«[…] aujourd’hui les toros de corrida constituent un produit de civilisation, une fabrication industrielle comme les parfums Coty ou les automobiles Ford. On fabrique les toros que souhaite le public.»
Juan Belmonte
L’un des grands thèmes de la lutte juridique qui a opposé tenants et opposants de la corrida depuis plus de 150 ans fût complètement lié à la nature domestique ou sauvage du toro de lidia.
A ce sujet on peut utilement se reporter à l’ouvrage de Dimitri MIEUSSENS: «L’exception corrida: de l’importance majeure d’une entorse mineure. La tauromachie et l’animal en France» 2005, l’Harmattan. L’interrogation du fait taurin, avec intelligence et finesse, sous l’angle juridique, permet d’élargir et de diversifier la réflexion.
On sait que la loi, nullement anticipatrice, vient consacrer, souvent avec retard, un rapport de force ou un état de fait.
Les lois qui se sont préoccupées des rapports entre homme et animal portent telles des archives, l’évolution des conceptions et des idées.
La loi a longtemps distingué deux statuts, et donc deux traitements différents: celui de l’animal DOMESTIQUE et celui de l’animal SAUVAGE.
L’un des problèmes pour le législateur a été de classer le toro dans l’une de ces deux catégories. Mais il faut souligner que, par delà la lexicographie, c’est à l’essence même du fait taurin, en son protagoniste le plus incontournable, le toro, que l’on accède.
Quelle définition peut-on donner à DOMESTIQUE?
L’expression «animal domestique» (mais elle concerne aussi le végétal) recouvre plusieurs notions. Domestique provient du latin domesticus, du radical domus: la maison. Est domestique ce qui vit sous le toit de l'homme.
Le sens commun serait donc: «Choisi, cultivé, élevé par l'homme, qui vit dans son entourage pour l'aider, le distraire, le nourrir.»
Il s’appliquerait ainsi à:
1°) toute espèce qui a une relation régulière avec l'espèce humaine, voire qui a subi une évolution avec cette relation.
2°) aux animaux de compagnie (d’espèces domestiquées ou non) qui vivent dans la proximité de l’homme.
3°) tous les animaux faisant l'objet d'un élevage sélectif.
4°) les animaux apprivoisés, sauvages par leur nature, mais qui ont été soumis par l’homme et vivent dans son entourage (exemple: éléphants d’Asie). Y sont aussi assimilés les animaux tenus en captivité, tombés au pouvoir de l’homme et retenus par lui sous la contrainte.
Certaines espèces commensales de l'être humain (vivant dans son voisinage et en fonction de ses activités), comportent dans leur dénomination l'adjectif domestique comme le moineau domestique.
Selon le code de l’environnement, un animal domestique est un animal appartenant à: «une espèce qui a fait l’objet d’une pression de sélection continue et constante (c'est-à-dire qui a fait l'objet d'une domestication). Ceci a permis la formation d’un groupe d’animaux qui a acquis des caractères stables, génétiquement héritables» (instruction NP/94/6 du 28 octobre 1994).
Au sens juridique, l’animal domestique recouvre, pour l’heure, «les êtres animés qui vivent, s’élèvent, sont nourris, se reproduisent sous la surveillance de l’homme et par ses soins».
En revanche, l’état sauvage est défini par opposition à l’état domestique. L’animal sauvage est celui qui ne répond pas à ces critères, c’est-à-dire qu’il est sans maître, donc n’appartient à personne (res nullius) et vit à l’état de liberté naturelle.
L’article 211-5 du Code Rural précise que sont considérées comme espèces animales non domestiques, celles qui n’ont pas subi de modifications de la part de l’homme.
A ce sujet on peut utilement se reporter à l’ouvrage de Dimitri MIEUSSENS: «L’exception corrida: de l’importance majeure d’une entorse mineure. La tauromachie et l’animal en France» 2005, l’Harmattan. L’interrogation du fait taurin, avec intelligence et finesse, sous l’angle juridique, permet d’élargir et de diversifier la réflexion.
On sait que la loi, nullement anticipatrice, vient consacrer, souvent avec retard, un rapport de force ou un état de fait.
Les lois qui se sont préoccupées des rapports entre homme et animal portent telles des archives, l’évolution des conceptions et des idées.
La loi a longtemps distingué deux statuts, et donc deux traitements différents: celui de l’animal DOMESTIQUE et celui de l’animal SAUVAGE.
