REGARDS
"Le regard ne s'empare pas des images, ce sont elles qui s'emparent du regard. Elles inondent la conscience."
Franz Kafka
C'était un après-midi de septembre, de ceux qui s'accourcissent aux approches des équinoxes.
Un après-midi qui restera dans les mémoires pour des raisons bien futiles.
Un après-midi qui restera dans les mémoires pour des raisons bien futiles.
Vous savez, cet après-midi dacquois où l'on crût bon de trouver la grâce où elle n'était pas et où on la méconnut où elle se trouvait réellement!
J'aime parfois à me perdre dans la foule du patio de caballos avant les courses. C'est une gâterie sans pareille pour qui se réjouit toujours du spectacle des hommes.
On dit qu'on s'y rend pour être vu, moi j'y vais pour voir.
Pour m’esbaudir des ronds de jambes et des minauderies, des sympathies éphémères et enflammées, des démonstrations d'amitiés de paille, des ambitions qui se camouflent avec peine, et parfois, rarement, d’une vraie mine sincère et avenante.
J'y vais aussi pour observer ces hommes qui vont se frotter aux bêtes, pour essayer d'entrevoir, derrière l'impassibilité ou la décontraction de façade, la réalité des émotions qui les animent, la vérité de leur désir, tout ce que la conscience ou la maîtrise ne parviennent jamais à complètement dissimuler.
Nul voyeurisme, mais la recherche des brins d'humanité qui s'autorisent à percer le masque des conventions.
On dit qu'on s'y rend pour être vu, moi j'y vais pour voir.
Pour m’esbaudir des ronds de jambes et des minauderies, des sympathies éphémères et enflammées, des démonstrations d'amitiés de paille, des ambitions qui se camouflent avec peine, et parfois, rarement, d’une vraie mine sincère et avenante.
J'y vais aussi pour observer ces hommes qui vont se frotter aux bêtes, pour essayer d'entrevoir, derrière l'impassibilité ou la décontraction de façade, la réalité des émotions qui les animent, la vérité de leur désir, tout ce que la conscience ou la maîtrise ne parviennent jamais à complètement dissimuler.
Nul voyeurisme, mais la recherche des brins d'humanité qui s'autorisent à percer le masque des conventions.
Je n'avais jusque là de Morante, qu'une idée imprécise et fluctuante.
Certes une inclination prononcée, mais, ne goûtant guère les prestations de la lucarne magique en matière taurine, je ne pouvais me référer qu'aux quelques faenas auxquelles j'avais assisté et aux articles de la presse taurine. Et comme nos frères espagnols aiment à recourir à l’outrance de l'emphase et du superlatif...
Il y avait aussi ces placards publicitaires où, un temps, on le photographiait, façon bohême, pieds nus et jeans sur des rivages désertés. L'image sophistiquée d'un homme ainsi projetée correspond elle à ce qu'il est?
Comme d’autres vont aux papillons avec leurs filets, je furetais avec mon appareil photo. C’est le genre d’accessoire dont je n’aime pas à m’encombrer, en ce qu’il limite la spontanéité du contact et la liberté du mouvement et, surtout, qu’il change le regard et le comportement de l’autre.
Pourvu du piège à images magique, du voleur d’âmes, on induit une relation biaisée où le paraître prend le pas sur l’être.
Morante s’était réfugié dans le couloir des braves, où il s’efforçait de demeurer indifférent aux jeteurs de cacahouètes, dont je faisais partie. Il bénéficiait dans cet état, de quelques consolations, puisque Enrique, comme on le nomme à Dax, et Perera, lui volaient heureusement la vedette, ce dont il n’avait cure.Il y avait aussi ces placards publicitaires où, un temps, on le photographiait, façon bohême, pieds nus et jeans sur des rivages désertés. L'image sophistiquée d'un homme ainsi projetée correspond elle à ce qu'il est?
Comme d’autres vont aux papillons avec leurs filets, je furetais avec mon appareil photo. C’est le genre d’accessoire dont je n’aime pas à m’encombrer, en ce qu’il limite la spontanéité du contact et la liberté du mouvement et, surtout, qu’il change le regard et le comportement de l’autre.
