Il est bon le «vieux».
Et quand je dis le «vieux», je le dis avec tout le respect que les journalistes ivoiriens mobilisaient quand ils annonçaient à la télé: «Attention, le Vieux (Félix Houphouët-Boigny) va parler.».
En effet, en Afrique, la civilisation et l’urbanité se subliment dans le respect des «vieux».
Quand ils parlent juste, on célèbre leur sagesse. Quand ils «alzheimisent», on constate qu'ils parlent aux dieux.
Heureuses contrées! On aimerait parfois que la France où le «jeunisme» sévit, soit un «pays en voie de développement», une cocagne où être vieux ne signifie pas être «out», un eldorado où l’on sache que chacun peut et doit apporter à l’ensemble de la communauté, quel que soit son âge, son sexe, son origine!
Las! En Gaule, patrie paraît-il civilisée, les «vieux» constituent des voix électorales plutôt que des voies de sagesse.
On les voue à la maison de retraite 3 étoiles, avec concours de bingo quotidien, sortie mensuelle à Ibardin, viagra semestriel, récital annuel de Jack Lantier, allocation dépendance garantie et le tour est joué...
Il est bon le «vieux».
Parce qu’avec ses 63 carats à la San Mateo, Carlos Escolar «Frascuelo» s’embrase toujours avec autant d’incandescence d’une afición qui manque à tant de jeunes cadres dynamiques des ruedos.
A l'âge où l'on se tasse, il veut bouffer du toro, du risque, de l'adrénaline à pleines goulées.
Tanné et buriné comme un centurion primipile, fier comme un capitan de tercios des Flandres, burné comme un ataman d'antichambre de la Grande Catherine, lifté au piton bravo, Carlos ressemble au croisement improbable d'Anthony Quinn et de Jack Palance.
Normal quand on a vu le jour à Torrequemada (la tour brûlée), bourgade de Caceres, Extremadura, terre implacable, productrice de cailloux, de sueur, de larmes et de conquistadors.
Parce que les 17 cm de coup de corne qu’il a pris dans le bras ne l’empêchèrent aucunement de toréer divinement 3 jours plus tard à Arzacq.
Il est bon le «vieux».
Chaleureux, cordial, sans manières et sans arrogance, blaguant, riant jusqu’à l’entrée sur le sable où il se mue en empereur romain, dont le rein se cambre, la nuque se raidit, la taille se hausse, et le regard toise des horizons chimériques -les Amériques peut-être- à moins que ce ne soient les étoiles qui se lèvent avant l’heure pour saluer ses rêves…
Il est arrivé en retard, la tienta entamée.
La voiture parquée, on a attendu patiemment et respectueusement qu’il s'apprête, blouson de cuir et pantalon noir, jabot dentelé sur chemise brodée, bandana rouge. Il faisait tache parmi les éphèbes que les trajes cortos dernier cri moulent comme des habits de lumière.
Lui, donnait dans l’ample, le confortable, le traditionnel, le vrai quoi!
Sagement, humblement, sans la ramener, il a pris son tour, comme les blanc-becs, intervenant sans ostentation, quand on le lui demandait.
La différence avec les gens qui croient savoir, c’est qu’avec lui on n’a pas besoin de demander: IL SAIT.
Quand, comment et où placer une vache, à quel moment elle «est vue», s’il faut insister pour aller dévoiler les qualités qu’elle recèle, son «moi profond», sa réalité ultime.
Il est bon le «vieux».
D’aucuns évoquaient récemment la marque de son déambulateur en guise d’ironie… De nos jours l’ignorance et la bêtise prennent fierté à s’exhiber.
Il faut avoir partagé en 1986, au petit matin, la tête lourde de bourbon, un bœuf de Stan Getz (60 piges), dans une boite de Bacalan après un concert pour concevoir.
Il faut avoir traîné dans certains bouges andalous et avoir connu l’ovation faite à des mémères de 180 livres, anciennes gloires des tablaos, par un public initié qui reconnaissait par delà la performance, la quintessence de l’art pour comprendre.
Il faut avoir vu le très vieux maître Kanjuro Shibhata tirer à l’arc à 85 ans pour savoir.
Pour savoir quoi?
