Humeurs taurines et éclectiques

vendredi 28 août 2009

LE DROIT A L'INDIGNATION

Tranche de vie taurine ordinaire: Dax, vendredi 14 août 2009, 19h30, Tendidos SOL, escalier 9, la «réserve» des peñas (comme il existe des réserves indiennes ou des réserves naturelles).
Dax certes, mais ce pourrait être n’importe lequel des hypermarchés taurins du sud-ouest ou du sud-est.
Lassés par la soseria du lot de Daniel RUIZ, et l’inconséquence des figuras (Ponce, Juli, Manzanares) qui assurent le minimum syndical avec plus ou moins de conviction ou de talent, quelques impétrants se prennent à manifester au mieux leur ennui, au pire leur exaspération, devant la caricature de combat qui leur est proposée.
Exclamations et lazzis commencent à fuser coté soleil, là où le peuple aficionado se concentre, ceux-là même qui se refusent à n’être que des «clients».

Mais les caves se rebiffent, les bof bovins s’insurgent. Fanchou MOREL, homme intègre, socio éminentissime de la peña CAMPO CHARRO, aficionado de tripes et de conviction, se fait violemment prendre à partie par les bobos des barreras parce qu'il a le mauvais goût de railler la parodie en cours. Après les «chut» agacés, c’est l’agression verbale, la menace virulente, l’injure commode, le «tacayallertoisitésifort» tellement original et commode d’emploi. Les cons ont le droit inné et absolu d’approuver, on dénie aux autres celui de s’indigner.
On nage en plein «toreo moderne», avec ces «medios-toros modernes», tellement appréciés des vedettes pour leur noblesse imbécile, leur absence cosmique de mauvaises intentions, et leur propension marquée à une coopération inconditionnelle. C’est l’apothéose du toro «faire-valoir», qui «sert» sans état d’âme, et l’antithèse de ce qu’on appelle encore, rarement il est vrai, un «toro de combat».
Car de combat, il n’est plus ici question, seulement d’une aimable et féconde collaboration, à vocation vaguement artistique et fortement commerciale.
IL FAUT SATISFAIRE LA «CLIENTELE», diraient certains, qui viennent ici chercher le produit normalisé, calibré, qui justifie leur fond de commerce.
«Ils» en ont parfaitement le droit, ces «aficionados-champagne» qui aiment à s’encanailler dans la folle ambiance du Splendid ou les nuits débridées de la Peña Ponce, ces joyeux lurons qui font le plein d’émotions fortes en 5 jours de feria de luxe, éventuellement rééditée, selon affinités et moyens pécuniaires, à Nîmes, Mont-de-Marsan, Arles ou Séville.
«Ils» sont légion aussi, ceux-là qui, attirés par la «feria», comme les papillons par la lanterne, participent d’un de ces pèlerinages canoniques, où l’on est sensé communier dans le cartel de luxe et la débauche de trophée.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Le problème, c’est qu’une arène, c’est aussi un monde, et que s’y côtoient cette majorité de «consommateurs-jouisseurs» et les autres, la minorité de ceux qui vivent leur passion avec ferveur et exigence, qui se moquent des flonsflons accessoires, qui suent week-end après week-end dans les travées populaires bon marché des arènes «d’art et d’essai», qui savent qu’il existe aussi des novilladas piquées et non piquées où se dévoilent les prémices et la triviale crudité de l’art taurin.
Si, si, ils existent encore ces demeurés primitifs qui ne réduisent pas leur perception à la seule fréquentation des têtes d’escalafon et des ganaderias JPD, et qui savent, qu’il demeure encore, des mots: lidia, casta, genio, brega, pundonor, sauvagerie qui recouvrent d’autres réalités et d’autres saveurs!
Partant d’attentes aussi différentes, il n’est guère étonnant que le clivage ne se manifeste pas de manière spectaculaire.
Sans doute, cela a t-il toujours existé. Mais le «rapport de force» était différent quand, il y a quarante ans, les 3 corridas de la feria dacquoise réunissaient surtout, de manière quasiment confidentielle, un public surtout local et plus avisé. L’aficionado «de verdad», l’écumeur d’arènes et de placitas, l’aventurier du Campo Charro, le globe-trotter des marismas, revenait de ses périples ibériques auréolé du prestige de celui qui se voue totalement à sa passion. Il était écouté, respecté, quasiment honoré, réceptacle d’une science acquise par l’expérience multiple du (des) terrain(s).
A ce patrimoine transmis de génération en génération par les «anciens», construit patiemment, par le regard attentif, la connaissance accumulée, le débat, la rencontre, s’est substituée la méthode Assimil accélérée, les 2 ou 3 ouvrages basiques et vulgarisateurs vite digérés, les corridas télévisées «con comentarios de complacencia», l’abono à deux ferias, et la lecture plus ou moins distraite d’opus de luxe et d’échos internet.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Les premiers, les «clients», viennent aux arènes consommer du plaisir, de la jouissance assurée, du «club med» taurin, avec résultat prévisible et, prochainement, label et garantie de satisfaction.
Les seconds savent l’inconstance des choses, vivent d’espérances fugaces et de désirs déçus, la vraie vie quoi, construite de déceptions et de joies rares mais intenses, quand le sort veut bien parfois sourire.
Les premiers sont des gourmands et des consommateurs dont le plaisir doit être garanti.
Les seconds sont des gourmets et des hédonistes pour qui le plaisir survient par surcroît, non par principe.
Rien que de très innocent et de très légitime…
Que les premiers trouvent leur plaisir devant l’accumulation quantitative de passes faciles devant des bestiaux insipides, qu’ils s’en satisfassent, qu’ils y applaudissent, qu’ils en jouissent puisqu’ils sont venus pour cela, rien que de très innocent et de très légitime… Ils en ont le droit.
Que les seconds y trouvent au contraire motif à déception, s’en émeuvent, et le manifestent, rien que de très innocent et de très légitime… Ils en ont également le droit.
Dans une arène la légitimité est égale entre le droit à la jouissance et celui à l’insatisfaction, entre celui d’applaudir et celui de siffler.
Enfin, ce devrait être le cas.
Or ce ne l’est plus.
Streng verboten, interdiction formelle de siffler, prohibition totale de toute entrave à la jouissance majoritaire. Le plaisir est licite, programmé, voire recommandé. La critique, l’insatisfaction sont prohibées. Jouir sans entraves, c’est le mot d’ordre et rien ne doit venir troubler la quête du «fun».
S’il ne s’agissait que des arènes! Mais c’est toute une société qui est désormais modelée sur ce schéma, gavée d’un idéal et de représentations fallacieuses, complètement déconnectées de la réalité du monde et de la condition humaine. On tient les veaux (comme disait le grand Charles) par le plaisir primaire et/ou par les peurs fondamentales (terrorisme, crise, virus grippaux, hordes étrangères, etc.)
Le refus ou le déni de la limitation du plaisir, c’est l’anti éducation par excellence, c’est la voie royale de la configuration perverse (au sens psychanalytique du terme) du monde, c’est l’acte «décivilisateur» de base.
«- Les cons!» soupirait Daladier, à son atterrissage triomphal au Bourget, après la honteuse signature des accords de Munich, devant la foule qui venait acclamer ce pitoyable et «lâche soulagement». Et Churchill de rajouter plus tard: «- Le gouvernement avait à choisir entre la honte et la guerre, il a choisi la honte et il a eu la guerre.». On ne gagne jamais à céder à l’illusion du plaisir à tout prix.
Devant cette capitulation exigée de l’intelligence, de l’esprit critique, de l’âme frondeuse, ce diktat de la facilité, de l’apparence et du faux-semblant, il convient de ne pas céder, et surtout de ne pas se taire.
Le refus est aussi légitime que l’adhésion.
Ce n’est même plus une question exclusivement taurine, c’est le droit à l’expression de la contestation et de l’indignation qui est en jeu, que l’on chicane de plus en plus, au nom d’un prétendu consensus fédérateur.
Un droit précieux qu’on nous encourage sournoisement à négliger au péril de la menace de l’impopularité ou de la marginalisation dans un «Meilleur des mondes» taurins.
Soyons exigeants et restons capables d’indignation.
Rien que de très innocent et de très légitime…

Xavier KLEIN

mardi 18 août 2009

CHRONIQUE D'UNE MOUCHE 5

QUAND LE TEMPS EST A L'ORAGE LA MOUCHE S'ENERVE

«Celui qui s'oppose, se déplace sur sa voie. Celui qui est faible, sa voie est utilisée.»

Lao-tseu «Tao-te-king
»
Cela fait quelques temps que la mouche, écrasée par les chaleurs estivales, se tenait coite, cherchant soit la fraicheur de sa campagne, soit le suint vulgaire certes, mais tellement grisant, des tendidos populaires, ceux où l'on ne vient pas se montrer, ceux où les coûts plus modestes permettent de multiplier les corridas, et pas seulement dans les grandes ferias.
La mouche a beaucoup bataillé durant la feria dacquoise, surtout dans les «cénacles taurins», dédaignés par certains, mais où l'on se préoccupe encore de voir dans les arènes autre chose qu'un aimable divertissement de masse.
Et puis la mouche a musardé sur la toile, et s'est particulièrement délecté d'un remarquable article publié sur Tore Terrines (http://www.terrestaurines.com/forum/actus/01-08-09/16-08-092.php
), qui exprimait, avec une crudité et une ingénuité bien involontaire de l'auteur, un «people» bien connu, une réalité des plus criantes.
La mouche aurait pu souscrire à 90% de l'article, au second ou au troisième degré bien évidemment, mais rassurez-vous, ne l'aurait jamais écrit.
Le style, c'est l'homme. Les mots et les maux qu'il écrit traduisent sa réalité profonde, surtout dans un éditorial régulier où la vigilance s'affaisse (par rapport à un écrit plus travaillé) pour laisser place à l'expression quasiment brute de sa pensée.
Quand l'on emploie à 3 reprises le mot «client», 2 fois le mot «clientèle», les termes «spectacle», «label», «marque», l'expression «l'offre doit être conforme à la demande», on oeuvre plutôt à «Valeurs actuelles» que dans une prétendue revue aficiónada, qui n'est plus alors qu'une vaste hypocrisie, et le cache sexe pitoyable d'un projet uniquement commercial.
Quand l'on publie régulièrement des «Opus» hors série, dont les ganaderias élues jusqu'à présent égrènent le gotha du toro-toro (Miura, Victorino, Prieto de la Cal, Pablo Romero, etc...), mais qu'au quotidien, l'on fait l'apologie du «toro moderne» qui en est l'exacte contradiction, ce n'est plus de l'hypocrisie, c'est de la malhonnêteté pure et simple.
Mais comment pouvoir espérer avoir une vision plus éclairée et moins univoque des choses quand on les évoque par ouï dire? Le triste pape noir de la corrida commerciale, le prétendu journaliste ne se risque guère à la présence, et encore moins à la contradiction dans ces derniers refuges de l'expression libre et critique que sont les peñas, qui prennent le risque d'ouvrir un débat ouvert avec le public, où tous peuvent s'exprimer.
Il préfère y déléguer des observateurs: hors du Splendid ou du patio de caballos, point d'endroit fréquentable. Mansedumbre? Orgueil démesuré de celui qui croit tout savoir sans ressentir l'élémentaire besoin de confronter son opinion, faillible comme celle des autres.
Il s'agît plutôt de cela au regard des termes volontairement blessants et méprisants employés à l'endroit de ceux, que, Président de l'ONCT, il serait également sensé représenter, ce dont il se targue.
Quand j'étais gamin, j'aimais particulièrement la réplique de Bruce Lee dans l'un de ses films de karatés (les navets sont aussi parfois comestibles). A l'un de ses adversaires qui veut montrer son savoir et l'impressionner en cassant une rangée de planches de bois, il répond (de mémoire): «- Le bois ne rend pas les coups...».
Drapé dans son mépris hautain, l'attaché commercial, le conseiller en communication des grandes ferias encaisse les dividendes des articles de complaisance et des publicités consenties et meurtrit sans jamais s'y confronter, ceux là mêmes qui défendent l'honneur de la fiesta brava en en dénonçant les dérives et les écarts. On a les courages qu'on peut...
Que voulez-vous, quand on n'a plus à faire à des aficionados mais à des clients, quand des aficionados sincères qui s'expriment simplement deviennent des «prédicateurs de tertulias», il ne faut plus s'étonner de rien.
Dax serait d'après le désir du gourou, la «feria champagne». Pourquoi pas, après tout. Mais il y a le «champ», bas de gamme, vendu dans les grandes surfaces discount qu'en bon spécialiste des marchés il veut nous fourguer, et il y a «l'autre», le vrai, le pur, le bon que les connaisseurs réclament.
Que Viard se délecte du Codorniu, qu'il en fasse la promotion en bon bonimenteur de supermarché, c'est son affaire, mais qu'il laisse les oenophiles préférer le Cristal de Roederer.
Question de valeurs! Même une mouche sait cela...

