Humeurs taurines et éclectiques

lundi 8 mars 2010

Solution technique ou solution finale?

Dans un article du 6 mars 2010 (La solution technique, http://echoducallejon.com/article.php?id=5626), Erick COLMONT évoque un certain nombre d’innovations qui lui paraîtraient utiles à une adaptation de la corrida.
Cette intervention, et surtout les réactions qu’elle a provoquées méritent à mon sens plusieurs commentaires. C'est parce que je m'en suis parfois pris à Erick COLEMONT, que je peux me permettre de le défendre dans sa liberté d'expression.
Il va sans dire, et c’est un euphémisme, que je n’ai pas toujours été d’accord avec Erick COLMONT, tant sur le fond, que surtout sur la forme. Ses violentes attaques passées contre les «zantis», et la stigmatisation d’une partie de l’aficion, «toriste» ou «puriste» pour ne pas la nommer m'ont souvent parues limites. Pour autant, il me semble également qu’une évolution vers plus de sérénité et de recul s’est faite jour depuis plusieurs mois. Et on ne voit plus surgir dans l’Echo du Callejon, les noms d’oiseaux ("talibans", "ayatollahs", etc.) et les jugements sommaires qui faisaient son quotidien. Il me semble aussi que d’être ainsi capable de ne pas persister dans l’erreur, et de reconsidérer ses positions passées en les amendant et en prenant plus de distance est plutôt un signe d’intelligence, dont d’autres se montrent bien incapables.
Ceci dit, Erick COLMONT exprime un type de sensibilité taurine, que je ne partage certes pas, mais qui pour autant demeure parfaitement respectable EN SOI. L’un de mes engagements en matière taurine est que TOUTES LES OPINIONS puissent s’exprimer, être respectées et être entendues, ce qui n’est pas le cas avec certaines instances qui s’arrogent le droit de juger de ce qui est valide ou pertinent, et qui prétendent parler au nom de tous. Ce droit élémentaire inclut également Erick COLMONT, qui a la licence d’apporter au débat sa propre appréciation, même si l’on ne partage nullement ses analyses et ses conclusions.
L’une des critiques portées par beaucoup à l’encontre d’Erick COLMONT est de vivre de sa petite industrie. Faut-il s’en émouvoir et pousser des cris de vierges effarouchées? A mon sens nullement, à partir du moment où les choses restent claires et affichées et où Monsieur COLMONT, contrairement à d’autres, ne confond pas son entreprise somme toute artisanale, avec des responsabilités qui appelleraient un devoir de réserve.
Nous connaissons tous la multitude de ces petits métiers, de ces viatiques qui tournent autour de la corrida et des arènes: vendeurs de livres, d’affiches, de bimbeloterie, de panamas, d’uniformes taurins (blancs, rouges ou noirs, revendeurs), etc... Pour ma part, même si pour certains, cela prête à sourire ou à râler, cela représente aussi tout un monde bariolé d’humanité en mouvement qui m’intéresse et fait aussi partie de la fiesta brava. Les marchands du temple ont aussi leurs charmes et qui peut prétendre ici n’y avoir jamais succombé, qui pour l’achat d’une place, qui d’une revue, qui d’un capote? Erick COLMONT n’est ni le premier, ni ne sera le dernier, par passion de la chose taurine, à succomber à la tentation de joindre l’utile à l’agréable. Cela n’a rien d’infamant en soi et l’on en connaît d’autres plus scandaleux.
Il est bien plus commode de vilipender que d’argumenter. Venons en au «corps du délit».

