Humeurs taurines et éclectiques

dimanche 10 janvier 2010

l'«UNION SACREE»

«Dîtes-vous bien que quand un mauvais coup se mijote, il y a toujours une république à sauver»
Simenon/Audiard «Le Président»
Non le barbu, c'est pas moi. Peut-être qu'au dessus c'est l'oracle boucalien s'apprétant à estoquer un "zanti", mais alors chapeau pour le maquillage! Encore un talent méconnu...

Quand le 4 août 1914, le Président de la République, Raymond POINCARE invoque l'«UNION SACREE» contre l'agresseur allemand, il a quelque légitimité à le faire. Détenteur légal de la souveraineté populaire, élu par l'Assemblée Nationale (les 2 chambres), il incarne l'unité de la Nation. C'est dans une circonstance exceptionnelle et par un accord quasiment unanime de l'ensemble des politiques et des syndicats, de toutes les forces vives de la société, que le Président se voit ainsi fondé d'en appeler à l'union des français pour une guerre défensive. La réussite de cette Union Sacrée, de 1914 à 1919 a pu se réaliser aux conditions suivantes:
  1. Péril extérieur gravissime, identifié, assuré et inévitable.
  2. Légitimité de l'instance fédératrice (un Président issu du suffrage populaire).
  3. Adhésion spontanée, libre et consentie de la totalité des acteurs (partis et syndicats).
  4. Respect d'un contrat moral.

Cet événement constitue un fait presque unique dans l'histoire de notre pays. Les conflits antérieurs et postérieurs (y compris la guerre de 1939-45) ne virent et reverront jamais une telle cohésion nationale. L'Union Sacrée est donc un phénomène mythique, qui ne s'est produit qu'une fois dans notre histoire, à la faveur de circonstances très particulières. Mais les mythes ont la vie dure et il ne manque pas de rêveurs, de démagogues ou d'ignorants pour s'y référer périodiquement, en évitant évidemment d'en remémorer les circonstances et les conditions.

En fait la loi du genre dans les évènements tragiques de notre histoire fût souvent la division. Une division qui tenait par dessus tout, dans la plupart des cas, à l'absence d'un consensus ou l'inexistence des conditions énoncées ci-dessus.

Des guerres révolutionnaires où l'outrance des sans-culottes parisiens provoqua des révoltes (dont les guerres de Vendée), aux guerres coloniales, en passant par l'impérialisme de Napoléon III, et la dernière guerre mondiale (ou les communistes ne s'engagèrent vraiment, après avoir appelé aux sabotages et aux désertions, qu'après la rupture du Pacte germano-soviétique) les exemples ne manquent pas.

C'est que tous ces conflits ont sanctionné l'impuissance, l'impossibilité ou le refus d'élaborer des solutions politiques viables et concertées: on sait depuis Clausewitz que la guerre est la poursuite de la politique et de la diplomatie par d'autres moyens...

La guerre a été aussi le moyen le plus commode que beaucoup de dirigeants, et de dictateurs, aient mobilisé pour sortir d'une crise intérieure et fédérer leur camp. On voit en ce moment comment Ahmadinejad radicalise la crise iranienne pour échapper à la contestation intérieure. On aurait pu tout aussi bien citer la provocation de Sharon sur l'esplanade des mosquées, l'invasion des Malouines par la junte argentine, la guerre d'Ethiopie de Mussolini, la guerre Iran-Irak déclenchée par Sadam Hussein, etc...

Il va sans dire que l'objet principal de la guerre n'est donc plus la lutte contre l'ennemi extérieur, mais bien avant tout de réduire l'adversaire intérieur au silence, pour éviter d'avoir à rendre des comptes.

Ce faisant, au pis on prend le risque de la défaite, au mieux on ne fait que surseoir; mais la «question» finit toujours par ressurgir et l'opposition par se manifester. Ce type de stratégie ne résout en rien les problèmes, elle les diffère et les envenime. Quand on s'y oppose, on est de suite désigné comme le traître, le diviseur, attaqué avec d'autant plus de virulence que le prétendu «sauveur» veut cacher les cadavres qui trainent dans les placards ou faire oublier une batterie de casseroles encombrantes.

