Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 12 novembre 2009

ECOLE, VOUS AVEZ DIT ECOLE?

«Si on pouvait recouvrer l'intransigeance de la jeunesse, ce dont on s'indignerait le plus c'est de ce qu'on est devenu.»
André Gide

Dans son éditorial du 27 octobre 2009 (BLOG CONTRE BLOC, http://www.terrestaurines.com/forum/actus/01-10-09/27-10-091.php), André VIARD dénonce ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, ces vilains, ces affreux, ces pelés, ces galeux, ces empêcheurs de toréer moderne en rond, ces grands méchants blogs qui se permettent de venir troubler la doulce jouissance des tendidos heureux des grandes ferias commerciales (un beau pléonasme… puisque feria signifie foire).
Il faut être un bien grand maître pour s’autoriser ainsi à distribuer les bonnes notes et dire où est la bonne aficion et où est la mauvaise.
La maîtrise s’acquiert de deux manières: par la réussite et/ou par l’étude sanctionnée par un diplôme. Ce cher André ayant sans doute satisfait aux deux -un succès éclatant dans les ruedos et un doctorat es tauromachie décerné par l’Académie Don José Maria COSSIO- il peut en parler en parfaite connaissance de cause.
Dans tous les cas de figure, seule la reconnaissance des pairs sanctionne la maîtrise, et il reste à prouver qu’en dehors de sa chapelle, et des quelques gogos espagnols qui, ne le connaissant pas, célèbrent les grandes qualités qu’il se prétend, dear André provoque le consensus en la matière.
L’une des premières marques de la maîtrise trouve sa source dans des qualités particulièrement absentes de notre société: le discernement, la pondération et surtout la hauteur et la largeur de vue.
J’ai connu le privilège de croiser deux ou trois fois dans ma vie des maîtres, des vrais. L’un d’entre eux s’appelait Louis LEPRINCE-RINGUET, un autre se nommait Haroun TAZIEFF, un troisième Arnaud DESJARDINS. La caractéristique commune de ces maîtres là, quelque idée que l’on ait de leur compétence, c’est que leur commerce vous laissait le sentiment d’être intelligent, mieux, sans doute, ils vous RENDAIENT intelligent par la sollicitation de votre intelligence.
Ils auraient pu, comme d’autres, vous écraser de leur savoir, de leur génie, de leur sagesse ou de leur célébrité, vous balancer un «casse toi, pauvre con!». Que non pas! Tout au contraire, ils accueillaient le jeune esprit enthousiaste, passionné, parfois excessif avec patience, humour et compréhension. Car les maîtres, les vrais, savent qu’il faut savoir prendre la mesure des choses et considérer un être humain dans ses capacités, dans ses possibilités, dans son évolution.
«La plus inquiétante jeunesse est celle qui n'a pas d'opinions extrêmes.» notait Hugo, un homme qui resta très vert, très longtemps, ce qui n'a pas peu contribué à sa popularité.
Ils savent aussi ces maîtres, par dessus tout, qu’il n’est d’autre recours qu’en l’humilité, et que plus l’on pousse dans la connaissance, plus l’on entrevoit l’immensité de ce que l’on ne sait pas.
A cette aune, selon ces critères, on ne perçoit pas très bien quel maître s’imposerait dans le paysage taurin français actuel et sûrement moins André VIARD que les autres. Une superbe lettre ouverte de la revue TOROS ("Mon tout petit...") était naguère venue le lui remémorer.
Et c’est tout le problème de la situation présente. On manque cruellement de Tio Pepe, de Pelletier, et autre Paco Tolosa.
La condamnation «urbi et orbi» fulminée par le pape de l’Observatoire sent donc son vieux con racorni et rassoté ou son beauf conformiste et étriqué.
Il a «maître» et «maître» et André Viard aborde un problème qu’il maîtrise sans doute aussi parfaitement que le reste: l’ECOLE.
Ayant exercé depuis 35 ans au sein de l’honorable institution qu’est l’Education Nationale la plupart de ses métiers («pion», enseignant, CPE, «formateur de formateurs», formateur pour adultes, tuteur, et maintenant chef d’établissement), y ayant accédé à chaque fois par la voie du concours (et non celle de la cooptation), je ne puis prétendre à la même «maîtrise» du sujet.
Nous vivons des temps où chacun, ayant connu une petite expérience de la chose dans sa jeunesse, se croit obligé d’émettre sur la question un point de vue autorisé et sans réplique. Toutefois, en dépit de mes nombreuses insuffisances, j’ai néanmoins réussi à tirer quelques modestes conclusions de ma pratique.
Il faut trois exigences pour faire un enseignant, bon ou mauvais:
1°) Des connaissances à transmettre. Connaissances généralement consacrées par un diplôme universitaire (pour l’enseignement général).
2°) Des techniques pour transmettre ce savoir (la pédagogie et plus généralement la didactique).
3°) Un «charisme» particulier fait d’intelligence, de sensibilité, d’empathie, d’écoute. En fait une aptitude spécifique à la communication.
A ces qualités s’en rajoute une dernière, utile mais nullement nécessaire: il faut aimer ça!
Ces qualités, précisons le bien vite, ne constituent pas l’apanage des enseignants patentés. Et, par le passé, on a connu de ces mentors, péons en retraite ou vieilles figuras retirées des affaires, qui les réunissaient à la perfection sans avoir de titre, ni s’en faire une gloire.
Précisons également que l’excellence ou l’expertise n’est aucunement la garantie de la qualité d’un enseignant. On connaît d’illustres chercheurs, athlètes, acteurs, artistes, etc., autorités incontestées, qui sont de piètres pédagogues.
L'époque héroïque où l'on se formait au contact d'un maître (comme un apprenti dans le compagnonnage) paraît révolue, comme est révolu le temps des grouillots. Aujourd’hui, semblerait-il, il faut nécessairement passer par l’école.
