«La
tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine
étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune
des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des
personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la
pitié et la terreur la purgation (catharsis) des passions de la même nature.»
ARISTOTE «La Poétique»
Chapitre VI.
Quand on va aux toros, il me paraît du plus
mauvais effet de s’y rendre à reculons, la bile au bord des lèvres et l’arrière
pensée assassine. Cela procède alors soit du masochisme, soit de l’aigreur
militante, soit du manque absolu de culture taurine.
On me répondra que l’afición, c’est aussi
l’art de l’espérance, du désir que l’on sait souvent insatisfait.
On
m’objectera que par le jeu des abonos, on se voit pris en otage de
corridas qui ne vous plaisent pas.
Certains particulièrement belliqueux
soutiendront la nécessité de ne capituler sous aucun prétexte.
Je n’en démordrai pas, on fait ou l’on ne fait pas.
Ou l’on va aux arènes l’esprit joyeux et disponible, ou l’on s’occupe de ses
confitures (moi, c’était les tomates farcies).
***
Victime d’un lumbago invalidant et persistant
et n’ayant déjà que trop donné dans la
BA torerista à Dax et Bayonne, quand bien même m’y eût-on conduit en Bentley,
logé dans un 10 étoiles, sustenté d’ortolans, gratifié d’une loggia pourvue
de coussins damassés, de nubiens éventailleurs
en plumes d’Autriche et non tantum sed etiam d’accortes houris échansonnes d’ambroisie, que je n’aurais
trouvé aucun attrait, aucune motivation au très médiatisé programme vendangeur de l’amphithéâtre nîmois.
Encore que pour les ortolans qui se font rares…
***
Les paillettes et le star system, les «coups», les
grands spectacles dénués du sens que confère le toro, très peu pour moi.
Est-ce être torista ou pis taliban que de considérer
que l’acteur principal de la tauromachie est le toro? Que sans toro, il n’est
pas de torero et encore moins de vrai toreo?
Que d’ailleurs on ne dit pas toreromachie
mais tauromachie?
Que tauromachie se
traduit en grec (Aristote est à la mode) ταυρομαχια, ce qui signifie «combat de taureaux» et
qu’il est pervers, dangereux et mensonger de qualifier ainsi un SPECTACLE
où toro et combat ne sont que des prétextes ou le vague reflet de ce qu’ils
devraient être. Question hellène, certains causent Aristote, je préfère quant à
moi convoquer aussi Platon et sa caverne, Euripide et Sophocle, les maîtres
absolus de la tragédie.
Je n’ai rien contre les vedettes, les figuras
comme on dit, je n’ai rien non plus particulièrement pour, n’ayant guère
d’appétence pour le mythe du surhomme.
Mais qu’est-ce qu’una figura?
***
Je me suis amusé à consulter le «Diccionario de la lengua española» de la REAL ACADEMIA ESPAÑOLA (http://lema.rae.es/drae/?val=figura).
Comme dab, les mots en disent long, les mots
parlent d’eux-même, quand on veut bien les écouter et leur prêter toute
l’attention qu’ils méritent.
FIGURA
Du latin figūra (forme,
aspect)
1. f. Forme extérieure d’un corps par
laquelle il se différencie d’un autre.
2. f.
(Visage). Partie
antérieure de la tête.
3. f. Statue ou peinture qui représente le
corps d’un homme ou d’un animal.
4. f. En dessin, forme qui représente le
corps humain.
5. f. Chose qui représente ou signifie une
autre.
6. f. Dans les jeux de cartes, atouts
majeurs (roi, reine valet en France)
7. f. Dans certains jeux de carte l’as.
8. f. Dans la notation musicale, signe
d’une note ou d’un silence.
9. f. Personnage de l’œuvre dramatique.
10. f. Acteur qui le représente.
11. f. Personne qui se fait remarquer dans
une activité déterminée.
12. f. Changement de placement des danseurs
dans une danse.
13. f. Geste, grimace.
14. f. illustration (image, estampe,
gravure d’un livre).
15. f. Géométrie. Ligne ou ensemble de lignes par
lesquelles on représente un objet.
16. f. Géométrie. Espace fermé par des lignes ou des
surfaces.
17. f. Réthorique. Figure de style.
