Humeurs taurines et éclectiques

lundi 26 janvier 2009

CHRONIQUE D'UNE MOUCHE 4




BZZZ... BZZZ... BZZZ...

CAUDILLO PRESENTE!

Gloire et louange à l'archange exterminateur de Vieux Boucau! A l'oracle des ruedos! Au Conducatore des callejons! Au Duce du mundillito! A l'océan de sagesse torera!
Alléluia! Alléluia! Alléluia!
Le Pape des Terres Taurines a prononcé l'anathème, il a jeté l'interdit: Aignan delenda est (Aignan doit être détruite). Aignan est désormais terre maudite. On jettera du sel sur ses ruines.
La vendetta est lancée, les contrats décrétés, il capo di tutti capi a sorti le salitano (navaja sicilienne) pour régler son compte à l'une de ces petites arènes merdiques, qui contreviennent malencontreusement à ses rêves grandioses de faenas modernes.
Que voulez-vous, il padrino ne supporte que l'excellence! Toutes ces placitas de 2ème ou de 3ème catégorie, doivent se contenter de ce qu'elles méritent: des ganaderias de 3ème zone, des toreros idem. Encore faut-il qu'ils ne soient ni trop jeunes, ni trop vieux, ni trop expérimentés, ni pas assez.
Que ferions-nous? Où en serions-nous si le Phare de la Pensée Taurine ne guidait sans cesse, de sa lueur céleste, omnisciente, omniprésente et infaillible nos errements désespérés, nos défaillances coupables, nos connaissances éparses?
Loin de lui l'habitude de dévoiler les cartels non annoncés, même s'il sait, de source sûre et plus que sûre, que par exemple Frascuelo sera à Orthez: intuition transcendante? Pré-science pataphysique?
Loin de lui l'intention, même passagère, de contester l'exploit d'Aignan qu'il loue avec ardeur avant de conclure perfidement que finalement -o tempora! o mores!- c'est quand même un comble si El Fundi et Escolar Gil s'y produisent.
Du temps d'Ordoñez, de Camino, et à fortiori d'El Gallo, jamais on aurait vu une telle chienlit dans ces "petites arènes" nom de Dieu! (pardon nom de DD!).
Loin de lui le plus petit désir de semer la zizanie en opposant Vic et Aignan, lui le fédérateur de l'observatoire!
Non. Seulement un irrépressible besoin de nous accompagner sur la bonne voie, le chemin juste qui mène à l'Eden taurin, pour nous éviter les bévues et les fourvoiements.
Auparavant le commun des chroniqueurs, pitoyables mortels, se contentait, tant bien que mal, de s'engager avec une objectivité chancelante dans la difficile entreprise d'une reseña approximative.
Fi de tout cela! Place à la tauromachie totale, au Blitzkrieg mundillesque, à l'opinion chirurgicale, qui définit AVANT l'évènement ce qui doit être, ce qui ne doit pas être, ce qui sera, ce qui ne sera pas, ce qui plait, ce qui ne plait pas, ce qui plaira, ce qui ne plaira pas, dans la cadre d'une étude minutieuse et approfondie du "marché", avec budget prévisionnel (et fantaisiste) à l'appui.
Fini le bon vieux temps de la critique et des palabres interminables, DD disperse façon puzzle, DD assène, DD tranche, DD anticipe.
La corrida à Papa, c'est fini, terminé, un souvenir, pire un cauchemar.
Avec le toreo moderne, on prévoit, on anticipe, on programme. Du nombre d’oreille à l’indulto possible tout est calculé, millimétré, paramétré. DD: le grand architecte de l’univers taurin!
Et désintéressé avec ça! La parole est gratuite, objective, en rien guidée par des sympathies parasites ou des accointances suspectes.
Et moderne avec ça! Voyez comme il s’adapte aux exigences de la mondialisation en se faisant le propagandiste de Michelito, un monosabio (traduction: singe savant) de 11 ans qu’on exhibe dans ces pays où l’on n’a pas encore eu le mauvais goût de prohiber l’exploitation pourtant si juteuse des enfants.
En voilà un dont on peut programmer et prédire le succès prochain dans les ruedos français! Pensez donc! «le premier mineur de onze ans (merci pour le pléonasme!) à avoir affronté 6 toros». Et tout ça à cause de qui? De DD et du «précédent d’Hagetmau», qui mobilise le ban et l’arrière ban des juristes aztèques! C’est y pas beau tout ça!
Le tout est de préparer le terrain et de mobiliser l’opinion publique aficionada! Et ceux qui ne sont pas contents: des traîtres, des aigris ou des ayatollahs…
Dans son dernier éditorial (
http://www.terrestaurines.com/forum/actus/edit.php), il atteint des horizons inexplorés, lui le martyr, la victime expiatoire des méchants talibans.
Comment ne comprennent-ils pas, ces hommes de peu de foi, le dévouement, l’abnégation, l’altruisme, le désintéressement, la bienveillance qui guident chaque pas du Saint Rédempteur des ruedos?
Alors foin de ces critiques dérisoires, de ces débats stériles, de ces atermoiements ridicules, de ces divergences suicidaires!
On ne marche bien qu'au pas!
Ne nous refusons pas au bonheur des ruedos heureux, au confort de la lecture et de l'écoute passive, à l'extase de la lobotomie. L'esprit critique appartient à des temps révolus et lointains, dans une antiquité pré-sarkozyste.
Communions avec DD. Sainte Paranoïa priez pour nous.

Xavier KLEIN

BRUNO or not BRUNO?

Quel est l'ignoble salopard qui s'essaie à usurper l'identité de notre Bruno national?
Bruno, le "vrai" s'indigne à juste raison de ce procédé inacceptable.
Nous connaissons tous l'original: écorché vif, prompt à la réplique ravageuse, créateur d'un style éminemment savoureux et quasiment inimitable, auquel je reprocherai seulement une ponctuation des plus hasardeuses, pour ne pas dire souvent inexistante...
Bruno c'est la révolte du coeur et des tripes, c'est une élégance du spleen, c'est une impudeur de la désespérance, tellement nécessaires en des temps où il est de règle de ne parler que de la "positive attitude".
Mais Bruno parle, Bruno écrit, il pourrait, comme beaucoup, se contenter de "roumaguer" son amertume en solitaire, de la transfigurer façon bof, de s'enfermer dans l'aigreur. Bruno la transforme en paroles, en mots qui, par delà l'excès possible ou l'état d'âme parfois morose, laissent percer à tout moment le lumignon tenace de la foi dans l'humain.
Et cela est rare et précieux, tant de gens s'évertuant à soigneusement et illusoirement camoufler, vaille que vaille, leurs failles et ce qu'ils croient être des faiblesses.
Gageons donc que Bruno/Jekyll parvienne à démasquer Bruno/Hide!
SABOTAGE! SABOTAGE!
Qu'on se rassure aussi, les tentatives malfaisantes des anti-taurins ont été déjouées à Orthez.
Ce week-end, trois chênes se sont abattus suite à une récente brisounette aquitaine (135 km/h), mais les arènes ont été épargnées et le Pesqué, si Mithra veut, pourra célébrer Santa Coloma en juillet.
Les conséquences ont été plus funestes pour l'ordinateur portable de votre serviteur, qui a connu quelques avanies (et framboises).
Xavier KLEIN

jeudi 22 janvier 2009

LA LIGNE DU RISQUE

«Il faut savoir risquer la peur comme on risque la mort, le vrai courage est dans ce risque.»