Le problème, et les professionnels de l’enseignement le savent, c’est que l’école est NORMATRICE. C’est à dire qu’elle transmet le corpus de connaissances et de valeurs que la société lui délègue la responsabilité de transmettre.
«être bon à l’Ecole», c’est «être bon pour l’Ecole», autrement dit satisfaire aux exigences et aux injonctions du système. Ce n’est sûrement pas pour rien que l’Ecole fut le bras armé de la République et que cette dernière, pour s'imposer et faire triompher ses idées à la fin du XIXème siècle, l'a investi, depuis Jules Ferry jusqu'à nos jours, d'une fonction et d'un enjeu essentiel.
Si cette fonction normatrice peut valoir pour la transmission des connaissances et des valeurs de bases qui forment le socle d’une société démocratique, elle est infiniment moins effective et pertinente en matière artistique où, l’originalité et la créativité doivent primer, ce qui est le cas de la tauromachie.
Les écoles taurines PRODUISENT donc des élèves conformes, reflets des normes et valeurs de leurs maîtres et de «l’idéologie» ambiante.
VIARD cite le cas d’une immense pédagogue, unanimement reconnue pour ses compétences et ses savoirs. Une pédagogue qui d’après ses propres déclarations, dans une tragi-comédie courtelinesque, se préoccupe surtout du service après vente, c’est à dire, des conditions d’engagement de ses pupilles, autrement dit de «l’exploitation de sa production».
Pourquoi pas après tout. Sauf que la tradition française de l’Education (avec un grand E, on parlait autrefois d’Instruction Publique), se situe, au contraire d’autres systèmes éducatifs, dans une éthique de l’universalité de la connaissance transmise pour elle-même, sans arrière pensées économiques et utilitaristes.
L’Ecole française (et notamment le collège unique) ne produit pas de l’insertion professionnelle (c’est le rôle de l’enseignement professionnel), elle produit du savoir. Elle prétend former «l'Homme et le Citoyen». Et c’est son honneur, quoiqu’on en dise!
Il ne me semble guère ni utile, ni pertinent de favoriser le développement d’écoles qui ne seraient que les relais et les réservoirs de la profession, parce que nous sommes en tauromachie dans le domaine de l’art, de l’inventivité, de la variété, et non dans celui de la norme.
Qu’un postulant apprenne, avec quelques «disciples», comme Leonardo DA VINCI, PLATON ou Moriheï UESHIBA en eurent, tant mieux. La transmission de l'art et de la technique doit passer par un rapport de Maître à Disciple. C’est une logique d’atelier.
Mais de grâce qu’on nous évite les écoles taurines telles qu’elles fonctionnent en Espagne. Et qu’on nous évite aussi de singer un système éducatif français, dont on devrait savoir qu’il transmet AUSSI et SURTOUT de la contrainte (en termes de savoirs et de socialisation), qui s’oppose au discours sur le plaisir et l’accomplissement utopique du désir qu’on entend se développer sur les hypothétiques gloires taurines franchouillardes.
J’en connais les vertus aussi bien que les vices.
Ceci dit, comment faire pour que les jeunes gens qui désirent s'engager dans la carrière, puissent en acquérir les fondements?
Comment faire en évitant de passer par «la profession», qui dans ce champ d'activité, plus que dans tout autres, voit en l’humain un simple investissement, rentable à plus ou moins long terme?
Comment faire pour pallier au défaut majeur des écoles taurines espagnoles, c’est à dire la production en série de parfaits techniciens stéréotypés du toreo moderne.
Comment faire enfin, pour armer des jeunes gens pour la vie, sans détruire leurs rêves, mais en prenant en compte une réalité qui leur laisse peu de chances de les voir réalisés?
Comment les préparer à un échec prévisible pour la grande majorité d’entre eux, pour que justement, ce qu’ils auront appris soit au contraire une richesse et un atout, et non le désert stérile des illusions perdues?
Dans l’Education Nationale, nous sommes constamment confrontés à cette problématique que nous essayons de gérer au mieux, ou au moins mal. C’EST UN METIER, et C’EST UN SAVOIR, pour lesquels nous sommes formés et informés, en sachant que les choix sont des deuils, et qu’ils engendrent frustrations et insatisfactions.
D’évidence, certains croient pouvoir se passer impunément de cette réalité. Il serait cruel de rappeler certains noms de pupilles et de «grands espoirs», montés au pinacle, et qui se retrouvent maintenant dans des ornières dramatiques. Certains ne seraient certainement pas étrangers au Président de l'O.N.C.T., à moins que l'oubli ne soit une vertu salvatrice.
Des solutions sont possibles, à condition qu’elles soient mises en œuvre non par des amateurs, aussi dévoués soient-ils, ou des taurinos nécessairement «intéressés», mais par des professionnels de l’Education qui portent une éthique, une pratique, et des techniques appropriées.
Cela n’exclut nullement la participation et le concours indispensables des premiers, mais cela apporte des garanties incontournables.
Il existe dans les lycées et collèges, des ateliers de danse, de cinéma, de théâtre, de mîme, de cirque, qui fonctionnent, SOUS L’AUTORITE et le contrôle de l’institution, avec des partenaires extérieurs qualifiés. C’est sans doute cette voie là qu’il conviendra d’explorer, après des études approfondies et un dossier étayé.
Inutile de préciser, qu’en ce qui me concerne, j’y œuvre, sans avoir attendu, en cette matière comme dans d'autres, que le gourou ait parlé…