Xavier KLEIN

samedi 8 août 2009

DON BULL DOZER


S'amuser avec un animal, s'amuser d'un animal, c'est bien ce que critiquent nombre de contempteurs de la corrida, et pas uniquement les anti-taurins. ET ILS ONT RAISON!
Au risque de perdre et son sens et sa légitimation, la corrida n'est pas et ne saurait être un amusement ou une distraction, ce qu'en vieux français on appelait «se desporter», qui nous a légué le mot sport. La corrida n'est pas un sport.
J'ai dit et répété ici, qu'il me paraissait fondamental de comprendre la corrida comme une cérémonie rituelle qui célèbre l'histoire et la condition de l'Humain à travers son histoire, son statut de prédateur, ses angoisses, ses faiblesses mais aussi sa grandeur, son intelligence, sa créativité.
La souffrance, la peur, la mort, la honte, mais aussi la joie, le dépassement de soi, l'émotion artistique qui constituent des éléments centraux de l'histoire et de l'expérience des hommes constituent le sens profond de l'activité tauromachique ET SA SEULE LEGITIMITE MORALE.
C'est pourquoi, je me suis toujours opposé à l'idée de TRADITION (qui peut recouvrir n'importe quoi, de l'esclavage à l'excision) pour me référer à l'idée de CULTURE.
C'est aussi pourquoi, je vilipende souvent la dérive massive et excessive vers une corrida-spectacle ou une corrida-divertissement, qui n'en retient que l'aspect aimable et esthétique et en dénature le sens et la signification profonde.
Qu'on entende bien ici, que je ne postule aucunement que cet aspect là de la fiesta brava ne doit pas exister et qu'il est a priori condamnable. J'aime aussi ces corridas toreristas où l'art est privilégié. Mais ce concept doit être relativisé et ne doit pas s'ériger en règle sous peine d'une dérive périlleuse du sens.
Ce qui est éminemment dangereux et critiquable, c'est l'excès et l'incapacité que beaucoup qui se disent aficionados ont désormais de se référer à autre chose qu'à ces corridas-spectacles. Ce qui est alarmant c'est l'engouement très largement majoritaire pour ces divertissements» là, au détriment de tout le reste, et c'est un monde, qui constitue le patrimoine taurin.
Le déficit de «culture taurine», la méconnaissance des règles fondamentales de la lidia, l'incapacité majoritaire à juger ou à évaluer un toro et son combat, dés lors que l'on sort de la norme du «toreo moderne» sont désormais affligeants et surtout inquiétants pour la pérennité de la tauromachie.
Faut-il s'en alarmer?
L'histoire de l'art nous a montré qu'elle n'opérait pas de manière linéaire, mais qu'au contraire, aux phases «maniéristes» -telle que celle que nous connaissons- succédaient bien souvent des épisodes de renouveau particulièrement dynamiques. A l'académisme ou au «pompierisme» du XIXème siècle ont succédé tous les mouvements puissants que nous connaissons (impressionnisme, fauvisme, cubisme, abstraction, etc.).
Il ne faut donc désespérer de rien.
Mes petits camarades de Campos y Ruedos s'émeuvent, à juste raison, des grenouillages de Don Bull, l'épiphénomène "lasveguien" en vogue. Ils sont bien entendu fondés à vilipender, non seulement cette mascarade, mais également de la mettre en résonance avec les discours ou théories qui, au sein même du mundillo, lui ont permis de prendre corps. Certains docteurs Folamour ou Frankenstein, au choix, doivent assumer la paternité des monstruosités que leurs errements théoriquo-modernistes ont engendré.
Toutefois, il faut également se rappeler que ce type de «curiosité» n'a rien de nouveau sous le soleil. Dans les années 60, des expériences aussi baroques ont été tentées jusqu'au Japon, avec les mêmes artifices destinés à épargner à l'honorable spectateur nippon, le désastreux et scandaleux spectacle de la souffrance animale.
Tout cela n'est que marginal.
Marginal mais révélateur de la commercialisation et de la marchandisation outrancière de l'activité et de ses acteurs.
On ne peut nier la réalité économique incontournable qui fonde la tauromachie, depuis ses origines. On peut et l'on doit en revanche la tempérer par le rappel des grands fondamentaux et de l'éthique, ainsi que lui opposer les expédients que notre tradition européenne -et notamment française- ont toujours su élaborer: l'esprit critique et l'exercice des contre pouvoirs inhérents à toute société libre et démocratique.
Fulminer contre les manigances exotiques d'un capitaine d'industrie d'outre-atlantique c'est bien, considérer les périls en notre demeure c'est mieux...

Xavier KLEIN

mardi 4 août 2009

TU SERAS TORO MON FILS

Alain RIEMANN vient de publier un très joli recueil de poèmes "Tu seras toro mon fils" aux éditions Atlantica.
Il dédicacera son ouvrage les 13, 14 et 17 août après la corrida vespérale dans les salons modern style du Splendid à Dax.
Il ne faut pas manquer le calme et la volupté des lieux, en compagnie des mots qui pèsent après la frénésie du cirque.
"Entre les cornes
l'épée de l'homme
porte sa croix"
La poésie et le rêve se font si rare de nos jours...