Georges Bernanos, «Le Dialogue des Carmélites»


L’ami Velonero, dans un excellent post de son non moins excellent blog de «L’œil contraire» (http://velonero.blogspot.com/2009/01/nomenclature-en-hommage-aux-victimes-du.html) rappelle les statistiques que développe André Lopez dans sa «Nomenclature en hommage aux victimes du toreo».
Sorti du lieu commun des statistiques «auxquelles on fait dire ce qu’on veut», il faut, comme le met en pratique Velonero, montrer leurs limites (fiabilité des informations, replacement dans le contexte). J’ajouterai qu’il y a aussi nécessité de se questionner sur leur opportunité. J’entends par là le pourquoi de cette information délivrée, telle quelle, à un moment donné.
On ne manquera pas encore de se dire «Mais que va t-il encore chercher là?». Justement, le sens que revêt une information qui n’a rien d’innocent, dans un contexte tout à fait particulier.
Le titre de l’ouvrage est explicite: «Nomenclature en hommage aux victimes du toreo». Il doit aussi être décodé.
Le terme NOMENCLATURE (définition: liste énumérative dressée par une administration, une société, un syndicat, etc., présentant un caractère qualificatif et permettant soit un classement, soit une recherche, soit une référence) joint à celui d’HOMMAGE (définition: marque, témoignage de respect, de reconnaissance, de gratitude envers quelqu'un ou quelque chose) et surtout à celui de VICTIME (Sens antique: animal ou être humain offert en sacrifice à une divinité. Sens religieux: personne qui s'offre à Dieu dans le martyre, dans une vie religieuse de renoncement, d'expiation.) qui porte un signifiant religieux fort (celui de sacrifice) doivent être mis en résonance avec le dernier mot: TOREO.
On notera avec attention qu’on ne parle pas des «victimes des toros», ce qui serait exact et logique, mais de «victimes du toreo». Une telle distinction appellerait une analyse approfondie parce qu’elle porte les données d’un débat de fond essentiel.
Mais pour l’heure, là n’est pas mon propos, il conviendra d’y revenir.
Je me bornerai juste pour titiller la curiosité et la réflexion de l’honorable lecteur, à souligner un caractère «martyrologique» très marqué et à le placer en perspective avec une tendance sociétale qui se développe dans une «thématique de la victime», et dans une argumentation très défensive d’une partie du monde taurin.
«Voyez comme nous souffrons!», «Voyez nos martyrs!», «Voyez comme on nous attaque injustement!». Tout cela procède d’une défense plaintive et justificatrice de la corrida, plutôt que d’une affirmation de valeurs positives et vigoureusement assumée.
En fait tous ces mots recouvrent des réalités tangibles, de celles que nous tutoyons au quotidien, de celles qui concourent à faire de la corrida contemporaine ce qu’elle est et sera, où ce qu’elle n’est pas ou ne sera pas.
L’un des «toreros d’époque» les plus marquants de la période précédent la Guerre Civile est Domingo Ortega. Son nom est synonyme de maîtrise technique, de poder, de dominio absolu. Domingo est le torero puissant par excellence, qui soumet les toros, tous les toros.
Et quels toros! Il ne s’agit pas des sardines, des novillos ou des "quatreños" amoindris qui vont paraître ensuite, victimes bovines et collatérales des ravages de la Guerre Civile. Il ne s’agit pas non plus de la figure expiatoire, tragique, doloriste et somme toute passive incarnée par MANOLETE qui dominera la décade suivante.
Domingo Ortega ne se situe nullement dans le masochisme. Tout au contraire, c’est un grand fauve, un prédateur, l'homme à la volonté et à la main d'acier, qui domine et soumet, dans une jouissance jubilatoire pleinement assumée.
Il est le chantre d’un toreo actif, de mouvement, contre le toreo passif, d’immobilité de Manuel Rodriguez Sanchez MANOLETE. Il n’est pas la victime, il est l’exécuteur. Il est aussi celui qui combat et vainc, non celui qui subit et est sacrifié à Linares.
Ce sont donc deux conceptions de la tauromachie qui, sinon s’opposent, du moins dialoguent et alternent. Les héritiers, évidents à mes yeux, du Calife de Cordoue, se nomment José Tomas ou Sébastien Castella. Comme lui, ils développent des thématiques tragiques, un toreo lunaire à mettre en parallèle avec le toreo solaire et épique d’Ortega, ou de ses successeurs El Juli, El Cid, ou –cela risque de surprendre- Morante de la Puebla.
Les premiers s’ignorent, ignorent leur corps, exaltent la souffrance et l’héroïsme stoïcien démultiplié par le triomphe de l’impavidité de celui dont le corps torturé et sanglant, persiste à s’offrir en victime expiatoire.

Les seconds trouvent leur jouissance, non pas dans la blessure, signe de l’échec (et non de l’épreuve initiatique) mais dans la résolution du problème/toro et dans sa soumission.
Morante de la Puebla ne recherche pas la cornada, c’est le moins que l’on puisse dire, son toreo, très expressif, est éminemment dominateur dans sa conception et vise à réduire l’adversaire. Sa personnalité est celle d’un jouisseur, prématurément empâté par une propension marquée à l’hédonisme, la bonne chère, les liqueurs, les cigares.
Le message transmis n’est pas du tout le même, et il ne sollicite pas les mêmes humeurs, les mêmes émotions.
En soi, la cohabitation de ces formes variées et quasiment antinomiques de corrida n’a rien de dérangeant. Au contraire, elles expriment la diversité et la richesse du phénomène taurin, A CONDITION que l’une d’entre elles ne deviennent jamais la norme obligée.
Le problème et le déséquilibre, proviennent d’un facteur qu’on ne saurait évacuer au risque de priver l’acte taurin de tout le sens qui le justifie. Ce facteur, c’est le RISQUE.
Nous vivons dans une société –occidentale, nantie, consumériste et matérialiste- qui s’évertue désespérément à limiter voire à annuler le risque, c’est à dire à supprimer la référence à deux éléments incontournables de la condition humaine: la souffrance et la mort.
En fait cet acharnement du déni est la traduction de l’angoisse d’une société qui ne veut à aucun prix s’encombrer de «cela». Et corollaire de cet état, comme on veut ignorer absolument que le destin de l’homme est forcément tragique, puisque la petite histoire se termine toujours mal, puisque on ne peut et on ne veut convoquer une réalité pourtant évidente et incontournable, il faut pour chaque tragédie un responsable pour ne pas dire un coupable.
Qu’une erreur de dosage se produise et il faut traquer l’infirmière déficiente, qu’un avion se casse la gueule et il faut dénicher le pilote nécessairement fautif, qu’une canicule, qu’une inondation, qu’une avalanche, qu’un accident de la route, etc. se produisent et il faudra nécessairement qu'une tête coupée, d’un lampiste de préférence, vienne stigmatiser la juste colère de la communauté outragée qui ne se résout plus à l’inévitable, à ce que les anciens dans leur sagesse nommaient le FATUM. Ce doit toujours être «la faute» de quelqu’un, et de préférence de quelqu’un d’autre. Un GI se fait-il dessouder en Irak, "c’est la faute à Oussama", il ne viendrait pas spontanément à l'idée que ce puisse être celle de Bush, et encore moins celle de l'occis lui-même qui s'est librement engagée dans cette galère des sables…
On comprend donc l’intérêt, la fascination et … le rejet que peut générer la corrida puisque le risque même, la confrontation volontaire, programmée et délibérée avec ce à quoi la plupart de nos contemporains veulent échapper, en est l’objet.
La corrida, nous ne cesserons jamais assez de l’affirmer est par nature un acte SUBVERSIF et transgressif.
Mais le demeure t-il vraiment?
La ligne de fracture entre «taurins» et «anti-taurins» n’est-elle pas artificiellement et illusoirement entretenue pour évincer et camoufler celle qui divise réellement, à l’interne de la planète des toros, celle qu’on pourrait nommer la «LIGNE DU RISQUE».
En fait le risque est multiforme: un risque imputable au comportement du toro, à son physique, un risque lié à la nature du toreo, un risque extérieur des conséquences.
Savoir que la moindre erreur sera sanctionnée avec un toro de respect n’est pas la même chose que de pouvoir tout se permettre avec le toro «moderne» quasiment domestiqué par la noblesse.
Affronter un athlète fin, vif, mobile, limpio, n’est pas la même chose qu’un tonton engraissé et afeité.
Savoir qu’une cornada peut se terminer, comme il y a 60 ans, par une douloureuse agonie gangréneuse n’est pas la même chose que les quelques jours d’hôpital qui la sanctionnent de nos jours.
Le risque, le vrai, est un acte de raison et procède d'un désir décidé et informé.

Le risque, le vrai, mobilise la conscience de ses actes, la responsabilité, la réflexion, la lucidité, l'analyse, la décision.

