Humeurs taurines et éclectiques

lundi 24 septembre 2012

Un sondage...

«Selon les sondages, les Français consomment cinquante-huit rouleaux annuels de papier hygiénique par tête. Qu’est-ce qu’ils entendent par tête ? »

Frédéric DARD

L’art du sondage, c’est l’art de poser des questions dont on peut parfois présupposer les réponses. Toute la subtilité est dans la manière de les formuler.
J’ai souvent écrit ici que les réponses m’importaient infiniment moins que les questions. Je n’entretiens aucune illusion quant à la pérennité, à la fiabilité, en un mot à la vérité, de ces réponses sondagières, qui ne représentent que des photos à un instant «t». Et encore, des photos d’appareil jetable, prises à la dérobées, sans véritable projet, sans réflexion ni débat préalable.
C’est désormais ainsi dans notre société: on traite des sujets les plus graves avec une légèreté, une superficialité des plus désinvoltes, comme si tout se valait, comme si tout ne pouvait être abordé qu’avec une information minimale, sous le coup de l’émotion, sans recul, sans approfondissement, avec comme seuls bagages ou seules références des slogans, des petites phrases ou le support informatif d’un «talk show» ou du dernier sketch des Guignols de Canal+.
Dans la foulée, l’oracle ayant été rendu par les pythonisses de la SOFRES ou de Harris, la polémique enfle, les déclarations péremptoires se multiplient, les tempêtes se déchaînent … dans des verres d’eau.
***
Du 18 au 20 septembre, au cœur de la «bataille pour la Q.P.C.», l’I.F.O.P. commandité par le Midi Libre (organe de presse dont la ligne éditoriale concernant la tauromachie est des plus variable et bizarroïde), publiait un sondage intitulé «Les français et la corrida» qui depuis «fait le buzz».
On notera tout d’abord qu’il serait plus opportun de parler «d’un échantillon représentatif de 1003 françai(se)s et la corrida». On relèvera ensuite que les divers échos à cette publication, dans le camp des «zantis», comme dans celui de l’afición malmènent avec une remarquable mauvaise foi des chiffres pourtant limpides. Ainsi, du coté de Vieux Boucau, il semble que l’on ait quelques difficultés soit avec la mathématique, soit avec la lecture, soit avec les deux: encore l’Education Nationale qui a bâclé son travail! Le repérage et le traitement des «élèves décrocheurs» étant d’actualité, nous rappelons au jeune A.V. qu’à la lecture attentive du sondage, si seuls 48% des sondés sont pour la prohibition, 42% se prononcent pour l’autorisation.
On se demande donc où il va chercher les «52% des français [qui] ne souhaitaient pas que l'on mette fin aux corridas» et les 61% dans les régions à tradition taurine (http://www.tierrastaurinas.com/terrestaurines/actus/edit.php). Enfin, non, on ne se le demande pas: le grisonnant statisticien inclut les «sans opinion», ce qui procède de la même malhonnêteté intellectuelle que si l’un des partis en politique s’agrégeait les votes blancs.
C’est avec ce genre de manipulation qu’on décrédibilise un discours. Une manipulation d’ailleurs parfaitement inutile, car en dehors de la valorisation de chiffres complètement conjoncturels, qui pourront dans 6 mois être infirmés, le résultat se suffit à lui-même. En effet, d’une part il va nettement à rebours des précédentes études de ce genre, d’autre part, il montre qu’il n’y a aucune majorité ni pour les uns, ni pour les autres, ce qui à mon sens, s’avère pleinement satisfaisant.
Je rappelle en outre que j’ai toujours argué de l’«inappropriation»  de la vox populi en la matière, le problème devant se poser en terme de DROIT.

Ensemble
des
Français
(%)
Département
à tradition
taurine
(%)
Département
sans tradition
taurine
(%)
Il ne doit pas y avoir d’exception, la corrida doit être interdite partout en France, y compris dans les villes du sud de la France où elle est pratiquée de longue date, car il s’agit d’une pratique cruelle.
48
39
50
La corrida doit continuer d’être autorisée dans les villes du sud de la France où elle est pratiquée de longue date, car elle fait partie du patrimoine culturel et des traditions locales
42
55
40
Vous ne savez pas/sans opinion
10
6
10
TOTAL
100
100
100
Si le résultat global me semble donc anecdotique, le détail est infiniment plus intéressant et doit faire l’objet d’un examen et de conclusions beaucoup plus productifs.