Pourvu du piège à images magique, du voleur d’âmes, on induit une relation biaisée où le paraître prend le pas sur l’être.
Je réussis à me faufiler dans la meute. Adossé au mur opposé je le regardais supporter stoïquement l’intrusion des regards scrutateurs.
Il me faisait penser à ces tokyoïtes qui se créent une bulle inattaquable dans leur métro et parviennent ainsi à se soustraire à l’agitation et à la foule.
Je m'amusais de son regard qui s’évadait souvent vers les nuages et semblait comparer la chair des ciels des Landes et de la Puebla. Dans la frénésie, l’immobilité hurle.
C’est sans doute ce qui le porta à croiser mon regard. Un regard dans la foule.
Il me semblait pourtant qu’il m’avait dévisagé. Puis passées quelques secondes, son regard pesa de nouveau sur moi. J’inclinai la tête en désignant mon appareil, pour solliciter l’autorisation de le photographier. Il sourit, et acquiesça, appesantissant d’évidence l’acuité de son coup d'oeil.
Pendant quelques minutes, ce fût comme un jeu. Son regard déviait mais revenait sans cesse. Puis je reposais l’outil en bandouillère, sans cesser pour autant de fixer Morante. Séparés par le couloir, lui dans le soleil, moi dans l’ombre, nous nouâmes alors un silencieux dialogue qui me parût durer une éternité.
Il n’était nullement question de défi ou d’affrontement. De celui qui va faire baisser le regard de l’autre. Non, c’était plutôt comme une conversation muette mais dense, quant à tenter de percevoir à travers le «miroir de l’âme», ce dont l’autre était fait. Un jeu pour meubler l'attente. Il semblait m'interroger: "-Que vois-tu de moi?"
Le paseo s’annonçant, il rompit. Sollicité par un peon, il s’apprêtait à fouler le sable quand une dernière fois, il tourna la tête, cherchant si j’avais disparu, l’inclina avec grâce et distinction, l’esquisse d’un sourire sur les lèvres. J’articulais distinctement un «suerte» muet auquel il répondit par un clignement approbateur et paisible, puis son regard se raffermit de nouveau dans l’azur avant de pénétrer dans la clarté du ruedo.
Ce jour là, j’ai beaucoup conversé avec Morante.
Ce jour là, je sus qu’il me plairait à jamais.
Pendant quelques minutes, ce fût comme un jeu. Son regard déviait mais revenait sans cesse. Puis je reposais l’outil en bandouillère, sans cesser pour autant de fixer Morante. Séparés par le couloir, lui dans le soleil, moi dans l’ombre, nous nouâmes alors un silencieux dialogue qui me parût durer une éternité.
Il n’était nullement question de défi ou d’affrontement. De celui qui va faire baisser le regard de l’autre. Non, c’était plutôt comme une conversation muette mais dense, quant à tenter de percevoir à travers le «miroir de l’âme», ce dont l’autre était fait. Un jeu pour meubler l'attente. Il semblait m'interroger: "-Que vois-tu de moi?"
Le paseo s’annonçant, il rompit. Sollicité par un peon, il s’apprêtait à fouler le sable quand une dernière fois, il tourna la tête, cherchant si j’avais disparu, l’inclina avec grâce et distinction, l’esquisse d’un sourire sur les lèvres. J’articulais distinctement un «suerte» muet auquel il répondit par un clignement approbateur et paisible, puis son regard se raffermit de nouveau dans l’azur avant de pénétrer dans la clarté du ruedo.
Ce jour là, j’ai beaucoup conversé avec Morante.
Ce jour là, je sus qu’il me plairait à jamais.
Ce jour là, je décidai de préférer Morante.
Ce jour là, délaissant la vulgarité des indultos, je fis, du mieux que je pus, plus de 200 clichés de lui.
En voilà quelques-uns, sans prétentions.
Ils sont venus piéger les facettes de l’homme, à mon insu et au sien.