Le risque, le vrai méprise le hasard ou la chance (même s'il prend en compte l'impondérable), il méconnait la témérité, écarte la roulette russe ou l'à peu près, s'érige sur la maîtrise de la technique et le contrôle optimum des éléments.
Le risque, c'est l'intelligence qui se met au service du courage et de l'entreprise, dans un élan dynamique, et dans une pleine et sereine expression du choix et de la liberté de l'Homme.
Le risque c'est la condition de la responsabilité, puisqu'il suppose que chaque acte porte des conséquences.
Les chiffres de Velonero viennent célébrer l’évolution des toros, du toreo et des techniques de soin. Les toreros ne s’y sont pas trompés avec leur hommage statuaire à Sir Alexander Fleming.
D’autres chiffres seraient également éloquents: depuis 20 ans, devant quels toros et avec quels toreros, les cogidas se produisent-elles?
D’instinct je répondrais: avec les toros qu’on ne respecte pas. Ceux qui se confrontent aux toros de respect font attention, se méfient, et se font moins accrocher, sinon quand ils prennent des risques volontaires et délibérés.
La tauromachie devrait être, avant tout, la science et l’art du risque et là est tout le problème. Comment conjuguer une activité répétée et lucrative, avec la permanence d’un risque maximum?
La tentation de la minoration du risque a toujours existée, elle est consubstantielle à la matière taurine. Depuis les origines, les toreros ont pesé sur le choix, la sélection, le morphotype, les caractéristiques morales, l’intégrité des toros. C’est logique et c’est humain.
L’harmonie et l’équilibre vient de ce qu’on leur résiste.
Ce qui est nouveau, c'est qu'une partie du public, entraînée par une certaine presse, plus proche des intérêts et des affects du mundillo, rentre dans ce jeu et rompe l'équilibre.
Contrairement aux fossoyeurs conscients ou inconscients de la tauromachie, ce n’est pas l’art qui constitue la substantifique moelle de l’acte taurin, c’est le huis clôt avec la peur, la souffrance et la mort, c’est le numéro d’équilibriste sur la mince et fatidique ligne du risque. S'il n'existe plus cela, la tragédie taurine devient un farce ou une pantalonnade sans justification réelle.
«Ce que l’on risque révèle ce que l’on vaut»
Xavier KLEIN

lundi 19 janvier 2009

Julian PITT-RIVERS

Dans les années 70, le paseo dans les couloirs de la fac de lettres à Pau prenait une coloration souvent exotique surtout en comparaison avec le conformisme qui tend à y régner maintenant.
Sur les panneaux d’affichage, entre les dazibaos de la Ligue Communiste Révolutionnaire, de la Brigade d’Intervention Prolétarienne et d’Occident Chrétien (on trouvait plutôt ces dernier coté fac de droit!) se réfugiaient parfois quelques informations à vocation plus ou moins universitaire.
Je serai bien en peine de repérer un cèpe sur un gazon anglais (d’ailleurs ces maudits s’échappent à mon approche!), en revanche certains mots, même imprimés en stricts et modestes caractères noirs sur fond de muraille, s’imposent toujours à mon subconscient erratique, comme les néons de Broadway transposés dans le jardin zen du Kennin-Ji à Kyoto.
Au milieu des affiches rouges de poings levés, de caricatures de C.R.S. en armure ou de patrons bedonnants, haut-de-formés et puro au bec, l’annonce des programmes de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, sise en Sorbonne, par son austérité laconienne, faisait figure de faire part mortuaire ou d’ordre de mobilisation générale.
Un certain Julian PITT-RIVERS, universitaire, ethnologue et néanmoins citoyen de Sa Très Gracieuse Majesté, dispensait une série de conférences sur le thème de la tauromachie, dans le temple du savoir gaulois. Bigre!
Sans grand espoir de réponse, j’entrepris de lui écrire, pour informations complémentaires sur le contenu de ses interventions.
Sans m’en douter, j’initiais de la sorte une correspondance qui dura plusieurs années, et un lien qui, pour n’être pas intime, fût empreint de chaleur et d’amitié.
Pur produit de l’Eton College et du Worcester College d’Oxford, Julian Alfred PITT-RIVERS se différencia précocement de ses congénères de la gentry grande-bretonne par l’anticonformisme, la finesse, l’intelligence et surtout l’hétérosexualité.
Descendant d’une lignée d’aristocrates, ses grands ancêtres furent les fameux William PITT, l’Ancien, 1er Comte de Chatham, Premier Ministre de Georges II, qui s’employa si utilement à nous débarrasser du Canada, et surtout l’Honorable William PITT, le Jeune, le plus jeune Premier Ministre qu’ait connu la perfide Albion qui mit un point d’honneur à contrecarrer les visions d’abord révolutionnaires puis napoléoniennes: des archétypes caricaturaux de l’ennemi héréditaire.
En fait, Julian PITT-RIVERS dut vraisemblablement sa vocation à son arrière grand-père le Lieutenant Général Augustus Henry Lane Fox PITT-RIVERS , ethnologue et archéologue de renom, et à son père, George Henry Lane Fox PITT-RIVERS, anthropologue.
Sa révolte contre ce père, interné pendant la deuxième guerre mondiale pour son soutien et son adhésion à la British Union of Fascists d’Oswald Mosley, mit un terme à deux siècles de francophobie familiale, et le prédisposa à un intérêt et une affection soutenus envers ce monde méditerranéen, souvent traité avec condescendance voire avec mépris par les élites d’outre-Manche.

Sir Julian bourlingua de l’Université de Berkeley aux confins du Chiapas, des pueblos andalous aux ports crétois, jusqu’à ce que Claude LEVI-STRAUSS l’invite à Paris.
Julian PITT-RIVERS usait en toute circonstance de cette distinction décontractée, de cet humour décalé et de cette prévenance qui sont le sceau des aristocrates de vieille souche et de verdad.
Quand nous nous rencontrâmes pour la première fois sur le quai d’Austerlitz, il ne fût guère malaisé de l’identifier dans la foule des pas perdus. Sa longue dégaine, ses yeux de porcelaine, sa tignasse chenue consciencieusement échevelée par le vent d’automne, le pantalon de flanelle et le veston de Harris tweed savamment élimés, comme il convient au bon goût qui se défie du clinquant, tout en lui traduisait le gentleman-farmer en exil parisien.
Il m’avait prévenu: «-Vous me reconnaîtrez: j’agiterai un journal» et de puntiller à l’anglaise: «-Vous dérangera t-il que ce soit le Sunday Times? Sa couleur rose sera plus visible». Cette coquetterie n’était rien plus que superfétatoire. Autant demander à un esquimau en anorak fourré de se fondre dans le décor d’un bivouac touareg.
Sir Julian, avec un naturel inimitable et une admirable bonhomie ne s’étonnait de rien et s’émerveillait de tout. En ethnologue inné, il faisait preuve d’une formidable capacité d’adaptation à l’environnement et d’effacement devant ses interlocuteurs, sujets de son étude.
Interpellé avec délicatesse par le ganadero, après la visite de feu l’impressionnant musée consacré à la vie et à l’oeuvre de Juan Carlos Pussacq à Pomarez: «-Toi, tu es un bon, mais tu vas quand même payer ta tournée!», et ayant constaté qu’il n’avait pas sur lui les moyens de financer l’opération, il rétorqua: «-Cher Monsieur, vous êtes sans doute un grand ganadero mais un piètre psychologue!». Ce qui, il faut l’avouer, convenait assez bien au cher Jean Charles, qui dut se faire laborieusement expliciter la saveur de la réplique.
En ethnologue de catégorie et en parfait gentleman, Sir Julian se gardait toujours d’émettre un avis ou d’imposer une opinion, «wait and see» la devise de Winston semblait taillée à ses mesures.
Avec l’air curieux, systématiquement étonné et toujours comblé des jeunes gens qui s’émerveillent des découvertes que chaque instant leur réserve, il promenait sa carcasse dégingandée et légèrement voûtée, dans les tendidos de Castelsarrazin ou le patio de caballo de Dax, en s’intéressant au moindre détail, en questionnant le plus humble protagoniste, comme si sa contribution pouvait faire vaciller des raisonnements assurés de longue date.
Le fond, la forme, la technique et la terminologie ethnologiques, ne sont pas facilement accessibles à la grande masse, c’est le moins qu’on puisse dire. Les conclusions en peuvent s’avérer désarmantes voire choquantes.
Pourquoi se serre t-on la main de la main droite ? Opine t-on en hochant la tête? Faisons-nous la moue ? Ou écrivons de droite à gauche ? Tous ces détails du quotidien, toutes ces manies, ces habitudes, ces rituels inconscients sont observés, décortiqués, analysés, interprétés par les ethnologues pour qui ils recèlent un sens.
Il va de soi que la corrida fourmille de ces gestes éminemment spécifiques, auxquels l’habitude et le conformisme nous désaccoutument d’accorder un regard ou une valeur particulière, mais qui pourtant recèlent des vérités cachées, que nous savons ou ne voulons pas avoir à connaître. Il faut donc accepter que celui qui exerce un regard entraîné à discerner les choses cachées, puisse perturber nos certitudes, bousculer nos convictions profondes. Tout le monde n’est pas prêt à l’accepter, tant les remises en cause et la peinture de ce que nous sommes et de ce que nous faisons en réalité diverge du regard rassurant que nous aimons à poser sur nous-mêmes.
Julian PITT-RIVERS vint à Dax pour nous parler du sens profond d’une passion dont nous croyions la pureté, la vérité, et la motivation des plus élevées et inaltérables.
Beaucoup déchantèrent et souvent pas ceux auxquels on pense. Les jugements pour la plupart allaient de «masturbations cérébrales» à «mais où va t-il chercher tout ça?» en couvrant toutes les nuances du déni, de l’indignation ou de la révolte.
Comme dans beaucoup de situations, ce sont les gens les plus simples -souvent les plus ouverts-, qui sortirent d’une conférence tumultueuse en se questionnant sur ce qu’ils avaient appris d’eux-mêmes de la bouche d’un chercheur de renom.
Mi-vexé, mi-contrit de la tempête ainsi déchaînée et de réactions que je pensais irrespectueuses envers un grand esprit qui nous offrait l’opportunité d’accéder à d’autres horizons, je m’en excusais auprès de Sir Julian, sur le quai de la gare.
Plongeant un regard azur subitement sérieux, il me confia: «- Vous n’avez à vous excuser de rien, et surtout pas d’une des plus magnifiques causeries que j’ai pu donner. J’ai rarement rencontré un public plus sincère, réactif et ouvert avec innocence à un discours objectivement traumatisant. Je reviendrai avec plaisir.».
Sir Julian n’est jamais revenu, nous avons continué à correspondre, je l’ai visité à Paris et dans sa «masure» de Dordogne (un manoir du XIIIème), mais de temps à autres, des amis m’interpellent pour me rappeler cette fameuse conférence qui avait tant fait gloser.


