Humeurs taurines et éclectiques

samedi 28 février 2009

HOMARD M'A TUER


Le monument du homard à Shediac (Nouveau Brunswick-CANADA). Dalien, n'est-ce pas?

«Comme les homards, les jeunes filles ont l'extérieur exquis. Comme les homards, elles rougissent quand on veut les rendre comestibles.»

Salvador DALI «Pensées et anecdotes»

Le 24 novembre 1933 Adolf Hitler introduit le Reichstierschutzgesetz (loi du Reich de protection de l'animal) en lançant le mot d'ordre: «Im neuen Reich darf es keine Tierquälerei mehr geben.» («dans le nouveau Reich, plus aucune cruauté envers l'animal ne sera admise») discours radio-diffusé du 1 février 1933.
Un mois plus tard, un brave pécheur de la Baltique se retrouvait embastillé en camp de concentration sur ordre spécial d'Hermann Göring pour avoir ébouillanté vivant un homard.
On sait les délicatesses et le profond respect de la vie que ces aimables philanthropes se sont évertués à promouvoir pendant la décennie qui suivit.
76 ans plus tard, il s'en trouve pour avoir les mêmes faiblesses coupables. On en pince toujours pour les homards.
Le 25 avril 2007, la lucarne magique programmait l'émission «L'arène de France», animée par le délicieux Stéphane BERN sur le thème angoissant: "les animaux sont-ils malades de l'homme?" (http://video.google.com/videoplay?docid=6495202284190884993
)
Lors de cette émission le niveau culturel atteint à des profondeurs abyssales dans l'ambiance de bordel généralisé et d'élévation de la pensée qui semble complaire à nos médiacrates contemporains. Plus on s'étripe, moins on s'écoute et mieux c'est, partant du principe que l'audimat suit la courbe des invectives.
La mauvaise foi, la désinformation, la langue de bois, le cliché ont présidé aux débats (malheureusement parfois de part et d'autres), de même que l'outrance et le ridicule.
Dans ce registre, est intervenue Mme Josette BENCHETRIT, prétendument psychanalyste (assez bizarrement une dame qui signe "Jo" Benchetrit sur son blog. Voilà qui fait symptôme comme on dit en psychalalyse! Peut-être ce qu'on appelle un "désir de pénis"?).
J'avais cru comprendre que cette digne corporation brillait par son sens de l'écoute et surtout par l'absence de jugement indispensable à l'accueil et au travail d'analyse du patient qui doit pouvoir librement et sans contrainte aborder ses peurs, ses hontes, ses souffrances, sans craindre la condamnation de celui qui l'écoute.
Effaré, j'ai vu une femme hystérique, prise par la fureur, débiter un discours d'une violence et d'une démesure inimaginables.
J'ai voulu en savoir plus sur cette thérapeute de choc et depuis, je fréquente régulièrement son site psychanalyse-et-animaux.over-blog.com.
Quelle n'a pas été ma surprise d'y tomber sur une sombre histoire de homard «indulté» par un restaurateur new-yorkais (http://psychanalyse-et-animaux.over-blog.com/article-28210251.html
).
L'histoire ne serait-elle qu'un éternel recommencement?
On pourrait le croire à entendre les douces vocalises de la virago, assez comparables aux émois walkyriens des kapos femelles d'antan: "Nous afons les moyens de vous vaire aimer les homards"
La rubrique corrida, particulièrement fournie, ménage quelques perles baroques du plus bel orient (http://psychanalyse-et-animaux.over-blog.com/categorie-259608.html
).
Avec, entre autres, des informations extrêmement instructives sur la manière dont les anti-corridas de tous poils et de toutes nationalités interviennent et s'ingèrent dans la pétition pour l'abolition de la corrida en cours en Catalogne.
Le titre élégant et très zen de l'article est extrêmement éloquent: Corridas, la catalogne dit PROU! Homme pourri sadique: crève, salope! (http://psychanalyse-et-animaux.over-blog.com/article-27948791.html
).
On ne saurait être plus subtil et délicat!
Tout un chacun peut d'ailleurs se prononcer sur le site de LA VANGARDIA ( http://www.lavanguardia.es/lv24h/51260474815.html
). Ne vous en privez pas, c'est gratuit!
Question homard et psychanalyse, il existe pourtant plus pertinent. Un merveilleux livre: «Le complexe du homard», à laisser trainer à la portée de tous les adolescents, écrit par Françoise DOLTO, sa fille Catherine DOLTO et Colette PERCHEMINIER, des authentiques psychanalystes et humanistes, elles!

Xavier KLEIN

jeudi 26 février 2009

ENCORE MORANTE!

Morante de la Puebla est décidemment un monsieur.
L'excellent journaliste riojano Pablo G. Mancha de Toroprensa, amoureux de toros, de musique et de bon vin, rapporte les propos de Morante à propos de la remise au torero Rivera Ordoñez de la Médaille d'Or des Beaux Arts: "Me parece una vergüenza;... creo que es un ejemplo claro y grande del conocimiento que los responsables de conceder este galardón tan supuestamente importante tienen sobre el toreo y sobre el arte y de lo que hacen y deshacen con é. No tiene sentido alguno porque si hablamos de mérito, yo seré siempre el primero que resalte el mérito de todos los toreros, los respeto a todos... Pero hablar de arte y del arte del toreo es otra cosa que va más allá de ciertos méritos. Y ahí está la lista de todos los grandes toreros que tienen esta medalla... que le den la medalla a cualquier mérito, porque todos los toreros lo tienen, pero las Bellas Artes son otra cosa. Claro que no todo el mundo puede percibir el toreo ni sentir el arte".
A la demande de Bernard, traduction sans doute approximative (je suis un linguiste abominable):"Pour moi, c'est une honte. Je crois que c'est un exemple clair et grand de la connaissance, que les responsables de l'attribution de cette distinction supposée si importante, ont du toreo et de l'art, et de ce qu'ils en font ou défont. Cela n'a aucun sens parce que si nous parlons de mérite, je serai toujours le premier à reconnaitre celui de tous les toreros et les respecter tous. Mais parler d'art et de l'art de toréer est une autre chose qui va bien au delà de mérites certains. Tous les grands toreros ont cette médaille. Qu'ils la lui attribuent pour ses divers mérites parce que tous les toreros l'ont, d'accord, mais les Beaux Arts, c'est une autre affaire. Il est évident que tout le monde ne peut comprendre le toreo, ni avoir un don pour l'art."
Par delà l'anecdote, cela me rappelle une interview de l'inénarrable Gainsbourg où, lassé des flatteries de l'animateur (je crois que c'était Chancel, le lèche-bottes de service) qui criait au génie et élevait ses chansons au niveau des summum de l'art lyrique, avait fait simplement et pertinemment remarquer qu'il n'exerçait ses modestes talents que dans la chansonnette.
Puis de préciser qu'il n'y avait un Beethoven que tous les siècles, et que pour devenir Lugwig Van, il fallait 30 ans de talent suprême et surtout de travail acharné. Comparer la puissance, la complexité et l'art de la 9ème Symphonie avec le "Poinçonneur des Lilas" lui paraissait un tantinet exagéré. Et Gainsbourg s'y connaissait puisque pianiste accompli de formation classique.
C'est un lieu commun de certains spécialistes du mundillo de glapir régulièrement à l'art et d'user et d'abuser de l'argument artistique pour justifier tout et n'importe quoi, surtout l'absence d'émotion dûe au combat lui-même.
Morante est un divin barbare qui n'a pas peur d'aguanter la connerie humaine.
Sans doute la plus méritante des faenas...
Fatigué quand même sur la photo. Ce garçon semble se consumer trop vite.
Xavier KLEIN
http://www.toroprensa.com/2009/02/morante-de-la-puebla-es-una-verguenza.html

dimanche 22 février 2009

UNE EPOQUE FORMIDABLE

L' anamorphose des "Ambassadeurs" d'Holbein
Sans contredit, nous vivons une époque formidable.
C'est ce dont j'essaie de me convaincre quand me prend le désespoir d'être né.
L'affirmation s'avère pourtant authentiquement vraie.
On voit bien, ô lecteur, que tu n'as pas connu les gaietés de l'an 650 avant J.C. sous le règne du désopilant Assurbanipal; 410 et son sac de Rome par les Wisigoths d'Alaric; ou nec plus ultra, en 1440, les taquineries de Vlad Basarab dit Ţepeş (l'Empaleur), un charmant garçon qui paraît-il appréciait beaucoup la bière sur la fin.

Dans ce bon vieux temps on savait gaudrioler sans chichis et le brave quidam valaque avait de quoi regarder l'avenir avec sérénité: plus de problème d'hémorroïdes et un ciel sans nuages!