Il ne doit pas y avoir d’exception, la corrida doit être interdite partout en France, y compris dans les villes du sud de la France où elle est pratiquée de longue date, car il s’agit d’une pratique cruelle
La corrida doit continuer d’être autorisée dans les villes du sud de la France où elle est pratiquée de longue date, car elle fait partie du patrimoine culturel et des traditions locales
Vous ne savez pas / sans opinion

(%)
(%)
(%)
ENSEMBLE
48
42
10
SEXE DE l'INTERVIEWE(E)
Homme
39
51
10
Femme
56
34
10
AGE DE l'INTERVIEWE(E)
TOTAL Moins de 35 ans
52
40
8
18-24 ans
57
35
8
25-34 ans
48
43
9
TOTAL 35 ans et plus
47
43
10
35-49 ans
50
40
10
50-64 ans
53
39
8
65 ans et plus
36
52
12
PROFESSION DE l'INTERVIEWE(E)
TOTAL Actifs
50
42
8
TOTAL CSP +
42
51
7
Artisans ou commerçants (*)
40
50
10
Profession libérale, cadre supérieur
43
52
5
Professions intermédiaires
47
45
8
TOTAL CSP -
54
36
10
Employés
58
34
8
Ouvriers
49
40
11
TOTAL Inactifs
46
43
11
Retraités
40
48
12
Autres inactifs
58
31
11
REGION
Région parisienne
45
45
10
Province
49
41
10
Nord est
54
34
12
Nord ouest
51
39
10
Sud ouest
34
60
6
Sud est
50
41
9
TRADITION TAURINE
Département à tradition taurine
39
55
6
Département sans tradition taurine
50
40
10
CATEGORIE D'AGGLOMERATION
Communes rurales
49
41
10
Communes urbaines de province
49
42
9
Agglomération parisienne
43
46
11
PROXIMITE POLITIQUE
TOTAL Gauche
58
35
7
Front de Gauche
54
36
10
Parti Socialiste
54
38
8
Europe Ecologie / Les Verts
76
24
0
Modem
38
58
4
TOTAL Droite
41
51
8
Formation centriste ralliée à l’UMP
45
46
9
UMP
34
55
11
Front National
51
45
4
Aucune formation politique
50
36
14
VOTE A LA PRESIDENTIELLE 2012 (1er tour)
Jean-Luc Mélenchon
56
34
10
François Hollande
58
35
7
François Bayrou
47
47
6
Nicolas Sarkozy
35
53
12
Marine Le Pen
47
46
7
Si l’on s’en tient à considérer les écarts supérieurs à 5% par rapport aux résultats de l’ensemble (48% et 42%), un certain nombre de constats s’impose.
Y compris en relativisant les chiffres, certaines tendances et certains indicateurs sont tout à fait porteurs d’enseignements que nos décideurs taurins seraient bien avisés de prendre en considération.

Comme la chasse, la corrida est un plutôt un «truc de mecs».
Seules 34% (le + faible %) des femmes adhèrent. Les 56% d’opposantes (+8% par rapport à l’ensemble) nous confortent certes dans l’idée de la coalition des «mémères à leur chien-chien». Mais même en intégrant une inappétence psycho-sociologique d’origine culturelle du beau sexe à un spectacle de violence et de domination, on ne peut que déplorer le machisme ambiant du milieu taurin qui n’arrange rien. C’est le résultat d’une pratique où les femmes ont très souvent ou/et très longtemps été exclues des peñas, des commissions taurines, des callejons, des palcos et … des ruedos.

La corrida est également vieillissante. Si 65% des + de 65 ans y adhèrent, ils ne sont que 35% des 18-24 ans. 
Evolution sociétale?  Difficultés économiques? Les jeunes se détournent des arènes, comme ils le font de nombre d’activités traditionnelles. Sans doute l’intoxication culturelle d’une «word company» qui, de par la planète, tend à standardiser les pratiques et les goûts. On ne peut toutefois nier l’incidence d'un «facteur coût» extrêmement élevé sur une population qui connaît les difficultés que l’on sait.
La prégnance de cette donnée économique est confirmée par l’étude des C.S.P. (catégories socio-professionnelles).

Les C.S.P. favorisées (qui recoupent également la réalité culturelle de catégories ayant un niveau d’instruction plus poussé) se différencient très fortement (15%) des C.S.P. défavorisées, l’étiage concernant les employés (qui représentent avec les femmes la + faible adhésion à la corrida, soit 34%).
Ce chiffre me semble extrêmement préoccupant, car il stigmatise un découplage entre la corrida et le milieu populaire dans le terreau duquel elle devrait s’enraciner. La politique des abonos et des tarifs prohibitifs pratiquées par certaines grandes plazas, la recherche éperdue, au détriment des classes populaires locales, d’une clientèle exogène à fort pouvoir d’achat me paraissent un pari mortifère à court terme. Il importe de réinscrire d’urgence la corrida dans une large assise populaire au risque de la constitution d’un «ghetto social pour riches et culturés» et d’en subir le rejet par les exclus.

S’il n’est guère étonnant de constater un Sud-Ouest, région rurale adossée à l’Ibérie, favorable à 60%, et son opposé un Nord-Est à seulement 34%, les résultats très équilibrés de la région parisienne sont plus surprenants. 
Ceux du Sud-Est traduisent, à mon avis, le profil d’une région plus industrialisée, plus diversifiée socialement, économiquement et culturellement.
Par sa proximité avec les moyennes nationales plus qu’avec celles du Sud-Ouest, l’autre région taurine, ce différentiel explicite passablement l’influence importante et l’audience qu’y recueillent les «zantis» dont c’est le terrain de chasse privilégié.