L’un des problèmes pour le législateur a été de classer le toro dans l’une de ces deux catégories. Mais il faut souligner que, par delà la lexicographie, c’est à l’essence même du fait taurin, en son protagoniste le plus incontournable, le toro, que l’on accède.
Quelle définition peut-on donner à DOMESTIQUE?
L’expression «animal domestique» (mais elle concerne aussi le végétal) recouvre plusieurs notions. Domestique provient du latin domesticus, du radical domus: la maison. Est domestique ce qui vit sous le toit de l'homme.
Le sens commun serait donc: «Choisi, cultivé, élevé par l'homme, qui vit dans son entourage pour l'aider, le distraire, le nourrir.»
Il s’appliquerait ainsi à:
1°) toute espèce qui a une relation régulière avec l'espèce humaine, voire qui a subi une évolution avec cette relation.
2°) aux animaux de compagnie (d’espèces domestiquées ou non) qui vivent dans la proximité de l’homme.
3°) tous les animaux faisant l'objet d'un élevage sélectif.
4°) les animaux apprivoisés, sauvages par leur nature, mais qui ont été soumis par l’homme et vivent dans son entourage (exemple: éléphants d’Asie). Y sont aussi assimilés les animaux tenus en captivité, tombés au pouvoir de l’homme et retenus par lui sous la contrainte.
Certaines espèces commensales de l'être humain (vivant dans son voisinage et en fonction de ses activités), comportent dans leur dénomination l'adjectif domestique comme le moineau domestique.
Selon le code de l’environnement, un animal domestique est un animal appartenant à: «une espèce qui a fait l’objet d’une pression de sélection continue et constante (c'est-à-dire qui a fait l'objet d'une domestication). Ceci a permis la formation d’un groupe d’animaux qui a acquis des caractères stables, génétiquement héritables» (instruction NP/94/6 du 28 octobre 1994).
Au sens juridique, l’animal domestique recouvre, pour l’heure, «les êtres animés qui vivent, s’élèvent, sont nourris, se reproduisent sous la surveillance de l’homme et par ses soins».
En revanche, l’état sauvage est défini par opposition à l’état domestique. L’animal sauvage est celui qui ne répond pas à ces critères, c’est-à-dire qu’il est sans maître, donc n’appartient à personne (res nullius) et vit à l’état de liberté naturelle.
L’article 211-5 du Code Rural précise que sont considérées comme espèces animales non domestiques, celles qui n’ont pas subi de modifications de la part de l’homme.
L'article R411-5 du Code de l'Environnement dispose: «Sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n'ont pas subi de modification par sélection de la part de l'homme.»
Le toro de lidia, à l’évidence, quelque soient les acceptions, ne peut donc être juridiquement, comme au sens commun assimilé à un animal sauvage.
Espèce bovine endémique et autochtone, comme il y en existe des dizaines en Europe, son évolution a été complètement dirigée et orientée par l’homme pour développer des caractéristiques spécifiques, génétiquement stables.
D’autres races bovines plus spécialement «combatives» ont existées, ou continuent d’exister dans de multiples lieux de la planète, de l’Angleterre à la Pologne, de l’Inde à Madagascar.
S’il y a lieu de proposer une comparaison, ce serait avec les chiens dont certaines races ont été délibérément développées dans une orientation ou une fonction particulière: protection, compagnie, chasse à des gibiers spécifiques. L’agressivité du pitbull, du dogue, du doberman ou du berger allemand sont le résultat de plusieurs siècles de sélection.
On peut donc imaginer de transformer un échantillon sélectionné de bretonnes ou de blondes d’Aquitaine en bétail brave en 200 ou 300 ans.
Certes il vaut mieux partir de propensions ou d’aptitudes particulières (mais non exceptionnelles), mais c’est parfaitement concevable.
Comme ses congénères mansos, les bravos dépendent de facto de l’homme pour sa nutrition, sa reproduction et sa fonction.
Au risque de rompre le charme romantique du «campo», l’immense majorité des ganaderias stockent leurs novillos et leurs quatreños dans des corrales ou des cercados, aisément accessibles à l’acheteur, qui n’ont pas grand chose à voir avec la poésie des grands espaces, mais beaucoup avec l'élevage de bétail de viande.
C’est que le toro est un bien qu’il convient de surveiller attentivement pour éviter les pertes ou les dégradations, de même qu'il faut pouvoir le présenter à l'hypothétique acheteur.