Alors vous pensez bien que vivre en Europe, une ère de paix , de prospérité, de sécurité, de progrès technique, médicaux, sociaux, culturels telle que l'humanité n'en a jamais connue ne peut qu'engendrer la morosité et l'ennui!
Votre serviteur par exemple a vu dans son enfance les derniers labours avec des boeufs, les dernières meules de foin, les ultimes lessives au lavoir, les bouteilles consignées, le laitier matinal, la société de l'économie et de la réutilisation. Bien que né en 1957, il a vu émerger les bienfaits de la consommation de masse, la voiture pour tous, les transports aériens démocratisés, l'éradication de la variole, et même a profité à trois reprises de ces petits ressorts qu'on glisse habilement dans les artères et qui vous permettent de continuer à fumer comme un pompier et de bouffer comme un chancre au lieu trente ans plus tôt de consommer les pissenlits par la racine.
Que de progrès extraordinaires!

On oblige désormais la moitié des actifs à travailler jusqu'à soixante cinq ans pendant que l'autre moitié est au chômage. On bénéficie d'une industrie du déchet que l'on paye fort cher. On programme des produits qu'on pourrait fabriquer indestructibles-pour une durée de vie volontairement limitée juste pour jouir du plaisir de dépenser une énergie fossile à les reconstruire. On vend des armes aux rois nègres pour avoir la bonne conscience de leur expédier nos ministres assurer le service après vente en sacs de riz. Nos banques font des profits pharamineux et on doit se cotiser pour qu'elles puissent continuer à en faire. Etc., etc.etc.
Et les toros dans tout ça?
Ils ont, les pôvres, suivis la courbe ascendante et néanmoins glorieuse du progrès.
Poussés par quelques trous du culs anti-taurins, qui n'ont pas encore compris qu'eux aussi mourraient ou souffriraient un jour, nos élites mundillesques délaissant les ors vieillissants des traditions surannées se veulent eux aussi modernes...
Cachez cette hémoglobine, ces piques, cette sauvagerie, cette peur, que nous ne saurions voir! L'homme comme le toreo, le toro ou le torero doivent s'assumer désormais dans la MO-DER-NI-TE.
La queste du Graal génétique est lancée. Les modernes chevaliers, génomes au poing, vont traquer la noblesse reproductible, la bravoure à consumation différée, l'énergie motrice modulable, le toro à flexion cervicale autoprogrammée.
Après les taurodromes, on voit se profiler l'entrée en force du tapis d'entrainement, des coachs, des podologues, des kinésithérapeutes bovins, des cardiologues, des diététiciens, des plasticiens, des anatomiciens, des académiciens, des patriciens et des pharisiens.
Petite déprime du bestiau? A quand la Gestalt-thérapie ou un petit coup de cri primal.
Le bonheur MODERNE est à ce prix. Est-il concevable de pouvoir encore souffrir? De devoir encore mourir?
Si on peut! Mais dans la dignité et le soin palliatif. On paie pour cela.

Avant dans les temps barbares, on mourrait chez soi -bien ou mal- mais tout un chacun, même le plus bas de plafond savait qu'il allait falloir un beau jour s'y résoudre.
On était lavé, «bouchonné», on vous revêtait du costume du dimanche, celui de votre mariage.
On vous veillait, pendant trois jours, comme le Christ.
Le premier voisin accueillait les visiteurs, qui disaient les mots stupides et vains qu'on prononce toujours dans ces cas là, mais qui vous font quand même chaud au coeur, même de la part de votre pire ennemi. Ils allaient vous cloquer un pet d'eau bénite parfumée au laurier, avec dans le meilleur des cas une petite prière, puis s'en revenait boire un coup en «potinant» ou en se remémorant le best of des exploits du défunt.
Et puis il y avait la messe où l'on disait de si gentilles choses sur le cher disparu, où l'on déroulait de si belles patenôtres, qui faisait tant de bien là aussi, même si l'on en était pas convaincu: la mort attire toujours les sympathies tardives et engendre les vertus ignorées. Il y avait l'encens, l'eau lustrale, les cantiques, les lectures, tout cet antique cérémonial qui permet de se rendre compte qu'on n'enterre pas un chien.
Et puis on était porté en terre par les amis et les hommes de la famille dans les fragrances de sapin du même menuisier qui avait confectionné votre berceau et votre lit nuptial.
Et puis il y avait le repas funéraire où les femmes se levaient brusquement pour s'en aller pleurer.

Et puis il y avait les coupes qui se vidaient, les fous-rires nerveux qui se livraient enfin après les pleurs et la tension.
Et puis venaient les anecdotes ou les grivoiseries des temps gais et joyeux qui reprenaient avec la vie.
Le travail du deuil qu'ils disent!
C'était dur, comment cela pouvait-il, hier comme aujourd'hui, en être autrement, mais c'était calme, lent et serein.
J'en ai connu des funérailles d'aïeux dans la montagne commingeoise où après s'être tapés à pattes les trois kilomètres de sentier poussiéreux entre l'église et le cimetière, on faisait la halte à la ferme adjacente pour boire une chopine sous la cagna, avant que de «procéder».
L'ancien qu'on portait en terre avait été vif, sage et avisé. Aimant et dévorant la vie comme un gascon de bonne race. Il portait beau et alerte ses 83 printemps. Six mois avant il était monté avec le «broc» pour restaurer la tombe, au cas où... Tout était prêt, le temps était venu, il faut savoir partir.
De nos jours «le progrès fait rage».
L'ancien radote en maison de retraite (c'est pour son confort), il en sort les pieds devant pour le funérarium (c'est plus commode), ce sont des mains étrangères qui l'embaument (c'est pour l'hygiène), il n'est plus veillé (c'est moins fatiguant), vite enseveli (c'est plus rapide), ce sont des épaules étrangères qui le portent (c'est plus confortable), enfin il est incinéré (c'est plus pratique).
Depuis le néolithique en France et notamment dans le sud-ouest, on ensevelit les morts. C'est l'un des principaux signes de l'apparition de la civilisation.
Dans notre culture (nous ne vivons ni chez les vikings, ni chez les hindous), la crémation est la fin infamante: on brûle les sorcières, on brûle les pestiférés, on brûle les hérétiques, afin qu'il n'en demeure rien. On en même venu à brûler, parce que c'était volontairement ignominieux, les juifs: les stücke (les morceaux, les pièces).

La crémation témoigne d'une certaine culture de la négation de la mort, dans laquelle le corps, devenu simple déchet, doit totalement disparaître, et avec lui le souvenir, le culte rendu aux défunts.
Allez vous étonner avec tout cela que la barbarie sommeille sous la cendre, ardente à se raviver.
On reconnaît une haute culture à la manière dont elle traite la mort, dont elle traite les morts, et, par delà, à la manière dont elle dispose de tous les "déchets" improductifs et indésirables qui l'encombrent (ses prisonniers, ses clochards, ses exclus, ses malades incurables, ses aliénés).

Vous en doutez?
Voyez comme dans le camp de concentration de Kraków-Płaszów, on pavait l'allée avec des pierres tombales juives.
Voyez comme à Carpentras on a exhumé des cadavres. Voyez comme on a profané la tombe du regretté Julio Robles. Voyez comme lors du siège de Gaza on a volontairement détruit des cimetières arabes.
Durant toute l'histoire de l'humanité, l'homme a su voisiner avec la mort, s'en accommoder. Des banquets antiques où l'on produisait des ossements: "Carpe diem quam minimum credula postero" (Odes d'HORACE: "Cueille le jour présent, en te fiant le moins possible au lendemain") à la méditation sur la mort présente dans l'art jusqu'au temps modernes, la permanence et la présence de la mort dans la vie courante était logique, naturelle et évidente.


La mort un "non-dit", le cadavre un déchet, la souffrance baillonnée: comment nos sociétés "modernes" ont-elles pu dériver à ce point dans la voie du déni?

La corrida vient nous appeler à regarder en face, ce que les autres ne veulent plus avoir à connaître. C'est -faut-il le hurler?- un acte culturel intense qui ne doit jamais se résumer à un spectacle de divertissement.

Une culture qui ne sait plus regarder la mort, qui ne sait plus respecter et honorer les morts, entre sans s'en douter dans la barbarie.
La véritable barbarie n'est pas là où certains la croient, et surtout pas dans les arènes.
Elle se nourrit de la négation de ceux qui veulent l'ignorer.

Xavier KLEIN

Masque mortuaire de William Blake

DES TOROS A ORTHEZ

Photo barbotée à Laurent LARRIEU
Faisons une innocente entorse au "devoir de réserve" évoqué dans l'article précédent pour présenter le site de la Commission Taurine d'Orthez.
Vous y retrouverez sous la plume d'intervenants bien connus des aficionados (Olivier DECK, Laurent LARRIEU, Jacques MILHOUA, et... votre serviteur) des informations les plus complètes possibles, des photos, des reportages, un carnet de route susceptibles d'engager un nouveau mode relationnel entre une plaza, son organisation et son public.
Bien entendu, devoir de réserve s'impose, le ton n'y sera pas le même que sur la Brega, du moins en ce qui me concerne.
Xavier KLEIN




LA BREGA, LE POINT

Six mois déjà que le blog fonctionne (depuis le 15 octobre 2008), peut-être le temps de faire le point.
Curieux de connaitre sa fréquentation, un compteur a été installé depuis le 23 janvier. Les résultats s'avèrent passablement surprenants:
En un mois 2200 visites, dont 1954 français (89,1%), 163 espagnols, 18 italiens, 12 russes, 10 étatsuniens, 8 péruviens, 4 mexicains, 3 canadiens, 2 chiliens, 2 japonais, 2 chinois, 1 cubain, 1 colombien, 1 venezuelien, 1 argentin, 1 philippin, 1 marocain, 1 tunisien, 1 algérien, 1 égyptien, et 23 autres nationalités différentes.
Les visiteurs consultent en moyenne 4,3 pages et demeurent également en moyenne 6, 4 mn sur le site.
Des écarts de visites quotidiennes de 63 à 203 visiteurs, avec une moyenne en hausse de 131 visites/jour.
554 blogueurs reviennent régulièrement avec fidélité.
Ces chiffres ne manquent pas d'étonner. Quel instrument extraordinaire de communication! Cela donne le vertige de savoir que ce que vous écrivez est lu par autant de gens dans autant de lieux différents. Tout cela à propos d'un centre d'intérêt aussi spécialisé que la tauromachie.

