Humeurs taurines et éclectiques

lundi 28 mars 2011

L’immortalité de Cassandre.

Le bel Apollon s’éprend de Cassandre et pour la séduire lui confère le don de prédiction, mais comme elle se refuse aux avances du dieu, il se venge en veillant à ce que personne ne la croie jamais.
Cassandre, fille de Priam de Troie, met en garde et prédit sur les conséquences des actes des hommes ou des évènements, mais personne ne veut l’entendre et encore moins la croire, car ce qu’elle annonce ne plait pas.
Connaître ce qui doit advenir, accoucher du futur en quelque sorte, s’opère dans la douleur et la fureur. Cassandre initie cette voie ancestrale des chamans dans la pure tradition de la transe mystique.
Ses visions provoquent un état d’instabilité mentale qui fait croire à sa folie, raison de plus pour les hommes de les ignorer, en plus du fait qu'elles émanent d'une femme, un être sinon inférieur, du moins «subordonné» dans l'environnement grec.
Apollon avait de la suite dans les idées, son sanctuaire de Delphes se fera une spécialité de la prédiction en série. Pendant des siècles, on se ruera de tout le monde hellénique, puis romain, consulter les oracles dispensés par ses prétresses.
Comme leur devancière, Cassandre, les pythies prophétisent (du grec prophễtis: celui qui parle au nom [du dieu]) en état d’«enthousiasme» (possession divine, délire sacré).
Les premiers penseurs chrétiens ont d’ailleurs, là comme ailleurs, forcé un tantinet le trait, décrivant des folles hystériques, bavant et délirant pis qu’après un «pano» de LSD, tout ce bordel leur venant, horreur, d'une origine plus ou moins vaginale. Dégueulasse quoi!
Prophétiser n’est pas un boulot de tout repos. Vas-y qu’on vous fait mâcher du laurier, boire de l’eau croupie de la Fontaine Castalie, qu’au mépris des règlements sanitaires et sociaux on vous expose à des vapeurs souffrées. Ceci dit, c’est une situation assise (sur un trépied).
Un autre inconvénient, c’est une indispensable virginité, mais certaines s’en accommodent très bien. Ce fut d’ailleurs le cas de la citoyenne Cassandre, qui vit périr un à un tous ses prétendants, ce qui n’est pas pour inciter à la galipette.
C’est aussi un métier à risque: d’aucuns sont tentés de supprimer la prophétie en supprimant la prophétesse, ce qui n’est pas du jeu, certes, mais peut être tentant pour les esprits taquins.
Il en allait d’ailleurs de même à Rome avec les augures, qui avaient plutôt intérêt à bien prédire ou en Palestine ou «nul n’était prophète en son pays», ce qui encourageait les congrès dans le désert, dernier salon où l’on causait des affaires du monde.
Le gros problème des pythies, c’est qu’elles divaguaient tellement qu’il fallait des «traducteurs» pour les comprendre. En plus, leurs propos étaient parfois si vagues qu’on pouvait leur donner l’interprétation que l’on voulait: pratique, non?
Delphes ne fut pas pour autant l’hypermarché de la divination, même si les énormes flux financiers générés par la masse des pèlerins venus consulter, engendra les bases du premier système bancaire occidental.
Delphes fut également un bouillon de culture, un des berceaux de la philosophie et de la pensée grecque. Le «mêdén ágan» (Rien de trop) des épicuriens, ou le «gnothi seautón» (Connais-toi, toi-même) socratique, sont des productions locales, gravées au fronton du temple d’Apollon, comme la sublime aporie «Deviens ce que tu es» de Pindare repris par Nietzsche, ou l’énigmatique «E», qui pourrait signifier «Tu es» (sous-entendu, «aussi un dieu»).
***
Les choses ont-elles beaucoup changé depuis lors?
La vérité, les vérités ont toujours autant de mal à être entendues, et encore plus de mal à être comprises. Quant à être admises…
On s’en fait tout un monde, mais la vérité est … en vérité, chose simple.