Xavier KLEIN

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Xavier,
Une fois de plus, mon cher, vous parlez d'or !
Oserais-je toutefois attirer votre attention sur la volonté de certains conseillers ministèriels, d'élus, de hauts responsables, d'"harmoniser" les enseignements dispensés dans les écoles de la République avec les activités économiques dominantes des régions. Le but manifeste étant de créer des "bassins d'éducation" correspondants aux besoins des entreprises du cru. En d'autres termes, la finalité de l'école ne serait plus, selon ces messieurs-dames, d'offrir à l'individu les outils lui permettant de s'épanouir librement parmi des individus librements épanouis, mais de fournir à l'entreprise une main d'œuvre sur mesure et accessoirement bon marché.
C'est une tendance lourde et déjà ancienne.
Mon Papa qui fut durant 37 annuités et demi un pilier laïc, gratuit et obligatoire de l'Education Nationale en parlait déjà il y a 20 ans.
Le schéma emprunté par les écoles taurine que vous citez : créer une main d'œuvre sur mesure, adaptée aux besoins d'une industrie, la corrida-moderne-en-rond, n'a donc, de mon point de vue, rien à envier aux pires projets que les crânes d'œuf des ministères et le MEDEF ont dans leurs petits cartons pour nos chères têtes blondes…

J'ai dit.