Pour concevoir, comprendre et savoir ce qui s’est imposé comme une évidence ce matin là: la maîtrise de l’art et de la technique, la puissance du feu intérieur supplantent tout lorsqu'elle s'expriment, et surtout les limites du corps!
Vincent Bourg «Zocato» (présent avec FR3 pour le filmer) impressionné, les apprentis ébahis, les vieux de la vieille époustouflés!
Quand les jeunots se retiraient en sueur, éprouvés par des vaches en cannes, lui, le «vieux», s’en revenait paisiblement en trottinant, à peine essoufflé, pour avoir compensé le déficit physique par une technique aboutie.
Quand les minots se satisfaisaient d’une litanie de passes sans âmes, lui, le «vieux», donnait à voir trincheras éternelles et naturelles de face inoxydables, doblons d’apparat et pechos de piton al rabo.
Lui d'ordinaire si rare et avare de passes inutiles, nous a régalé d’un festival de beauté simple, efficace et vraie.
Et par dessus tout de NATUREL.
Pour tout dire, sur les 200 clichés pris en rafales, seule une demie douzaine de passes étaient à écarter.
Une photo peut mentir, 200 ne trompent pas (je vous en fais grâce!).
Oui, il est bon le «vieux», mais qui sait encore le regarder?
A FUNES, dimanche 6 alors que le soleil culminait, il y eût un moment de grâce, l'un de ceux, rares, qu'un aficionado grave précieusement dans ses souvenirs.
FUNES, ce n'est pas loin, 2 plombes en charriotte.
Il y 2 siècles il aurait fallu 5 jours pour s'y rendre.
Pourtant, sans public pour l'admirer, sans trophées qui dégringolent, sans rien attendre que la joie de toréer, le «vieux» sublimait le duende et la classe.
Miracle de la tauromachie: cela vaut dix ferias, sans regrets...
Il y a pis que d'ignorer, c'est de se refuser à savoir!
Xavier KLEIN
***
OUPS! |
11 commentaires:
Et pourquoi pas à Orthez?
en plus, moi, j'adore le pli du pantalon et le gilet de garçon de café. muy torero.
sérieusement, certainement oui un moment de grace torera.
Carlos Escolar "Frascuelo". José Escolar, ce sont les toros, le beau-père au Fundi.
Yes Florent. Corrigé.
Je m'emmèle souvent: l'ami Al Z qui taquine sans doute.
Enfin Carlos Escobar, comme ça c'est réglé ;-p
Quel personnage, croisé à Céret ou à Madrid... J'espère qu'on le verra abrir cartel en Orthez, vamos !
Si méme Zocate vous fait de la pube, un grand torero comme ça, il faut qu'Orthez le présente.
Je l'ai vu à Arzacq: classe le garçon!
Qui d'autre que vous aura assez d'aficion pour le faire?
Jonathan du Moun
magnifique !
Immense !
merci.
ernesto... boulverse.
Xavier,
Je fais chorus (ça c'est pour Stan GETZ): si après ce que tu viens d'écrire là - et de nous montrer davantage encore par tes clichés, si après le plébiscite qui monte de tous ces commentaires déjà inscrits, tu ne "nous" invite pas FRASCUELO pour ORTHEZ en juillet, tu te déjuges!...
A suivre? - Bernard
PS: plutôt qu'Al Zheimer, ne serait-ce pas Al Ambic?
Ambic? Seulement avec les oenophiles distingués, périodiquement comme le camembert Président!
Mais souvent Luciné par les volte-faces et les délires boucaliens.
Vieil aficionado de 40 ans, j'étais à arzacq aussi, avec la famille.
Première corrida depuis 3 ans (dégoutté des spectacles incolores et sans saveurs).
Un groupe de 7 parisiens avaient fait le déplacement pour le "vieux" comme vous dites.
Sont partis emballés les parigots.
Comme eux, s'il vient à Orthez, j'y serai.
A Bayonne, ça causait dur dans les peñas.
2 membres étaient à la tienta et sont revenus enthousiastes. C'est eux qui m'ont indiqué votre blog et les photos.
Vous risquez d'avoir du monde, si vous le programmez.
Denis (Anglet)
Las fotos huelen a TORERO!!!
Luis Cuadri.
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