L’argumentation qui consiste à défendre l’état NATURELLEMENT sauvage du bétail brave me semble donc être fallacieuse, voire même carrément mensongère.
On a simplement cultivé et développé une caractéristique particulière, qui a pu exister chez beaucoup d’autres races bovines où l’on s’est au contraire employé à les amoindrir pour en favoriser d’autres (corpulence, production de viande ou de lait, aptitude à la traction, adaptation à un milieu particulier, etc.). A moins que la dite race n'ait été sacrifiée car jugée impropre ou insuffisamment productive au regard de la caractéristique recherchée.
L’histoire vient d’ailleurs le confirmer. L’Espagne est un des lieux les plus anciens d’occupation humaine, et l’un des plus antiques foyers de civilisation. Les espaces dont sont issus les races braves, marismas andalouses, plateau d’Extrémadure et de Castille, Aragon, Bardenas Reales, sont habités, cultivés, «civilisés» depuis plus de 2000 ans par les Celtibères, les Carthaginois, les Grecs, puis les Romains et les Maures, les Goths et autres Vandales. Cela fait belle lurette, que le bétail bovin y fait objet de propriété et qu’il n'y existe plus de zones vierges ou désertées par l’homme.
La présence des toros n’y était nullement l’effet d’une survivance de races sauvages miraculeusement préservées dans des zones inaccessibles, mais l’exploitation optimale d’espaces plus difficilement gérables par l’homme, dans le cadre d’un élevage extensif.
Tant l’évolution, l’existence, que le cadre de vie des toros de lidia contemporains sont parfaitement et complètement artificiels et culturels.
D’où viennent donc cette illusion et ce fantasme savamment entretenus?
Ils sont avant tout le fruit de l’argumentation déployée depuis un siècle et demi pour justifier l’existence de la corrida.
Cette argumentation tend à faire croire que l’agressivité et la violence du toro de combat sont la conséquence de sa "sauvagerie naturelle". Le toro serait par essence, depuis l’origine, naturellement agressif.
Or nous avons vu que 1°) le toro est un animal domestiqué, donc élevé. 2°) On a développé et cultivé une caractéristique certes existante, mais nullement déterminante et pérenne puisque la même caractéristique a été supprimée chez des races similaires.
L’actuelle «sauvagerie» du toro de lidia est donc un phénomène artificiel et non un phénomène naturel.
Cette réalité est corroborée par les différenciations existantes entre les divers encastes actuels, en fonction des objectifs et des modes de sélection et d’élevages de ceux-ci. Si un toro de Zaballos se montre plus sauvage qu’un Victoriano del Rio, c’est parce que l’éthique et les objectifs de ces deux élevages sont aux antipodes et que les critères de sélection diffèrent. De même, on fait actuellement procès à Victorino Martin «d’adoucir» la sauvagerie de ses saltillos, donc d’opérer sa sélection sur des critères différents et de privilégier l’élément noblesse.
Pourquoi alors la «planète toro», mundillo et aficion confondus, se cramponnent-ils donc avec une telle ténacité à un argumentaire qui s’apparente à un déni de la réalité?
Parce que l’aveu de la réalité est socialement, culturellement et surtout moralement difficile voire impossible dans le contexte contemporain.
L’expression de la sauvagerie contrevient radicalement aux normes éthiques d’une société occidentale imprégnée de concepts moraux tels que le bonheur, la compassion, la non-violence, etc.
Non pas que la sauvagerie et la violence soient exclues de ces sociétés, elles s’y manifestent autant qu’ailleurs, même si elles s’y dissimulent, s’y transforment, s’y camouflent. Mais parce que ces sociétés ne savent plus les regarder en face, avec lucidité et absence de culpabilité.
Cela n’a pas toujours été le cas. Et les anciens savaient parfaitement accepter une évidence que nous refusons. «Homo homini lupus» (L’homme est un loup pour l’homme) de Plaute repris par Hobbes exprime notre vérité profonde.
Que le moindre accident individuel ou collectif de notre histoire intervienne pour faire sauter les gardes-fous et ces réalités que nous voulons refouler désespérément, jaillissent et fleurissent avec luxuriance. Comment expliquer autrement Auschwitz, les dérives de la prison irakienne d’Abou Ghraib, les excès des hooligans dans les stades ou les crime, délits ou incivilités qui ponctuent notre quotidien, si nous persistons à nier cette part constituante de notre humanité?