La Brega se veut un blog «d'humeurs taurines et éclectiques». J'ai voulu alterner les thèmes et les genres: humeurs, coups de gueules, portraits, évènements, humour, et plus généralement des articles de fond.
En fait, n'étant un érudit ni en toros, ni en toreros, ce qui m'intéresse surtout est de partir d'un phénomène taurin périphérique pour le relier à l'humain en général, en explorant les diverses grilles de lecture qui peuvent exister dans le monde des sciences humaines.
Aller de l'accessoire à l'universel, en donnant du sens, me paraît être la meilleure manière de communiquer avec «l'Autre». En tout cas toujours s'efforcer de substituer à l'information ou à l'émotion «brutes», l'analyse et l'exercice de la pensée et de l'esprit critique.
Est-ce réussi? Aux lecteurs de le dire.
Certains trouvent d'ores et déjà le site ou certains articles trop «pédagogiques» ou «didactiques». D'autres semblent critiquer les articles polémiques (la mouche). D'autres encore trouve le blog trop généraliste et pas assez taurin.
La multiplicité des blogs existants pallie à ces remarques. Il n'est pas question de plagier ou de se substituer à ce que d'autres font si excellemment. Il s'agît de trouver un ton et un fond qui soient différents et qui entrent en complémentarité avec ce qui existe par ailleurs.
Ce ton, ce fond, ces thèmes, ces idées ne semblent pas tomber dans l'oreilles de sourds, et j'ai lu avec un certain amusement le texte du récent Pregon de Ciudad Rodrigo où est abordé, de manière totalement nouvelle, inédite et sans droits d'auteurs, des thèmes ici explorés et notamment l'idée de l'importance fondamentale du rapport à la mort dans l'argumentaire taurin.
Dernièrement, un ami de la Commission Taurine d'Orthez trouvait parfois les propos de la Brega en décalage avec un certain «devoir de réserve» qui s'imposerait à son président.
Certes j'entends, je sollicite et je prends en considération ces observations, mais un blog est un acte personnel qui n'engage que soi. Doit-on renoncer à l'expression personnelle au nom des responsabilités collectives? Dois-je renoncer à me rendre à l'office dominical aux motifs que je défends par ailleurs comme élu une conception laïque de la société et de la politique?
Je ne le pense pas et me refuse à toute atteinte à ma liberté de pensée. Peut-être ai-je tort.
De même, à une époque où l'on se soucie du politiquement correct, à se préoccuper plus de de ne pas dire ou faire d'erreur qu'à prendre le risque de s'engager, il ne me dérange aucunement de me positionner clairement et avec vigueur. Peut-être ai-je tort.
C'est à vous d'en juger.
Certaines rubriques vont apparaître. Lionel PIEROBON, écrivain et membre de l'U.B.T.F. (Union des bibliophiles taurins) se propose d'informer des parutions de livres taurins (outre ses articles).
Je réitère à ce sujet l'offre de faire paraître tout article que vous souhaiteriez publier (sans pour autant développer un blog).
Il me semble nécessaire, entre autres, qu'émerge dans un des blogs amis de la galaxie (ou en en créant un), une rubrique reseñas où l'on pourrait compiler plusieurs points de vue, forcément différents de la presse «officielle et subventionnée». J'en ai parlé avec des copains de Campos y Ruedos, mais ils font déjà tellement.
Si quelqu'un(s) voulai(en)t s'en charger, nous pouvons l'envisager.
Merci à tous ceux qui prennent la peine de lire la Brega et justifient le temps passé à y écrire.
Un merci tout particulier aux nombreux compañeros hispanophones, qui en plus s'embêtent à le lire en français.
Fuerte abrazos a todos.

Xavier KLEIN

jeudi 19 février 2009

Franc-maçonnerie et tauromachie

Le premier chapitre d'une série de textes toujours aussi érudits et remarquablement documentés de notre ami Lionel PIEROBON sur les relations entre tauromachie et franc-maçonnerie. Ce texte est la communication exposée au IVème colloque de l'UBTF
Deux textes relativement courts, et disponibles sur Internet, abordent communément la franc-maçonnerie et la tauromachie. Le premier étant rédigé par un franc-maçon espagnol, le second publié dans la revue Anphora du «Gran Oriente Masónico Chileño». Tout en ayant le mérite d’exister, ces deux travaux ne possèdent que des approches axées sur le sacré et les rites qui, à mon humble avis, ne vont pas assez loin dans la juxtaposition des deux sujets. Parallèlement à ces textes, des informations font état de l’initiation de certains toreros, comme au XIXe siècle le maestro José Manzano Pelayo «El Nili», dont les obsèques le 1er novembre 1869 ont vu la présence des frères de l’équerre & [du] compas. Mais aussi Bernardo Casielles Puerta, torero asturiano du XXe siècle, sans oublier le plus célèbre des maestros initiés, Luis Mazzantini.
L’objectif du travail présenté aujourd’hui, est d’aborder un sujet qui, a priori, n’a guère inspiré les aficionados tant sur le plan historique que philosophique, ou peut être d’une manière assez confidentielle, et d’en faire ressortir que si la franc-maçonnerie et la tauromachie n’ont rien en commun, leurs histoires, leurs approches rituéliques, leurs symbolismes, leurs visions respectives de la vie et de la mort, ne font que les lier dans le temps et dans l’espace de l’Humanité.

LES PRÉMICES

Ne souhaitant aucunement faire injure à cette respectable assemblée, l’histoire de l’art de Cúchares sera ici volontairement occultée. Il semble toutefois important de souligner que la franc-maçonnerie et la tauromachie ont connu de fortes évolutions aux mêmes périodes de l’histoire, et que leur premier rapprochement
symbolique remonte à quelques millénaires.
A cette époque des hommes détenteurs des secrets des Arts, ont désiré transmettre ces derniers de manière confidentielle, aux seuls initiés, afin qu’ils ne perdent pas leurs forces originelles. C’est ainsi que de multiples courants ont mis en places des écoles et des filiations, fonctionnant avec des rites propres à leurs communautés et composés d’une façon graduelle dans la transmission des connaissances.
Au même moment, les cultes du taureau furent nombreux, le plus connu d’entre tous est celui de Mithra. Culte secret, composé de sept grades, réservé à des initiés qui passaient des ténèbres à la Lumière en mourrant symboliquement pour renaître, le mithriacisme a été qualifié de «franc-maçonnerie de l’Antiquité» par des historiens. Il est à noter que dans l’iconographie, Mithra est souvent placé entre Cautès et Cautopatès, qui sont respectivement sous le Soleil et sous la Lune, ils symbolisent avec leurs torches le jour naissant et le jour finissant. Mithra est positionné en situation intermédiaire, à l’identique du président d’une assemblée de francs-maçons. Cautès, avec sa torche levée, trouve son vis à vis maçonnique avec l’Orateur, ce dernier maintient l’éclairage symbolique par la Loi qu’il représente en étant gardien du règlement. A contrario, la torche baissée de Cautopatès peut être assimilée au Secrétaire, qui consigne les actes des réunions des francs-maçons, représentant ainsi la traçabilité du passé, qui sera enfoui dans la mémoire collective et qui frôlera les ténèbres.