Regardez les pendules, elles indiquent deux fois par jour 12h (on peut si on le désire préférer 2h13 ou 8h37, mais j’ai un fort faible pour les comptes ronds!), une vérité aisément prédictible comme d’annoncer Noël en décembre.
Certains s’en font une spécialité. Y compris sur la planète taurine.
Ayant disserté sur tout et son contraire, s’étant risqués à cuisiner à toutes les sauces, ils retomberont toujours sur leurs pattes en triomphant: «Je vous l’avais bien dit!».
En cette matière comme en d’autres, l’opportunisme fait plus recette que la conviction inébranlable, l’adaptation que la vertu, et la compromission que l’éthique.
Qu’importe, le principal n’est pas tant d’avoir la propriété de ses idées que de les voir triompher: c’est le salaire ingrat des honnêtes hommes. Juste payés d’un sourire sibyllin et «jocondesque» à la contemplation narquoise des fiers Sicambres brûlant ce qu’ils ont adoré et adorant ce qu’ils ont brûlé.
Et de ce point de vue, on est gâté.
Ceux, qui s'ils ne furent pas nombreux, furent fermes et résolus, qui faisaient le constat d'une dérive sur la planète des toros.
Ceux qui dénonçaient le dévoiement de la tauromachie «moderne», ceux qui prévoyaient les pâles après-midis victorieuses, le désaveu du public, l'affairisme du mundillo, la cupidité catastrophique de ses soit-disant «élites».
Ceux là même voués aux gémonies, traités d'extrêmistes, de talibans, d'ayatollahs, de fossoyeurs de la fiesta brava, voire de vipères lubriques.
Ceux là AVAIENT RAISON, même si l'on ne leur rend toujours pas raison. Même si les aveugles, les sourds, les autistes, les imbus, les sans vergognes, les retourneurs de veste, les résistants de la dernière heure, entendent désormais déplorer une situation qu'ils ont contribué à créer, et un constat auquel il se sont toujours refusé d'adhérer jusqu'à ce que l'évidence triomphe..
Car les vrais prophètes, les vrais annonciateurs des vérités d’aujourd’hui et de demain ne font pas florès.
Comme Cassandre, ils les «mettent bas» dans la douleur et la passion, le monde ne les supporte pas et les voue à la solitude, au rejet et à l’opprobre.
Cassandre, outre le don de clairvoyance, jouit de l'immortalité. Elle rappelle encore et sans cesse que l'Homme est souvent capable du pire, rarement du meilleur, et que de plus, sa condition était, est et sera toujours tragique, ne serait-ce que parce qu'il veut ignorer que les semences de sa tribulation sont en lui et qu'elles germent surtout  quand il se sent assuré de sa félicité.
Vanitas vanitatis et omnia vanitas.
Xavier KLEIN

Qui sont les sages? Qui sont les fous?
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1 commentaire:

el chulo a dit…

Tout à fait d'accord. De plus, en Espagne au moins, j'ai bien l'impression que la corrida cherche un autre "centre de gravité". A savoir, qui va bénéficier de la manne du "passage" à la culture, où la corrida devrait se voir subventionner comme les autres "arts". de plus, la baisse de l'IVA improbable dans l'immédiat attire bien des convoitises. nous sommes bien placés ici en France pour savoir combien de genre de mesure "alimentaire" profite au consommateur.la lutte en tous cas est féroce et chacun choisit son camp, quitte d'ailleurs à "massacrer" des amis ou ex amis ou futurs re-amis.
tout le monde est conscient, que si la corrida a souvent connu des crises, elle s'en sortait plus ou moins bien mais toujours dans le sens de concessions à la vulgarité et d'apauvrissement du "spectacle". ce coup ci, personne n'a plus l'air de penser, que sous sa forme "digne", ces jours sont plus que comptés et qu'il est urgent de prendre le pognon qui reste à prendre, tout simplement. et de toutes façons, si nécessaire, dans 2 mois, 6 ou un an, "on" dira scritement le contraire avec la même assurance.