Le fait de sélectionner une caractéristique moralement condamnable (la violence et l’agressivité) dans l’unique objectif de divertir ou de satisfaire le plaisir de l’Homme, ce que les latins nommaient voluptas, est donc devenu une vérité inavouable.
Il faut que le toro soit «naturellement» sauvage pour ne pas admettre que cette sauvagerie existe de notre fait.
Le problème, c’est que cette réalité, évidente pour la majorité de nos contemporains, nous est placée sous le nez par les adversaires déclarés de la corrida, et que le déni de la langue de bois taurine est destructeur à terme parce qu’il ne convainc pas.
On peut certes continuer à s’en persuader, façon méthode Coué, sans se remettre en cause, mais il ne faut alors plus s’étonner que pièce par pièce, le démembrement de la tauromachie s’impose inéluctablement (à commencer par la Catalogne), car la victoire dans la bataille des idées ne saurait s'imposer par la duperie.
Je postule quant à moi, une explication extrêmement contestable, mais totalement inédite.
La PRODUCTION artificielle de la sauvagerie chez le toro de lidia serait le déplacement, l'image, le reflet de la sauvagerie que l'Homme se refuse à considérer en lui même, et qu'il préfère incarner et produire dans un «autre» non humain.
Ce qui intéresse donc l'être humain est donc de considérer dans un animal «transitionnel», cette sauvagerie qui le fascine tant, en ce que son humanité supposée se fonde sur son renoncement.
L'Homme est sensé être civilisé parce qu'il est sensé avoir renoncé à la sauvegerie. Un des textes fondateurs de l'humanité, «l'Epopée de Gilgamesh» et surtout la geste de son double Enkidou, racontent cette séparation primale de la sauvagerie pour accéder à l'humanité. Plus près de nous le mythe de Tarzan/Lord Greystoke reconduit la question.
Le problème est que si la part consciente de l'Homme veut rompre avec la sauvagerie, toute sa part inconsciente, par nature, s'y oppose.
L'Homme vit donc dans un déchirement permanent entre ce qu'il est et ce qu'il croit ou veut être.
Le toro brave nous entretient de cette histoire, et c'est précisemment pour cela qu'il doit exister, comme témoin d'une réalité douloureuse et inavouée.
Plutôt que de nier dans le toro la sauvagerie que nous y perpétuons, et dans notre désir de corrida, la part d'une ombre qu'elle porte, nous ferions mieux de l'assumer avec sérénité.
Confrontés à des anti-taurins, je ne cherche jamais à nier ou à me réfugier derrière des arguties, j'assume: «Oui je sais et je considère ma barbarie potentielle. Et vous, connaissez-vous la vôtre, ou préférez-vous persister à l'ignorer?».
Le toro de lidia, à l’évidence, quelque soient les acceptions, ne peut donc être juridiquement, comme au sens commun assimilé à un animal sauvage.
Espèce bovine endémique et autochtone, comme il y en existe des dizaines en Europe, son évolution a été complètement dirigée et orientée par l’homme pour développer des caractéristiques spécifiques, génétiquement stables.
D’autres races bovines plus spécialement «combatives» ont existées, ou continuent d’exister dans de multiples lieux de la planète, de l’Angleterre à la Pologne, de l’Inde à Madagascar.
S’il y a lieu de proposer une comparaison, ce serait avec les chiens dont certaines races ont été délibérément développées dans une orientation ou une fonction particulière: protection, compagnie, chasse à des gibiers spécifiques. L’agressivité du pitbull, du dogue, du doberman ou du berger allemand sont le résultat de plusieurs siècles de sélection.
On peut donc imaginer de transformer un échantillon sélectionné de bretonnes ou de blondes d’Aquitaine en bétail brave en 200 ou 300 ans.
Certes il vaut mieux partir de propensions ou d’aptitudes particulières (mais non exceptionnelles), mais c’est parfaitement concevable.
Comme ses congénères mansos, les bravos dépendent de facto de l’homme pour sa nutrition, sa reproduction et sa fonction.
Au risque de rompre le charme romantique du «campo», l’immense majorité des ganaderias stockent leurs novillos et leurs quatreños dans des corrales ou des cercados, aisément accessibles à l’acheteur, qui n’ont pas grand chose à voir avec la poésie des grands espaces, mais beaucoup avec l'élevage de bétail de viande.
C’est que le toro est un bien qu’il convient de surveiller attentivement pour éviter les pertes ou les dégradations, de même qu'il faut pouvoir le présenter à l'hypothétique acheteur.