TORERO CÉLEBRE, FRANC-MAÇON ASSIDU, HOMME IMPLIQUÉ

Dans les univers qui nous intéressent aujourd’hui, un torero se distingue non seulement par ses qualités professionnelles, mais aussi par ses implications humanistes. Luis Mazzantini vivait une activité maçonnique, dont les débuts furent bien antérieurs à ses destinées politiciennes.
La lecture du catalogue de l’exposition tauromachique qui s’est tenue à Bayonne en 1979, nous enseigne que l’épée exposée et appartenant au torero, était agrémentée des lettres «J» et «B», présentées dans le texte comme étant les lettres de la franc-maçonnerie. Même si cette définition n’est pas exacte, ces lettres n’en demeurent pas moins l’un des symboles maçonniques, Don Luis marquait ainsi clairement son statut de franc-maçon.
Le capote de paseo du torero, visible au musée taurin de Las Ventas à Madrid, laisse, lui aussi, entrevoir dans les broderies ce qui paraît être une représentation symbolique de son appartenance à la franc-maçonnerie. Les motifs sur le centre de la cape qui se resserrent au niveau de la esclavina del capote, semblent définir une branche d’acacia stylisée, symbole du maître maçon.
Il est avéré que Luis Mazzantini fut reçu le 15 juillet 1882, comme «frère», dans une loge biterroise, au lendemain d’une corrida célébrée dans la ville. À l’occasion de cette visite, Paul Pistre rapporte dans son ouvrage «Francs-maçons du midi», que Don Luis était membre de la Logia Germania n°156 de Madrid. Concernant le Ministère de la Guerre espagnol, qui est en charge des archives de la franc-maçonnerie ibérique, il n’y a à ce jour aucune trace de Mazzantini franc-maçon.
L’histoire de la franc-maçonnerie espagnole, débute réellement en 1868 dans la péninsule avec le soulèvement de Cadix. De cette année jusqu’à celle de 1899, l’on répertorie de multiples obédiences qui regroupent environ un millier de loges. Il est toutefois intéressant de noter que le Gran Oriente Español, fondé en 1889, était composé à la fin du XIXe siècle, de 268 loges, dont 10 aux États-Unis et 41 à Cuba. Deux pays où don Luis séjourna lors de ses activités taurines.
De son passage sur les terres étasuniennes, pays où la franc-maçonnerie dite anglo-saxonne a pignon sur rue, la presse s’en est fait l’écho. Le quotidien «The New York Times» le mentionne dans un numéro du 22 novembre 1886, mais aussi en 1887, où le journal rapporte, dans deux éditions, des corridas mexicaines houleuses du torero dans la cité de San Rafael, en la Colonia de los Arquitectos, (cela ne s’invente pas pour un maître maçon).
Le 21 octobre 1904, encore et toujours le même quotidien new-yorkais consacre un article au torero, qui est présenté comme étant the champion bullfighter of all Spain. Le journaliste précise que le maestro s’en retourne dans la péninsule ibérique pour être candidat à la chambre des députés du district de Madrid. Cette information qui pourrait sembler anodine est importante, car elle nous informe de l’intention de don Luis de se présenter en politique bien avant d’en avoir terminé avec sa carrière de matador.
Il semblerait, si l’on en croit une caricature parue dans un quotidien mexicain de 1904, que le maestro rencontra, lors de ses voyages outre Atlantique, William Jennings Bryan (1860-1925), qui fut candidat à la présidence des États-Unis à trois reprises pour le Parti Démocrate de 1896 à 1908. Ce politicien américain, était presbytérien et franc-maçon, dans la plus pure tradition de la franc-maçonnerie nord américaine.
Don Luis fût une personnalité impliquée en qualité de torero, de franc-maçon, d’homme de la Cité, mais pas uniquement dans la péninsule ibérique. Dans son essai intitulé «Cuba : le sport un droit pour tous», la journaliste Françoise Escarpit mentionne, à propos du «Palais des cris» de la Havane qui ferma ses portes en 1960, que ce bâtiment fut financé par le torero espagnol Luis Mazzantini. Un tel acte en ces terres lointaines peut laisser interrogatif, mais Cuba a toujours eu une grande activité maçonnique et cela encore de nos jours. Cette aide financière pour l’édification d’un bâtiment, a peut être été réalisée en guise de reconnaissance fraternelle, cela n’est pas improbable.
Atypique, Luis Mazzantini y Eguía le fut, en tant que torero, mais aussi que franc-maçon. La composition socio-professionnelle de la franc-maçonnerie espagnole du XIXe siècle, était principalement tournée vers des personnes issues d’un monde où les classes moyennes prédominent, de la petite bourgeoisie… et idéologiquement, les francs-maçons espagnols de cette période étaient des anticléricalistes virulents, républicains purs et durs. Afin de mieux cerner le franc-maçon, il semble un peu hasardeux de tirer des conclusions sur le rite pratiqué en loge par Mazzantini, mais de par les recherches sur l’homme ainsi que ses fréquentations sociétales et politiques, il n’est pas interdit de penser que Don Luis «travaillait » au Rite Écossais Ancien et Accepté. Si cela est le cas, il faut savoir que les francs-maçons espagnols de cette tendance, furent les cibles d’un réel mépris d’une partie de leurs «frères», notamment ceux de la «Grande Loge Symbolique Régionale Catalane» fondée en 1886 sur des idées républicaines avant de sombrer dans le régionalisme.
Les rares fois où il est fait mention de son initiation en franc-maçonnerie, ou bien sur la présentation qui lui est attribuée dans la rubrique extranjeros du site internet du Ministère de l’Intérieur espagnol, il est précisé que don Luis fût «accusé» d’être franc-maçon. Une qualification reprise en ces termes dans une étude sur la tauromachie mexicaine réalisée par María del Carmen Vázquez, qui précise que Don Luis «fue acusado de estar asociado a la masonería» et qu’il alla faire campagne sur le continent américain pour faire oublier en Espagne son intérêt pour ce mouvement philosophique.
Sans adhérer aux raisons soulevées par l’auteur de cette étude, la perception négative de la franc-maçonnerie, les termes «d’accusation», ont peut être incité le torero à une grande discrétion sur son adhésion au mouvement des «enfants de la veuve». Ceci pouvant justifier le manque d’informations sur le parcours maçonnique de Luis Mazzantini.

A SUIVRE

lundi 16 février 2009

Julian PITT-RIVERS 2

LE SACRIFICE DU TORO

L'ANTHROPOLOGIE -du grec anthropos: homme et logos, étude- est la science humaine qui se préoccupe de l'étude des êtres humains sous tous leurs aspects: physique (anatomie, physiologie, pathologie, évolution) et culturels (sociaux, psychologiques, sociologiques, historiques, géographiques, etc.). C'est donc une science de synthèse qui mobilise les méthodes et les connaissances de bien d'autres sciences. C'est le cas de toutes les sciences actuelles -et particulièrement des sciences humaines- qui ne peuvent plus fonctionner indépendamment de leurs consoeurs. Mais l'anthropologie a été définie par Eric Wolf comme «la plus scientifique des sciences humaines et comme la plus humaine des sciences de la nature». Par cette simple phrase, il montre à quel point les contributions de l'anthropologie s'insèrent au coeur de toutes les autres sciences.
D'Emile Durckeim à Claude Levy Strauss, en passant par Roger Bastide, Georges Balandier, Pierre Bourdieu, Marcel Mauss, René Girard, pour ne citer que quelques philosophes ou anthropologues de l'école française, ces scientifiques de haute volée figurent parmi les hommes qui internationalement ont fait progresser la connaissance de l'humain.
Julian PITT-RIVERS a côtoyé ces chercheurs, s'est lui même fortement investi dans des recherches centrées sur les cultures méditerranéennes et notamment sur la tauromachie. C'est sans doute le premier chercheur (et non un érudit de talent) qui a appliqué les méthodes de l'anthropologie moderne (de l'école structuraliste) à la res taurina.
Le présent article se fonde sur les notes prises lors de la conférence qu'il tint à Dax au début des années 80 (je ne me souviens plus de la date exacte), sur les conversations que nous entretenions et surtout sur un texte paru en 1983 dans «Le temps de la réflexion» chez Gallimard (page 281 à 297) intitulé «Le sacrifice du taureau», texte à ma connaissance quasiment introuvable dans le commerce, qui résume sa réflexion sur le sujet.
Il y aurait matière à un long avertissement tant le mode de pensée anthropologique et ses conclusions peuvent dérouter voire choquer le lecteur non averti. Il nous faut toutefois préciser que l'étude de Julian PITT-RIVERS se rapporte à un phénomène précis, dans un lieu précis, l'Andalousie et dans un temps précis: les années 50. Vamos con su permiso!