Ils témoignent de sa diversité et de sa profondeur, de la puissance ignorée de son toreo. Quand avec une infinie tendresse, un impitoyable désir, il brise la charge, d’une véronique éternelle, absorbé, penché comme sur un nourrisson, sur un ami blessé ou sur un corps de femme lors d’un tango passionné.
Parfois on croirait qu’on ne photographie pas le même homme, adolescent exalté, faux airs de Rafaël ou de Marlon Brando. Tantôt fragile, tantôt farouche. Tantôt timide ou absent, tantôt dominateur et dense.
Morante dans tous ces états:
Peut-être fût-ce un rêve? Peut-être Morante ne m'a t-il jamais regardé?En voilà quelques-uns, sans prétentions.
Ils sont venus piéger les facettes de l’homme, à mon insu et au sien.
Ils témoignent de sa diversité et de sa profondeur, de la puissance ignorée de son toreo. Quand avec une infinie tendresse, un impitoyable désir, il brise la charge, d’une véronique éternelle, absorbé, penché comme sur un nourrisson, sur un ami blessé ou sur un corps de femme lors d’un tango passionné.
Parfois on croirait qu’on ne photographie pas le même homme, adolescent exalté, faux airs de Rafaël ou de Marlon Brando. Tantôt fragile, tantôt farouche. Tantôt timide ou absent, tantôt dominateur et dense.
Morante dans tous ces états:
Xavier KLEIN
6 commentaires:
Xavier,
Non ce ne fut pas un rêve, puisque je suis sûr quant à moi - te lisant - qu'il t'a regardé, et que ce dialogue à eu lieu...
Sans commentaire dis-tu?... Peut-être pourrais-je m'en autoriser un : derrière l'émotion communiquée par certains clichés - et dans tous les clichés, je n'ai pu m'empêcher de regarder - presque comme un voyeur - la position, non tant de la jambe, que du seul pied parfois "d'appel", de "site" - et ce pied est toujours dans ou allant vers le terrain du toro... C'est peut-être aussi cela qui te fait aimer Morante...
Merci pour ces photos, et surtout pour ce texte - dont l'impression qu'il me laisse est celle d'un long poème comme jamais lu ici...
Suerte - Bernard
Morante, Morante, Morante ! Il ne reflète pas vraiment le profil de l’homme dont rêve souvent ses dames, à savoir un mec plus que parfaitement proportionné, avec simplement la peau sur les muscles, au point que ces hommes semblent se priver de tous les plaisirs culinaires et de Bacchus afin de paraître svelte et félin. De n’être que dans le paraître. Morante ne possède pas spécialement le profil du beau gosse de service, le visage vu de face est quelque peu asymétrique, le corps légèrement en rondeur. Mais il respire la vie, le mâle latin qui prend plaisir. Son regard en dit long, et je suis persuadé Xavier que ce n’est pas un rêve, il a vraiment conversé avec toi.
Lionel
Un type vraiment étonnant!
Pour le pied d'appel, entièrement d'accord. je pensais être isolé en m'attachant à ce "détail".
Combien de véroniques sont contruites avec le pied d'appel qui recule sur la passe, au lieu d'avancer l'autre pour peser! Cela devient systématique.
Quand on voit les photos on est blousé, il faut avoir vu le déroulement de la suerte pour comprendre la supercherie.
Autre chose: ce qui me frappe c'est que Morante ancre ses patounettes dans le sol, du talon aux orteils, il torée du sol à la tête, c'est un toreo de jambes, et cela aussi fait différence...
Lui dessine,toi tu proses les deux à la limite du vers et moi suis ébaubi
Xavier,
Tu as raison sur ce détail aussi des pieds ancrés au sol, qui le rapproche encore de Curro Romero. A quoi on peut ajouter que, d'après Federico Garcia Lorca - qui disait le tenir d'un guitariste flamenco - le "duende" monte depuis la plante des pieds! Pas étonnant alors que ce mot soit employé parfois pour parler du toreo de chacun d'eux...
Bien à toi - Bernard
bernard
il a ausi dit ou repris cette expression selon laquelle, je crois la paraphraser suffisamment fidèlement, "seuls les sons noirs ont du duende"
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