L’argumentation qui consiste à défendre l’état NATURELLEMENT sauvage du bétail brave me semble donc être fallacieuse, voire même carrément mensongère.
On a simplement cultivé et développé une caractéristique particulière, qui a pu exister chez beaucoup d’autres races bovines où l’on s’est au contraire employé à les amoindrir pour en favoriser d’autres (corpulence, production de viande ou de lait, aptitude à la traction, adaptation à un milieu particulier, etc.). A moins que la dite race n'ait été sacrifiée car jugée impropre ou insuffisamment productive au regard de la caractéristique recherchée.
L’histoire vient d’ailleurs le confirmer. L’Espagne est un des lieux les plus anciens d’occupation humaine, et l’un des plus antiques foyers de civilisation. Les espaces dont sont issus les races braves, marismas andalouses, plateau d’Extrémadure et de Castille, Aragon, Bardenas Reales, sont habités, cultivés, «civilisés» depuis plus de 2000 ans par les Celtibères, les Carthaginois, les Grecs, puis les Romains et les Maures, les Goths et autres Vandales. Cela fait belle lurette, que le bétail bovin y fait objet de propriété et qu’il n'y existe plus de zones vierges ou désertées par l’homme.
La présence des toros n’y était nullement l’effet d’une survivance de races sauvages miraculeusement préservées dans des zones inaccessibles, mais l’exploitation optimale d’espaces plus difficilement gérables par l’homme, dans le cadre d’un élevage extensif.
Tant l’évolution, l’existence, que le cadre de vie des toros de lidia contemporains sont parfaitement et complètement artificiels et culturels.
D’où viennent donc cette illusion et ce fantasme savamment entretenus?
Ils sont avant tout le fruit de l’argumentation déployée depuis un siècle et demi pour justifier l’existence de la corrida.
Cette argumentation tend à faire croire que l’agressivité et la violence du toro de combat sont la conséquence de sa "sauvagerie naturelle". Le toro serait par essence, depuis l’origine, naturellement agressif.
Or nous avons vu que 1°) le toro est un animal domestiqué, donc élevé. 2°) On a développé et cultivé une caractéristique certes existante, mais nullement déterminante et pérenne puisque la même caractéristique a été supprimée chez des races similaires.
L’actuelle «sauvagerie» du toro de lidia est donc un phénomène artificiel et non un phénomène naturel.
Cette réalité est corroborée par les différenciations existantes entre les divers encastes actuels, en fonction des objectifs et des modes de sélection et d’élevages de ceux-ci. Si un toro de Zaballos se montre plus sauvage qu’un Victoriano del Rio, c’est parce que l’éthique et les objectifs de ces deux élevages sont aux antipodes et que les critères de sélection diffèrent. De même, on fait actuellement procès à Victorino Martin «d’adoucir» la sauvagerie de ses saltillos, donc d’opérer sa sélection sur des critères différents et de privilégier l’élément noblesse.
Pourquoi alors la «planète toro», mundillo et aficion confondus, se cramponnent-ils donc avec une telle ténacité à un argumentaire qui s’apparente à un déni de la réalité?
Parce que l’aveu de la réalité est socialement, culturellement et surtout moralement difficile voire impossible dans le contexte contemporain.
L’expression de la sauvagerie contrevient radicalement aux normes éthiques d’une société occidentale imprégnée de concepts moraux tels que le bonheur, la compassion, la non-violence, etc.
Non pas que la sauvagerie et la violence soient exclues de ces sociétés, elles s’y manifestent autant qu’ailleurs, même si elles s’y dissimulent, s’y transforment, s’y camouflent. Mais parce que ces sociétés ne savent plus les regarder en face, avec lucidité et absence de culpabilité.
Cela n’a pas toujours été le cas. Et les anciens savaient parfaitement accepter une évidence que nous refusons. «Homo homini lupus» (L’homme est un loup pour l’homme) de Plaute repris par Hobbes exprime notre vérité profonde.
Que le moindre accident individuel ou collectif de notre histoire intervienne pour faire sauter les gardes-fous et ces réalités que nous voulons refouler désespérément, jaillissent et fleurissent avec luxuriance. Comment expliquer autrement Auschwitz, les dérives de la prison irakienne d’Abou Ghraib, les excès des hooligans dans les stades ou les crime, délits ou incivilités qui ponctuent notre quotidien, si nous persistons à nier cette part constituante de notre humanité?