«L’objet de cette étude est de dégager le sens symbolique de la corrida; seul il peut rendre compte de ce qui se passe et faire comprendre pourquoi les foules, femmes et enfants compris, paient cher pour assister à un spectacle qui devrait plutôt répugner aux âmes sensibles d’aujourd’hui.»
Julian PITT-RIVERS définit la corrida comme la «manifestation rituelle d’une revendication de l’orgueil masculin». La corrida est d’évidence pour lui un sacrifice. Mais un sacrifice est normalement un acte religieux: de quelle religion s’agit-il là? Tout processus sacrificiel suppose un échange avec une force divine –échange d’un bien matériel contre un état de grâce- dans le cas de la corrida qu’est-ce qui est échangé et entre qui?
On sait depuis Edward TYLOR qu'un rituel est une magie visant à atteindre des fins pratiques ou à obtenir des dieux des avantages. Les sociétés modernes, se croyant rationnelles et scientifiques, refusent de reconnaître leurs rites, assimilés à de l'archaïsme, même si les rites y foisonnent, camouflés sous des prétextes pseudo-scientifiques, pseudo-hygiéniques ou prétendument pratiques. «Ainsi réussissons-nous à nous cacher le sens profond de nos actes.[...] Le rituel est un langage symbolique qui n’exprime pas un raisonnement conscient. [...] La signification des symboles n’est jamais évidente pour ceux qui les utilisent et ne se dévoile qu’à celui qui les observe de l’extérieur.»
Les symboles évoqués sont polysémiques (il peuvent revêtir des sens différents), c’est leur juxtaposition qui confère à l’analyse de l’anthropologue son bien fondé.
Le taureau, d'abord gibier durant la période paléolithique, devient avec la domestication un «emblème de la virilité triomphante», voire de la virilité débordante et débridée puisque de nombreux contes populaires ou mythes nous rapportent qu'on lui fait offrande de jeunes filles belles et pures, jusqu'à l'intervention du héros salvateur qui rend la paix et la prospérité à la cité en le sacrifiant. Les mêmes «ritèmes» (éléments du mythe et du rite) se retrouvent dans des récits méditerranéens mettant en jeu des dragons, ou des animaux fantastiques et des taureaux (cf. «Le taureau, rites et jeux» d'Angel Alvarez de Miranda) et le «Saint Georges» qui avec sa lance ou Thésée avec son glaive viennent régler la question.
«Le taureau de corrida, dont le rôle est de symboliser la Nature sauvage, est un animal domestique […], c'est la culture humaine qui a fait de lui ce qu'il paraît être en entrant dans l'arène, l'ennemi de toute humanité. Véritable Minotaure mi-fauve, mi-fabrication humaine, il appartient au domaine des rêves plutôt qu'à celui de l'économie politique.»
Julian PITT-RIVERS s’intéresse ensuite à l’habillement des publics andalous des années 50: señoritos vestonnés, tenues endimanchées (mais plus gaies que pour la messe: les femmes remplacent la mantille noire par la blanche, les hommes le feutre par le sombrero de ala ancha). Il note les aménagements très spécifiques des arènes et surtout les burladeros (du verbe burlar: tromper, mais aussi «se moquer de quelqu’un pour le déshonorer» comme Don Juan, le «Burlador de Sevilla»). Il relève également que la viande de toro est particulièrement appréciée, anciennement distribuée dans les hospices, hôpitaux et institutions de charité.
Les corridas étaient (et sont presque toujours) partie intégrante d’une fête d’origine religieuse, dédiée au saint patron de la communauté (San Fermin, San Isidro, San Miguel, San Mateo, etc.), ou se déroulent les dimanches. Autrefois, les corridas étaient célébrées par les monarques ou les puissants en l’honneur d’un mariage, d’un décès, d’une visite diplomatique, d’une victoire ou de quelconque grande occasion (canonisation d’un saint).
Il convient de souligner l’aspect féminin des toreros, maintes fois observé, qui contredit sa revendication de la masculinité. Les couleurs et les matières du traje de luces qui contraste avec la sobriété des vêtements masculins (surtout le traditionnel traje de campo) hors de l’arène, la grâce dans le maniement du capote, qualité exclusivement féminine en Andalousie.
«En réalité, le matador se dépouille progressivement de ses symboles féminins au cours du combat.» Il se dévêt du capote de paseo, chargé de dorures, de décors floraux ou d’images pieuses, qui se retrouve le plus souvent confiée à une belle femme en barrera, dont il cache la partie inférieure du corps. Il salue d’une seule main avec sa montera (alors que les picadors se décoiffent).
On peut d’ailleurs noter que la montera est la pièce du costume qui a le plus évolué, et qu’elle ne correspond en rien à une coiffure traditionnelle existante. C’est une création originale et très singulière: une lourde toque d’astrakan sous des climats méditerranéens! Je fis d’ailleurs remarquer à Julian PITT-RIVERS, que ce mot était employé en argot taurin comme synonyme du sexe féminin, et qu’il n’était nullement indifférent de noter le rituel très particulier du brindis (l’offrande au public du dernier attribut de la féminité) et le signifiant très puissant de l’augure quand la montera tombe du côté face (poil) ou du côté pile (rouge vaginal) (Note du Rédacteur).
Puis le torero joue du capote de brega, aux couleurs très singulières elles aussi, rose à l’extérieur et jaune (la couleur infâme) à l’intérieur, comme les danseuses de flamenco ou Maryline Monroe sur sa bouche de métro jouent de leur jupe. Le registre du toreo de capote (chicuelinas, gaoneras, reboleras, serpentinas, mariposas, etc.) renvoie aux bulerias des bailadoras. Sans parler de la veronica, dont le nom fait allusion à Sainte Véronique essuyant le visage du Christ durant la Passion: geste doublement féminin et religieux.
SUITE DANS PITT-RIVERS 3


BIBLIOGRAPHIE:

Julian PITT-RIVERS «People of the Sierra», Londres 1954, Chicago University Press 1962
Julian PITT-RIVERS «De lumières et de lunes: analyse de deux habillements andalous à connotation festive» in «Vêtements et société», 2° colloque du musée de l'homme, 1983
Julian PITT-RIVERS «Anthropologie de l'honneur; la mésaventure de Sichem», Paris, Le Sycomore, 1983
«Antroplogia de la tauromaquia: Obra taurina completa de Julian PITT-RIVERS» Revista de Estudios Taurinos numeros 14, 15, Sevilla, 2002

samedi 14 février 2009

LETTRE OUVERTE AUX ENTITES ADHERENTES à L'O.N.C.T.