Xavier KLEIN
Dans un prochain article, j’essaierai de résumer les thèses travaillées et exposées par Julian PITT-RIVERS

jeudi 15 janvier 2009

DE SOUS LA COUETTE 2: LE DISCOURS DE SALAMANQUE

«Je sais tes oeuvres: tu n'es ni froid ni bouillant. Que n'es-tu froid ou bouillant!
Mais parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche.
»

Apocalypse III 15, 16
Ce matin la moiteur utérine de la couette était peuplée de la certitude amère que l'activité neuronale n'était qu'une bien mince prothèse à la puissance des exigences de notre viande.
Allez penser, allez rêver, allez vous projeter quand la morve vous coule au nez et que l'éternuement compulsif ébranle votre cervelle!
Le coup de téléphone d'un proche m'a rappelé à mes errements coupables. Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire m'interroge t-on?
Assurément, mais sont-elles bonnes à entendre?
De même, il n'est point de questions indiscrètes, il n'y a que les réponses qui peuvent l'être.
Je voudrais compléter le dernier article en disant tout mon respect pour ceux qui s'engagent, quel que soient les engagements, y compris si ces engagements ne correspondent nullement à mes options ou à mes convictions.
Je ne suis pas d'accord, loin s'en faut avec les communistes, mais c'est parmi eux que j'ai compté le plus d'amitiés, car leur fidélité à un idéal, leur dévouement et leur désintéressement m'ont toujours paru des plus admirables, surtout dans un monde où l'individualisme et la défense de l'intérêt personnel sont semble t-il devenus de règle.
L'engagement avec rectitude et fermeté dans une voie, voilà toute l'affaire.
Non pas un engagement aveugle et inconséquent, mais la capacité de faire des choix clairs, informés et décidés, de prendre position.
Que voyons-nous à l'oeuvre aujourd'hui:
L'indifférence (ne pas se sentir concerné)
La lâcheté (refuser de choisir ou de se positionner par peur des conséquences
L'opportunisme (s'investir par intérêt)
La duplicité (courir plusieurs lièvres à la fois, ménager la chèvre et le chou)
Je suis profondément attaché à la culture espagnole parce qu'elle a toujours témoigné d'une attirance toute particulière pour les comportements extrêmes.
Don Quijote va jusqu'au bout de sa folie chevaleresque, comme Thérèse d'Avila va jusqu'au bout de sa folie mystique, Don Juan de sa folie amoureuse, Lope de Aguire (ou la colère de Dieu) de sa folie de conquête, le colonel Masagual dans Fiesta d'après le roman de José Luis de Villalonga de sa folie décadente: «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus cons!»
A ce propos, le plus bel exemple d'engagement nous vient du philosophe Miguel de Unamuno. Un engagement total, sage, serein, courageux et désespéré.
Le 12 octobre 1936, Unamuno, recteur de l'université de Salamanque, auteur de ce texte magnifique qu'est: «Le Sentiment tragique de la vie» est requis d'autorité pour prendre la parole en présence de l'épouse du Caudillo lors d'une cérémonie en l'honneur de la Vierge du Pilar (sic). Le public est choisi, la salle est bourrée de phalangistes, de soldats, de légionnaires avec à leur tête le Teniente General fondateur de la Bandera, la Légion Etrangère espagnole, José Millan Astray. On impose au vieil homme les discours haineux, les vociférations, les insultes, les slogans ponctués de saluts fascistes.
Miguel de Unamuno prend la parole avec la dignité et le courage d'un vieillard qui n'a rien à perdre, la lucidité et la vigueur d'un penseur qui voit sous ses yeux la barbarie au travail. Sous les «Viva la muerte!» et les «Mueran los intelectuales!», il parle avec calme et sérénité. Millan-Astray pointe son pistolet sur Miguel de Unamuno en hurlant: «¡Muera la inteligencia! ¡Viva la muerte!»
Unamuno quitte l'estrade sous escorte, sous les huées et les insultes.
Il fût évidemment limogé et assigné à résidence par le franquisme et mourrut peu après de «tristesse et d’écoeurement». Il ne reste trace de son discours censuré. Il reste seulement une photo (ci-dessous). Miguel de Unamuno a écrit et pensé sur la corrida. Nul doute qu'il savait aussi bien que la plus grande des figuras ce que signifie «aguantar» ou «avancer la jambe»... Aujourd'hui, nous connaissons la grâce de ne risquer aucunement ce que risquait alors Don Miguel. Pourtant combien peuvent avoir son courage et la paisible lucidité d'un Socrate buvant la ciguë plutôt que de se renier?
C'est vraiment marrant tous ces gens, qui avec bienveillance, cela va de soi, vous appellent régulièrement à un sage abandon, à une prudente réserve, à une raisonnable démission.
Comme si ce qui les dérangeait ne tenait pas tant à votre destin, ce dont ils se foutent vraisemblablement comme de l'an 40, mais plutôt à la quiétude de leur bonne conscience, qui pourrait ainsi se taper une méridienne non troublée par des scrupules inopportuns.
Leur parlez-vous d'afeitado?: «Mais bon, tu le sais bien, nul n'est parfait, il faut savoir accepter des menus accommodements».
Evoquez-vous le prix des places?: «Ce sont des logiques économiques contre lesquelles nous ne pouvons pas grand chose»
Parlez-vous choix d'élevages?: «Le public a ses raisons que la raison ne connaît pas. Après tout nous sommes une minorité d'aficionados, la majorité a des droits.»
Abordez-vous «l'indultite»?: «Tu connais mon sentiment, mais peut-on avoir raison contre tout le monde?»
A ce dernier propos, il faut désormais s'inquiéter de son expansion logarithmique, suite à la temporada sud-américaine. Et les mêmes grands esprits qui vilipendaient hier les fâcheux qui s'offusquaient de la chose, commencent eux-mêmes à s'émouvoir de sa systémisation. Il est maintenant toutefois prouvé que ce sont bien les professionnels qui ont exporté cette mode, comme ils l'avaient promu cet été.
Voilà donc un autre signe des temps: dire tout et son contraire pour rester assuré d'avoir toujours raison. Il est des sites particulièrement conviviaux et honnêtement pensants où tout un chacun pourra toujours trouver à boire et à manger quelque soit son régime.
Compromission et démission sont les mamelles de la France sarkozyste.
Le mensonge, la mauvaise foi et la duperie sont désormais des instruments de gouvernement incontournables. Mais n'en sommes-nous pas responsables puisque nous l'acceptons et ne disons rien? Super Nicolas n'est pas la maladie, il n'en est que le symptôme, comme le bubon dévoile la peste.
Les virus, c'est en nous que nous les portons: lâcheté, indifférence, opportunisme, veulerie.
Il serait quelquefois temps de ne pas célébrer la résistance que dans des commémorations hypocrites, au pied des stèles, mais de la vivre dans ses actes.
«Mais parce que tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche»
Xavier KLEIN



