Humeurs taurines et éclectiques

mercredi 19 septembre 2012

Hommage à l'héroïsme ordinaire

Ils sont rarissimes, les toreros et novilleros qui font le choix délibéré et conscient de se confronter à du bétail sérieux.
Que ce soit par réalisme, par inclination profonde ou par éthique, ils se démarquent de la masse des postulants qui ne rêvent que d'emprunter les traces des figuras domecquisantes. Même des toreros «sérieux» en pleine ascension comme Ivan FANDIÑO n'ont au fond qu'un désir secret, accéder aux «toros du G10», signe et consécration de la renommée. Pour eux, toréer ou avoir toréé des ganaderias dures n'est ou ne fut qu'une étape, une épreuve nécessaire justifiant de l'accès à l'Olympe des loukoums.
En ce qui me concerne, je vois les choses autrement.
On ne saurait prétendre à la vraie maîtrise si l'on a pas fait la preuve, entretenue par de régulières piqures de rappel, de son aptitude à dominer ou du moins à toréer tous types de toros. Un maestro, un maître, c'est celui qui maîtrise l'ensemble des facettes de son art.
Ce n'est pas une opinion, c'est une définition.
Naguère, les figuras, à l'exception de 2 ou 3 toreros «artistes» (Rafael ou Curro) s'y efforçaient, faisant annuellement quelques «gestes» qui justifiaient de leur prééminence. Cela coupait court à toute polémique.
Ce n'est malheureusement plus le cas et peut aussi expliquer le marasme actuel et la contestation légitime de leurs prétentions outrancières par l'afición de verdad.
Certains toreros d'antan se sont délibérément engagés dans la voie du toro-toro (Ruiz Miguel, Damaso Gonzalez, les Espla's brothers ou les Campuzano's brothers, etc.). S'étant rapidement rendus compte de leurs capacités et de leurs limites, ils se sont voués à un type de corridas dans lesquelles leurs compétences pouvaient les faire accéder à l'excellence. Ils l'ont fait de bonne grâce, sans regarder en arrière et sans nourrir de dépit, d'acrimonie ou de regrets.
Ils ont laissé le souvenir de grands toreros, unanimement respectés.
***
Tout cela représente plus qu'une posture, c'est une philosophie et une vision de la vie, transposable à la globalité du commun des mortels.
Certains célèbrent à l'envi l'exceptionnalité des figuras, une conception qui n'est ni dépourvue d'arrières-pensées, ni d'idéologie. Le mythe du surhomme qui pointe son nez derrière des propos apparemment innocents porte des relents malsains.
Comme sur d'autres sujets, philosophiquement, je m'oppose fondamentalement à cette idéologie. N'ayant aucunement le goût de la divinisation des hommes, m'attachant avec intérêt et -dirais-je tendresse- à leurs travers, à leurs faiblesses, à leur imperfection (et à ce qu'ils en font) qui constituent, à mes yeux, toute la grandeur de la condition humaine, je ne puis adhérer, par principe, à cette vision.
Sans doute est-ce également le fruit de mon expérience professionnelle. Je passe mon temps à expliquer à des gamins que tout le monde n'est pas appelé à satisfaire parfaitement aux normes édictées par une élite au pouvoir. Je fais appel à l'exigence (vouloir se dépasser), mais aussi à l'indulgence (on a le droit d'échouer) et dans tous les cas à la bienveillance (veiller à leur bien).
Comment rassurer un môme qui en dépit d'un travail acharné, parce qu'il ne peut répondre aux exigences très ciblées d'un système social élitiste, pâtit d'une évaluation médiocre? Comment lui expliquer que l'on peut réussir sa vie, s'épanouir, sans avoir le profil d'un futur chirurgien, ingénieur ou pis … énarque? Comment lui proposer d'autres voies d'excellence que celles sociétalement hyper-valorisées qu'on lui donne en exemple?
Et comment le faire en échappant aux autres propositions tout aussi illusoires ou mensongères offertes par notre société dévoyée: footballeur, staracadémicien, showbusinessman ou … figura del toreo?
