Humeurs taurines et éclectiques

mercredi 26 janvier 2011

Rembrandt, maître dégagé

«La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch» dite la «La ronde de nuit» de Rembrandt

Rembrandt Harmenszoon van Rijn, dit REMBRANDT demeure en dépit de son âge vénérable (405 ans mi-juillet) d'une actualité brûlante.
Non content d'être le plus grand maître de l'art baroque hollandais, le bougre nous faisait des cachoteries.
ARTE a récemment programmé un «documentaire-fiction» remarquable sur l'histoire secrète d’un chef d’œuvre «maudit» puisque non seulement il connut de multiples avatars (il a été mutilé), mais qu’il valut à son créateur de multiples avanies.
Un film de Peter GREENAWAY «La ronde de nuit» était déjà sorti en 2007 dans le genre très tendance du commentaire romancé. Pourquoi pas? C'est intelligent et cela permet de vulgariser (quel vilain mot!) des bribes de notre histoire.
On y apprend comment cette oeuvre magistrale constitue un tableau à clef, d'une immense complexité, qui représente en fait la dénonciation d'un crime et les coulisses bien peu reluisantes de la société amsteloise.
Un chef d'oeuvre du clair-obscur, qui, sous des dehors apologétique plutôt innocents,  porte une impitoyable critique sociale qui coûtera à son auteur la ruine et la relégation. La bourgeoisie d'Amsterdam ne lui pardonnera jamais ce  «dévoilement» d'une vérité qui eût due demeurer ignorée et «aura sa peau».
Mais vous n'allez pas tout savoir sans rien payer, tout de même! Regardez le film...
Il n'en demeure pas moins que notre cher Remby, par delà sa technique révolutionnaire, par delà les thèmes inusités et souvent intimistes qu'il traite, par delà une vie à la fois rangée et tumultueuse: des goûts de prince avec un train de bourgeois, porte un regard engagé sur son époque. Ce qui lui vaudra d'être, à tous les sens du terme, «dégagé».
On lui prendra tout, y compris son confort, puisqu'il finira en «banlieue».
***
La dernière fois qu'en grand équipage, je me suis déplacé au Louvre, j’étais plutôt parti sur un plan «Renaissance italienne».
La cohue m’en a dissuadé. Le flot ininterrompu des hordes de flasheurs, le tohu-bohu incessant des péquins qui remuent sans cesse sans jamais rien regarder ou qui regardent sans voir, qui ne savent pas s’asseoir ou rester quiets pour laisser l’œuvre les pénétrer à sa guise, me fatigue et m’irrite. Et quand la Joconde est dans le secteur, c’est l’affluence des grands magasins en période de soldes.
Et puis, il y a les modes, les célébrations dont on ne sait ce qui les provoque. Tout d’un coup on se met à porter au pinacle tel ou tel, proclamé très «actuel». Peut-être un coup des grands marchands d’art qui veulent revaloriser une partie de leur fond de commerce. On trouve alors un anniversaire bien commode, un tricentenaire de la mort de, un cinquantenaire de la naissance de, bientôt un jubilé de la première branlette de…
Il y a dix ans c’était le tour de Van Gogh, aujourd’hui on réhabilite les «pompiers».
Il en va de même pour la musique, le théâtre ou la littérature.
C’est passablement pénible et terriblement vain!
***
Jusqu’à cette dernière visite, je n’avais toujours trouvé qu'un intérêt plutôt mitigé aux autoportraits.
En fait, ce genre m’interrogeait: qu’est-ce qui peut pousser un artiste à se peindre, voire à s’utiliser comme matière d’étude, comme Cézanne le fit avec la Montagne Sainte-Victoire?
Il y avait là quelque chose de très dérangeant à mes yeux.
Imprégné des préceptes du classicisme de mes humanités, du «je» est haïssable, cette apparente fascination pour soi ne procédait-elle pas d’un narcissisme exacerbé?
D’autant que Narcisse était sublimement beau, ce qui s’avère rarement le cas de la plupart des scrutateurs d’eux-mêmes.