On aura compris que mon propos ne se réfère pas uniquement à l'histoire des nations. Et que les conditions de l'Union Sacrée de 1914 ne se retrouvent nullement sur la planète taurine, bien que d'aucuns s'en fassent les ardents propagandistes.
Où est le péril extérieur gravissime, identifié, assuré et inévitable? Où est l'instance fédératrice légitime? Où voit-on l'adhésion spontanée, libre et consentie de la totalité des acteurs? Sur quel contrat moral un consensus s'établit-il?

Que n'entend-on avec les vœux de nouvel an sur cette ritournelle faussement séduisante qui émane le plus souvent de taurinos, apparentés, ou lèche-bottes patentés qui profitent généralement du système et seraient mal venus de le critiquer. «Que cessent les divisions!». «Soyons unis!». La «grande famille de l'aficion!». Les «valeurs de la tauromachie!». La collection complète de tous ces grands mots qui de tous temps à jamais ont été mobilisés pour tromper les peuples.

Valeurs? Mon oeil (pour ne pas dire autre chose)! La seule valeur actuellement à l'œuvre, c'est le le pognon, le flous, l'artiche, le blé, les pépètes. La seule éthique, c'est celle du profit maximum, comme dans l'art, le sport ou la plupart des activités humaines. Certes il en a toujours été plus ou moins ainsi, mais jamais à ce point, depuis le triomphe d'un libéralisme décomplexé sans foi ni loi.

Car ne nous y trompons pas. Il existe dans le monde taurin en général et en France en particulier un projet non-dit, un dessein à l'œuvre. Certes, il n'est pas concerté et planifié de manière rigoureuse et systématique. Certes il n'y a pas de complot, ni de comploteurs. Seulement une convergence d'intérêts. Mais ce dessein vise la mise en place insidieuse et tenace d'un «nouvel ordre taurin», d'une organisation et d'une programmation qui favorisent l'instauration d'une tauromachie presque exclusivement commerciale. Avec ses produits normalisés et calibrés qui limitent les risques (le «toro moderne»), ses officiants (petits prêtres et grands prélats-figuras), ses pèlerinages (les grandes ferias), ses reliques, ses martyrs, sa hiérarchie vaticane, ses prédicateurs, et bien entendu ses banques Ambrosiano et ses loges P2. Et ne parlons pas de son Opus Dei, dont la branche gauloise, l'O.N.C.T. comme on l'appelle je crois, traque infatigablement les hérésies ou la tiédeur doctrinale.

Dernièrement on a décidé d'un concile, non pour instaurer le Dogme de l'Immaculée Conception, mais pour intégrer la tauromachie au Patrimoine Immatériel de l'Humanité de l'U.N.E.S.C.O. Comme pour l'Immaculée Conception, dont tout le monde non catholique se contrefout ou s'esclaffe, cet ex-futur «Patrimoine Immatériel de l'Humanité» ne concernera que les intéressés: les afionados.

Encore faudra t-il tout de même prendre en compte l'avis des "autres", ceux pour qui la tauromachie ne représente rien, ou pis une abomination barbare. Et là, le bât risque de blesser. Si l'on consulte le catalogue des divers us et traditions déjà retenus, on constatera qu'ils sont tous extrêmement consensuels. Ce serait complètement méconnaitre l'esprit et les usages de l'U.N.E.S.C.O., un milieu parfaitement feutré et convenu, quintessence de la tradition diplomatique pour envisager qu'un sujet aussi explosif puisse y être retenu. J'ai d'ailleurs eu confirmation de la chose par un ami diplomate , haut responsable de cette organisation.

On se dirige donc, vers un prévisible enterrement à la sauvette, sans tambours ni trompettes, après quelques vibrionnages et rodomontades (j'aime bien le terme).

Ne vous inquiétez pas, quand le projet aura fait long feu, ou au contraire qu'il aura provoqué le conflit espéré, cela sera toujours la faute des mauvais esprits ou des renégats.

Vous pariez?

Xavier KLEIN

.

3 commentaires:

el chulo a dit…

bien, muy bien!

