Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 22 avril 2010

Qu’est-ce que le bon toreo? SUITE de la SUITE

Je suis sans doute déjà une vieille barbe.

La vieillesse, de nos jours, s’accompagne rarement de la sagesse, quand le «jeunisme» sévit, elle est vécue comme une tare.
Un jeunisme de l’apparence, suscité par la décrépitude inéluctable du corps et l'angoisse de la mort, diamétralement opposé à la jeunesse de l'âme.
Combien de mes pairs quinquagénaires s’évertuent férocement à maintenir leur ventre plat et leur esprit étriqué? Si jamais ils ont porté quelque grain de fantaisie, de révolte, d’imagination, d’indignation, ils se sont acharnés à les détruire ou du moins à les amnésier.
Rester jeune à cinquante piges (et plus si affinités), ce n'est point s'obliger au footing quotidien, à se travestir en ado, a affecter le copinage avec les teenagers ou la connaissance approfondie des téléstars, c’est par dessus tout vouloir absolument se souvenir de ce que l’on a été. Et surtout ne jamais ni oublier, ni trahir, ni renier ses rêves, ses espoirs, ses excès passés.
Le seul véritable privilège de la vieillesse, n'est pas de savoir mieux, mais de savoir plus, c’est l’accumulation des expériences, et des références. Le disque dur est presque saturé, mais fonctionne t-il plus vite et plus efficacement?
Il fût un temps où, avec le pire (présentation souvent indigne des toros), s’accouplait le meilleur.
Il fût un temps où une figura telle que J. M. MANZANARES se pointa un jour à Tyrosse, plaza de 3ème, fiévreux, harassé et de mauvais poil, pour y composer, de son propre aveu presque contre son gré, l’une des plus grande faenas de sa carrière.
Possible aujourd’hui?
Il fût un temps où sous les sifflets et les coussins de Bilbao, le grand El Viti, "travailla" (je hais ce mot, mais pour le coup il s'impose) un manso royal, de trincheras et de doblones, de piton a piton, pendant 10 minutes, avant d’en tirer quatre séries extraordinaires de pureté (2 de chaque coté), et de sortir sous les acclamations.

Il fût un temps où les toros sortaient…comme ils sortaient. Rarement comme des loukoums, on n’en appréciait que mieux le délice du toro noblissime, l’art du toreo visait avant tout à «améliorer» le «matériau» disponible.
AMELIORER, quel beau mot désuet! Régler un port de tête, atténuer un hachazo ou un derroteo, allonger une charge, pétrir un toro, comme le potier l’argile ou le boulanger sa pâte voilà ce qui valait!
On attribuait des oreilles pour cela, on triomphait par cela, pour des faenas valeureuses de 20 passes extirpées aux forceps à des toros parfois impossibles. Des toros que nos héros contemporains expédieraient aujourd’hui bassement parce qu’incompatibles avec le «toreo moderne».
On mesurait, l’effort, la progression. On prenait en compte la complexité du toro, et ce qu’en faisait le torero,quel profit il en tirait. Il y avait tout un glossaire pour qualifier les toros (broncos, tardos, terciados, parados, gazapon, de bandera, etc…) et tout un répertoire pour résoudre les difficultés.
Cela conserve t-il un quelconque sens aujourd’hui où se départagent bipolairement les toros «qui servent», ceux qui «permettent» l'exploit programmé et… les autres?
On n’allait pas, comme chez l’épicier, pour un oui ou un non à Séville, à Madrid, à Valence. Un tel voyage était un rêve, un aboutissement, une consécration.
On s’y rendait comme en pèlerinage, et l’on en revenait auréolé du prestige du Hadj qui revient de la Mecque.
Nulle retransmission de corrida d’outre-pyrénées, nul D.V.D, qui viennent pâlement remédier à l'impératif du voyage.
La réalité quotidienne de la corrida, son ordinaire se vivait dans les faenas locales de Bayonne, de M.d.M., de Dax, de Vic ou de Tyrosse, ou de toutes ces plazas où vivaient cette aficion populaire à goût de clocher.
Jusque dans les années 70, chaque feria était égayée par quelques sauts de toros dans le callejon et parfois, d’espontaneos dans le ruedo. On se gaudriolait d’anecdotes, de toros qui se relèvent à l’arrastre, de volteretas spectaculaires, de gestes de pundonor, de broncas d’anthologie, d’échanges entre spectateurs outrés et Paquirri-diva, de Cordobes qui toréait les coussins, d’Ordoñez expédiant systématiquement l’un de ses deux toros, de Curro refusant de tuer, etc… Rien de routinier là dedans, ou si peu, on est loin de nos ronds-de-cuir toreros actuels, de nos fonctionnaires des ruedos, assurés de la paye à l’échéance, du treizième mois et des congés payés, qui s’assurent une longue retraite paisible et rapidement acquise.
Où sont-ils ces toreros à nuque chenue, qui se livraient «de verdad» en dépit des rhumatismes et du tiraillement de leurs nombreuses et valeureuses cicatrices?
Lorsqu’un s’y risque désormais (le maestro Frascuelo par exemple) c’est pour recueillir les quolibets ou le scepticisme.
Il fût un temps où la transmission s’opérait entre aficionados grâce à quelques solides fondamentaux, grâce également à de laconiques maximes qui disent tant ou tout en peu de mots.
Il en est une que je chéris particulièrement pour la profondeur des divers niveaux de compréhension qu’elle suppose, une fois qu’on en a mesuré les termes.