La plus grande surprise provient pour moi de la répartition politique. Au niveau national, la très faible adhésion taurine de la gauche (35%), le score très élevé des sympathisants Modem (58%) et U.M.P. (55%) marquent un clivage très prononcé, qu’il eût été intéressant d’examiner et de confirmer au niveau régional où, pour le sud-ouest «rose» tout au moins, ces chiffres ne se ressentent pas sur le terrain. 
Comment les expliquer?
Je n’en sais rien. Peut-être par la culture politique, une plus grande sensibilité de gauche au statut de la victime, le substrat idéologique de l'utopie rousseauiste d’une Nature fondamentalement innocente et bonne, mais aussi par une réticence très «progressiste» à tout ce qui est tradition et conservation.
En tout cas -et force m’est de le déplorer- cette tendance rejoint celle que l’on constate en Espagne où les positions du Partido Popular sont, à cet égard, beaucoup plus nettes et pro-taurines que ne l’étaient celles du PSOE.
Ce ne sont pas les déclarations très droitières de certaines de nos éminences taurines françaises qui favoriseront un rééquilibrage souhaitable. A l’opposé, pour insupporter les aficionados de gauche comme pour valider le préjugé «corrida-franquisme», on ne peut mieux faire…
***
L’étude attentive de  ce sondage, même s’il ne saurait être pris comme un élément absolu et définitif, induit un certains nombre de conséquences et constitue un état des lieux instructif.
Plutôt que de se satisfaire du score global, le bon sens commanderait de se préoccuper des éléments inquiétants qu’il met en relief, des fractures et des insuffisances qu'il révèle. Il ouvre la porte à l'utilité d'en savoir plus et plus finement.
Certaines instances, l’U.V.T.F. entre autres, jouissent des moyens financiers pour mener à bien une enquête approfondie sur la composition des divers publics de corridas et novilladas, de leurs origines géographiques, de leurs compositions, de leurs motivations, de leurs attentes et ce, dans les diverses catégories de plazas de la France taurine. Les résultats d'une telle enquête, mis en parallèle avec les données des populations de référence, permettraient de dresser un état des lieux et un diagnostic, de souligner points forts et faiblesses, d’établir des stratégies.
C’est à mon avis une urgence, car sortir des présupposés gratuits, des lieux communs trompeurs,  savoir qui l’on est, permet de savoir où l’on va
Xavier KLEIN

***


4 commentaires:

j.benchetrit a dit…

Comment se fait-il que vous puissiez perdre autant de temps sans trouver en vous une boussole morale qui vous dise, tout simplement: "Faire du mal est mal."?
L’évidence est là, Xavier Klein, et pas ailleurs...Des KM de blablas ne suffiront jamais à faire disparaitre le réel. Sauf à vos yeux grand fermés.

Clamenç a dit…

Comment se fait-il que vous puissiez perdre autant de temps sans trouver en vous une boussole morale qui vous dise, tout simplement: "Ils aiment peut-être les toros."?
L’évidence est là, J.Benchetrit, et pas ailleurs...Des KM de blablas ne suffiront jamais à faire disparaitre le réel. Sauf à vos yeux grand fermés.

Anonyme a dit…

M.Klein,
En même temps, la répartition politique me paraît totalement cohérente avec les catégories socio-professionnelles: il me semble qu'on ne peut pas dire que les artisans , commerçants, professions libérales ou cadres supèrieurs votent à gauche...
Merci pour ces informations.
Michel

Anonyme a dit…

Vous essayez de démontrer quoi ? Que vous avez raison ? Ce faisant vous agissez de la même manière que les "zantis". Chacun défend son point de vue.
A delà de ce décorticage, de cet étalage de "culture" et de mots, je me permettrais de dire simplement que les sociétés et les mentalités évoluent. Pas toujours dans le bon sens, je vous l'accorde! N'empêche que si certains "humanistes" n'avaient pas éveillé les consciences, notre civilisation serait restée figée au stade de l'homme de Cro-Magnon.
Le fait que certains "concepts" soient profondément ancrées dans notre "culture" ancestrale, n'a pas empêché de réviser notre jugement sur des pratiques jugées inacceptables de nos jours : les inégalités homme/femme ou blanc/noir, l'esclavage et autres pratiques de tortures physiques ou psychologiques, l'obscurantisme et le fanatisme de certaines religions, la peine de mort, le droit des enfants, la prise en charge de la douleur, la souffrance du nourrisson... etc. et plus récemment la souffrance des animaux... En douter est tout aussi obtus et rétrograde que d'affirmer que la terre n'est pas ronde...
Si votre conscience est en paix, si aucun doute ne vient vous effleurer, si la cruauté de ce "spectacle" (d'un acte réprimé sur la majeure partie du territoire) ne vous procure d’autres émotions que celle, pathétique, de la jouissance malsaine d’assister à une mise à mort, si vous estimez que la "tradition" importe davantage qu’une analyse critique et objective, je doute effectivement qu’il soit un jour possible d’évoluer vers un compromis, capable de d’alimenter votre passion, tout en épargnant les souffrances et la mort. Un abime nous sépare…