Reconstitution du discours de Salamanque (12 octobre 1936) de Miguel de Unamuno
«Vous êtes tous suspendus à ce que je vais dire. Tous vous me connaissez, vous savez que je suis incapable de garder le silence. En soixante treize ans de vie, je n’ai pas appris à le faire. Et je ne veux pas l’apprendre aujourd’hui. Se taire équivaut parfois à mentir, car le silence peut s’interpréter comme un acquiescement. Je ne saurais survivre à un divorce entre ma parole et ma conscience qui ont toujours fait un excellent ménage. Je serai bref. La vérité est davantage vraie quand elle se manifeste sans ornements et sans périphrases inutiles. Je souhaite faire un commentaire au discours, pour lui donner un nom, du général Millan Astray, présent parmi nous. Laissons de côté l’injure personnelle d’une explosion d’invectives contre basques et catalans. Je suis né à Bilbao au milieu des bombardements de la seconde guerre carliste. Plus tard, j’ai épousé cette ville de Salamanque, tant aimée de moi, sans jamais oublier ma ville natale. L’évêque, qu’il le veuille ou non, est catalan, né à Barcelone. On a parlé de guerre internationale en défense de la civilisation chrétienne, il m’est arrivé jadis de m’exprimer de la sorte. Mais non, notre guerre n’est qu’une guerre incivile. Vaincre n’est pas convaincre, et il s’agit d’abord de convaincre; or, la haine qui ne fait pas toute sa place à la compassion est incapable de convaincre… On a parlé également des basques et des catalans en les traitant d’anti-Espagne; eh bien, ils peuvent avec autant de raison dire la même chose de nous. Et voici monseigneur l’évêque, un catalan, pour vous apprendre la doctrine chrétienne que vous refusez de connaître, et moi, un Basque, j’ai passé ma vie à vous enseigner l’espagnol que vous ignorez. (Premières interruptions, «Viva la muerte!» etc) Je viens d’entendre le cri nécrophile «Vive la mort» qui sonne à mes oreilles comme «A mort la vie!» Et moi qui ai passé ma vie à forger des paradoxes qui mécontentaient tous ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire avec toute l’autorité dont je jouis en la matière que je trouve répugnant ce paradoxe ridicule. Et puisqu’il s’adressait au dernier orateur avec la volonté de lui rendre hommage, je veux croire que ce paradoxe lui était destiné, certes de façon tortueuse et indirecte, témoignant ainsi qu’il est lui-même un symbole de la Mort. Une chose encore. Le général Millan Astray est un invalide. Inutile de baisser la voix pour le dire. Un invalide de guerre. Cervantès l’était aussi. Mais les extrêmes ne sauraient constituer la norme. Il y a aujourd’hui de plus en plus d’infirmes, hélas, et il y en aura de plus en plus si Dieu ne nous vient en aide. Je souffre à l’idée que le général Millan Astray puisse dicter les normes d’une psychologie des masses. Un invalide sans la grandeur spirituelle de Cervantès qui était un homme, non un surhomme, viril et complet malgré ses mutilations, un invalide dis-je, sans sa supériorité d’esprit, éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés. Le général Millan Astray ne fait pas partie des esprits éclairés, malgré son impopularité, ou peut-être, à cause justement de son impopularité. Le général Millan Astray voudrait créer une nouvelle Espagne -une création négative sans doute- qui serait à son image. C’est pourquoi il la veut mutilée, ainsi qu’il le donne inconsciemment à entendre. (Nouvelles interruptions «A bas l’intelligence!» etc.) Cette université est le temple de l’intelligence et je suis son grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. Malgré ce qu’affirme le proverbe, j’ai toujours été prophète dans mon pays. Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque: la raison et le droit dans votre combat. Il me semble inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne. J’ai dit. »
AJOUT: Lire aussi l'article de Yannick OLIVIER sur CyR: http://camposyruedos2.blogspot.com/2007/01/le-discours-de-salamanque.html

DE SOUS LA COUETTE 1

Depuis deux jours je défuncte.
Toux qui déchire les bronches, sinus plus engorgés que la N10 une veille de vacances, cabeza cougourdesque, ratiches que l'on compte une par une -y compris celles tombées depuis lurette au champ d'honneur de la roulette- et festival de castagnettes sous les grelottages intensifs.
La totale vous dis-je! Avec toutes les options d'une grippe de cérémonie, de celles qui vous rappelle avec bonheur que nous sommes bien peu de choses ma bonne dame!
Cultivant l'hédonisme (tendance Montaigne), je m'emploie par réflexe salvateur à toujours trouver un aspect positif aux évènements, même ceux qu'on pourrait supposer néfastes.
La maladie engendre souvent, une propension à la spiritualité. Elle vient réveiller en nous les vieilles peurs, de celles qui obligent à penser pour ne pas demeurer dans le fantasme.
Car n'est-ce pas cela être civilisé et conscient: substituer la parole à la pulsion?
Une fois n'est pas coutume, j'ai envie de titiller quelques-uns des amis lecteurs de ce blog, non pas dans un esprit de provocation, mais pour leur donner à penser.
En effet, cela fait quelque temps que je lis avec amusement sur pas mal de blogs amis, une propension croissante à afficher, de manière ostentatoire, des professions de foi anti-religieuses.
Comme si l'athéisme ou l'irreligion faisait naturellement partie du package de la modernité engagée, les impétrants se laissent souvent aller au plaisir subtil et assassin de l'allusion complice, comme s'il était évident et naturel que leur convictions soient universellement admises et partagées. Comme si l'athéisme n'était pas aussi une forme de croyance aussi peu fondée par les faits que le déisme (il est aussi impossible de prouver l'existence de Dieu que son inexistence!).
N'ayant jamais remarqué de propos particulièrement pro-religieux ou proselytes sur les susdits blogs, j'en tire le constat qu'il y aurait a priori une droit et une légitimité naturelle à exposer son athéisme, son scepticisme ou son agnosticisme alors que toute prise de position dans le sens opposé serait scandaleuse. En d'autres termes, quelles seraient les réactions si quelqu'un «d'en face» se permettait de se positionner avec autant de certitude et de mâle assurance?
Or il se fait que bien que ma nature profondément laïque (séparation des champs de la conviction personnelle et de l'action publique) y répugne profondément, je me trouve dans la bien triste mais indispensable obligation de confesser mon appartenance obstinée à l'église catholique, apostolique et romaine.