Comment lui transmettre l'héroïsme d'être homme (ou femme), normal, commun, et de s'accomplir dans l'excellence d'un travail normal, commun? Dans la fierté d'être un excellent charpentier, un excellent jardinier, un excellent ouvrier, un excellent citoyen, un excellent mari ou un excellent père?
A la proposition de l'exceptionnalité réservée à quelques-uns, je réponds par celle de l'héroïsme de l'accomplissement personnel offert à tous. Combien de héros anonymes et «ordinaires» sont ainsi ignorés, méprisés, moqués et pourtant, ils constituent ce que l'Ecriture appelle le «sel de la terre».
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On comprendra dés lors que je ne puisse céder à la quasi divinisation des prétendus surhommes, fussent-ils toreros. Pour moi, ils sont des officiants particulièrement talentueux dans leur partie, des «ministres qui administrent» le rituel taurin, mais ils ne sauraient être les modèles parés de vertus thaumaturgiques que nombre de discours exaltés laissent accroire.
J'aime passionnément les toreros «normaux», ceux qui en bons artisans s'efforcent de bien faire, avec conscience, pundonor et souci de mettre en valeur leurs adversaires. J'aime ces toreros modestes, à tous les points de vue, qui, comme Mario-Yves Montand et ses potes humains, trop humains, vont chercher le «salaire de la peur».
Pour moi, c'est cela la gloire de l'humanité.
Pour moi, c'est cela la gloire de la tauromachie.
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Dans cette catégorie, il en est un qui me paraît se démarquer considérablement avec une personnalité puissante et originale par les temps qui courent.
Imanol SANCHEZ a fait le choix conscient et assumé, tout à fait singulier de nos jours, de se confronter à du bétail difficile. Par goût et par réalisme, et non par l'échec, il s'est engagé dans ce chemin bordé de ronces.
Le garçon est atypique: accessible, naturel, ouvert et aimable, il ne se la «pète pas», ne s'illusionne pas, faisant preuve d'une lucidité rare dans ce milieu.
Imperméable aux flatteries et aux jaleos complaisants, il met à profit ses atouts (son courage et son envie de toréer), en usant d'une autocritique qui ne peut que l'aider à progresser. Après qu'il eût toréé à Parentis et coupé une oreille, conscient de ses manques et de ses difficultés, il me dit sortant de la vuelta: «Mucho trabajo Javier! Mucho trabajo!».
Un jeune homme réaliste qui préfère voir le chemin à parcourir que de se reposer sur ses lauriers, qui va de l'avant en tirant une juste appréciation et une leçon utile de ses expériences, par delà le seul aspect taurin me paraît bien engagé dans sa vie d'humain.
Et pas folle la guêpe, le type est astucieux et use intelligemment des moyens de communication de son temps, sachant mettre en lumière ce qui doit l'être.
Dans la soseria de la novilleria actuelle où tous rêvent d'être Juli ou Jose Tomas, un garçon à revoir qui rêve lui d'être Ruiz Miguel ou Damaso. Un garçon à soutenir et à aider, qui dans mon collège aurait mérité comme appréciation sur son bulletin trimestriel: «Excellent état d'esprit, volontaire, travailleur, pugnace en dépit des difficultés. FELICITATIONS!»
Xavier KLEIN 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

A Parentis, il était présent au sorteo le matin, avec son ayuda et c'est tout, personne d'autre.
Entre douze heures et dix huit heures, il a passé le temps avec l'image des deux Valdellan qu’il allait rencontrer …

JPc

Bernard a dit…

Xavier,

Juste merci pour ces beaux mots: « A la proposition de l'exceptionnalité réservée à quelques-uns, je réponds par celle de l'héroïsme de l'accomplissement personnel offert à tous »!...
Abrazo fraternel - Bernard

PS: Bordeaux est sec et Sauternes attend sa "noble" (encastée de brume, elle fait les grands liquoreux!) ; veillons et prions... ;)