Dans une lettre ouverte en date du 13 février 2009 (http://camposyruedos2.blogspot.com/2009/02/lettre-ouverte-aux-entites-adherentes.html), nos amis de CAMPOS Y RUEDOS manifestent leur esprit de responsabilité et prennent l'initiative d'appeler l'Observatoire National des Cultures Taurines (O.N.C.T.) à faire le ménage en sa maison.
Je me suis suffisamment exprimé sur le sujet, et suffisamment clairement, pour les rejoindre totalement sur l'analyse comme sur la conclusion.
André VIARD doit quitter les fonctions de président de l'O.N.C.T. qu'il discrédite par ses discours, ses prises de position et le conflit d'intérêt permanent dans lequel il évolue.
Il constitue même l'obstacle au large rassemblement de l'aficion, dans sa diversité, qui s'imposerait pour faire face aux tourmentes à venir.
Combien d'aficionados, comme moi, n'ont nullement le désir de marcher pour lui et derrière lui?
Il paraît souhaitable que nombre de sites et de blogs se mobilisent aux cotés de CyR, pour d'une part marquer leur désapprobation, et d'autre part pour que toutes les sensibilités soient désormais prises en comptes par une O.N.C.T. désormais plurielle, tant dans ses discours que dans ses instances.
Xavier KLEIN
Avec l'autorisation des auteurs:
Lettre ouverte aux entités adhérentes à l'O.N.C.T.
L’Observatoire National des Cultures Taurines est né le 22 mars 2008. Son objectif principal avoué était «d’étudier, défendre et promouvoir la culture taurine sous toutes ses formes. Autrement dit : Faire émerger la communauté du taureau en tant que minorité culturelle respectable en raison de la richesse de son patrimoine et de son importance » (in F.S.T.F.). Ecrit en termes plus clairs, il s’agissait principalement de se défendre face aux attaques des anti-taurins.
Dès sa création, un grand nombre d’entités taurines - ayant ou non un écho national - a adhéré à l’O.N.C.T., dans un grand élan d’œcuménisme taurin de bon aloi même si nous ne pouvons nous empêcher de penser que réaliser l’union de l’aficion constitue un projet par trop idéaliste (ce que les circonstances ne laissent hélas pas de nous montrer chaque jour).
Ce même, 22 mars 2008, et avec l’assentiment, nous l’imaginons, de toutes les entités que vous représentez, a été nommé à la présidence de l’O.N.C.T. l’animateur d’un média Internet taurin français dont le logo n’est pas sans rappeler celui choisi par l’Observatoire… . Et pour cause : c’est le même !
Entouré d’un nombre conséquent de vice-présidents (Olivier Baratchart, pour la coordination avec le groupe parlementaire, Alain Dervieux, pour la coordination avec l’U.V.T.F, Marcel Garzelli, pour la coordination des collectifs et des journées de revendication, Jean-Michel Mariou, pour la production télévisuelle, Roger Merlin, pour les études économiques et la coordination avec Pronatura et le Comité Noë, Reynald Ottenhof, pour la coordination des dossiers juridiques, Francis Wolff, pour l'animation du conseil scientifique, François Zumbiehl, pour les actions culturelles, les manifestes et les projets éditoriaux), il incarne, au propre comme au figuré et lui avant tout autre, l’O.N.C.T. dont il est le porte-parole partout où cela semble nécessaire et même au-delà, dispensant la bonne parole urbi e orbi.
Il occupe donc un rôle de fédérateur des forces vives (ou moins vives) de l’aficion face aux attaques, elles aussi vives (ou moins vives), des associations militant contre la corrida. Dans un monde tout entier commandé par les arcanes de la communication du paraître, il ne vous aura pas échappé que la multiplicité des fonctions du Président (animateur d’un média Internet d’informations taurines, animateur taurin de radio locale, communicant pour une grande arène du sud-est) ainsi que les polémiques qu’il suscite sous sa « casquette » de « journaliste » nuisent fortement à l’image de l’O.N.C.T et à la crédibilité de son président en tant qu’incarnation de l’unité de l’aficion.
Il n’est pas besoin de dresser ici une liste exhaustive des errements « journalistiques » du président, de sorte que nous pouvons nous contenter de rappeler, à titre d’illustration, que :
- il a défendu en son temps la thèse selon laquelle les mineurs de moins de 15 ans devraient être accompagnés de leurs parents pour pouvoir assister aux corridas et novilladas...
- il a écrit que la pique andalouse était moins destructrice que celle actuellement utilisée, en basant son opinion sur les résultats observés par des vétérinaires taurins lors de la corrida de Victorino Martin à Beaucaire en 2008, tout en omettant de publier ces derniers dans leur intégralité sur son média Internet. Or, à la lecture de ces résultats, on s’aperçoit qu’il y est clairement affirmé que la pique ayant causé la plus profonde plaie est une pique andalouse (au 6ème toro). Il est également écrit (dans le rapport de M. le dr Bourdeau) que pour se faire une idée des effets de la pique andalouse, il conviendrait de mener une étude très élargie et que rien ne pouvait être affirmé pour l’instant dans cette affaire.
- il a écrit qu’une novillada de Moreno de Silva était mal sortie à Madrid (sans assister à la course !) et que le ganadero, par honte ou par dépit, avait quitté les arènes avant la fin du spectacle. Le caractère mensonger de telles allégations a été démontré ici-même.
- dernièrement, il s’en est pris au choix des toros retenus par la Commission Taurine d’Orthez, sur le seul fondement du commentaire d’une course de cet élevage à Pioz en 2008, publié sur l’un de ces blogs espagnols qu’il voue habituellement aux gémonies (sans toutefois oser les désigner nommément); c’est sans plus de preuves qu’il s’est également permis, dans une parenthèse fort mal venue et dont chacun pourra juger de l’élégance rare, de porter un jugement sur une hypothétique augmentation des impôts locaux (sous-entendu que cette augmentation serait liée aux frais engendrés par la chose taurine) dans cette même ville d’Orthez.
En outre, est-il raisonnablement concevable que le président d’un tel observatoire, consacré au ralliement des aficionados derrière la bannière de l’unité, ait poursuivi ses activités dites journalistiques sur son média Internet à la tête duquel il «change de casquette» et de cap en affichant la volonté malsaine de réduire le monde des aficionados à un champ de bataille simplifié, simpliste et drapé de manichéisme entre de soi-disant bons et mauvais aficionados (ces derniers étant même qualifiés récemment de «grands malades incurables»)?
Est-il intellectuellement acceptable de prôner le rassemblement en grand d’un côté et de tirer à boulets rouges avec une argumentation erronée sur ceux qui ne partagent pas ses opinions ou ses analyses d’un autre côté ?
Le garde-fou stipulé dans les statuts de l’O.N.C.T. (rédigés par ce même président) et portant sur l’absence d’intervention dans les «affaires internes» ne tient pas et confine même une sorte de dédoublement de personnalité de l’aficion. Ce n’est pas en faisant (en imposant) chanter un refrain de la langue d’Oc, dans l’enceinte d’une plaza de toros à six mille aficionados, que la défense de la tauromachie s’affirmera. Claironner entre nous (aficionados) quand il n’y a pas d’opposition revient à sodomiser les diptères. Une plaza de toros n’a jamais eu vocation à devenir un lieu de revendications de ce style. La rue existe pour cela car il s’agit, somme toute, d’une lutte (ou d’un débat) politique. La seule revendication qui peut se manifester dans une arène porte sur le respect de l’intégrité du spectacle auquel on vient assister.
La défense de la corrida, même et surtout devant les anti-taurins, passe par une lutte de longue haleine contre les dérives «internes» : afeitado, arreglado excessifs, 1ers tiers désacralisés et mal menés, limite d’âge des toros…). Ce garde-fou de la non intervention réduit l’O.N.C.T. a un gentil jouet pour aficionados complaisants qui détournent ainsi leur regard de ce qui est essentiel et laissent la part belle à ceux qui font la corrida : éleveurs, toreros, empresas.
En ce mois de février 2009, au moment où l’O.N.C.T compte en appeler aux adhésions individuelles des aficionados (donc élargir sa base), il est assez clair que le président a prouvé qu’il n’a plus sa place de président. Pour rester crédible aux yeux des aficionados auxquels il est aujourd’hui encore fait appel, il est dans l’intérêt de l’O.N.C.T. de se passer des services de son président, qui semble avoir beaucoup à faire par ailleurs. A la place de ce dernier, c’est une personne moins impliquée dans les affaires du mundillo qu’il conviendrait de nommer à la tête de votre Observatoire.
Bien à vous.

L'équipe de Campos y Ruedos.

jeudi 12 février 2009

UNE ÂME D'ENFANT


"L'apparence requiert art et finesse; la vérité, calme et simplicité."

Emmanuel Kant

Avec l’ami Olivier DECK (pas DECQ), je traînais ce dimanche dans un dojo de Fontarabie où Castor TELLECHEA, maître de iaïdo (l’art de dégainer et de couper au sabre) travaille avec ses élèves.
C’est une discipline austère et interne, très loin des préoccupations de notre époque.
Que peuvent bien trafiquer ces hurluberlus, tout de noir vêtus, en hakama (jupe culotte de samouraï), qui pendant une heure, tranchent dans le vide, avec des armes d’une autre époque?
Mais on pourrait aussi bien se poser la même question à propos d’autres «anachronistes», de ces zouaves, gansés de soie surchargée d’ors, qui s’agitent devant les cornus.
Comme nous l'avons déjà abordé, tout cela procède du même esprit. Toreo de salon, katas répétés à l’infini, il s’agit là de polir et repolir sans cesse des gestes pour accéder à l’essentiel.
Quel est cet essentiel?
L’efficacité?
Elle peut être atteinte par d’autres biais. Un peon de brega digne de ce nom peut réduire un toro, le casser, le soumettre.
La beauté?
L’art pour l’art aboutit immanquablement au maniérisme, à la perte du sens et de la puissance de l’acte. On demeure à la surface des choses, dans le paraître qui, tel le vernis, s’écaille devant la force irrésistible du réel, devant le vent, le soleil ou la pluie.
La virtuosité?
Elle est à l’art, ce que l’érudition est à la vraie culture: un exercice de style, d’habileté ou de savoir-faire qui pallie trop souvent à l’indigence du talent ou de l’inspiration. La virtuosité n’est-elle pas la surcapacité et la surmémoire des gestes, sans rien nous dire de leur sens profond et de leur pertinence.
Regarder Castor brandir le sabre, suivre le schéma imperturbable des katas dans un geste qui s’impose de lui même, sans contrainte et sans affectation.
Un geste qui exprime la substance profonde des choses, une vérité incontestable, immédiate et innée.
Un geste qui vit en soi, débarrassé de la gangue du superflu, qui s’épure, se stylise, n’obéit plus qu’à sa propre volonté, et sa propre fonctionnalité.
Un geste qui accède alors aux vertus suprêmes: la simplicité et le naturel.
Simplicité et naturel, rien de moins, rien de trop, pleinement ici et maintenant, comme l’écho de l’harmonie universelle et de la respiration cosmique.
C’est le vent qui se fait brise ou tempête, la source qui sourd ou qui cascade, la vague qui déferle mollassonne ou violente selon l’humeur de l’océan.
Certes il n’y a pas ici de toros pour venir perturber l’ordonnancement parfait, il n’y a pas d’ennemis qui le cernent, même si le sabre les coupe virtuellement.
Ou plutôt si, mais pas ceux auxquels on croit. Ceux là, les vrais, on ne les terrasse jamais, on n’en vient jamais à bout. Ils s’appellent peur, honte, culpabilité, orgueil ou concupiscence, paresse ou colère.
Tous ces fantômes auxquels nous nous accoutumons, parce qu’il paraît qu’on ne peut vivre sans eux, parce qu’ils sont le fruit de la perte de notre ingénuité, parce qu’ils sont les déchets de nos cultures et de notre éducation.
Couper avec un sabre, c'est trancher son propre ego, tirer à l'arc c'est se viser soi-même.
Castor marche avec délectation dans les pas de l’enfant qu’il fût et qu’il doit redevenir pour être tout Homme.
Le naturel et la simplicité d’une âme d’enfant, voilà avec quoi il nous faut renouer. Laisser son corps penser.
Combien de toreros le peuvent?
Combien d’hommes?
Cela me rappelle un vieux peon de confiance qui apostrophait son jeune maestro du burladero: «¡Ahora, vamos de verdad! ¡De verdad, vamos de verdad! ¡Olvidate!».

Xavier KLEIN

lundi 9 février 2009

ODE A MORANTE: MULETAZOS

LA PRESENCE

Sans commentaires...