Eh oui cher amis, il en reste encore de ces entêtés tenants de l'obscurantisme et de la superstition!
Ceci dit, si l'on veut bien sortir des poncifs (croisades, Inquisition, etc.) ou des caricatures pour entrer avec subtilité dans le sujet, la position n'est guère inconfortable.
Le problème de notre époque c'est l'acculturation et la pensée sommaire et trop souvent réduite au slogan. Je suis historien de formation et la pratique de cette sciences nous apprend différents petits détails superfétatoires: séparer ce qui relève du fait et ce qui relève de l'opinion, ne pas porter de jugement moral, replacer dans le contexte. On apprend également que la manière dont on écrit l'histoire et dont on l'enseigne n'est ni neutre, ni innocente.
Ainsi, il est vain et stupide de juger des hommes du passé avec les critères et les jugements de valeur des hommes d'aujourd'hui. Tout au plus peut-on juger, avec infiniment de discernement et de prudence de leurs actes.
Je participais il y un an à un colloque sur la colonisation et l'esclavage et sur la manière la plus appropriée de les enseigner. Comment expliquer de manière rationnelle à nos chères têtes blondes que les heures de gloire de la colonisation ont été portées par la gauche française, de Jules Ferry «le tonkinois» à François Mitterrand, apôtre de la «pacification» dans l'Algérie française?
Dans un autre registre, comment leur faire comprendre que les «hussards noirs», le fer de lance (nullement andalouse) de la République laïque et progressiste ont largement et consciencieusement conditionné les jeunes esprits de la Belle Epoque à leur rôle de chair à canon dans le splendide carnage de 14? Verdun s'est préparé dans les salles d'école...
Comme tous les protagonistes de la vie politique peuvent réclamer leur prix à la grande tombola de l'imposture historique, qui se souvient encore que le PC, «parti des 75000 fusillés (en fait il n'y en eût pas plus de 4000), à commencé la guerre de 39 en appelant les conscrits à mettre la crosse en l'air, puis l'a poursuivie par une demande d'autorisation de publication de l'Humanité auprès des autorités allemandes d'occupation?
Eh oui! Jusqu'à la rupture du pacte germano-soviétique, Adolphe et Joseph (Georges) marchaient la main dans la main, y compris pour dépecer la pauvre Pologne.
Le mensonge historique ne s'arrête pas là. Les français ont toujours eu du mal à regarder, les yeux dans les yeux, leur histoire. Ce n'est pas le moindre de leur charme, mais passées les frontières, cela prête souvent à sourire.
Ainsi, la laïcité à la gauloise, célébrée comme une valeur universelle et la panacée à tous les maux de l'intolérance, ne l'est qu'en France. C'est un concept typiquement et uniquement français. Encore n'est-il pas appliqué partout sur notre territoire. Plusieurs de nos terroirs y échappent: le régime concordataire survit en Alsace-Moselle, la charia à Mayotte, mais aussi une multitude d'exceptions en Guyane, Polynésie, Saint Pierre et Miquelon, Nouvelle Calédonie ou Wallis et Futuna.
Pourquoi la France s'est-elle ainsi distinguée d'autres pays de même tradition catholique (Espagne, Italie, Autriche)? Il faut en chercher l'origine dans l'acte fondateur que constitue la Révolution Française et dans la manière dont on l'a «mis en histoire».
Il faut même remonter aux sources du christianisme qui présente une originalité de taille par rapport aux autres monothéismes. En effet pour le monde chrétien, les textes fondamentaux de la Bible sont d'INSPIRATION divine, alors que pour l'islam et le judaïsme, ils représentent des textes DICTES par Dieu. Les Evangiles (Bonne Nouvelle) sont, tant par leur contenu que par leur forme, et a fortiori par leur appellation, à la fois un témoignage et un écrit apologétique. Ils peuvent donc être objet d'interprétation et de critique, ce qui n'est pas le cas pour les juifs ou les musulmans. Le christianisme est ainsi ouvert aux évolutions, que rien n'empêche dans les textes fondateurs.
La séparation entre le spirituel et le temporel est présente dans le christianisme dés les origines et se fonde entre autres sur le célèbre «Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu.» Matthieu XXII,21.
C'est une véritable révolution dans un monde où toute différenciation entre le domaine du politique et celui du religieux est absolument inconcevable dans la mentalité et la pensée antique.
C'est la récupération politique du christianisme par le pouvoir impérial sous Constantin et Justinien qui fonde une confusion entre les deux pouvoirs dans une fusion cesaropapiste.
Toute l'histoire de la «Chrétienté» depuis cet épisode politique jusqu'au siècle dernier restitue la longue lutte entre le pouvoir temporel (empereur, roi) et le pouvoir spirituel (papauté) pour parvenir à la situation contemporaine.
Cette évolution s'est traduite par une succession de conflits (Guelfes et Gibelins, gallicanisme et ultramontanisme, papauté avignonnaise, etc.) et de crises (Renaissance, Réforme, Lumières).
Une autre erreur fondamentale est de considérer l'Eglise comme monolithique. Là aussi, depuis les prémices, l'église montre une grande diversité de visages, de points de vue et de pratiques. L'église des pauvres de Saint François d'Assise, de St Vincent de Paul, de l'Abbé Pierre ou de Soeur Théresa a toujours plus ou moins bien cohabité avec une église mystique (Maître Eckart, Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse d'Avila) ou une église des prélats et des puissants. Sans entrer dans de complexes traités de théologie, des oeuvres cinématographiques comme «Mission», «La controverse de Valladolid» ou «Le nom de la Rose» témoignent de ces différentes perceptions et de ces tensions internes au christianisme.
C'est la Révolution qui institue en France la rupture entre le catholicisme et l'idée républicaine.
Quand les représentants du clergé se rendent aux Etats Généraux, ils se répartissent entre haut et bas clergé. Une forte minorité du premier est plutôt favorable aux réformes. Imbibés de l'esprit des Lumières, cultivés et conscient qu'une évolution doit se faire jour, des grands prélats comme Jérôme Champion de Cicé, Anne Louis Henri de La Fare (initiateurs de la déclaration des Droits de l'homme), emmenés par Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun seront des chevilles ouvrières de la Révolution en marche.
Mais c'est le mouvement du Bas Clergé très sensible à la condition du peuple et qui selon les critères actuels était très majoritairement «à gauche» qui par son ralliement au Tiers Etat, déclenche la Révolution. L'église de France, gallicane et progressiste prend toute sa place dans l'Histoire.
L'abbé Sièyès, l'abbé Grégoire, Jean-Baptiste Pierre Saurine, Anne Alexandre Marie Thibault deviennent dès lors des personnages centraux du mouvement révolutionnaire. Ils entretiennent l'enthousiasme des débuts, notamment lors de la nuit de l'Abolition des Privilèges (4 août 1789) où ils jouent un rôle clef.
Le problème, c'est que la Révolution s'emballe et commence à «dévorer ses enfants». Une première crise éclate avec la promulgation de la «Constitution Civile du Clergé», c'est à dire une fonctionnarisation du clergé et une mainmise affirmée du politique sur le spirituel. Cette position est inacceptable pour de nombreux catholiques qui, pourtant, adhéraient aux objectifs originels de la Révolution. La France cléricale se scinde entre prêtres jureurs et réfractaires. Les derniers qui refusent de prêter serment au nom de leur loyauté envers la papauté, se voit poursuivis, emprisonnés, mis à mort.
La crise s'accélère avec la Terreur de la Commune de Paris, les délires de Robespierre, et l'oeuvre de déchristianisation de l'an II. Les églises sont fermées et sécularisées, les prêtres déportés ou assassinés, les religieux contraints à abjurer leurs vœux, les croix et images pieuses détruites, les fêtes religieuses interdites, les agendas supprimés, les tombaux royaux ou des saints sont profanés et l'interdiction du culte public et privé imposée. On institue le culte de l'Être Suprême. Ils n'y ont pas été avec le dos de la cuillère les camarades sans-culottes, tout en finesse et en subtilité!
Tout cela ne va pas sans conséquences. Les zones périphériques se révoltent. La Bretagne et la Vendée se soulèvent. Des représentants en mission (Fouché, Tallien, Couthon, Collot d'Herbois, Fréron, etc.) appliquent une répression terrible et sanglante dans les provinces. Les «colonnes infernales» du Général Turreau se livrent à de véritables génocides.
En 4 ans, de 1789 à 1793, les excès d'une infime minorité d'ultras parisiens ont rejeté une communauté catholique initialement favorable aux idées nouvelles, dans le giron de la contre-révolution durant tout le XIXème siècle et posé les bases d'un conflit qui va empoisonner la difficile marche de la France vers la démocratie. Il faudra la séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905 pour sortir de cette longue opposition et voir les catholiques se rallier à la République.
Il est assez amusant de constater la fierté des français pour la «Grande Révolution» en contraste des regards des autres européens qui y voient surtout, un abominable et inutile bain de sang qui a conduit à une dictature militaire. Ailleurs on a également su régler ces problèmes, avec moins d'hémoglobine, de souffrances, de conflits.
Nous vivons sur une série de mythes fondateurs mensongers dont nous n'avons jamais vraiment su sortir pour considérer sereinement notre histoire.
Les prises de positions françaises confinent souvent au ridicule tellement la croyance prévaut sur la réalité.
Ainsi en fût-il du débat sur les «racines chrétiennes de l'Europe», qui m'a semblé surréaliste. Car il incarnait un déni absolu de réalité.
Que notre continent fût durant plus de 6 siècles profondément modelé par le christianisme n'est pas une opinion, c'est un fait.
Que les valeurs auxquelles nous nous référons soient un héritage direct du christianisme n'est pas une opinion, c'est un fait.
Ces valeurs chrétiennes ont d'ailleurs tellement pénétrées nos esprits, nos systèmes, nos lois, que la plupart de nos contemporains se trouve dans l'incapacité d'en reconnaître l'origine.
Je suis républicain, social et laïque et j'assume l'héritage de la République, ses bienfaits et ses erreurs, la colonisation, les guerres, les pleins pouvoirs donnés à Pétain, la lâcheté de Munich ou l'abandon de la Pologne.
Je suis français et j'assume l'héritage de la patrie qui m'a vu naître, qui m'a nourri, qui m'a transmis son histoire, sa culture, le long et sinueux parcours effectué par les rois, les serfs, les bourgeois, les prolétaires depuis l'aube du sentiment national. Je célèbre ceux qui se sont levés, ont lutté, ont cru à un destin commun, qu'ils s'appellent Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Louis XI, Henri IV, Louis XIV, Molière, Voltaire, Condorcet, Danton, Bonaparte, Hugo, Louise Michel, Zola, Jaurès, Clémenceau, Blum, Mendes France, De Gaulle, etc.
Je suis un homme et j'assume l'héritage de mes pères, avec ses aspects positifs et négatifs. J'assume à parité le patrimoine de l'humanité, d'Auschwitz au Mahatma Gandhi, de l'immonde au sublime.
Je suis catholique et j'assume l'héritage et la foi de mes frères, dans le doute, dans le questionnement, dans la remise en cause, sans chercher à l'imposer pour autant.
Je suis catholique et je milite pour le mariage des prêtres, le ministère des femmes, une théologie du plaisir, une religion centrée sur l'accueil et l'ouverture à l'autre, sur le partage.
Le Christ n'est pas le chromo d'un blondinet au yeux bleus, mais celle d'un charpentier aux mains calleuses, qui fréquente les putes, les mauvais garçons, les salauds, les abandonnés, les utopistes, et qui ne cesse de voir en eux des chefs d'oeuvres d'humanité.
Si la collaboration, l'esclavage ou la torture en Algérie ne me rendent pas indigne d'être français, pourquoi l'Opus Dei, Torquemada, ou Giordano Bruno me rendraient-ils indigne d'être catho?
Quand donc en finirons-nous avec l'infantilisme d'une pensée bipolaire et manichéenne? Avec l'illusion que nous avons le monopole du bien penser, du bien agir, de la bonne conscience. Contre Sartre, j'affirme que l'enfer (et le paradis), c'est nous même. Refuser notre part sombre, c'est refuser notre humanité et se mentir.
Quand donc cesserons-nous enfin de considérer ce qui nous sépare pour aller à la rencontre de l'altérité et entendre de l'Autre sa différence et sa richesse?
Pour moi, c'est cela le grand idéal humaniste, et sur cela tous peuvent s'accorder.