18. f. Rhétorique. Figure de diction. Traditionnellement,
chacune des diverses altérations qui expérimentent les mots, soit par
augmentation, soit par transposition de sons, soit par contraction de deux d'entre eux.
19. f. Rhétorique. Chacune des modes langagiers qui s’écartent du langage commun à des fins expressives ou stylistiques (ex : une solitude
sonore).
20.
f. desus. En langage judiciaire forme ou manière de procéder.
21. m. figurón (homme fantastique et présomptueux).
22. com. Personne ridicule, laide et de
mauvaise allure.
Comme on
peut le constater, dans la plupart des cas,
figura hérite de son origine latine figūra (http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?p=667)
forme, aspect, image. C’est à dire de l’apparence extérieure des choses
et non de leur réalité intérieure.
Una
figura, signifie donc au plus profond un paraître, une apparence, un substitut de la réalité comme
ces figurae, ces figurines qui dans l’antiquité soit
représentaient les ancêtres idéalisés, soit servaient de support à la magie
noire pour jeter des sorts.
La figura
est donc le reflet déformé et déformant d’une réalité, une image (comme f(x) est l’image de
x) portant la projection des fantasmes de ceux qui investissent en elle.
Mais en
aucune manière la figura ne témoigne de la réalité. La figura est
une illusion, comme les ombres de la caverne platonicienne, images difformes, images fallacieuses qui introduisent l’homme dans
le mensonge et l’erreur des fausses apparences.
***
La figura
est le rêve vain dont se gavent ceux qui acceptent, voire demandent à être trompés,
ce qui n’est guère étonnant dans un jeu taurin qui repose sur la duperie, el
arte de burlar, l’art de la tromperie.
Cette
conception, tout à fait respectable par ailleurs –chacun trouve son plaisir où
il veut/où il peut- me semble tout de même fortement antagoniste avec l’utilité
et la JUSTIFICATION même de la corrida.
Elle me
paraît même destructrice et mortifère dans la mesure où le principal intérêt de
la corrida, le seul argument réellement valable pour justifier de sa
perpétuation n’est pas dans le spectacle et l’esthétique –le beau ne saurait
justifier le mal- mais dans un rituel qui rappelle et commémore la réalité
immémoriale de la condition tragique de l’humain et de son rapport complexe
avec la nature.
La corrida
ne doit absolument subsister que par et pour les fonctions essentielles d’une ABREACTION,
d’une sublimation sacrificielle, d’un témoignage sociétal pour montrer ce qui
anime l’Homme, que notre société ne veut plus voir: la violence, la peur, la
honte, la souffrance, la domination, la jouissance, la relation à une nature
qui l’effraie depuis la nuit des temps et ce que l’Homme en fait.
La corrida
est exactement tragédie, et suppose une intention cathartique, au sens
aristotélicien du terme. Et inverser ce sens, c’est la dénaturer.
Le moteur
de cette tragédie (l’étymologie grecque τραγῳδία (tragedia), évoquait
le chant religieux qui accompagnait le sacrifice du bouc lors des fêtes de Dionysos)
c’est le toro, dont la fureur, la sauvagerie, l’opposition peuvent seules
alimenter la confrontation du spectateur avec cette violence, cette peur, cette souffrance, ce désir de domination
de son opposant humain.
Cette tragédie peut-elle
exister, peut-elle s’avérer crédible si la figura n'affronte qu'un
succédané allégé dont les caractéristiques ne portent en rien ce sens
fondamental?
***
Dans ces spectacles –on
n’ose parler de corridas- le toro est minoré voire indigent. Ce n’est un
mystère pour personne qu’on y va voir des toreros pas des toros, et l’on sait (ou l'on devrait savoir) que si ces derniers figurent à l’affiche, c’est uniquement parce
qu’ils sont des faire-valoir, des «partners»
dûment et préalablement agréés par les opérateurs.
Ils sont tellement
minorés que les commentateurs n’évoquent généralement à leur propos que leur compatibilité avec le résultat
attendu. Leur combat, leur présence, les «à cotés superfétatoires» tels
que piques ou banderilles ne figurent même pas dans les reseñas et si
par aventure, ils constituent le suprême trophée par leur grâce (l’indulto
est devenu un must en matière de récompense ultime après la queue), ce n’est
pas en raison de leurs vertus
guerrières mais du succès qu’ils ont autorisé.
