Humeurs taurines et éclectiques

mercredi 3 mars 2010

VOMITORIUM PSYCHIQUE

Très beau texte de notre ami El CHULO
J'avais amené mon ami Henri DELANNE, à une corrida à Dax.
Il voulait voir.
C'était un géant moustachu, fracassé, boiteux, parfois gueulard, peintre et sculpteur de talent.
Un ami.
S'y produisait, je crois, Manzanares, et de fait la corrida m'a tellement marquée que je l'ai oubliée, comme tant d'autres.
Il sortit muet, c'était la première qu'il voyait.
Je le connaissais et savais qu'il ne fallait pas lui parler: «-Comment t'as trouvé? C'est spécial non?» ou autres conneries au risque de réflexions froissantes.
Je connaissais mon grand ami moustachu et ses ruades de mule folle dès qu'on prétendait formaliser ou expliquer.
DELANNE c'était un fil de fer à pendre le linge qui vibrait au vent mais avec des subtilités de violon virtuose.
Muet donc, mon DELANNE.
Il était reparti vers son Nord, avec ses silences et son rire trompe l'œil, de gueulard falstaffien qu'il n'était pas. Un jour il me téléphona: «-J'ai fait des dessins de corrida et une sculpture».
J'ai conservé l'un de ces dessins chez moi. De la corrida il a retenu la nuit, le sombre et le cercle.
Une mauvaise estocade, mais si vraie... Je pense souvent à Lorca en regardant ce «dessin», c'est ainsi qu'il nommait ces toiles. Lorca et ses voix noires, ou ses sons noirs, pour que le duende interrompe «cette foudre interminable».
Lorsqu'il est mort, sa femme m'a offert un petit bronze d'un toro qui meurt aux pieds d'une femme, les bras véhéments et dressés comme ces suppliciés de Napoléon, contre un mur, dans un tableau de Goya.
Le bronze est sur la table basse devant la télé. DELANNE n'est plus là. Je savais sa terreur des bleus, non seulement à l'âme, mais aussi dans ses peintures.
Alors bien sûr, ces messieurs jouent avec un matériau unique, qui pouvait réduire DELANNE au silence. Un jour de boire, il m'avait dit sobrement , «-J'en ai pris plein la gueule», et c'était une corrida bien banale. Il avait le sens du raccourci. Il avait vu, pourtant, la nuit, la margelle du puit de Lorca, et cette lumière qui vient d'ailleurs, ou plutôt du plus profond de nous et de nos tripes.
Alors, pensant à ses silences durant la corrida et après, regardant la petite femme dépoitraillée et ses bras qui griffent le ciel avec le toro qui tombe à ses pieds, je pense au silence assourdissant de las Ventas, et à ces musiques informes qu'on nous propose, ces bandas professionnelles de la liesse de pacotille qui ramènent chaque année les dernières nouveautés de Pamplona, à ces innocents qu'on peint en rouge et blanc, à cette corrida qui n'est plus qu'un spectacle, quand ce fut pour un peuple terrassé par le franquisme, avant la movida, le seul moyen de dire les choses, ou simplement des choses.
J'ai employé le terme de «vomitorium psychique».
Maintenant, la corrida a moins à dire, car le public n'a plus aucun besoin de dire, elle est un objet de négoce, un spectacle, et en bon fournisseur, il faut en donner pour les sous, et attirer d'autres spectateurs consommateurs.
MA corrida, je pense, était ancrée dans la terre espagnole et certains recoins du sud de la France. Quand l'ultra-libéralisme a envahi l'Espagne, il a fabriqué Cordobes et ses sauts de grenouille, avec toutes les conséquences que nous vivons actuellement, d'un spectacle reproductible, aseptisé, convenu, sur mesure, et d'une extrême vulgarité. Avec un toro adapté, aseptisé, collaborateur et con comme la lune.
En face de lui, de ce toro donc, une poignée (4 ou 5) de señoritos, seuls capables d'emplir les arènes, et qui doivent durer de 60 à 100 corridas par an, et le font payer très cher, au risque que derrière leurs pas, la terre ne soit brûlée.

EL CHULO

Le Saturne dévorant ses enfants de Goya. Ingestion? Régurgitation?

4 commentaires:

entradas san isidro a dit…

Qui c´est El Chulo?

Xavier KLEIN a dit…

Il se présentera, s'il le désire.

Anonyme a dit…

Un très beau texte, pour une fois que je viens voir par là. c'est criant de passion, de nostalgie et de sincérité.

pedrito a dit…

Il faut venir plus souvent: on ne le regrette pas