Xavier KLEIN

mercredi 14 janvier 2009

LE CLIP QUI DECHIRE

Merci à Pierre, toujours à l'affût, pour le clip de l'année. à consulter d'urgence avant censure.
http://www.leclipquidechire.com/video/large/clip_l.html

vendredi 9 janvier 2009

RAUL VELASCO

"Seul est digne de la vie celui qui chaque jour part pour elle au combat."
Goethe
Il faut absolument lire le blog de Florent.
Pourquoi?
Parce ce qu'il dit est fin, intelligent, pertinent et en outre remarquablement écrit, ce qui le pare de qualités rares de nos jours. Surtout parmi les contemporains de son âge qui maîtrisent mieux un langage SMS pitoyable que les canons de notre belle langue. En outre, Florent est un jeune homme, la nouvelle génération d'aficionados.
On ne peut que se réjouir de vivre une époque qui, en dépit de la crise économique, en dépit du réchauffement planétaire, en dépit des incertitudes, permet techniquement à un talent de se révéler et de s'exprimer. Il y a 20 ans, avant l'avènement d'internet et des blogs, on aurait méconnu Florent.
C'eût été bien fâcheux.
Ambitionner ainsi la maîtrise du fond comme de la forme est un heureux présage pour l'avenir.
En ce qui concerne l'article sur Raul Velasco, il confirme d'autres échos qui se multiplient.
Le dernier en date provient d'Adolfo Rodriguez Montesinos, ganadero de troisième zone pour les pitoyables tenants d'un toro moderne inconsistant. Homme d'honneur, de conviction et autorité incontestée en matière de Santa Coloma pour ceux qui ne se contentent pas des produits de supermarchés et pensent que la corrida est et doit demeurer un combat.
Toros du lot d'Adolfo Montesinos
J'ai discuté hier avec Adolfo, qui justement me disait combien il avait été impressionné par la fougue, la motivation et l'art de Velasco, à plusieurs reprises, et notamment devant ses propres toros.
Il en est pour qui, les toreros sont trop vieux, trop expérimentés, trop jeunes, trop inexpérimentés, trop ci, trop ça. En fait, pas du tout conformes avec le cursus du bon petit torero, lui aussi moderne. Bientôt on exigera un CV, une lettre de motivation et des diplômes dûment délivrés par l'académie Chopera ou le cours Jalabert.
Pauvre Manuel Benitez! Pauvre Rafaël de Paula! Ils sont légions ceux qui selon ce type d'argumentation fallacieuse, n'auraient pas leurs places dans les arènes.
Ou bien faut-il, comme nous y a cordialement enjoint un ex torero retraité, lors de la dernière réunion de l'Association des organisateurs de corridas et novilladas du Sud-Ouest, nous résoudre à nous entourer du conseil avisé des apoderados pour un choix du bétail adapté au niveau des chères têtes blondes de la novilleria française.
En clair, ce n'est plus au toreros de s'adapter au toros mais le contraire.
On prétend désormais régenter les choix des organisations: ce qu'il convient de montrer et ce qu'il faut bannir.
On croit rêver!
Comment? Le choix personnel, le libre arbitre, l'engagement, ce vent âpre et sauvage de liberté dans ce qui reste l'un des derniers espaces de risque et d'aventures de notre société devrait être endigué, contenu, réglementé, régenté au nom d'une soumission à une hypocrisie morale ou pire à une imposture intellectuelle?
La corrida parle AUSSI ET SURTOUT de combat, de mort, de souffrance, de peur. Elle ne saurait être le gentil étalage de platitude artistique, devant des gentils toros pour un gentil public qu'on veut nous faire consommer passivement.
Si certains se refusent à cette vérité fondamentale, se réfugient dans la duperie, celle qui consiste à penser et à dire qu'un spectacle (définition du dictionnaire: ce qui se montre, s'exhibe, s'expose au regard) tel que la corrida ne saurait s'accommoder du voyeurisme (terme de psychologie: action d'assister et de regarder un spectacle érotique ou morbide).
Au risque de choquer ceux des lecteurs qui restent sur des conceptions moralisatrices, je le postule: oui l'aficionado est un voyeur!
Il y a ceux qui l'assument et en sont conscients et il y a ceux qui refusent de reconnaitre ce qui se niche et vît dans le secret de leur âme, ou qui cherchent désespérément à le camoufler sous des mots creux ou des contre-vérités moralement et socialement acceptables.
Avec Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud, mais aussi Jack London, Ernest Hemingway et tant d'autres chercheurs de vérités, il faut revendiquer une certaine humanité, celle d'une vérité intérieure complexe qui fait le deuil de la morale pour se regarder telle qu'elle est, sans fards et sans complaisance.
Raul Velasco veut décider de son destin, il choisit une voie de vie. Il veut se battre et connaitre l'intensité des émotions, il veut dévorer à pleine dents la chair pulpeuse du risque, connaître l'ivresse du danger. En lui s'affrontent Eros et Thanatos, la pulsion de vie et la pulsion de mort, comme depuis l'aube des temps.
Et puis un homme qui décide à Madrid de se couper la colleta séance tenante parce qu'il considère qu'il a démérité est un joyau de pundonor qu'il faut célébrer.
Heureux Florent qui a su percevoir cela!
D'autres restent aveugles et sourds.
Xavier KLEIN

lundi 5 janvier 2009

MILITANCE

«La haine est sainte. Elle est l’indignation des cœurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise»