Bernard a dit…

Cher Xavier,

S'agissant "d'Opus Dei et de sa branche gauloise, l'ONCT" (branche fort peu armée, ma foi), je crois qu'il serait plus pertinent de parler du regretté (!) Saint Office, longtemps voué - comme chacun ne le sait plus - à l'éradication des hérésies diverses et variées, plus spécialement spécialisé dans le sondage parfois très physique des reins et des coeurs - sans compter certaine propension volontiers immodérée à l'usage combustible de force fagots (tout cela pour évoquer juste en passant à quoi nous voueraient avec bienveillance sinon délectation, du moins par la pensée, certains "frères prêcheurs" post-modernes)... Bref, heureusement pour nous que DD le mirifique n'est pas Simon de Montfort, sinon Dieu aurait à nouveau à reconnaître les siens!

Plus sérieusement (!) - et si je puis oser la comparaison, le toro bravo de grand "encaste" est un peu comme le vin de grand "terroir": les deux, pour exprimer leur "caste" ou leur "sève", demandent certes à être élevés dans le respect de leur "caractère"; mais surtout, me semble-t-il, les deux exigent pour cela une posture "sur mesure", une posture artisanale qui laisse sa part au hasard (cet ennemi définitif du taylorisme, comme dirait si pertinemment notre ami Chulo), c'est à dire à ce qui peut advenir d'inconnu, d'imprévisible - et que nous devons donc nous préserver de la tentation si prégnante de vouloir maîtriser, et qui s'appellerait "grand toro" ou "grand millésime"... C'est pourquoi, en revanche, nous ne devons pas déplorer, ni ne pourrons empêcher, qu'il existe "du toro commercial" - normé et bien propre sur lui, comme il existe de même du "vin international" - normé et bien aromatique sur lui (le "world wine" comme il y a de la "world music"), vin dont on ne sait plus dire ni goûter "d'où" il vient ("d'où" dont au fond on se moque un peu, s'agissant de ne pas "se prendre la tête" si on s'est acheté une "world pizza"!)... Mais, pas plus que l'existence des "world wine" n'a condamné les vins de terroirs, l'irrésistible extension et expansion du "toro commercial" ne condamne le toro d'encaste... a priori. Car - et là réside je crois le vrai danger pour nous autres amateurs d'encastes, alors qu'un terroir n'est jamais perdu (la terre demeure), un encaste peut se perdre si le cheptel devient trop peu nombreux (les animaux meurent). Dès lors, la seule façon de résister - sinon de pouvoir éviter semblable perte - est que "nous", chacun à notre place d'organisateur et/ou de spectateur, achetions ces toros d'encastes et les places d'arènes qui vont avec...

Pardon d'avoir été si long, et pardon de la "dernière pour la route", si connue mais qu'il ne faut jamais cesser de répéter: nous autres pauvres hommes - pauvres "petites flammes chétives", sommes ainsi faits qu'il suffit parfois d'un grand toro ou d'une grande bouteille pour nourrir d'immatériel jusqu'à l'en faire vivre cette petite flamme - parfois pour une temporada et parfois pour la vie.

Meilleurs Veoux à tous (et suerte para todos)

Bernard

el chulo a dit…

Ami Xavier,

évidemment, je souscris à ton article.
Excellent comme souvent.
As tu remarqué, que d'un coup, au sein de l'hiver, froid, vide, « on » avait envie de concorde, de compréhension réciproque.
Comme si, en ce moment, répondre à la critique, fondée et légitime, par la fatuité, le mépris, le mépris n'était plus de mise. Aimons nous!
Les temps plus fastes reviendront, pour la critique des « ultras , lorsqu'on inondera d'oreilles honteuses des funambules et des menteurs, lorsqu'on indultera des otaries cornues et qu'on sera priés de fermer nos gueules.
Le piège se referme toujours de la même façon autour du fric, et la corrida qui était un exercice hors du temps, ce qui en faisait l 'intérêt, deviendra a nouveau la pompe à fric admiratrice du modèle footeux.
Et ces conneries de l'UNESCO et de Barcelone pour dévier l'attention.
Chef d'œuvre en péril oui, plus que jamais!