A CADA TORO SU LIDIA (A CHAQUE TORO SON COMBAT)

Signifie t-elle encore quelque chose à l’heure du toro de grande série, du produit normalisé voué à la consommation de masse?
Nous en serions plutôt A CADA LIDIA SU TORO, ou mieux A TODOS TOROS LA MISMA LIDIA
De fait, cette simple petite phrase ne relève même plus de l’ordre du désuet, mais de celui de la provocation ou du manifeste.
A CADA TORO SU LIDIA est devenu l’étendard en lambeaux, outragé par tant de batailles, que prétendent brandir ceux qui veulent croire que la tauromachie peut encore conserver un sens.

CADA TORO suppose tout d’abord la diversité intrinsèque qui doit prévaloir chez nos chers bovidés.
Chaque toro est et doit demeurer différent pour s’affirmer comme un être individualisé et unique.
Non pas l’uniformité préfabriquée qu’on nous propose, mais la collection complète de tous les types et de tous les tempéraments, l’éventail et la combinaison infinis du vivant et du brave. La vie quoi!
Et ce n’est pas un hasard si chaque toro a un nom.

SU apporte ici non seulement l’idée d’une individualité qu’il convient de prendre en compte pour elle-même, mais remet le toro au centre: c’est SON combat. Pas celui du torero qui SE SERT d’un toro, mais celui d’un toro qui se sert du torero pour exister et s’éterniser.
Aussi bien nous faudrait-il opérer une révolution mentale et substituer au «le toro a bien servi», un «torero a bien servi», qui induit que le torero EST AU SERVICE du toro.
Sodomisation de diptères objecteront les fâcheux. Ceux qui ne voient dans ce blog que l’exposé de divagations intellectualistes et donc décadentes.
Que non pas! C’est l’un des fondements même du débat avec les «zantis».
Chaque toro doit exister et se valoriser par sa propre singularité, par sa propre personnalité.
C’est, pour simplifier, la même thématique qu’entre Coco, le coq de ferme qui sonne quotidiennement le réveil matinal, qui picore imperturbablement sur le tas de fumier, et qui terminera glorieusement un dimanche de fête dans une splendide livrée de Gevrey Chambertain et X2345 le produit anonyme d’un élevage en batterie.

LIDIA. Il reste tant à dire qu'il nous faut envisager la SUITE de la SUITE de la SUITE
Xavier KLEIN

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