«Mes haines» d’Emile Zola

Peut-on parler de «militance» en matière taurine?
D’une part, on peut considérer, que ce soit à l’échelle de notre quotidien d’individus, ou à celle de petits humains noyés dans une masse de milliards d’humains, qu’il y a dans la vie des priorités plus urgentes, des nécessités plus impérieuses que de s’engager dans une cause somme toute périphérique, pour une activité marginale (combien de gens sont concernés par la tauromachie sur cette planète?), qui relève en outre du divertissement. N’y aurait-il pas là un parfum de dérisoire, comme ces supporters ou ces fans qui se suicident parce que leur équipe est éliminée ou parce que leur idole a passé l’arme à gauche?
Que diable! Il y a nombre de combats éminemment plus essentiels dans la vie! L’ami Bruno le rappelle régulièrement, à juste raison. Nous ne les énumèrerons pas. La liste en serait trop longue…
C’est d’ailleurs l’un des arguments que l’on emploie à l’encontre des anti-corridas: que ne vous préoccupez-vous du destin de l’Homme avec la même intensité, que de celui des animaux?
D’autre part, les quidams que nous sommes peuvent-ils espérer avoir individuellement quelque influence sur les grands problèmes qui, de tous temps à jamais, agitent l’humanité? Que pouvons-nous envisager, au risque du désespoir, pour conserver l’illusion d’agir sur le réchauffement de la planète, l’inégalité des conditions, l’injustice, les guerres, l’oppression du genre humain, etc., etc., etc.
Nous en sommes donc réduits à tourner nos regards vers ce qui nous semble à notre dimension. La corrida et son «mundillo» constituent un espace dans lequel, aussi petits que nous soyons, nous pouvons encore exister, en tant qu’individus. De plus, ne nous méprenons pas, les enjeux y recouvrent, sans doute plus qu’ailleurs, tant les grandes problématiques actuelles, que des débats éternels et fondamentaux sur la condition humaine.
S’impliquer dans la «défense et l’illustration» de la tauromachie, c’est incontestablement poser un nombre quasiment illimité de questions primordiales: définition de l’homme, de l’humanité et de l’animalité, de la nature et de la culture, de la place de la mort et de la souffrance dans nos vies et dans notre société, du rapport à l’art, à l’économie, à la loi (loi écrite, loi morale, loi symbolique), des relations entre les pouvoirs (centralisateurs –nationaux ou européens- et locaux), de la prise en compte des différences, des identités ou traditions locales, de la place et du rôle de la presse, le «quatrième pouvoir».
Tout cela n’est pas rien! Tout cela prend également une forme tout à fait concrète, que nous pouvons appréhender et sur laquelle nous pouvons légitimement et raisonnablement influer.
On ne peut sans doute pas rêver de réformer le Fond Monétaire International ou la Banque Mondiale, on peut en revanche s’opposer, avec quelques espoirs de succès, à l’envahissement de la tauromachie par une logique uniquement commerciale. C’est une perspective qui reste à notre portée.
Il n’est ni innocent, ni gratuit, de relever dans nombre de blogs, articles après articles, commentaires après commentaires, la polarisation des colères et des protestations contre les propos et, disons le tout net, l’action de certains journalistes ou «observateurs». Pour autant, il me paraît aussi que peu de bloggeurs ne vont, et je le comprends, jusqu’au bout de cette logique. Certes, il n’est ni pertinent, ni réaliste, d’adopter un discours «réactionnaire». Ce faisant, on ne se situe pas dans le développement de ses idées, mais l’on réagit au discours de «l’autre», que l’on place ainsi au centre.
Mais si l’on se refuse au «dialogue» (étymologiquement «échange entre 2 ou plusieurs personnes») ou à la confrontation, on prend dés lors le risque de l’enfermement et du sectarisme.
Le feu roulant à boulets rouges contre certaines «bêtes noires», ne me semble nullement préjudiciable, ni pour les intéressés, qui prennent sciemment, du moins on l'espère, le risque de s'exposer à la critique, ni pour le débat taurin qui ne peut qu'y gagner en substance. C'est d'ailleurs une vieille tradition que ces disputes théologiques, du contentieux sur le sexe des anges ou de la «controverse de Valladolid» à la «bataille d'Hernani» ou du long et implacable conflit entre communistes et surréalistes durant l'entre deux guerres. Ce qui manque le plus de nos jours est à l'opposé, l'absence quasi totale de débats ou de confrontations intelligentes et argumentées entre les Jean Paul Sartre et les Raymond Aron ou les Albert Camus. Bien entendu, la corrida ne saurait prétendre à l'altitude de ces débats. Quoique! Ce qui est en jeu réellement dépasse l'argument primairement taurin et touche à l'universel.
Il importe au contraire d’enfoncer et de réenfoncer le clou, avec une ténacité qui porte, car elle dérange et dérange d’autant plus, que là se noue le problème. Etant donné le mode de fonctionnement d’un blog, où la durée de vie de l’information et d’un article s’avère très éphémère, il n’est pas dérangeant d’entretenir le feu sous l’alambic pour que la distillation soit continue.
Tout cela n’est après tout pas si grave. Ce genre de «disputes» et de controverses fait partie du folklore taurin, et en bons méridionaux, nous avons le goût et l’habitude des paroles flamboyantes et définitives, dont nous ne sommes jamais complètement dupes. Avec l’humour, le détachement et la courtoisie qui doivent rester de mise, mais avec vigueur et régularité, il faut espérer que nous sachions persister dans une critique justifiée et répétitive des errements actuels.
Les blogs taurins «underground» connaissent une audience grandissante et représentent un danger dont témoigne régulièrement le discours, pour le coup si souvent réactif, de leurs antagonistes. La critique leur est insupportable parce qu’elle est le plus souvent justifiée, parce qu’elle rencontre un nombre grandissant d’échos, enfin et surtout parce qu’elle remet en cause un monopole et une légitimité qu’ils pensaient incontestés.
La presse et les medias constituent en effet, très clairement, les vecteurs par lesquels un «complexe taurino-industriel» (comme on parle en d’autres lieux de complexe militaro-industriel) s’efforce, par tous les moyens, de formater le goût du public.
Qu’est ce qui, pour la grande majorité du public d’une corrida, oriente sa perception? De quel outil le spectateur lambda, qui veut se faire une «honnête opinion», sans pour autant s’engager dans la voie de la passion, dispose t-il?
Il y a certes les discussions de comptoirs entre aficionados, mais elles ne concernent le plus souvent que les 10% de spécialistes et de passionnés, qui en outre, lisent la presse spécialisée et consultent les blogs.
Il y a également les tertulias organisées par quelques peñas. Elles s’adressent le plus souvent à un public intéressé mais en général plus néophyte. Elles permettent à ce dernier de se faire une idée sur ce qu’ils ont vécu, à condition que les intervenants ne se prennent pas au sérieux, ne jouent pas aux docteurs de la loi, exposent des ressentis ou des points de vue diversifiés et critiques (et non des vérités révélées), ne soient pas inféodés à l’organisation, respectent la perception, quelle qu’elle soit, des participants.
Le mépris que beaucoup d’aficionados autoproclamés se flattent d’afficher à l’endroit des tertulias est bien souvent inconséquent voire stupide et prétentieux. Il faut savoir si l’on veut partager, échanger, parfois instruire, où si l’on préfère en laisser le monopole aux médias. Il est tous cas bien dommage que des associations de passionnés démissionnent et renoncent à leur fonction la plus utile et la plus noble, l’éducation, pour ne se complaire que dans la facilité égoïste d’une agence de voyages au campo. On ne peut pas se contenter de s’offusquer d’un indulto réclamé par 90% du public et se refuser aux moyens d’en faire évoluer les représentations.
Il y a enfin la presse écrite et télévisée. Il convient de distinguer les organes généralistes et la presse spécialisée. Qui regarde la télévision espagnole sinon les 10% d’aficionados qui veulent consentir des investissements relativement onéreux? Il reste donc les télévisions régionales actuellement sous la tutelle de l'église officielle du «toreo moderne rédempteur pour tous».
En ce qui concerne la presse écrite, il en va de même. 90% du public se réfère, en Aquitaine, à la reseña de «La voix du mundillo», canal historique (Journal Sud-ouest). Information hautement objective, désintéressée et critique, comme tout un chacun le sait.
A part cela, dans les kiosques d’une petite bourgade comme Orthez (au hasard), on ne trouve qu’une unique publication, dont le titre, paraît-il, commence par «Terres» et termine par «taurines». On n’est plus dans la frappe chirurgicale, mais dans le bombardement en tapis, puisque cette revue, luxueuse et instructive au demeurant, surabonde dans tous les tabacs-presse et chez tous les libraires. On ne saurait trop être prévoyant!
L’offre en matière de critique taurine se résume donc, pour 90% du public, aux opinions contestables (et contestées) d’un ou deux journalistes, ou prétendus tels, dans la mesure où ils n’ont reçu aucune formation technique ou éthique dans ce sens.
La situation ne serait nullement sujette à caution, si ces braves plumitifs se contentaient simplement de faire de l’information, le plus objectivement possible.
Exprimer des opinions serait certes parfaitement respectable, dans le cadre de journaux spécialisés, mais il existe néanmoins, de facto, une situation de monopole de l’information généraliste, en parfaite contradiction avec la Constitution française en général, et la déontologie journalistique en particulier. Car ces beaux messieurs ne se contentent pas de manier l’information à leur gré, ils s’impliquent à corps perdus et sans états d’âmes dans l’entreprise de promotion tendancieuse et éhontée d’une certaine tauromachie. C’est, répétons le, un droit indiscutable et indiscuté, c'est aussi une responsabilité que l'on voudrait voir exercée avec objectivité et pondération.
S’opposer à une excessive commercialisation de la fiesta brava, à sa normalisation, à la disparition prévisible et programmée de sa diversité et d’une partie de son patrimoine, promouvoir l’originalité et la variété des toros et des toreos, défendre une éthique d’intégrité et de vérité des toros et de la lidia ne sont peut être pas des actes fondamentaux de démocratie, mais ils constituent, à n’en pas douter, des actes de résistance à une tendance générale d’appauvrissement de la pensée et de normalisation des esprits. Ce sont de ces pierres que se bâtit le mur de la liberté, qui, comme chacun devrait le savoir, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Et la pierre angulaire de ce mur, c’est une presse libre, indépendante et critique.
Pour conclure sur une note d’humour, cette histoire que me rapporta un copain russe, réfugié politique dans les années 80. Trois chiens se rencontrent. Le premier, français, nommé Krazucki interpelle les autres: «Ce matin, j’ai dû aboyer pendant une demie heure avant qu’on me serve ma viande.». Le second un chien polonais du nom de Walesa: «C’est quoi la viande?». Le troisième, russe, Sakharov: «C’est quoi aboyer?».
Pour n’avoir jamais à poser la troisième question, sachons nous montrer parfois un peu militants. On ne peut demeurer éternellement dans la plainte, il s’agit quelquefois de s’engager. Les autres n’ont pas de ces pudeurs, ils agissent eux, sans scrupules et sans états d’âmes!

Xavier KLEIN