Le fait de sélectionner une caractéristique moralement condamnable (la violence et l’agressivité) dans l’unique objectif de divertir ou de satisfaire le plaisir de l’Homme, ce que les latins nommaient voluptas, est donc devenu une vérité inavouable.
Il faut que le toro soit «naturellement» sauvage pour ne pas admettre que cette sauvagerie existe de notre fait.
Le problème, c’est que cette réalité, évidente pour la majorité de nos contemporains, nous est placée sous le nez par les adversaires déclarés de la corrida, et que le déni de la langue de bois taurine est destructeur à terme parce qu’il ne convainc pas.
On peut certes continuer à s’en persuader, façon méthode Coué, sans se remettre en cause, mais il ne faut alors plus s’étonner que pièce par pièce, le démembrement de la tauromachie s’impose inéluctablement (à commencer par la Catalogne), car la victoire dans la bataille des idées ne saurait s'imposer par la duperie.
Je postule quant à moi, une explication extrêmement contestable, mais totalement inédite.
La PRODUCTION artificielle de la sauvagerie chez le toro de lidia serait le déplacement, l'image, le reflet de la sauvagerie que l'Homme se refuse à considérer en lui même, et qu'il préfère incarner et produire dans un «autre» non humain.
Ce qui intéresse donc l'être humain est donc de considérer dans un animal «transitionnel», cette sauvagerie qui le fascine tant, en ce que son humanité supposée se fonde sur son renoncement.
L'Homme est sensé être civilisé parce qu'il est sensé avoir renoncé à la sauvegerie. Un des textes fondateurs de l'humanité, «l'Epopée de Gilgamesh» et surtout la geste de son double Enkidou, racontent cette séparation primale de la sauvagerie pour accéder à l'humanité. Plus près de nous le mythe de Tarzan/Lord Greystoke reconduit la question.
Le problème est que si la part consciente de l'Homme veut rompre avec la sauvagerie, toute sa part inconsciente, par nature, s'y oppose.
L'Homme vit donc dans un déchirement permanent entre ce qu'il est et ce qu'il croit ou veut être.
Le toro brave nous entretient de cette histoire, et c'est précisemment pour cela qu'il doit exister, comme témoin d'une réalité douloureuse et inavouée.
Plutôt que de nier dans le toro la sauvagerie que nous y perpétuons, et dans notre désir de corrida, la part d'une ombre qu'elle porte, nous ferions mieux de l'assumer avec sérénité.
Confrontés à des anti-taurins, je ne cherche jamais à nier ou à me réfugier derrière des arguties, j'assume: «Oui je sais et je considère ma barbarie potentielle. Et vous, connaissez-vous la vôtre, ou préférez-vous persister à l'ignorer?».
Xavier KLEIN
http://fr.wikipedia.org/wiki/Animal_domestique_en_droit_français
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/054000297/0000.pdf
10 commentaires:
Brillantissime démonstration et langage nouveau dans un milieu compassé.
Enfin une argumentation convainquante!
Je suis prof en fac à Nanterre, je suis régulièrement vos articles. J'aimerai vous contacter pour confronter nos idées et organiser une conférence.
Comment faire?
Luc
Xavier, effectivement je ne crois pas non plus que qualifier de "sauvage" le toro bravo soit justifié et judicieux et j'ai donc tort d'employer parfois le mot "fauve" pour le désigner. Sa sauvagerie résiderait seulement dans son aptitude à ne pas décolérer pour les meilleurs d'entre-eux, ceux que l'on recherche et que tu vas nous programmer à Orthez...
Je ne sais plus quel revistero de "TOROS" avait défini ainsi ce qu'était selon lui la caste : "la marque du toro qui ne décolère pas" ce que je trouve assez juste.
Par contre j'ai un peu de mal à considérer que la fascination refoulée pour la sauvagerie soit l'inventaire principal de ce qui nous ammène à l'arène mais accessoire certainement, oui. Derrière quand même ce que nous dit du fameux passage dans l'autre monde, ce condensé du trajet de vie avec cette mort qui rôde et peut nous prendre à tout moment, et donc cette jouissance intensément éprouvée d'y échapper pour l'instant, cette conscience du "sentiment tragique de la vie" et aussi l'aspect cathartique, fameuse libération des refoulements et purgation des passions. Mais effectivement tout cela s'interpénètre. J'ai senti pour ma part s'opérer un glissement d'identification au fil du temps : si plus jeune j'ai pu m'identifier au torero à qui je donnais délégation d'être pour moi vaillant, courageux, intrépide, adroit, etc, je suis maintenant ce toro qui sort et qui bien vite, quels que soient sa force, sa bravoure, son intelligence, son adaptation au combat va s'affaiblir jusqu'à perdre la vie en cet intense et si poignant raccourci de l'existence. C'est donc lui maintenant qui m'interroge sur mon propre trajet et la façon dont je vais en sortir. Montcouquiol ne disait pas autre chose l'autre soir et je pense que s'il a été tant applaudi à ce moment là, c'est que les auditeurs présents se sont aussi reconnus.
Ton article me fait penser à un des miens (bien moins brillant, je suis sincère, car je n'ai pas ta culture)paru à l'époque dans la vénérable revue sus-citée et que je vais de ce "pianotage de clavier" mettre en ligne pour illustrer ce qu'on appelle le "rebond bloggosphérique"
Bravo et à bientôt, donc...
J'avoue que je ne m'attendais pas à l'aficion, ou la tauromachie, à leurs approches, aux notions de "brave", de "sauvage", appréhendées et développées sous cet angle, et avec cette rigueur !
Surprenant ! Et passionnant !
De quoi se remettre en cause sur des certitudes que l'on croyait bien ancrées....
Sans remettre en cause cette passion qui donne à la vie l'attrait dont seuls les aficionados peuvent et savent se griser
Oser dire, et non pas avouer car cela relèverait d’un sentiment honteux qui n’a pas lieu d’être, que nous assumons une passion qui peut paraître sauvage, c’est ni plus ni moins se regarder en face, et comme vous le dites, c’est ne pas l’ignorer et donc que l’on chemine sur la connaissance de soi. Ce qui n’est pas un mince travail. C’est pour cela que j’éprouve beaucoup de mal a m’intéresser à la mode actuelle des préceptes orientaux vis à vis de la condition humaine, et que je leur préfère ceux des peuples des amériques centrales et du sud, ou, à mon niveau de connaissance, l’anti-spécisme est moins flagrant et donc l’acceptation de soi est moins fondée sur la culpabilisation. Car c’est bien le sentiment de culpabilisation outrancière que vous abordez. On peut le constater avec les idées comme développées il y a quelques temps sur France-culture par un invité des matinales, qui affirmait que l’homme détruit la nature parce qu’il se haït, sous entendu, si « tu ne te haïs pas, laisse la nature tranquille ». Si le Grand Architecte (Dieu, la Nature, le Hasard, peu importe) nous a placé la, omnivore, avec une part de sauvagerie et de sentiment, c’est que telle est notre place dans la chaîne d’union de la Vie. Pourquoi vouloir aller contre cela en voulant enfouir des plaisirs, en voulant ne manger que de l’herbe ? Je suis depuis longtemps persuadé que la corrida permet de regarder de frente sa propre mort, qu’elle en est l’une des clefs, qu’elle est aussi notre part et notre besoin de rituel. Tout comme l’idée que celui qui souhaite voir mourir quelqu’un exprime un désir inconscient de voir mourir l’humanité, votre idée que l’homme transpose à l’animal le reflet de sa propre sauvagerie est aussi très intéressante.
Lionel
Merci de vos commentaires éclairés.
Pour Marc:
Mon postulat est que l'Homme produit chez le toro cette sauvagerie qui le fascine.
Pour autant, la sauvagerie n'est qu'un des objets d'intérêt de la corrida, il y en a plein d'autres: le risque, le désir, et surtout le principal: la mort.
Un autre de ces objets serait le beau, où comment s'opère la transmutation (ou la sublimation) entre la violence et le beau, dans un acte ritualisé (comme l'évoque souvent Lionel).
Ce qui reste à traîter est cette dialectique qui atteint en ce moment un paroxysme entre les "corridas de sauvagerie" et les "corridas d'esthétique".
Qu'est ce qui se joue ou s'articule là?
Sans doute Marc, touches-tu du doigt toute la problématique torista-torerista.
Pour Lionel
Comme souvent entièrement d'accord. Une nuance toutefois sur les "préceptes orientaux" sur laquelle il serait trop long ici de s'expliquer. Mais en gros il faut se défier de la perception idéalisée qu'on en a en Occident par rapport à la réalité.
Pour Anonyme (LUC),
Vous pouvez me contacter à l'adresse: xavier.klein@wanadoo.fr.