ODE A MORANTE: CAPOTAZOS

REGARDS
"Le regard ne s'empare pas des images, ce sont elles qui s'emparent du regard. Elles inondent la conscience."
Franz Kafka
C'était un après-midi de septembre, de ceux qui s'accourcissent aux approches des équinoxes.
Un après-midi qui restera dans les mémoires pour des raisons bien futiles.
Vous savez, cet après-midi dacquois où l'on crût bon de trouver la grâce où elle n'était pas et où on la méconnut où elle se trouvait réellement!
J'aime parfois à me perdre dans la foule du patio de caballos avant les courses. C'est une gâterie sans pareille pour qui se réjouit toujours du spectacle des hommes.
On dit qu'on s'y rend pour être vu, moi j'y vais pour voir.
Pour m’esbaudir des ronds de jambes et des minauderies, des sympathies éphémères et enflammées, des démonstrations d'amitiés de paille, des ambitions qui se camouflent avec peine, et parfois, rarement, d’une vraie mine sincère et avenante.
J'y vais aussi pour observer ces hommes qui vont se frotter aux bêtes, pour essayer d'entrevoir, derrière l'impassibilité ou la décontraction de façade, la réalité des émotions qui les animent, la vérité de leur désir, tout ce que la conscience ou la maîtrise ne parviennent jamais à complètement dissimuler.
Nul voyeurisme, mais la recherche des brins d'humanité qui s'autorisent à percer le masque des conventions.
Je n'avais jusque là de Morante, qu'une idée imprécise et fluctuante.
Certes une inclination prononcée, mais, ne goûtant guère les prestations de la lucarne magique en matière taurine, je ne pouvais me référer qu'aux quelques faenas auxquelles j'avais assisté et aux articles de la presse taurine. Et comme nos frères espagnols aiment à recourir à l’outrance de l'emphase et du superlatif...
Il y avait aussi ces placards publicitaires où, un temps, on le photographiait, façon bohême, pieds nus et jeans sur des rivages désertés. L'image sophistiquée d'un homme ainsi projetée correspond elle à ce qu'il est?
Comme d’autres vont aux papillons avec leurs filets, je furetais avec mon appareil photo. C’est le genre d’accessoire dont je n’aime pas à m’encombrer, en ce qu’il limite la spontanéité du contact et la liberté du mouvement et, surtout, qu’il change le regard et le comportement de l’autre.
Pourvu du piège à images magique, du voleur d’âmes, on induit une relation biaisée où le paraître prend le pas sur l’être.
Morante s’était réfugié dans le couloir des braves, où il s’efforçait de demeurer indifférent aux jeteurs de cacahouètes, dont je faisais partie. Il bénéficiait dans cet état, de quelques consolations, puisque Enrique, comme on le nomme à Dax, et Perera, lui volaient heureusement la vedette, ce dont il n’avait cure.
Je réussis à me faufiler dans la meute. Adossé au mur opposé je le regardais supporter stoïquement l’intrusion des regards scrutateurs.
Il me faisait penser à ces tokyoïtes qui se créent une bulle inattaquable dans leur métro et parviennent ainsi à se soustraire à l’agitation et à la foule.
Je m'amusais de son regard qui s’évadait souvent vers les nuages et semblait comparer la chair des ciels des Landes et de la Puebla. Dans la frénésie, l’immobilité hurle.
C’est sans doute ce qui le porta à croiser mon regard. Un regard dans la foule.
Il me semblait pourtant qu’il m’avait dévisagé. Puis passées quelques secondes, son regard pesa de nouveau sur moi. J’inclinai la tête en désignant mon appareil, pour solliciter l’autorisation de le photographier. Il sourit, et acquiesça, appesantissant d’évidence l’acuité de son coup d'oeil.
Pendant quelques minutes, ce fût comme un jeu. Son regard déviait mais revenait sans cesse. Puis je reposais l’outil en bandouillère, sans cesser pour autant de fixer Morante. Séparés par le couloir, lui dans le soleil, moi dans l’ombre, nous nouâmes alors un silencieux dialogue qui me parût durer une éternité.
Il n’était nullement question de défi ou d’affrontement. De celui qui va faire baisser le regard de l’autre. Non, c’était plutôt comme une conversation muette mais dense, quant à tenter de percevoir à travers le «miroir de l’âme», ce dont l’autre était fait. Un jeu pour meubler l'attente. Il semblait m'interroger: "-Que vois-tu de moi?"
Le paseo s’annonçant, il rompit. Sollicité par un peon, il s’apprêtait à fouler le sable quand une dernière fois, il tourna la tête, cherchant si j’avais disparu, l’inclina avec grâce et distinction, l’esquisse d’un sourire sur les lèvres. J’articulais distinctement un «suerte» muet auquel il répondit par un clignement approbateur et paisible, puis son regard se raffermit de nouveau dans l’azur avant de pénétrer dans la clarté du ruedo.
Ce jour là, j’ai beaucoup conversé avec Morante.
Ce jour là, je sus qu’il me plairait à jamais.
Ce jour là, je décidai de préférer Morante.
Ce jour là, délaissant la vulgarité des indultos, je fis, du mieux que je pus, plus de 200 clichés de lui.
En voilà quelques-uns, sans prétentions.
Ils sont venus piéger les facettes de l’homme, à mon insu et au sien.
Ils témoignent de sa diversité et de sa profondeur, de la puissance ignorée de son toreo. Quand avec une infinie tendresse, un impitoyable désir, il brise la charge, d’une véronique éternelle, absorbé, penché comme sur un nourrisson, sur un ami blessé ou sur un corps de femme lors d’un tango passionné.
Parfois on croirait qu’on ne photographie pas le même homme, adolescent exalté, faux airs de Rafaël ou de Marlon Brando. Tantôt fragile, tantôt farouche. Tantôt timide ou absent, tantôt dominateur et dense.
Morante dans tous ces états:
Peut-être fût-ce un rêve? Peut-être Morante ne m'a t-il jamais regardé?
Xavier KLEIN

dimanche 1 février 2009

SAUVAGERIE et DOMESTICITE

«[…] aujourd’hui les toros de corrida constituent un produit de civilisation, une fabrication industrielle comme les parfums Coty ou les automobiles Ford. On fabrique les toros que souhaite le public.»
Juan Belmonte