Alain Lagorce

Xavier KLEIN a dit…

Et que vous le dites bien Alain!
Pour autant, les ministre (ou les présidents) passent et les enseignants restent, et...résistent.
Le modèle de l'Education Nationale, c'est la Grèce antique, et ce n'est pas pour rien qu'on parle d'Académie, c'est à dire l'école jadis fondée par Platon, qui visait à former des citoyens complets selon l'idéal grec du καλὸς κἀγαθός (kalos kai agathos: beaux et bons) et non des travailleurs soumis.

el chulo a dit…

tout à fait d'accord et avec ton texte et avec le commentaire de monsieur lagorce.
me revient à l'esprit sans avoir la certitude que cette réalité très certaine m'ait jamais quittée, que mon père fut un instit à l'ancienne, comme on dit. qu'il passa une bonne décennie avec des classes de certif de 50 élèves et plus, et que nous vivions dans la hantise des résultats car il considérait qu'un seul échec était une défaite. ainsi fut t'il abonné au cent pour cent, au détriment de sa santé.
la mutation du monde est incontestable, mais l'image de mon père allant chercher au fond des barthes un élève qui ne souhaitait pas se confronter à l'épreuve est toujours présente à mon esprit, surtout qu'en fait il obtenait le sesame.
misérabilisme pédagogique?
apprendre à lire est différent de lire sarkozy, c'est même le contraire, même si in fine on "sait" lire.
il est évident qu'on va vers l'utile qui tend à fournir des troupes "corvéables" au patronat.
et c'est avec une douleur incommensarable que je mesure que cette gauche de france reproduit les mêmes symptomes que l'espagnole de 31 à 39, division, accord de façade, confusion idéologique au seul profit d'une efficacité corporatiste, comptage des "militants" et incapacité à assumer des virages nécessaires.
pour moi l'école doit être le seul refuge du citoyen, dans sa diversité, avec cette nuance tout de même qu'il ne faut pas lui demander de se substituer à toutes les insuffisances de la socièté.
d'où cette ambiguité, l'école dressera cet enfant qui me domine et ces dérives hideuses sécuritaires qu'aussi bien droite excellemment pensante dans sa logique de droite et gauche, pas loin de penser pareil malgré sa dénomination de gauche qui est le respect de l'autre.
mais xavier, je te remercie de lever ces débats.

velonero a dit…

Belle analyse - à laquelle je souscris totalement - de ce que sont l'Education Nationale et le métier d'enseignant.
En ce qui concerne les écoles taurines j'ignore tout de leur fonctionnement mais je trouverais logique que les collectivités territoriales en assument gestion et organisation (ce qui est sans doute déjà en partie le cas). Sachant qu'in fine les meilleurs pédagogues sont les toros et les publics.

velonero a dit…

A lire également Ecole d'aficion, réponse pleine de bon sens de Charles Crépin dans son blog vingt-passes-pas-plus.over-blog.org/.

Anonyme a dit…

Je me suis permise une intrusion dans ce blog et j'ai fortement apprécié en enseignante convaincue qui a adoré son métier, les élèves et les jeunes profs qui lui furent un temps confiés, toute cette analyse de Xavier Klein, les trois points qui font l'enseignant et cet amour inanalysable qui coiffe l'ensemble.
Je ne pense pas qu'on évite à quiconque les frustrations de la vie, pas plus que les soucis économiques - peut-être faut-il bien les prévenir - ou les deuils. Mais, c'est vrai que tous les Jeunes humains seront plus armés si au moins un prof leur a donné confiance en eux, sans mépris, - même j'ajouterai sans humour -, si on les a encouragés à voir et à développer les richesses qu'ils ont tous, si on a pensé à les féliciter pour chaque victoire remportée.
Bien sûr, M. Klein avec les aides extérieures aussi modestes soient-elles pourvu qu'elles soient enthousiastes, sans attendre que L'Education ait pondu des décrets dont l'un a toujours chassé l'autre.
Gina