Ceci dit, d'une part je suis une plante exotique difficilement transpantable au nord de la Garonne, d'autre part, je suis plus à l'aise à l'écrit qu'à l'oral.
Merci. Cordialement.
Xavier,
Selon les critères exposés et développés par Francis WOLFF in "Philosophie de la corrida", les rapports de l'Homme et de l'animal domestique se définissent suivant l'appropriation, l'utilisation et la familiarité. Et, ce qui ne peut être domestiqué suivant ces critères est rejeté ou détruit. Donc clairement, comme le cheval de course ou le chien de cirque, le "toro de combat" est un animal domestique, au sens où il est élevé pour NOTRE profit, sauf que la clé de son élevage est que nous ne devons pas exercer de familiarité à son endroit: ainsi, il peut conserver sa "sauvagerie" (le toro de combat comme animal "naturellement sauvage" est un quasi oxymore) qui est alors non pas une absence de domesticité mais bien une forme de "fureur" (quelqu'un de furieux "ne décolère pas"...); car c'est sur cette sauvagerie - s'exprimant par la capacité de charger inlassablement tout ce qui approche de trop près son "terrain" voire le foule - que repose la tauromachie, jusque et y compris son côté le plus esthétique de construction de passes (sans la charge - forme du mouvement chez le toro, pas de passe possible!). Or, et c'est ce que nombre d'aficionados "post-moderne" (prônant par exemple le "toro à 200 passes") ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, il y a un lien quasi biologique chez le toro entre la capacité de charger et la "fureur"; dès lors, prendre le risque (par la "sélection") d'amoindrir la fureur, c'est aussi prendre celui de voir s'amoindrir à terme la capacité du toro à charger (sinon même son "envie" - cf la chanson prémonitoire de BREL où "les toros s'ennuient le dimanche"...). Et, c'est parce que le toro est furieux, puissant et agile à la fois (certains toros, en fin de passe, ne se retournent-ils pas tels des chats malgré leur masse) qu'il est "dangereux" jusqu'au mortel: et, de ce danger naît la dialectique que nous entretenons avec la peur et sa domination... Pour moi, le danger (donc la mort) n'est pas premier; il n'est que la conséquence de la fureur. Et toute la difficulté de l'"élevage" du toro de combat réside dans la préservation de cette "fureur" sachant qu'il s'agit d'un critère comportemental donc multifactoriel et difficile à appréhender (plus difficile que le poids ou la taille qui se mesurent...); d'où ces "passages à vide" de certaines ganaderias, ces pertes momentanées de "caste" (oui, c'est très bien vu, "un toro encasté est un toro qui ne décolère pas", un toro "furieux"!)... J'ai évidemment exclu de mon raisonnement les élevages qui cherchent délibérément à se débarrasser de cette encombrante fureur qui effraient tant les belles âmes (lesquelles ne se recrutent pas que chez les "anti")...
Le sujet étant inépuisable, on y reviendra sûrement - chez toi ou sur d'autres blogs amis.
Merci pour ton blog, et bien à toi - Bernard
Remarquable ,exhaustif à consommer de préfrérence avant la date marquée sur ce billet cad hoy,mais au dela de de cette demo qui vient bousculer mes idées courtes et mes cheveux courts ,il en demeure pas moins que le toro est ce que l'homme veut bien en faire ,et Juan Belmonte n'en fait a juste titre qu'un produit de consommation à croire que les tendances actuelles sont à la Taylorisation du dit taureau de combat et moi j'ignare j'en tombe de cul.....
Cette idée du toro comme objet transitionnel que l'homme crée pour pouvoir, sans risque (une espèce de contournement du surmoi), retrouver sa sauvagerie niée par la civilisation me paraît tout à fait convaincante et novatrice.
En cela aussi la corrida n'est pas barbare, elle est au contraire d'un raffinement extrême par sa capacité à prendre en compte, par le détour du symbole, l'Humain, tout l'Humain.
En ce sens, ceux qui veulent l'"humaniser" font bien évidemment le contraire, ils contribuent à la vider de toute signification en voulant en faire un produit de consommation normalisé.
Velonero,
Peut-on mieux dire les choses?
Tu m'as parfaitement compris.
Je tourne autour de cette thématique depuis 2 ans.
Je pense que ce concept doit être travaillé en profondeur.
En outre la conclusion de ton post met en évidence qu'il peut porter une argumentation crédible, à rebours du déni en cours actuellement.
Amitiés
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