

seul désaccord avec toi, il me semble que la notion de "combat" suppose une égalité de moyens: boxe, rugby, athlétisme etc.
parler de "combat" entre un homme et un taureau me parait indécent, au seul niveau des possibilités physiques, donc, c'est d'autre chose dont il s'agit, ordonez parlait de "séduction", toujours de courage, avec cette si subtile ligne de démarcation entre le sublime et le vulgaire.

Xavier KLEIN a dit…

COMBAT (définition): Lutte dans laquelle sont engagés deux ou plusieurs adversaires qui attaquent ou se défendent en faisant usage de tous les moyens dont ils disposent.
http://www.cnrtl.fr/definition/combat
LIDIAR (DICCIONARIO DE LA LENGUA ESPAÑOLA DE LA REAL ACADEMIA): Luchar, batallar, pelear.

Le mot me paraît sans ambiguïté, cher Chulo.
Un combat est toujours une confrontation violente, qu'il soit syndical, politique, ou même le "combat pour la vie" (struggle for life)
Sans doute que pour un homme chevaleresque comme toi, la chose ne saurait exister qu'à égalité.
Mais comme par définition, il y a toujours (ou presque) un vainqueur et un vaincu, un combat n'est jamais équilibré, il n'aurait alors aucune raison d'être.
Peut-être qu'avec le clonage...

el chulo a dit…

cher xavier,

évidemment!

on peut faire combatre tout ce qu'on veut.

équilibré me paraît une justice, mais je n'ai jamais tété à la métaphore de david et goliath.

ce qui pour moi prédomine dans la corrida est l'irrationnel, et cette intervention du duende.

ce qui évidemment dans la mentalité populaire ou poétique espagnole pouvait rejoindre le divin.

lorsqu'il n'y a pas celà, reste une exigence de décence, c'est à dire appliquer à un toro la lidia qu'il mérite.

et c'est bien là que tout se disloque, face à un public qui veut des geticulations.

bergamin a parlé des belluaires,et aussi des faussaires.

ceci dit, réduire un toro par les seuls moyens de l'intelligence, du courage et de la technique me passionne, surtout si en plus certains gestes peuvent surgir du néant, prouvant que nous avons un torero face à un toro, au moins en tant que spectateur. mais je ne suis toujours pas certain qu'il s'agissse d'un combat

Xavier KLEIN a dit…

L'intervention du duende, me paraît procéder de l'exceptionnel.
C'est une grâce rarissime qui intervient en des moments d'exception, ces moments que nous attendons tous.
La normalité par contre pourrait se traduire par "une dynamique pulsionnelle canalisée par la raison".
Car l'acte de "burlar" (tromper) le toro qui fonde le toreo est un acte de raison et d'intelligence, surtout avec les toros complexes.
Le torero est donc l'héritier d'Ulysse plus que celui d'Achille.
Mais Ulysse le Rusé est aussi un combattant, à condition bien sûr, comme tu le soulignes que tromper ne soit pas tricher, le belluaire et le faussaire.
Pour délimiter tout cela, il n'y a que deux remparts: l'éthique (dont nous sommes soucieux) et la loi (le réglement), c'est à dire ce que l'on s'impose et ce qui nous est imposé.
Sans cela, la corrida serait une barbarie, car violence sans barrières.
A partir du moment où, comme de nos jours, l'éthique tend à disparaitre, et la loi est de plus en plus transgressée (indulto de Desgarbado), comme disent mes enfants "ça ne le fait plus".
Pardonne-moi de persister à croire aux mots, et de penser qu'ils qualifient ou doivent qualifier (à tous les sens du terme) nos actes.
Amitiés.

el chulo a dit…

"lorsqu'il n'y a pas celà" ai je écrit, voulant dire, comme ceci est rarisime et du domaine du hasard le plus absolu, (le duende), on en revient à l'éthique (respect? amour?) qui seule peut tenir la "cabana" debout.

nous en sommes loin!

Anonyme a dit…

el chulo a ajouté un nouveau commentaire sur votre message "Qu’est-ce que le bon toreo?" :

"lorsqu'il n'y a pas celà" ai je écrit, voulant dire, comme ceci est rarisime et du domaine du hasard le plus absolu, (le duende), on en revient à l'éthique (respect? amour?) qui seule peut tenir la "cabana" debout.

nous en sommes loin!