L’un des grands thèmes de la lutte juridique qui a opposé tenants et opposants de la corrida depuis plus de 150 ans fût complètement lié à la nature domestique ou sauvage du toro de lidia.
A ce sujet on peut utilement se reporter à l’ouvrage de Dimitri MIEUSSENS: «L’exception corrida: de l’importance majeure d’une entorse mineure. La tauromachie et l’animal en France» 2005, l’Harmattan. L’interrogation du fait taurin, avec intelligence et finesse, sous l’angle juridique, permet d’élargir et de diversifier la réflexion.
On sait que la loi, nullement anticipatrice, vient consacrer, souvent avec retard, un rapport de force ou un état de fait.
Les lois qui se sont préoccupées des rapports entre homme et animal portent telles des archives, l’évolution des conceptions et des idées.
La loi a longtemps distingué deux statuts, et donc deux traitements différents: celui de l’animal DOMESTIQUE et celui de l’animal SAUVAGE.
L’un des problèmes pour le législateur a été de classer le toro dans l’une de ces deux catégories. Mais il faut souligner que, par delà la lexicographie, c’est à l’essence même du fait taurin, en son protagoniste le plus incontournable, le toro, que l’on accède.
Quelle définition peut-on donner à DOMESTIQUE?
L’expression «animal domestique» (mais elle concerne aussi le végétal) recouvre plusieurs notions. Domestique provient du latin domesticus, du radical domus: la maison. Est domestique ce qui vit sous le toit de l'homme.
Le sens commun serait donc: «Choisi, cultivé, élevé par l'homme, qui vit dans son entourage pour l'aider, le distraire, le nourrir.»
Il s’appliquerait ainsi à:
1°) toute espèce qui a une relation régulière avec l'espèce humaine, voire qui a subi une évolution avec cette relation.
2°) aux animaux de compagnie (d’espèces domestiquées ou non) qui vivent dans la proximité de l’homme.
3°) tous les animaux faisant l'objet d'un élevage sélectif.
4°) les animaux apprivoisés, sauvages par leur nature, mais qui ont été soumis par l’homme et vivent dans son entourage (exemple: éléphants d’Asie). Y sont aussi assimilés les animaux tenus en captivité, tombés au pouvoir de l’homme et retenus par lui sous la contrainte.
Certaines espèces commensales de l'être humain (vivant dans son voisinage et en fonction de ses activités), comportent dans leur dénomination l'adjectif domestique comme le moineau domestique.
Selon le code de l’environnement, un animal domestique est un animal appartenant à: «une espèce qui a fait l’objet d’une pression de sélection continue et constante (c'est-à-dire qui a fait l'objet d'une domestication). Ceci a permis la formation d’un groupe d’animaux qui a acquis des caractères stables, génétiquement héritables» (instruction NP/94/6 du 28 octobre 1994).
Au sens juridique, l’animal domestique recouvre, pour l’heure, «les êtres animés qui vivent, s’élèvent, sont nourris, se reproduisent sous la surveillance de l’homme et par ses soins».
En revanche, l’état sauvage est défini par opposition à l’état domestique. L’animal sauvage est celui qui ne répond pas à ces critères, c’est-à-dire qu’il est sans maître, donc n’appartient à personne (res nullius) et vit à l’état de liberté naturelle.
L’article 211-5 du Code Rural précise que sont considérées comme espèces animales non domestiques, celles qui n’ont pas subi de modifications de la part de l’homme.
L'article R411-5 du Code de l'Environnement dispose: «Sont considérées comme espèces animales non domestiques celles qui n'ont pas subi de modification par sélection de la part de l'homme.»
Le toro de lidia, à l’évidence, quelque soient les acceptions, ne peut donc être juridiquement, comme au sens commun assimilé à un animal sauvage.
Espèce bovine endémique et autochtone, comme il y en existe des dizaines en Europe, son évolution a été complètement dirigée et orientée par l’homme pour développer des caractéristiques spécifiques, génétiquement stables.
D’autres races bovines plus spécialement «combatives» ont existées, ou continuent d’exister dans de multiples lieux de la planète, de l’Angleterre à la Pologne, de l’Inde à Madagascar.
S’il y a lieu de proposer une comparaison, ce serait avec les chiens dont certaines races ont été délibérément développées dans une orientation ou une fonction particulière: protection, compagnie, chasse à des gibiers spécifiques. L’agressivité du pitbull, du dogue, du doberman ou du berger allemand sont le résultat de plusieurs siècles de sélection.
On peut donc imaginer de transformer un échantillon sélectionné de bretonnes ou de blondes d’Aquitaine en bétail brave en 200 ou 300 ans.
Certes il vaut mieux partir de propensions ou d’aptitudes particulières (mais non exceptionnelles), mais c’est parfaitement concevable.
Comme ses congénères mansos, les bravos dépendent de facto de l’homme pour sa nutrition, sa reproduction et sa fonction.
Au risque de rompre le charme romantique du «campo», l’immense majorité des ganaderias stockent leurs novillos et leurs quatreños dans des corrales ou des cercados, aisément accessibles à l’acheteur, qui n’ont pas grand chose à voir avec la poésie des grands espaces, mais beaucoup avec l'élevage de bétail de viande.
C’est que le toro est un bien qu’il convient de surveiller attentivement pour éviter les pertes ou les dégradations, de même qu'il faut pouvoir le présenter à l'hypothétique acheteur.
L’argumentation qui consiste à défendre l’état NATURELLEMENT sauvage du bétail brave me semble donc être fallacieuse, voire même carrément mensongère.
On a simplement cultivé et développé une caractéristique particulière, qui a pu exister chez beaucoup d’autres races bovines où l’on s’est au contraire employé à les amoindrir pour en favoriser d’autres (corpulence, production de viande ou de lait, aptitude à la traction, adaptation à un milieu particulier, etc.). A moins que la dite race n'ait été sacrifiée car jugée impropre ou insuffisamment productive au regard de la caractéristique recherchée.
L’histoire vient d’ailleurs le confirmer. L’Espagne est un des lieux les plus anciens d’occupation humaine, et l’un des plus antiques foyers de civilisation. Les espaces dont sont issus les races braves, marismas andalouses, plateau d’Extrémadure et de Castille, Aragon, Bardenas Reales, sont habités, cultivés, «civilisés» depuis plus de 2000 ans par les Celtibères, les Carthaginois, les Grecs, puis les Romains et les Maures, les Goths et autres Vandales. Cela fait belle lurette, que le bétail bovin y fait objet de propriété et qu’il n'y existe plus de zones vierges ou désertées par l’homme.
La présence des toros n’y était nullement l’effet d’une survivance de races sauvages miraculeusement préservées dans des zones inaccessibles, mais l’exploitation optimale d’espaces plus difficilement gérables par l’homme, dans le cadre d’un élevage extensif.
Tant l’évolution, l’existence, que le cadre de vie des toros de lidia contemporains sont parfaitement et complètement artificiels et culturels.
D’où viennent donc cette illusion et ce fantasme savamment entretenus?
Ils sont avant tout le fruit de l’argumentation déployée depuis un siècle et demi pour justifier l’existence de la corrida.
Cette argumentation tend à faire croire que l’agressivité et la violence du toro de combat sont la conséquence de sa "sauvagerie naturelle". Le toro serait par essence, depuis l’origine, naturellement agressif.
Or nous avons vu que 1°) le toro est un animal domestiqué, donc élevé. 2°) On a développé et cultivé une caractéristique certes existante, mais nullement déterminante et pérenne puisque la même caractéristique a été supprimée chez des races similaires.
L’actuelle «sauvagerie» du toro de lidia est donc un phénomène artificiel et non un phénomène naturel.
Cette réalité est corroborée par les différenciations existantes entre les divers encastes actuels, en fonction des objectifs et des modes de sélection et d’élevages de ceux-ci. Si un toro de Zaballos se montre plus sauvage qu’un Victoriano del Rio, c’est parce que l’éthique et les objectifs de ces deux élevages sont aux antipodes et que les critères de sélection diffèrent. De même, on fait actuellement procès à Victorino Martin «d’adoucir» la sauvagerie de ses saltillos, donc d’opérer sa sélection sur des critères différents et de privilégier l’élément noblesse.
Pourquoi alors la «planète toro», mundillo et aficion confondus, se cramponnent-ils donc avec une telle ténacité à un argumentaire qui s’apparente à un déni de la réalité?
Parce que l’aveu de la réalité est socialement, culturellement et surtout moralement difficile voire impossible dans le contexte contemporain.
L’expression de la sauvagerie contrevient radicalement aux normes éthiques d’une société occidentale imprégnée de concepts moraux tels que le bonheur, la compassion, la non-violence, etc.
Non pas que la sauvagerie et la violence soient exclues de ces sociétés, elles s’y manifestent autant qu’ailleurs, même si elles s’y dissimulent, s’y transforment, s’y camouflent. Mais parce que ces sociétés ne savent plus les regarder en face, avec lucidité et absence de culpabilité.
Cela n’a pas toujours été le cas. Et les anciens savaient parfaitement accepter une évidence que nous refusons. «Homo homini lupus» (L’homme est un loup pour l’homme) de Plaute repris par Hobbes exprime notre vérité profonde.
Que le moindre accident individuel ou collectif de notre histoire intervienne pour faire sauter les gardes-fous et ces réalités que nous voulons refouler désespérément, jaillissent et fleurissent avec luxuriance. Comment expliquer autrement Auschwitz, les dérives de la prison irakienne d’Abou Ghraib, les excès des hooligans dans les stades ou les crime, délits ou incivilités qui ponctuent notre quotidien, si nous persistons à nier cette part constituante de notre humanité?
Le fait de sélectionner une caractéristique moralement condamnable (la violence et l’agressivité) dans l’unique objectif de divertir ou de satisfaire le plaisir de l’Homme, ce que les latins nommaient voluptas, est donc devenu une vérité inavouable.
Il faut que le toro soit «naturellement» sauvage pour ne pas admettre que cette sauvagerie existe de notre fait.
Le problème, c’est que cette réalité, évidente pour la majorité de nos contemporains, nous est placée sous le nez par les adversaires déclarés de la corrida, et que le déni de la langue de bois taurine est destructeur à terme parce qu’il ne convainc pas.
On peut certes continuer à s’en persuader, façon méthode Coué, sans se remettre en cause, mais il ne faut alors plus s’étonner que pièce par pièce, le démembrement de la tauromachie s’impose inéluctablement (à commencer par la Catalogne), car la victoire dans la bataille des idées ne saurait s'imposer par la duperie.
Je postule quant à moi, une explication extrêmement contestable, mais totalement inédite.
La PRODUCTION artificielle de la sauvagerie chez le toro de lidia serait le déplacement, l'image, le reflet de la sauvagerie que l'Homme se refuse à considérer en lui même, et qu'il préfère incarner et produire dans un «autre» non humain.
Ce qui intéresse donc l'être humain est donc de considérer dans un animal «transitionnel», cette sauvagerie qui le fascine tant, en ce que son humanité supposée se fonde sur son renoncement.
L'Homme est sensé être civilisé parce qu'il est sensé avoir renoncé à la sauvegerie. Un des textes fondateurs de l'humanité, «l'Epopée de Gilgamesh» et surtout la geste de son double Enkidou, racontent cette séparation primale de la sauvagerie pour accéder à l'humanité. Plus près de nous le mythe de Tarzan/Lord Greystoke reconduit la question.
Le problème est que si la part consciente de l'Homme veut rompre avec la sauvagerie, toute sa part inconsciente, par nature, s'y oppose.
L'Homme vit donc dans un déchirement permanent entre ce qu'il est et ce qu'il croit ou veut être.
Le toro brave nous entretient de cette histoire, et c'est précisemment pour cela qu'il doit exister, comme témoin d'une réalité douloureuse et inavouée.
Plutôt que de nier dans le toro la sauvagerie que nous y perpétuons, et dans notre désir de corrida, la part d'une ombre qu'elle porte, nous ferions mieux de l'assumer avec sérénité.
Confrontés à des anti-taurins, je ne cherche jamais à nier ou à me réfugier derrière des arguties, j'assume: «Oui je sais et je considère ma barbarie potentielle. Et vous, connaissez-vous la vôtre, ou préférez-vous persister à l'ignorer?».
Xavier KLEIN

http://fr.wikipedia.org/wiki/Animal_domestique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Animal_domestique_en_droit_français
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/054000297/0000.pdf