Je précise que je distingue dans cette considération, l’amoureux de soi, le vrai Narcisse, de celui qui se livre à l’examen et à l’analyse de ce auquel il peut le plus commodément et réellement accéder: lui même.
Introspection, ne signifie aucunement admiration de soi. Cela échappe bien souvent aux contempteurs sommaires de la psychanalyse.
C’est par hasard, dans l’échappatoire à la foule, que je me suis retrouvé dans une salle relativement délaissée où s’exposent les œuvres flamandes.
***
D’entrée, Il m’a saisi, me fixant depuis les carcans de toile encroûtée qui le perpétuent et l’emprisonnent, comme Merlin, prisonnier à jamais de la fée Viviane.
Il m’a saisi de ses yeux multiples, de ces plusieurs «lui», de ces plusieurs «soi», de ces plusieurs «je» qui ce jour là devinrent «nous».
Rembrandt, ni beau, ni laid -quelconque en fait dans ses traits- se mit à me parler.
J’ai compris qu’il ne se regardait pas en se peignant, mais qu’en fait, c’est l’observateur qu’il fixait.
Rembrandt peint Rembrandt qui observe, qui interroge.
Rembrandt ne peint pas Rembrandt, il observe l’humain.
Le jeune homme curieux, effaré ou pensif interroge le voyeur, s’interroge sur ce soi aussi proche qu’étranger.
La dernière toile fut une manière de révélation. Ce vieil homme devenu. Cette face bouffie, ce regard désabusé. Comme Dorian Gray marqué par les joies, les peines, les douleurs, les excès, la maladie, l’annonce de la mort qui vient.
Rembrandt ne peint pas Rembrandt.
Rembrandt peint à travers lui la condition humaine.
***
Il faut considérer le tableau à cinq pas, la dimension de la chambre bourgeoise d’Amsterdam dans laquelle l'artiste oeuvrait. Là seulement il se révèle, dans la vibration subtile et puissante que le pinceau imprime à la toile.
Et avant de se retirer, pour cacher les larmes d’une émotion si intense qu’elle en devient presque insupportable et vous fait prendre congé du vieil homme à l’agonie, il faut se risquer à l’approcher, si les gardiens ne vous importunent pas, comme des cerbères ou des garde-malades trop zélés.
Le toucher, comme on caresse la face livide d’un mourant, comme on se confronte à la clinique de la douleur, à la sueur malsaine de l’agonie, à la peau parcheminée, jaunie et froide, aux rides de souffrance écloses, aux lourdes paupières et aux bajoues du jouisseur dessillé, de l’ex-pisseur brelien aux étoiles.
Là dans la touche vitale du pinceau du Maître, dans l’économie de moyens qui va à l’essence, sans fards et sans manières, dans la concentration de son art, dans l’épure et l’ascèse de toute technique, alors on voit sa grandeur.
Ce dernier tableau est immense parce qu’il est fait de peu, de touches avares et denses et qu’il dit TOUT.
Merci Rembrandt, tu ne dis plus rien et tu parles toujours.
Mieux qu’un traité, qu’une somme, tu résumes l’Homme.
Xavier KLEIN

NOTA: Les oeuvres représentées ne sont pas toutes au Louvre.







Retirons nous sur l'image d'un Rembrandt heureux, celui de la fête et de la liesse:

3 commentaires:

el chulo a dit…

que dire, ole?

ça ne veut plus rien dire, avec les décadents fachos dédéiens, futurs grands d'espagne, quand zapatero en aura fini avec son "calvaire", et que la fausse blonde esperanza del dede, et future très grande d'espagne selon ses prévisions, et lui "consultant" en tauromachie .

bravo en tous cas!

Anonyme a dit…

Un réel bonheur cette promenade et ce choix, sans la foule qui piaille, bouscule, commente, vous entraîne dans son flot, vous interdit d'aller à contre courant ou stagne, avec la chaleur qui vous fatigue les jambes, vous chasse du musée sans même assouvir une petite faim.
Gina

Marc Delon a dit…

et merci Xavier. J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette contibution où l'on sent la vibration de ton émotion.