En dehors d’un historique contestable de la pique («la Corrida n'a pu perdurer qu'avec l'invention du caparaçon…») et de considérations erronées («Les intégristes de l'époque avec à leur tête Ernest Hemingway») pour ce que le cher Ernest n’était nullement un «intégriste» (à moins que le terme ne qualifie ceux qui recherchent l’intégrité) avec des mentors tels que Dominguin ou Ordoñez (on fait mieux comme intégristes); la principale objection que l’on peut formuler à cet article est de se fonder sur des constats inexacts et donc de parvenir à des solutions sans objets.
Les nombreux démêlés que l’Echo a entretenus avec les «zantis» portent Erick COLMONT à surestimer l’impact et l’importance de ceux-ci (en France) et à revenir, sans s’en rendre compte, dans le fond de commerce de ceux qui mobilisent vers l’ennemi extérieur pour mieux camoufler et passer sous silence les problèmes internes.
Redisons le encore, les «zantis» militants demeurent, comme ils l’ont toujours été, une poignée d’activistes qui ne peuvent que bénéficier de l’écho et de l’importance qu’on leur accorde. Qu’ils fassent tapage ne fait aucun doute, mais il faut raison garder et surtout ne pas leur tendre les verges pour se faire battre. Il y a donc lieu d’être vigilant (prendre des arrêtés par exemple) mais surtout de ne pas céder à la psychose que d’aucuns entretiennent pour justifier de leur utilité.
Il y a également lieu de ne pas promouvoir en sous-main une politique d’expansion commerciale à laquelle ils ne peuvent que réagir. Et c’est là qu’est le problème. La «corrida moderne» dont certains se font les propagandistes a besoin de se développer vers d’autres espaces et d’autres publics. Las Vegas, la Chine, mais aussi les zones à reconquérir (métropoles régionales de Bordeaux ou de Toulouse) où la corrida n’a pu ou su se maintenir. Nouveaux publics forcément néophytes pour lesquels il conviendrait d’adapter le «spectacle», en l’adoucissant pour mieux pouvoir les attirer.
On n’est plus là dans l’aficion, qui ne représente plus qu’un frêle cache-sexe et un alibi, mais dans la fabrication d’un produit standardisé pour la consommation de masse. Quand la plupart des gentils suiveurs qui s’offusquent avec indignation de ces «débats stériles» qui divisent le monde taurin prendront conscience de la situation, il sera trop tard, et la mutation sera devenue irrémédiable.
Tout cela est comme l’endettement public, on ne s’en alarme que quand la douloureuse tombe, et qu’il s’agît de rembourser, et pour ce, de se serrer la ceinture.
La problématique des pinchazos que pose Erick COLMONT est donc une réponse à un problème qui ne se pose pas vraiment ou du moins, pas dans les termes qu’il croit.
D’une part parce qu’il réagit à une demande qui n’existe pas vraiment dans le monde des aficionados de verdad, qui se contrefoutent du nombre de pinchazos, tant qu’ils sont portés en vérité. Pour un aficionado digne de ce nom, dix coups de puntillas (suerte indépendante de la faena et de l’estocade) n’influent en rien sur le mérite du torero. C’est pour le grand public que cela influe, et c’est là tout le problème!
La solution colemontienne aboutirait à encourager le baronazo efficace au détriment de la suerte exécutée dans les règles de l’art. Ce qui importerait alors serait un résultat rapide et efficace au détriment de la beauté, de l’honnêteté et de la vérité de la «suerte de verdad». Ainsi, une faena anthologique, suivie d’un recibir «pinché» ne serait plus récompensée…
Ne parlons pas de la puntilla «technologique», car le fond du problème ne se pose nullement dans ces termes, mais dans ceux énoncés plus haut d’un public néophyte qui ne supporte plus l’essence même de la corrida qui doit être avant tout, la confrontation ritualisée avec la mort et la souffrance, avec le combat et le risque.
Evidemment, quand on part comme Erick COLMONT du présupposé que la corrida est surtout un spectacle artistique, on ne peut qu’être tenté d’en expurger toute bavure sanguinolente susceptible de heurter la sensibilité extrême des esthètes (de veau).
Erick COLEMONT comprendra donc, que partant des arguments eux aussi honorables exposés ici, on ne puisse que s’émouvoir de ses propositions. Propositions d'autant plus surprenantes qu'elles semblent prendre en compte et entériner les critiques de ses adversaires «zantis» préférés.
Il semblerait qu’il existe d’autres priorités beaucoup plus impérieuses que de vouloir moraliser ce qui, par essence, ne l’est pas.
Nul doute qu'Erick COLEMONT ne prenne conscience de sa bévue, il ne saurait suivre les traces de ces hommes qui «ne doutent jamais», qui prétendent parler «au nom du monde taurin français».
Errare humanum est, perseverare diabolicum.
Xavier KLEIN

Aucun commentaire: