Humeurs taurines et éclectiques

lundi 30 novembre 2009

La tauromachie formica.

Dans les années 50-60, une certaine engeance arpentait les campagnes pour convaincre nos sympathiques péquenauds de la France profonde, d’échanger leurs vieux meubles vermoulus contre le nec plus ultra, le fin du fin, l’apothéose de la modernité, j’ai dit le meuble de formica.
J’en connais certains qui ont ainsi cédé aux caprices du temps et troqués des vénérables reliques de famille contre des horreurs flamboyantes, et bien pratiques, ma bonne dame!
Facile d’entretien avec ça: un bon coup d’éponge (avec eau de Javel pour les bactéries) sans crainte de décirer et hop! Emballez, pesez, l’affaire est dans le sac!
Plus tard on a fait mieux, mais en passant de l’ignorance à l’iconoclastie.
Le formica ne tenant pas à l’usage, s’usant ou se décollant, on lui préféra le sapin nordique, et les rescapés de la première vague se virent condamnés par l’avènement du «dézingne », façon Monsieur Ikéa. Vous savez, les trucs qui font, paraît-il, classe à bon marché.
Il y eut pire encore: la re-peinture en laqué brillant. J’ai récemment vu une bonnetière Louis XV d’époque, ainsi massacrée avec beaucoup de talent.
Ah! Vous les auriez vu les commis-voyageurs, minauder dans les cambrouses avec la rombière, lorgnant en loucedé sur l’antiquité convoitée, pour convaincre la brave ménagère, qu’il lui fallait AB-SO-LU-MENT la pointe de la technique plastique pour être dernier cri, pour pêle-mêle, impressionner les voisines, chârmer le daron, chasser les microbes, égayer les mouflets par des couleurs vives et, surtout, sortir glorieusement de la condition misérable de ruraux dégénérés.
La modernité, vous dis-je!
Il y a vingt ans de cela, je sauvais in extremis, un vaisselier XVIIIème, qu’on allait brûler après tronçonnage, pour mettre indignement un terme à une longue carrière, achevée dans le poulailler comme pondoir.
Démonté, restauré avec amour, le vendeur s’est extasié, sans le reconnaître au premier abord, avant que je ne lui crache le morceau.
« -Si j’aurais su, je te l’aurais vendu» m’assura le con joli sans vergogne.
Ce à quoi je lui répondis qu’il était vraiment indécrottable, car s’il aurait su, il aurait mieux fu de se le gardu, le glandu.
Mais que peut-on attendre de bon d’un abruti qui préfère vous boire cinq viskis-coca(et du Prince Edward hors d'âge, SVP, acheté aux ventas d’Ibardin, comme chez le voisin), quand on lui offre de déguster un bon sauternes?
Mais les toros dans tout cela?
Et bien, c’est la même chose.
La modernité, frappe aussi.
Le pis sans doute, c’est l’hypocrisie du discours ambiant. Tout le monde déplore, mais que voulez-vous braves gens, il faut bien se résoudre aux réalités du «marché», et surtout aux exigences, soigneusement orientées et conditionnées, du public, pardon, du client lui aussi «moderne».
Quitte là aussi à user de mauvaise foi.
On répute les élevages braves, ou au moins ceux sortant du bien-disant taurin, ne pas plaire au public. Est-ce si vrai?
Je constate que bon an, mal an, l’immense majorité des novilladas du sud-ouest, ont sorti de ces élevages honnis. Parentis, Saint-Sever, Roquefort, Hagetmau, Orthez, Garlin, Dax, Vic, et j’en oublie, ont fait courir des lots dont le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas courus par les vedettes.
Et si l’on fait le compte des corridas, entre Vic, Céret, Alès, Istres, Beaucaire, Aire, Orthez, Aignan (annulée), La Brède, et j’en passe là aussi, de quelques manières qu’ils soient sortis, les élevages hors modernité, ont été représentés en nombre.
A y bien regarder, seules les grandes ferias, celles qui remplissent, et celles qui, comme par hasard, peuvent se payer le luxe d’appointer une «com» voire une claque, ont usé et abusé du toro moderne, avec un résultat généralement peu convainquant d’ailleurs, au regard du battage médiatique.
Encore faut-il également souligner l’incohérence de beaucoup de soit-disant toristas, qui attendent qu’on leur sorte le même produit conforme et garanti, mais en «dur», que dans les corridas toreristas.

Il faut choisir messieurs entre la grande série calibrée et l’artisanat inconstant. On ne peut, à la fois, vouloir une chose et son contraire, la poésie et le prosaïque.
Ne peut-on dés lors parler d’intox, quand les seuls critères, les seuls faits considérés, relèvent exclusivement ou presque de «l’événement» de ces grandes foires taurines, au détriment de «l’autre tauromachie», dont les canons –toréer et non pas uniquement faire des passes, un toro qui charge, et non pas uniquement qui passe- ne sont nullement pris en compte.
Qu’est-ce qu’une bonne corrida? Celle où les trophées faciles ou programmés dégringolent, où l’on sort a hombros, ou bien est-ce autre chose, de non assuré, de non garanti?
Tout est dans ce choix, comme il est de choisir entre le bois vénérable patiné par les ans et le fade et impersonnel revêtement de formica.


Xavier KLEIN


NOTA: Le vrai Formica (marque déposée), travaillé par de grands stylistes, dés les années 30, peut être réellement superbe.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Formicable !
Y'kea fornicar !
Cognoo !

Et merci mucho pour ton super texte sur L'ECOLE !!
.ernesto.

el chulo a dit…

il y a les libéraux et les irresponsables, cherchez l'erreur récente,
il y a ceux qui disent savoir, ceux qui aimeraient savoir et ceux qui se foutent de ce savoir,
il y a ceux qui confondent un rebelle avec un assujetti socio culturel,
il y a ceux qui pensent que le monde s'arretera après eux, au moins dans ses manifestations les plus subtiles, et ceux qui pensent que trainer des pieds devant la traction des incohérences a toujours eu son petit effet,
il y a ceux qui pensent que renoncer est une marque de "modernisme" ou de confiance aveugle en une "gouvernance" tout aussi déboussolée, au moins sous influence, et ceux qui pensent que ce qu'en l'écrasant on garde sur ses semelles dégage une odeur d'autant plus forte et pregnante.
le formica permettait aux pauvres d'avoir une table, c'était bien, sauf que.............
sauf que!!!!
toute notre société archaique et prétenduement moderne, inféaudée et répugnante s'emploie à consoler les pauvres d'être pauvres en les convainquant qu'en plus, ils sont cons, et que c'est de leur faute.
cqfd!

Bernard a dit…

Xavier,

Et si, au fond, l'essentiel ne se jouait pas là, entre le "programmé" et le "non garanti" (et quelle justesse que d'avoir pointé ces "nouveaux toristas" qui veulent du "programmé en dur" - validant de facto et de surcroît qu'il y eût du "programmé en mou"!?...).

Car, entre ce "programmé" et ce "non garanti", ne se dit-il pas aussi d'un côté le besoin de protection qu'offre le "programmé" - ce besoin de protection que nous avons mentalement hystérisé en "principe de précaution", et de l'autre une manière d'acceptation de la vie comme elle va, c'est à dire comme elle va sans nous, à son gré à elle et non au nôtre, au hasard en somme - c'est à dire "sans garantie" (ne nous laissant, comme position à occuper, que celle de "recevoir", et non celle de "quémander" - de "revendiquer un j'y ai droit" - où nous place immanquablement le besoin de protection)?...

Mais si, comme le disait Louis PASTEUR, "le hasard ne favorise que les esprits préparés" (c'est à dire préparés à recevoir), alors nous sommes justifiés de "croire au Père Noël et d'aller à ses rendez-vous vers les cinq heures" (Jean CAU)...

Suerte (ce qui signifie "hasard, chance", non!?)

Bernard