On récompense ainsi le
collaborateur zélé par l’octroi d’une honeste retirade où il pourra copuler
tout son saoul, même et y compris s’il a préalablement tenté de sauter les
barrières pour s’en pourvoir plus rapidement, ce qui semble le comble du
ridicule.
De ce que j’ai pu lire
sur l’apothéose nîmoise programmée, on ne sait rien du bien fondé, rien du
péril qui expliqueraient une telle débauche de gloire, un triomphe aussi
retentissant. On cause du «toreo le plus pur», mais quid du toro?
Etait-il pur lui aussi?
Pur et … dur?
On aurait été plus
convaincu si au menu avait certes figuré des loukoums, mais aussi quelques consistances, 3 rosquillas et
3 guindillas (par exemple à côté de 3 JPD standards, 1 Dolores, 1 Cuadri et 1 Escolar Gil). On voguait alors vers l’indiscutable.
***
Nous sommes tellement
pollué au quotidien d’«extraordinaire!», de «triomphe!», d’«exploit!»,
et maintenant de «catharsis!», de toute cette bimbeloterie emphatique,
démesurée, superlative et interchangeable de la corrida au football, du foot au
rugby et du rugby aux «peoples» que tout perd son sens
Et quand rien n’a plus
de sens, se pose alors le problème de l’existence…
Figure de style?
Xavier KLEIN
«L’adjectif
Katharos associe la propreté matérielle, celle du corps et la pureté de l’âme
morale ou religieuse.
La Katharsis est l’action
correspondant à «nettoyer, purifier, purger». Il a d’abord le sens religieux de
«purification», et renvoie en particulier au rituel d’expulsion pratiqué à
Athènes la veille des Thargélies. Il convenait de purifier la cité en expulsant
des criminels, puis des boucs émissaires, selon le rituel du pharmakos.
Apollon lui-même est dit katharsios,
purificateur. Selon le Socrate du Cratyle, il est nommé Apolouôn, (qui lave)
dans la mesure où la musique, la médecine et la divination, arts auxquels il
préside sont autant de pratiques de purification.
La Katharsis lie la purification à la
séparation et à la purge, tant dans le domaine religieux, politique que dans le
domaine médical.
En tant que remède, la Katharsis
implique plus précisément l’idée de médecine homéopathique: il s’agit avec la
purgation de guérir le mal par le mal. C’est d’ailleurs pour cela
que tout pharmakon est poison autant que remède»
A lire:
«La catharsis, d’Aristote à Lacan en passant
par Freud, une approche théâtrale des enjeux éthiques» de Jean Michel VIVES
http://www.universalis.fr/encyclopedie/catharsis/
https://innerlightofblackmetal.wordpress.com/2012/05/22/black-metal-et-catharsis-12
Et un passionnant article:
***
7 commentaires:
Je suis asseze surpris de ne lire nulle part de commentaires sur l'excellente course de Victorino donnée hier ...devant bien peu de monde c'est vrai au "colisée" de Logroño! Et pourtant Diego Urdiales a coupé deux très belles oreilles.Mais c'est vrai que c'est moins glamour...
Le hautbois mélancolique
C'est sur que dans le Sud Ouest on a deja eu le show avec Talavante cet été à Dax !
Enfoire de Diego: il coupe 2 oreilles à Logroño et aucune à Dax, alors que la cité jumelle est moins glamour!
De toutes manières, l'emplumé boucalais, qui en ce moment est atteint d'érections incontrôlables, parle de catharsis et autres billevisées alors que bien évidemment il était absent de Nîmes !
Quel faiseur !
Parler d'une corrida que l'on n'a pas vue, ca devient une spécialité du DD. Pas d'autres commentaires, c'est trop affligeant.
Et dire qu'il parle "au nom de l'aficion" (sic).
Pas la mienne en tous cas !
Deni§
6 cathars 6
euh mario
cest vrai qu'à Dax Diego ne m'a pas paru au mieux de sa forme, devant, il est vrai un bétail, euhhhhhhhhhhhhhhh! décevant!!!!!!!!!!!!!plus violent que brave, balançant des coups d'encensoir, restant à mi hauteur, et selon moi, aussi vilain au physique qu'au moral.
Il faut lire les bonnes pages, pour trouver les bonnes infos... Ce qu'a fait Urdiales à Logrono, qu'on ajoutera à Bilbao, me semble l'un des sommets de la temporada.
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